Bonjour,
Le 8 avril dernier, cela faisait 110 ans que Louis Pergaud disparaissait au combat, quelque part entre les lignes françaises et allemandes, sur cette côte 233 qui surplombe Marchéville dans le Woëvre. Après avoir ravivé sa mémoire à travers un premier texte https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=81104,
voici un second hommage : une évocation romancée, imaginée avec pudeur, de ce qui pourrait être resté, une fois le vacarme éteint, les hommes tombés… mais la mémoire, elle, toujours debout.
Bonne lecture et bonne fin de journée,
Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Quand l’aube de ce 8 avril 1915 eut imposé un repli précipité, Louis ne fut pas de ceux qui se comptèrent à la 2ème section dans la tranchée parallèle de départ. Vivait-il encore à ce moment-là ?
Ils revinrent au cantonnement par petits groupes le long de cette rectiligne et ingrate route de Metz, sans mot, sans fanfare, sans même lever les yeux.
Les bottes pleines de glaise, le visage noirci par la suie des obus, les épaules basses, ces hommes n’avaient plus grand-chose d’une section. Ils rentraient à pied, lentement, l’un derrière l’autre, avec ce pas irrégulier des soldats qui ne savent plus marcher ensemble. Ils n’étaient plus qu’une poignée.
Son compagnon de route, le capitaine Pierre Legouis est déjà là. Il attend des nouvelles. Il ne pose pas de questions. Il sait. Il les regarde l’un après l’autre, et dans ce silence pesant, chacun comprend.
Le sergent Louis Desprez secoue la tête, lentement.
« On l’a vu tomber… quelque part dans les barbelés… mais il n’est pas rentré. »
Arrivent le Lieutenant de Montvert, commandant de compagnie, rejoint immédiatement par le Sous-Lieutenant Romain et le médecin auxiliaire Mistarlet.
Pergaud ? On ne savait pas. On s’était repliés en désordre. Les ordres n’étaient plus clairs. Les lignes s’étaient disloquées. Et puis le jour se levait.
Ce soir-là, au cantonnement, c’est un silence étrange qui accueillit les survivants. On s’attendait à du tumulte, des rumeurs, de l’agitation. Mais non. Seulement ce silence, plein d’échos, qui disait tout ce qu’ils ne pouvaient plus dire. Mia ce silence était plus fort que tous les récits, plus précis que toutes les phrases.
Les jours suivants furent englués d’un temps suspendu.
À l’aube du premier jour, certains levaient encore les yeux vers la route, comme s’ils s’attendaient à voir apparaître une silhouette titubante, couverte de boue, les traits tirés, mais bien vivante. Un homme qui aurait dit : « J’étais tombé, mais j’ai tenu. »
Mais Louis Pergaud ne reparut pas.
On vérifia les ambulances, les postes de secours du secteur divisionnaire, interrogé les prisonniers. Rien. Au 166e ? Rien. À l’artillerie de secteur ? Ils n’ont rien vu. Aux régiments voisins de la division ? Rien non plus. Pas de blessé identifié. Pas de message. Pas de corps.
Pas un mot, pas une trace. Comme s’il s’était dissous dans la terre de la côte 233, englouti par cette chair boueuse qui ne rend rien.
Alors on continue d’espérer. Puis on attend un peu moins. Puis on s’habitue à ce vide.
Alors le silence se fit plus lourd. On ne parlait pas de lui. Ou à voix basse, dans les coins sombres de la grange, près de l’établi ou au fumoir. Quelques-uns espéraient encore, naïvement. D’autres, plus lucides ou plus lassés, baissaient les yeux, résignés.
Son ordonnance, ce brave Lambin, toujours debout à l’ombre de la cantine de son Sous-Lieutenant, continuait pourtant de l’attendre.
Ils avaient attendu. Trois jours. Puis cinq. Puis plus encore. Au début, ils y croyaient. On se disait qu’il avait pu se tromper de direction, qu’il était blessé, qu’il allait revenir, le sourire en coin, comme il en avait l’habitude après une marche trop longue ou une nuit trop froide. Et puis, plus rien. Le silence s’était installé. Il avait cette densité sourde, ce poids invisible qui serre la gorge. On n’osait plus en parler.
Le sergent Louis Desprez était l’un des rares à ne pas avoir baissé les bras. Chaque jour, il glanait des nouvelles, il interrogeait les autres régiments, les artilleurs, les coureurs, même un officier d’observation, qui, du haut de son avion, avait peut-être vu quelque chose. Mais la réponse était toujours la même : non, rien vu, désolé…
Et puis, un matin pâle, alors que la brume traînait encore entre les arbres du cantonnement, le Colonel Desthieux convoqua les hommes. Il n’eut pas besoin de lire de communiqué. Il n'y avait d'ailleurs rien à lire. Simplement, il dit en regardant ailleurs :
« Le Sous-Lieutenant Pergaud ne figure pas parmi les survivants. On doit désormais considérer qu’il est… tombé au champ d'honneur. » Ordre était donné de rassembler les affaires de Louis et de les renvoyer.
Le mot était tombé comme un couvercle. Rien de solennel, juste une chape invisible. Les visages se durcirent. Quelques têtes baissées, un silence de pierre.
Lambin, l’ordonnance, attendit le soir. Il alluma une bougie dans le petit réduit où Pergaud dormait et écrivait parfois.
Il fallait faire le tri dans les effets du sous-lieutenant. Lambin, s’y attela sans un mot. Il entra dans la baraque en bois où Pergaud dormait, écrivait, songeait. Tout était resté tel quel. Le lit fait à la hâte. Sa capote accrochée au clou. Une boîte de plumes, des papiers, un livre de Montaigne ouvert sur une phrase soulignée.
Lambin resta figé quelques secondes, comme s’il redoutait que l’ombre du maître des lieux surgisse derrière lui, les sourcils froncés, la voix grave, lui demandant ce qu’il faisait là.
Alors, lentement, presque religieusement, il se mit à plier les affaires. Il rangea ses lettres, ses carnets, ses livres, ses papiers d’état-major, son képi, sa cravate noire, cette cravate qu’il nouait d’un geste précis, chaque matin. Il rangea précieusement le tout dans la cantine métallique, prête à être expédiée, avec l’étiquette réglementaire. Tout sauf une chose.
Un carnet. Un petit carnet fatigué, usé aux angles, à la couverture noircie par la boue et la suie, un crayon glissé dans la tranche, soigneusement rangé entre le lit et la table. Il le prit, lentement, l’ouvrit, tourna les premières pages. Ce n’étaient pas que des notes de service, c’était sa guerre. La vraie. Ses pensées, ses doutes, ses colères, ses lueurs d’espoir, ses dessins. Des morceaux de ciel. Des phrases à faire trembler un cœur. Et cette écriture : rapide, penchée, vivante, serrée, nerveuse, parfois hâtive. Comme une voix qui remonte du silence.
Lambin s’assit sur la paillasse, carnet en main. Les doigts tremblants, Il tourna doucement les pages et lut quelques passages, le cœur noué. Les yeux humides, il lut encore, en murmurant, comme pour ne pas déranger les morts. C’était tout Pergaud, là. Sa plume, sa voix, ses doutes. Son courage aussi, mêlé de cette tendresse rare qu’il cachait sous ses ordres secs.
Il referma le carnet, le tint contre lui. Ce carnet… c’était Pergaud. C’était ce qu’il restait de lui. Plus que son képi, plus que ses galons. C’était sa mémoire, son souffle, ses mots, son âme.
Il le glissa avec soin dans un petit sac de toile qu’il posa au-dessus de la pile. Puis il s’agenouilla devant la cantine. Il ne pria pas, mais ce qu’il fit s’en approchait. Il posa la main à plat sur le couvercle, les yeux fermés. Et, dans un murmure, il souffla :
« Adieu, mon Lieutenant… »
Et puis les ordres reprirent, les corvées, les rondes, les pelles, les fusils.
Il fut regretté, autant que la résignation nécessaire aux combattants pour tenir le permit. Mais c’est seulement plus tard qu’ils sentirent la grandeur de la perte qu’ils venaient de subir, lorsque le danger et l’accoutumance à la mort n’émoussèrent plus leur sensibilité.
Quelques jours plus tard, la cantine parvint à Delphine Pergaud, dans leur appartement parisien du sixième arrondissement. Elle avait été prévenue, bien sûr, par le Lieutenant de Montvert. Des mots mesurés, formulés avec cette froideur administrative qui ne dit rien du chagrin. "Disparu au combat." Mais Delphine, elle, n’en avait rien cru.
Elle le refusait. Louis ne pouvait pas être mort. Pas lui. Il était peut-être blessé, perdu quelque part entre deux lignes, prisonnier peut-être… Mais vivant. Forcément vivant. Elle s’y accrochait comme à une dernière branche au-dessus du vide.
Alors, lorsqu’elle reçut la cantine, elle resta longtemps devant, debout, droite, les mains tremblantes sans qu’elle ne le montre. Elle n’osa pas l’ouvrir tout de suite. Ce coffre, posé là dans le silence du salon, avait la forme d’un cercueil sans corps. L’ouvrir, ce serait admettre. Ce serait commencer à dire adieu. Et elle n’était pas prête.
Le soir même, quand la lumière déclina, accompagnée du chat Toto, elle finit par tourner les crochets. L’odeur de la terre, du feu de bois et de l’encre séchée s’en échappa doucement, comme un souffle d’outre-front. Elle découvrit ses affaires. Le képi, la cravate, les livres, les lettres… Des choses simples, mille fois touchées par lui. Elle les prit une à une, les tenant longtemps dans ses doigts. Rien, dans ces objets, ne parlait de la mort.
Puis elle trouva le carnet. Petit, noirci, abîmé. Elle comprit aussitôt que ce carnet n’était pas un simple journal. C’était lui. C’était ce qu’il avait pensé, écrit, ressenti. C’était sa voix, ses veilles, ses cris silencieux, ses clins d’œil aussi. Son souffle.
Elle le porta contre elle. Longtemps. Comme on serre un enfant dans l’obscurité.
Non, elle ne pleura pas. Elle ne pleurait plus depuis le jour où l’on lui avait parlé de sa disparition. Depuis ce jour, elle vivait dans une attente ardente, brûlante. Elle irait tous les jours consulter les listes, les journaux, les témoignages. Elle écrirait, elle chercherait, elle interrogerait. La guerre finirait bien. Et alors, s’il était vivant, il reviendrait. Peut-être amaigri, peut-être le regard changé, mais il franchirait la porte, il rirait, et il lui dirait que tout cela, ce n’était qu’un long cauchemar.
Elle allait devenir veuve, oui. Mais pas encore. Pas aujourd’hui. Pas tant que Louis n’était pas revenu. Et tant qu’il lui restait ce carnet, tant que sa plume y vivait encore, quelque part, dans une phrase, dans un mot griffonné à la hâte… elle croyait.
Les années passèrent. Des pierres furent dressées, des noms gravés. Les uns parlèrent d’un trou d’obus, de blessure, d’un éclat, d’un tir croisé. D’autres murmurèrent une fin inconnue, là-bas, quelque part, entre la côte 233 et les lignes allemandes. Mais nulle tombe, jamais, ne put être désignée du doigt.
Le Sous-Lieutenant Louis Pergaud n’eut pas de sépulture. Il ne restait de lui ni croix, ni plaque, ni tertre. Juste un nom suspendu entre deux silences.
On écrivit à son sujet. Des critiques, des hommages, des silences aussi. Les livres restèrent. « La Guerre des boutons, De Goupil à Margot », les contes, les pamphlets. Le maître d’école, le franc-tireur de l’écriture, le poète au verbe libre. Il fut lu, relu, redécouvert. Mais derrière l’écrivain, peu osèrent parler de l’homme, de celui que la guerre avait emporté sans témoin direct, sans adieu.
Delphine garda la cantine. Elle y plaça le carnet dans une boîte en bois de rose. Elle le sortait parfois, au crépuscule, quand le vent bruissait dans les rideaux. Elle n’avait jamais cessé d’attendre. Et lorsqu’en 1919 on la déclara officiellement veuve, elle ne protesta pas. Mais elle ne porta jamais le noir.
Un jour, bien plus tard, elle offrit le carnet à un ami de confiance. "Qu’il soit lu et publié, avait-elle dit. Qu’il vive." Ce fut ainsi que, page après page, Louis revint. Non en chair, mais en mots. Non en uniforme, mais avec ses colères, ses tendresses, ses lueurs.
Et ceux qui, plus tard, ouvrirent ce carnet, sur un pupitre de bibliothèque ou à la lueur d’un bureau, furent sa relève. Chaque lecture de sa publication était une résurrection. Car l’écrivain tombé restait vivant à travers eux.
C’est ainsi qu’il ne fut jamais tout à fait mort.
Et qu’à chaque fois qu’une main tourne une page…
Louis Pergaud respire encore.
« À toi, Louis… que ton absence ne soit jamais silence. »
Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonjour à toutes et à tous,
Je vous partage aujourd’hui un court texte de fiction, inspiré des lettres de Louis Pergaud à sa femme Delphine. Une évocation poétique de leurs liens, au-delà de l’absence et du temps. J’espère qu’il saura vous émouvoir.
Bonne lecture, bonne fin de journée.
Le rêve de Delphine
La chambre était paisible, baignée par la lumière pâle de la lune filtrant à travers les rideaux. Dehors, la campagne dormait, figée dans un silence ancien que seul le vent troublait, fredonnant entre les branches nues comme une chanson oubliée. Delphine s’était assoupie, la tête penchée sur la table où les lettres de Louis reposaient, étalées comme un jeu de cartes du souvenir. Le carnet noir trônait près d’elle, gardien des mots murmurés dans la nuit des tranchées.
Et dans ce sommeil bercé d’absence, Louis revint.
Il était là, dans leur cuisine, debout près du vieux poêle. Ses bottes portaient encore un peu de cette terre lourde du front, mais son visage, lui, était calme. Il avait cette expression douce et fatiguée qu’elle aimait tant. Pas d’uniforme. Juste un manteau de laine, un air un peu penché des hommes qu’on a trop tôt usés.
— Ma petite chérie… murmura-t-il.
Elle sourit, sans surprise. Comme si son cœur avait toujours su qu’il reviendrait ainsi, un soir calme, sans fracas. Elle tendit les mains. Il les prit dans les siennes, calleuses, tâchées d’encre et de boue séchée. Il sentait encore le tabac, la cendre, mais aussi l’odeur chaude de leur maison, du chat Toto, des souvenirs.
— Tu m’as tant manqué, Louis…
Il hocha doucement la tête. Son sourire réchauffait la pièce.
— Tes lettres… elles m’ont tenu debout. Tu n’imagines pas… Là-bas, dans la boue, le vacarme, le froid… Ton écriture, c’était ma lumière. Elles étaient délicieuses, pleines de charme. Je les relisais chaque soir, seul, en regardant tes photos. Chaque mot me ramenait ici, à toi, à nous.
Il prit une des lettres sur la table, la lut à voix basse comme on récite une prière :
— « Plus tard, nous recommencerons notre douce existence de vieux époux déjà, et d’amoureux fervents encore et toujours… »
Elle ferma les yeux. Une larme roula sans bruit.
— Tu écrivais que j’étais toute ta vie…
— Tu l’es encore, Delphine. Tu l’es.
Il s’assit, son regard planté dans le sien.
— J’ai souvent eu peur. J’ai vu les hommes tomber, j’ai vu le ciel s’ouvrir sous les obus. Je pensais à toi, à ton rire dans la cuisine, à ton odeur de lavande. À Toto. À Landresse. Je me demandais si on y retournerait cette année, comme avant, au printemps…
Il sourit faiblement.
— Je ne voulais pas t’inquiéter. Alors je t’écrivais des mésanges, du pain qu’on partageait, des couchers de soleil sur la ligne… Et de ce bouchon… tu te rappelles ? Et cette patte de lapin que je devais t’envoyer si j’allais en Allemagne…
Elle rit doucement, une larme au coin des lèvres.
— Et tu m’appelais mon bon Cri-cri…
Il baissa les yeux, puis les releva, brillant d’émotion.
— Tu étais mon tout, ma chère petite. Je voulais vivre pour te revoir. Pour t’aimer comme tu mérites de l’être.
Le silence retomba, chaud et doux. Le feu ronronnait doucement dans le rêve. Le chat Toto passa dans un coin, caressa la jambe de Louis d’un coup de tête avant de bondir sur le rebord de la fenêtre.
Elle tendit la main vers lui. Il la toucha sans la toucher. L’image devenait déjà plus floue, plus légère.
— Je t’attendrai, Delphine. Mais ne te hâte pas. Vis. Ris. Raconte ce que nous avons été. Ce que la guerre n’a pas pu nous enlever.
Il s’éloigna, porté par la lumière pâle qui glissait des rideaux. Pas un adieu. Juste un regard.
Delphine se réveilla en sursaut. Les joues humides. Le carnet noir sous sa main. Et le chat, roulé en boule près de la cheminée, respirant paisiblement.
Elle prit une lettre au hasard. L’ouvrit. La relut à voix haute.
Et dans le silence, elle crut entendre, très faiblement, la voix de Louis murmurer :
— À bientôt, ma petite femme bien-aimée…
Je vous partage aujourd’hui un court texte de fiction, inspiré des lettres de Louis Pergaud à sa femme Delphine. Une évocation poétique de leurs liens, au-delà de l’absence et du temps. J’espère qu’il saura vous émouvoir.
Bonne lecture, bonne fin de journée.
Le rêve de Delphine
La chambre était paisible, baignée par la lumière pâle de la lune filtrant à travers les rideaux. Dehors, la campagne dormait, figée dans un silence ancien que seul le vent troublait, fredonnant entre les branches nues comme une chanson oubliée. Delphine s’était assoupie, la tête penchée sur la table où les lettres de Louis reposaient, étalées comme un jeu de cartes du souvenir. Le carnet noir trônait près d’elle, gardien des mots murmurés dans la nuit des tranchées.
Et dans ce sommeil bercé d’absence, Louis revint.
Il était là, dans leur cuisine, debout près du vieux poêle. Ses bottes portaient encore un peu de cette terre lourde du front, mais son visage, lui, était calme. Il avait cette expression douce et fatiguée qu’elle aimait tant. Pas d’uniforme. Juste un manteau de laine, un air un peu penché des hommes qu’on a trop tôt usés.
— Ma petite chérie… murmura-t-il.
Elle sourit, sans surprise. Comme si son cœur avait toujours su qu’il reviendrait ainsi, un soir calme, sans fracas. Elle tendit les mains. Il les prit dans les siennes, calleuses, tâchées d’encre et de boue séchée. Il sentait encore le tabac, la cendre, mais aussi l’odeur chaude de leur maison, du chat Toto, des souvenirs.
— Tu m’as tant manqué, Louis…
Il hocha doucement la tête. Son sourire réchauffait la pièce.
— Tes lettres… elles m’ont tenu debout. Tu n’imagines pas… Là-bas, dans la boue, le vacarme, le froid… Ton écriture, c’était ma lumière. Elles étaient délicieuses, pleines de charme. Je les relisais chaque soir, seul, en regardant tes photos. Chaque mot me ramenait ici, à toi, à nous.
Il prit une des lettres sur la table, la lut à voix basse comme on récite une prière :
— « Plus tard, nous recommencerons notre douce existence de vieux époux déjà, et d’amoureux fervents encore et toujours… »
Elle ferma les yeux. Une larme roula sans bruit.
— Tu écrivais que j’étais toute ta vie…
— Tu l’es encore, Delphine. Tu l’es.
Il s’assit, son regard planté dans le sien.
— J’ai souvent eu peur. J’ai vu les hommes tomber, j’ai vu le ciel s’ouvrir sous les obus. Je pensais à toi, à ton rire dans la cuisine, à ton odeur de lavande. À Toto. À Landresse. Je me demandais si on y retournerait cette année, comme avant, au printemps…
Il sourit faiblement.
— Je ne voulais pas t’inquiéter. Alors je t’écrivais des mésanges, du pain qu’on partageait, des couchers de soleil sur la ligne… Et de ce bouchon… tu te rappelles ? Et cette patte de lapin que je devais t’envoyer si j’allais en Allemagne…
Elle rit doucement, une larme au coin des lèvres.
— Et tu m’appelais mon bon Cri-cri…
Il baissa les yeux, puis les releva, brillant d’émotion.
— Tu étais mon tout, ma chère petite. Je voulais vivre pour te revoir. Pour t’aimer comme tu mérites de l’être.
Le silence retomba, chaud et doux. Le feu ronronnait doucement dans le rêve. Le chat Toto passa dans un coin, caressa la jambe de Louis d’un coup de tête avant de bondir sur le rebord de la fenêtre.
Elle tendit la main vers lui. Il la toucha sans la toucher. L’image devenait déjà plus floue, plus légère.
— Je t’attendrai, Delphine. Mais ne te hâte pas. Vis. Ris. Raconte ce que nous avons été. Ce que la guerre n’a pas pu nous enlever.
Il s’éloigna, porté par la lumière pâle qui glissait des rideaux. Pas un adieu. Juste un regard.
Delphine se réveilla en sursaut. Les joues humides. Le carnet noir sous sa main. Et le chat, roulé en boule près de la cheminée, respirant paisiblement.
Elle prit une lettre au hasard. L’ouvrit. La relut à voix haute.
Et dans le silence, elle crut entendre, très faiblement, la voix de Louis murmurer :
— À bientôt, ma petite femme bien-aimée…
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bravo et merci de continuer à faire vivre Louis Pergaud, Franc Comtois tout comme moi....Récemment je me suis rendu au cimetière du village de Bonnay (Doubs) où repose Eugène Chatot, ami d'enfance de Pergaud , qui fut interprète auprès de l'armée US en 17/18 et qui ,en 1936, épousa en seconde noce Delphine Duboz.
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre message et pour ce précieux témoignage. Il me touche particulièrement. J’ignorais que Delphine Duboz avait épousé Eugène Chatot — ce lien entre deux proches de Louis Pergaud donne une résonance très émouvante à son histoire.
Je suis heureux que ce modeste hommage vous ait parlé. Et quel beau geste que de vous être rendu à Bonnay… C’est par ces visites, ces mots partagés, que la mémoire continue de vivre.
Je compte bien poursuivre ce fil, et continuer à « tisser » autour de Louis Pergaud des fragments de vie, de rêve et de fidélité. Merci de l’avoir rejoint.
Merci pour votre lecture,
Bonne journée,
Merci beaucoup pour votre message et pour ce précieux témoignage. Il me touche particulièrement. J’ignorais que Delphine Duboz avait épousé Eugène Chatot — ce lien entre deux proches de Louis Pergaud donne une résonance très émouvante à son histoire.
Je suis heureux que ce modeste hommage vous ait parlé. Et quel beau geste que de vous être rendu à Bonnay… C’est par ces visites, ces mots partagés, que la mémoire continue de vivre.
Je compte bien poursuivre ce fil, et continuer à « tisser » autour de Louis Pergaud des fragments de vie, de rêve et de fidélité. Merci de l’avoir rejoint.
Merci pour votre lecture,
Bonne journée,
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Merci à vous de le faire vivre surtout!!! Petite anecdote, il y a deux ans ,ma compagne et moi sommes allés à Belmont visiter le musée Pergaud et à environ 500m que voit-on....un magnifique goupil en train de muloter!!! Nous avons pu l'observer pendant plusieurs minutes tellement il était occupé à chasser...Un moment formidable que Louis Pergaud aurait apprécié...Le clin d'oeil était magique.
Quand je me rends sur Verdun, je ne peux m'empêcher de m'arrêter deux minutes à la sortie de Marchéville et de me dire qu'il est toujours là depuis 1915.
Et concernant Eugène Chatot, il existe un livre sur son existence en 14/18: "Goodbye Chatot".
Bonne continuation et au plaisir de vous lire.
Quand je me rends sur Verdun, je ne peux m'empêcher de m'arrêter deux minutes à la sortie de Marchéville et de me dire qu'il est toujours là depuis 1915.
Et concernant Eugène Chatot, il existe un livre sur son existence en 14/18: "Goodbye Chatot".
Bonne continuation et au plaisir de vous lire.
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonjour Sid25,
Merci beaucoup pour votre message, si vivant et émouvant. Ce goupil en pleine chasse à deux pas du musée Pergaud… quel symbole ! Oui, Louis aurait adoré cette scène, lui qui aimait tant les bêtes libres, les rusés, les insaisissables. C’est comme si la nature elle-même continuait de faire signe à ceux qui savent regarder.
Et comme vous, à chaque passage à Marchéville, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est là, quelque part, figé dans cette matinée d’avril 1915. Ce lieu garde en lui une part de mystère et de silence que seul le cœur peut entendre.
Merci aussi pour la référence à Goodbye Chatot, que je vais m’empresser de découvrir. Il y a encore tant à dire, tant à comprendre sur ces hommes.
Je vais continuer à tisser autour de Louis Pergaud, puisque vous êtes plusieurs à apprécier ce fil. C’est une manière, humblement, de lui redonner voix, de faire revivre ce qu’il fut, au-delà de l’écrivain, au-delà du soldat.
Bonne journée à vous, et au plaisir de vous lire à nouveau.
Merci beaucoup pour votre message, si vivant et émouvant. Ce goupil en pleine chasse à deux pas du musée Pergaud… quel symbole ! Oui, Louis aurait adoré cette scène, lui qui aimait tant les bêtes libres, les rusés, les insaisissables. C’est comme si la nature elle-même continuait de faire signe à ceux qui savent regarder.
Et comme vous, à chaque passage à Marchéville, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est là, quelque part, figé dans cette matinée d’avril 1915. Ce lieu garde en lui une part de mystère et de silence que seul le cœur peut entendre.
Merci aussi pour la référence à Goodbye Chatot, que je vais m’empresser de découvrir. Il y a encore tant à dire, tant à comprendre sur ces hommes.
Je vais continuer à tisser autour de Louis Pergaud, puisque vous êtes plusieurs à apprécier ce fil. C’est une manière, humblement, de lui redonner voix, de faire revivre ce qu’il fut, au-delà de l’écrivain, au-delà du soldat.
Bonne journée à vous, et au plaisir de vous lire à nouveau.
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonjour à toutes et tous,
Je poursuis humblement ce fil mêlant réalité historique et fiction romancée, autour de la mémoire de Louis Pergaud. Voici un nouvel opus : Le retour à Landresse, imaginé comme un moment d’émotion et de recueillement, porté par les pas de Delphine.
Merci à celles et ceux qui suivent ce récit, y contribuent, le commentent ou simplement le lisent. Cela me touche profondément.
Bonne lecture et à bientôt pour la suite…
Le retour à Landresse
Elle descendit du fiacre en silence, le cœur battant. La brume matinale s’effilochait sur les toits de pierre, et Landresse s’étendait devant elle, paisible et inchangé. Les ruelles étroites, les haies de lilas, les façades blanchies par le temps… Rien n’avait bougé. C’était bien le même village, mais elle, Delphine, n’était plus tout à fait la même. Elle marchait doucement, comme pour ne pas déranger les souvenirs. Chaque pas sur les pavés anciens semblait réveiller l’écho d’une voix, d’un rire, d’une ombre.
À la maison de l’oncle, elle s’arrêta un instant. Les volets bleus étaient ouverts, le jardin parfaitement entretenu. Le rosier qu’ils avaient planté ensemble grimpait encore le long du mur. Elle caressa une branche, les yeux humides. C’est ici que Louis, les étés durant, retrouvait son âme d’enfant. C’est ici qu’ils parlaient de l’avenir, insouciants, alors que l’ombre de la guerre n’était encore qu’une rumeur lointaine.
Elle poursuivit sa marche jusqu’au chemin des écoliers. Les herbes folles avaient poussé sur les bords du sentier, mais le tracé était intact. C’était ce chemin qu’il empruntait, cartable au dos, regard curieux. Elle sourit doucement en se souvenant des anecdotes qu’il lui racontait dans ses lettres : les farces, les camarades, le maître d’école sévère… Ce sentier avait forgé le petit garçon devenu poète, puis soldat.
Le banc était toujours là, sous le grand tilleul. Elle s’y assit en silence, les mains posées à plat sur le bois. Louis aimait s’y installer pour écrire, les jambes croisées, le carnet sur les genoux. Elle leva les yeux : l’arbre était en fleurs. Le parfum doux et poudré des tilleuls embaumait l’air. Elle ferma les paupières. Une main semblait frôler la sienne. Une voix familière murmurait… « Ma petite chérie, si tu savais comme tu me manques… »
Elle se leva pour rejoindre la rivière. L’eau chantait doucement entre les pierres, limpide et fraîche. C’était ici qu’il aimait pêcher, qu’il lui avait promis un jour de lui rapporter une patte de lapin et un bouchon… Elle se souvint de ses lettres où il parlait de Toto, le chat, comme d’un compagnon fidèle à qui il confiait ses silences. Et de ces mots si souvent répétés : « Tu es toute ma vie, et je veux vivre pour te revoir… »
Plus loin, elle croisa quelques villageois. Un vieux monsieur ôta son chapeau, ému. Une femme lui prit les mains :
« Vous êtes Madame Pergaud ? La femme de Louis ? »
Elle hocha la tête. On lui parla de lui, de ses rires d’antan, de ses discours passionnés, de ses courses à travers champs. Elle écoutait, les larmes au bord des yeux, mais le cœur chaud, entourée d’humanité, comme si Louis, par leur mémoire, était encore là.
Le soir, on l’invita à dîner chez des amis d’autrefois. La table était simple, garnie de pain, de fromage, d’un pot-au-feu. Autour, les souvenirs affluaient. On évoqua ses lettres, ses mots tendres : « Ma chère petite, tes lettres sont si délicieuses, pleines de charme... » Delphine partagea à son tour, sortit une enveloppe froissée, lut quelques lignes. On sourit, on pleura un peu aussi. Et dans ce clair-obscur, elle se sentit, pour la première fois depuis longtemps, un peu moins seule.
Le lendemain, avant de repartir, elle fit un dernier tour du village. Le coq chantait sur le toit d’une grange. Les enfants riaient à l’école. Elle s’assit à nouveau sur le banc sous le tilleul. De son sac, elle sortit le petit carnet de cuir. Le carnet de Louis. Elle y glissa une lettre.
« Mon Louis,
Je suis venue. Tout est là, tout est resté comme tu l’aimais. Les arbres, les pierres, les gens. J’ai marché là où tu marchais. J’ai revu la rivière, ton école, notre tilleul. Ils m’ont parlé de toi.
Tu n’es pas parti. Tu es là, dans chaque souffle du vent, dans chaque rire d’enfant.
Je t’aime encore, et je t’attends.
Ta petite femme bien-aimée. »
Elle referma doucement le carnet, le serra contre son cœur, et se promit de revenir. Encore. Toujours. Pour lui. Pour eux.
Je poursuis humblement ce fil mêlant réalité historique et fiction romancée, autour de la mémoire de Louis Pergaud. Voici un nouvel opus : Le retour à Landresse, imaginé comme un moment d’émotion et de recueillement, porté par les pas de Delphine.
Merci à celles et ceux qui suivent ce récit, y contribuent, le commentent ou simplement le lisent. Cela me touche profondément.
Bonne lecture et à bientôt pour la suite…
Le retour à Landresse
Elle descendit du fiacre en silence, le cœur battant. La brume matinale s’effilochait sur les toits de pierre, et Landresse s’étendait devant elle, paisible et inchangé. Les ruelles étroites, les haies de lilas, les façades blanchies par le temps… Rien n’avait bougé. C’était bien le même village, mais elle, Delphine, n’était plus tout à fait la même. Elle marchait doucement, comme pour ne pas déranger les souvenirs. Chaque pas sur les pavés anciens semblait réveiller l’écho d’une voix, d’un rire, d’une ombre.
À la maison de l’oncle, elle s’arrêta un instant. Les volets bleus étaient ouverts, le jardin parfaitement entretenu. Le rosier qu’ils avaient planté ensemble grimpait encore le long du mur. Elle caressa une branche, les yeux humides. C’est ici que Louis, les étés durant, retrouvait son âme d’enfant. C’est ici qu’ils parlaient de l’avenir, insouciants, alors que l’ombre de la guerre n’était encore qu’une rumeur lointaine.
Elle poursuivit sa marche jusqu’au chemin des écoliers. Les herbes folles avaient poussé sur les bords du sentier, mais le tracé était intact. C’était ce chemin qu’il empruntait, cartable au dos, regard curieux. Elle sourit doucement en se souvenant des anecdotes qu’il lui racontait dans ses lettres : les farces, les camarades, le maître d’école sévère… Ce sentier avait forgé le petit garçon devenu poète, puis soldat.
Le banc était toujours là, sous le grand tilleul. Elle s’y assit en silence, les mains posées à plat sur le bois. Louis aimait s’y installer pour écrire, les jambes croisées, le carnet sur les genoux. Elle leva les yeux : l’arbre était en fleurs. Le parfum doux et poudré des tilleuls embaumait l’air. Elle ferma les paupières. Une main semblait frôler la sienne. Une voix familière murmurait… « Ma petite chérie, si tu savais comme tu me manques… »
Elle se leva pour rejoindre la rivière. L’eau chantait doucement entre les pierres, limpide et fraîche. C’était ici qu’il aimait pêcher, qu’il lui avait promis un jour de lui rapporter une patte de lapin et un bouchon… Elle se souvint de ses lettres où il parlait de Toto, le chat, comme d’un compagnon fidèle à qui il confiait ses silences. Et de ces mots si souvent répétés : « Tu es toute ma vie, et je veux vivre pour te revoir… »
Plus loin, elle croisa quelques villageois. Un vieux monsieur ôta son chapeau, ému. Une femme lui prit les mains :
« Vous êtes Madame Pergaud ? La femme de Louis ? »
Elle hocha la tête. On lui parla de lui, de ses rires d’antan, de ses discours passionnés, de ses courses à travers champs. Elle écoutait, les larmes au bord des yeux, mais le cœur chaud, entourée d’humanité, comme si Louis, par leur mémoire, était encore là.
Le soir, on l’invita à dîner chez des amis d’autrefois. La table était simple, garnie de pain, de fromage, d’un pot-au-feu. Autour, les souvenirs affluaient. On évoqua ses lettres, ses mots tendres : « Ma chère petite, tes lettres sont si délicieuses, pleines de charme... » Delphine partagea à son tour, sortit une enveloppe froissée, lut quelques lignes. On sourit, on pleura un peu aussi. Et dans ce clair-obscur, elle se sentit, pour la première fois depuis longtemps, un peu moins seule.
Le lendemain, avant de repartir, elle fit un dernier tour du village. Le coq chantait sur le toit d’une grange. Les enfants riaient à l’école. Elle s’assit à nouveau sur le banc sous le tilleul. De son sac, elle sortit le petit carnet de cuir. Le carnet de Louis. Elle y glissa une lettre.
« Mon Louis,
Je suis venue. Tout est là, tout est resté comme tu l’aimais. Les arbres, les pierres, les gens. J’ai marché là où tu marchais. J’ai revu la rivière, ton école, notre tilleul. Ils m’ont parlé de toi.
Tu n’es pas parti. Tu es là, dans chaque souffle du vent, dans chaque rire d’enfant.
Je t’aime encore, et je t’attends.
Ta petite femme bien-aimée. »
Elle referma doucement le carnet, le serra contre son cœur, et se promit de revenir. Encore. Toujours. Pour lui. Pour eux.
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonjour à toutes et à tous,
Aujourd'hui, je vous propose un nouveau pas sur les traces de Louis Pergaud.
Un moment un peu particulier, centré sur ses compagnons de toujours : les animaux qu’il aimait tant, et qui habitaient ses récits comme sa vie.
Comme toujours, c’est une tresse entre le réel et l’imaginaire.
Merci de votre présence, de votre regard bienveillant posé sur ces pages.
Je vous souhaite une belle lecture… et à très bientôt.
Polux
Quelque part, à Marchéville — Avril 2025
Il y a cent dix ans, un homme s’éloignait en silence du bois des Éparges. Il ne savait pas encore qu’il y laissait sa trace dernière. Dans l’épaisseur du matin, au pied d’une colline sans nom, Louis Pergaud marchait vers la fin, sans bruit, sans panache — mais avec un carnet dans la poche, et le cœur habité de vers.
Depuis, le vent n’a cessé de souffler sur la stèle dressée en son souvenir. Le lichen s’est posé sur les lettres, la pluie a lavé les sillons de douleur, mais le murmure demeure. Un murmure d’herbes folles, d’ailes d’oiseaux, de sabots fuyants, de feuilles bruissantes, de gouttes et de plumes. Un murmure que seuls ceux qui savent encore écouter peuvent entendre.
Ce recueil est une offrande. Il donne voix à ceux que Louis n’a jamais trahis : les bêtes libres, les arbres patients, le vent qui ne juge pas. Et à travers eux, il revient. Non pas en soldat, mais en homme, en poète, en frère de nature.
Louis Pergaud est tombé, mais sa mémoire s’est réfugiée ailleurs.
Le Renard
Ils disent qu’il est tombé ici, quelque part, là où la terre s’ouvre comme une plaie. Mais moi, je me souviens de lui bien avant sa disparition, quand il venait s’asseoir sur la grosse pierre plate, celle que les hommes n’ont jamais osé bouger. Il avait l’odeur des feuilles mortes et des encriers. Il attendait longtemps, sans bruit, et ses yeux brillaient comme ceux d’un frère.
C’est moi qui l’ai vu partir. De là-haut, sur la crête, j’observais l’aube et les hommes. Mon terrier était encore tiède de la nuit quand les bottes ont crissé sur le givre. Lui, il marchait au milieu, le regard un peu perdu, mais calme. Une feuille de carnet dépassait de sa poche. J’aurais pu fuir, mais je suis resté, tétanisé. Il portait un nom que la forêt n’a jamais oublié.
Je suis un vieux renard maintenant. Mon museau est blanc et mes pas hésitants. Mais je me souviens… Je me souviens de sa voix. Elle ne disait pas grand-chose, mais elle ne faisait pas peur. Je me souviens de ses mains, fines et rapides, traçant sur le papier les secrets de la forêt.
Un jour, je l’ai vu pleurer. Juste là, derrière le grand chêne fendu. Il tenait une lettre froissée. Peut-être qu’il savait déjà qu’il ne reviendrait pas. Quand les détonations ont rugi plus tard, les garennes ont tremblé, et les pies se sont tues. Depuis, je veille. Quand le vent tourne, je sens encore son odeur d’encre et de pipe froide.
Quand les premiers obus sont tombés, nous avons fui. Les terriers se sont remplis de silence. Les oiseaux ont cessé de chanter. Et lui, le poète des bêtes, a disparu dans le vacarme des hommes. Mais parfois, la nuit, quand le vent souffle du nord, je crois l’entendre encore. Il parle aux arbres. Il murmure aux lapins. Il demande pardon aux blés couchés.
Il n’est jamais revenu. Mais je sais qu’il écrit toujours, quelque part. Et les ronces lui laissent le passage. Les hommes l’ont oublié. Ou presque. Mais nous, les invisibles, nous n’oublions pas.
Le Merle
Je suis né bien après le vacarme. Quand les étuis rouillés étaient devenus des cachettes pour les fourmis.
Quand l’herbe avait repris ses droits sur les tombes sans croix. Je chantais, moi. Entre deux tirs, dans les haies effilées, j’ai repris mon couplet. Pas pour narguer les hommes, non. Pour rappeler que la vie, tenace, restait là, entre les sillons.
Je chante souvent au lever du jour. Pour rien. Pour tout. Mais parfois, c’est pour lui. On m’a raconté… par un rouge-gorge chenu et une hulotte un peu sourde… qu’un homme venait autrefois marcher ici sans fusil. Il s’arrêtait longuement sous les noisetiers. Il notait nos trilles, il devinait nos secrets. On dit qu’il souriait même aux ronces. On dit qu’il s’appelait Louis.
Il levait parfois les yeux vers moi, ce Louis. Comme s’il comprenait. Comme s’il voulait que je continue. Quand tout s’est figé, quand l’assaut a englouti les visages, j’ai attendu. Et un matin, sur le rebord d’un tronc calciné, j’ai trouvé une feuille de son carnet, tombée d’un havresac.
Ce nom, le vent me l’a soufflé un matin de givre. Et depuis, je le porte dans ma gorge comme un refrain ancien. Les hommes sont revenus, parfois. Certains lisent des noms sur des pierres moussues. Mais rares sont ceux qui lèvent les yeux. Rares sont ceux qui entendent ce que nous, les oiseaux, n’avons jamais cessé de chanter.
Un jour, j’ai vu une femme s’asseoir sur une souche. Elle avait les mains pleines de lettres et le cœur vide. Elle a pleuré sans bruit, et j’ai chanté pour elle. Pas un chant joyeux. Un chant de souvenir. Un chant pour le poète tombé là où chantent encore les bêtes.
Et chaque printemps, les œufs que je couve portent en eux un soupçon de sa mémoire. Quand je chante pour lui, je crois que le ciel s’ouvre un peu. Et que quelque part, là-haut, une plume frôle encore le carnet qu’il n’a jamais refermé.
Le Lièvre
Je suis né entre deux fracas. Pas celui des armes. Celui du tonnerre qu’on laisse dans le sol. Les obus qui ne dorment jamais vraiment. Mais moi, j’ai appris à courir entre les souvenirs. À me faufiler entre les mirages.
Je courais. Pas par peur, non. Mais parce que mes muscles sont faits pour fuir le bruit, pour bondir loin des éclats. Il y a longtemps, on m’a dit qu’un homme savait voir sans fusil. Qu’il attendait, patiemment, que l’aube déplie ses ombres pour guetter le bond d’un lièvre ou la silhouette d’une belette.
Je l’ai croisé un matin de gel, à la lisière. Il s’est arrêté. Moi aussi. Il m’a salué, je crois. Pas avec la main, mais avec ce regard doux, presque fraternel. On m’a dit qu’il écrivait… qu’il écoutait les silences entre deux battements de cœur. On m’a dit qu’il aimait ce que les autres chassent.
Je suis revenu, après l’assaut. Les champs n’étaient plus champs, les sillons plus que des cicatrices. J’ai gratté la terre, là où il était tombé. J’ai creusé sans savoir pourquoi. Peut-être pour le retrouver. Mais c’est une odeur d’encre et de cuir qui m’a accueilli. Il avait laissé son âme entre deux racines.
Il est mort par ceux qui ne regardent pas. Ceux qui foncent sans comprendre. Mais son odeur est encore là, légère comme une brise sur la mousse. Quand je traverse les prés, je sens son souvenir. Quand je gratte sous les feuilles, c’est parfois pour retrouver un mot qu’il aurait laissé là, à moitié mangé par la pluie.
Depuis, je cours moins vite. Comme si je portais quelque chose sur mon dos. Et quand je m’arrête — ce que je fais rarement, car je suis un lièvre, et j’ai appris à fuir — je pense à lui. À celui qui, parmi tant d’hommes, avait su voir dans nos regards une âme.
Je ne sais pas écrire, moi. Mais mes traces dans la neige, mes bonds dans l’aube… c’est ma façon de signer le carnet qu’il a commencé. Et que nous autres, bêtes sauvages, continuons — à notre manière.
Le Cerf
Je suis venu bien avant eux. Avant les tranchées, avant les clameurs. Avant que les hommes ne décident qu’il fallait mordre la terre pour s’y cacher. Je suis le veilleur aux bois dressés, celui qui traverse les âges en silence.
Je suis l’ancien. Le silence me connaît. Les frondaisons se penchent quand je passe. J’ai vu les ornières se creuser et les arbres tomber un à un, fauchés non par le temps, mais par la rage. J’ai vu les oiseaux fuir, les sources se troubler, les renards marcher sans bruit, comme en deuil.
Et puis… j’ai vu l’homme aux yeux calmes. Il ne chassait pas. Il observait. Il écrivait, penché contre un tronc, parfois à la lisière, là où l’ombre et la lumière négocient leurs frontières. Il ne faisait pas de bruit — il écoutait les nôtres.
Je l’ai reconnu sans mal, ce Louis. Il avait cette tristesse dans le regard que seuls les poètes portent sans faiblir. Chaque soir, ses pensées s’élevaient comme des volutes dans les branches. Je sentais sa peine, sa colère contre l’absurdité.
Quand le feu a balayé son monde, j’ai entendu un silence différent s’installer. Ce n’était plus seulement la peur. C’était l’absence. Quand il a disparu, les clairières ont blêmi. Le vent a hurlé longtemps, et les faons sont restés tapis plusieurs lunes.
Alors j’ai marché. Lentement. Jusqu’au noyer où il écrivait. J’y ai frotté mes bois, pour m’y mêler un peu. Et quand les autres sont partis, que les bottes ont cessé de battre le sol, je suis revenu. J’ai retrouvé sa trace.
Elle n’était pas dans l’herbe. Elle était dans l’air, dans cette façon que la forêt avait de se souvenir.
Depuis, quand je m’avance lentement entre les futaies, je crois entendre encore sa voix — ou plutôt le murmure de ses mots, ceux que la guerre n’a pas pu tuer. Je suis vieux, désormais. Mais tant que mes bois s’élèveront vers le ciel, je garderai sa mémoire dressée, fière et muette, comme un hommage de velours à celui qui savait nous regarder… et nous aimer.
Et quand mes pas mènent les miens au bord du chemin, je leur murmure : "Ici vivait un homme qui aimait les vivants."
La Chouette
Je ne suis ni jour ni nuit — je suis l’intervalle, le murmure entre deux souffles. Je vis dans l’ombre, mais je vois tout.
Lorsque les cloches sonnaient encore au loin, avant que les églises ne s’écroulent sous la mitraille, je nichais au clocher d’un petit village. Puis, vinrent les obus. Et le silence d’après.
Dans les ruines noires, j’ai trouvé un nouveau refuge. Un grenier effondré, un lambeau de toit, quelques pierres encore chaudes de mémoire. C’est là que je l’ai entendu lire, ce soldat aux mains tachées d’encre.
Tandis que les autres parlaient de retour, de vin, de femmes, lui ouvrait un petit carnet qu’il tenait serré contre lui, comme un cœur de rechange.
Je veille. Du creux de mon tronc, j’ai vu passer les saisons, les soldats, les pleurs étouffés. Il lisait parfois à voix haute. À la lune. Sa voix était douce, éraillée, comme une feuille froissée dans la brise. Un soir, il a pleuré. Un vrai sanglot. J’ai déployé mes ailes pour couvrir son cœur.
Quand il n’est plus revenu, j’ai su que l’arbre était orphelin. Alors j’ai couvé ses mots. Chaque nuit, je les relis dans le noir. Et quand mes petits prennent leur envol, je leur confie un fragment de ses phrases, qu’ils porteront, discrets et légers, dans les cieux sans frontières.
Je suis restée dans ce village déserté, où les coquelicots poussent dans les interstices du béton, et j’ai gardé son souvenir comme un œuf sous mes ailes. Les hommes oublient. Mais nous autres, créatures de la nuit, nous n’oublions pas.
Quand la lune est pleine, je vole bas au-dessus du champ où il est tombé. Je frôle la stèle et j’écoute le vent.
Parfois, il me rapporte des bribes : "Je vous écris d’un monde où les animaux parlent, et où les hommes se taisent enfin…"
Le Vent
Je suis passé sur leurs casques et dans leurs cris. J’ai dansé dans les cratères encore fumants. J’ai fouillé les poches des morts, sans les réveiller. Je suis le vent. Je vais, je viens, je reviens.
Je suis passé sur les plaines et les tranchées, j’ai caressé les visages des vivants et des morts, soulevé les toiles de tente, effleuré les pages du carnet. C’est moi qui ai dispersé les lettres, moi qui ai porté les rumeurs de son absence jusqu’au cantonnement. Je connais la vérité, mais je ne le dis pas. Je souffle, et c’est tout.
C’est moi qui ai séché les larmes de Delphine, là-bas, sur le seuil de sa maison. C’est moi qui ai balayé la dernière mèche de cheveux de Louis quand il écrivait dans sa tranchée. Je connais le goût de l’encre, le sel des joues, la poussière des carnets froissés.
Je l’ai vu tomber, Pergaud, là-haut sur la côte 233. Son sang s’est mêlé à la glaise, mais son souffle… je l’ai pris. Et je l’ai porté. Par-delà les lignes, par-delà les années.
J’ai frôlé les pages de son carnet, dans les mains tremblantes de son ordonnance. Je les ai lues en silence, une à une. Elles parlaient de la vie. Et de ceux qu’on appelle bêtes, mais qui savent mieux que quiconque aimer, fuir, et survivre.
Je suis passé dans les plumes du merle, dans la fourrure du renard, dans les oreilles dressées du lièvre. Ils m’ont compris. Car moi aussi, je parle le langage de la nature.
Les hommes ont dressé des stèles, puis les ont oubliées. Mais moi, je souffle encore. Et chaque fois que je passe sur la côte 233, je murmure :
“Tu vis toujours, Louis, dans le cri des oiseaux, dans le frisson des branches, dans le silence que les hommes ne savent plus écouter.”
Et parfois, la nuit, quand les hommes dorment mal, je me glisse à leur oreille et je murmure :
“Louis écrivait encore… même sous les obus.”
Et certains se réveillent en larmes. Je repars. Je n’ai ni tombe ni nom. Mais je suis de ceux qui se souviennent.
La Pluie
Je tombe. Toujours. Depuis l’aube du monde. Je suis la pluie. Celle des champs ensemencés, celle des tranchées ravinées. Je tombe sans haine. Je lave sans jugement. J’ai glissé sur ses épaules, ses papiers, ses silences. Il m’aimait, je crois. Il disait que j’étais la voix des absents.
Je suis tombée sur les épaules de Louis quand il écrivait, à l’abri précaire d’un pan de toile, le carnet posé sur les genoux, les doigts tachés d’encre et de boue. Je ne fais pas de distinction : je suis tombée sur les blessés comme sur les survivants, sur les bottes des Allemands comme sur les guêtres des Français.
Quand il n’est plus monté sur la crête, je me suis mise à tomber longtemps, comme si le ciel lui-même voulait le chercher. J’ai trempé les fourrés, les croix, les carnets. J’ai fait de la terre une mémoire humide. Et parfois, quand une veuve lit une page tachée, elle pense que c’est son chagrin. Mais c’est moi. Toujours moi. La pluie du 8 avril 1915. Et celle d’aujourd’hui.
Mais moi, je sais. Je sais qui aimait les bêtes et qui les torturait, je sais qui écrivait pour oublier la peur, et qui tuait pour oublier d’avoir trop pleuré. Quand Louis est tombé, je suis tombée aussi. Et ce jour-là, je n’étais pas douce. J’étais noire, lourde, infinie.
Mais depuis… je reviens plus calme, mouillant la pierre sans nom, ruisselant sur les marges d’un vieux carnet, préservé comme une relique dans un tiroir. Je suis la pluie. Je fais refleurir le trèfle autour des tombes. Je suis les larmes qu’on ne verse plus. Je suis la mémoire qu’on oublie d’écrire, mais que la terre n’oublie pas.
Quand un promeneur lève les yeux au ciel et dit : — Il pleut, comme un chagrin d’autrefois… Je souris. Car je suis ce chagrin.
Et je veille.
Le Carnet
Je suis un modeste carnet, de ceux qu’on glisse dans la poche d’un manteau râpé, qu’on sort aux haltes, aux accalmies, ou parfois même au cœur du fracas. Je n’étais rien. Un assemblage de feuilles, un peu de cuir. Mais entre les doigts de Louis, je suis devenu refuge. Et mémoire.
Je suis resté, entre les doigts glacés, entre les plis d’une vareuse. Je n’ai pas brûlé. Je n’ai pas fui. J’ai absorbé l’odeur de la poudre, le sel des larmes, les miettes de silence. Un jour, un homme m’a ouvert, là-bas, au cantonnement. Il a lu sans comprendre. Puis il a remis mes pages à une femme. Elle m’a tenu comme une chose vivante.
Je l’ai vu sourire, penché sur moi, quand un merle s’est posé près du parapet. Je l’ai vu soupirer, quand le vent portait des lettres venues de l’arrière. Je l’ai vu pleurer, quand les mots ne suffisaient plus à couvrir le bruit des obus. Il ne m’écrivait pas comme on écrit pour être lu. Il me confiait ce que l’on confie aux arbres, à la nuit, aux anciens compagnons.
Il m’a parlé des élèves qu’il n’aurait plus, des bois qu’il n’entendrait plus bruire au printemps, et de sa Delphine, toujours avec tendresse, jamais avec plainte. J’ai dormi dans une musette déchirée. J’ai été trempé, sali, oublié… Puis, un jour, une main — pas la sienne — m’a retrouvé.
Je n’ai pas crié. Je ne pouvais pas. Mais je crois que le cuir, ce jour-là, a battu comme un cœur. On m’a remis à Delphine. Elle m’a ouvert, lentement. Et son souffle a suspendu le temps.
Depuis… je repose dans un tiroir, au creux d’une armoire qu’on n’ouvre qu’avec douceur. Et parfois, je crois que je l’entends encore : — Écoute, mon Louis… je te lis. Tu es là. Tu vis encore.
Je suis un carnet. Mais en moi bat l’âme d’un homme. Et tant qu’on m’ouvre, tant qu’on me lit, Louis ne meurt pas.
Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Louis Pergaud est tombé, là-haut, sur la côte 233. Mais l’écho de sa voix continue, dans les fourrés, les chants d’oiseaux, les pas furtifs. Le renard l’a vu partir, le merle l’a chanté, le lièvre l’a suivi, le cerf l’a porté, la chouette l’a veillé, le vent l’a murmuré, la pluie l’a pleuré, et le carnet l’a gardé.
Ce que la guerre n’a pas pu tuer, c’est cette alliance secrète entre l’homme et le vivant, entre l’encre et l’écorce, entre la mémoire et la nature. Louis écrit encore. Et nous lisons, à voix basse, pour ne pas troubler la paix retrouvée.
Il ne reste rien, pensent certains, quand les balles et les obus ont tout fauché. Mais ils oublient les silences.
Ceux qui, entre deux souffles, abritent une mémoire plus vive que les monuments.
Louis Pergaud n’a pas seulement écrit des histoires de bêtes. Il a parlé au merle, au lièvre, au renard, au cerf et à la chouette. Et tous, depuis, parlent encore de lui.
Il n’est plus dans les registres militaires, ni dans les alignements de croix. Il est dans les ombres qui bougent sous les arbres, dans les gouttes qui frappent les vitres, dans les vents qui remontent les tranchées désertées.
Il est là, à chaque fois qu’un enfant lit La Guerre des boutons sans savoir que l’auteur est mort dans une vraie guerre. Il est là, chaque fois qu’on referme un vieux carnet avec un soupir.
Car ce que la guerre n’a pas pu tuer, c’est le regard qu’il portait sur le monde. Un regard qui, aujourd'hui encore, fait reculer l’oubli.
Aujourd'hui, je vous propose un nouveau pas sur les traces de Louis Pergaud.
Un moment un peu particulier, centré sur ses compagnons de toujours : les animaux qu’il aimait tant, et qui habitaient ses récits comme sa vie.
Comme toujours, c’est une tresse entre le réel et l’imaginaire.
Merci de votre présence, de votre regard bienveillant posé sur ces pages.
Je vous souhaite une belle lecture… et à très bientôt.
Polux
Quelque part, à Marchéville — Avril 2025
Il y a cent dix ans, un homme s’éloignait en silence du bois des Éparges. Il ne savait pas encore qu’il y laissait sa trace dernière. Dans l’épaisseur du matin, au pied d’une colline sans nom, Louis Pergaud marchait vers la fin, sans bruit, sans panache — mais avec un carnet dans la poche, et le cœur habité de vers.
Depuis, le vent n’a cessé de souffler sur la stèle dressée en son souvenir. Le lichen s’est posé sur les lettres, la pluie a lavé les sillons de douleur, mais le murmure demeure. Un murmure d’herbes folles, d’ailes d’oiseaux, de sabots fuyants, de feuilles bruissantes, de gouttes et de plumes. Un murmure que seuls ceux qui savent encore écouter peuvent entendre.
Ce recueil est une offrande. Il donne voix à ceux que Louis n’a jamais trahis : les bêtes libres, les arbres patients, le vent qui ne juge pas. Et à travers eux, il revient. Non pas en soldat, mais en homme, en poète, en frère de nature.
Louis Pergaud est tombé, mais sa mémoire s’est réfugiée ailleurs.
Le Renard
Ils disent qu’il est tombé ici, quelque part, là où la terre s’ouvre comme une plaie. Mais moi, je me souviens de lui bien avant sa disparition, quand il venait s’asseoir sur la grosse pierre plate, celle que les hommes n’ont jamais osé bouger. Il avait l’odeur des feuilles mortes et des encriers. Il attendait longtemps, sans bruit, et ses yeux brillaient comme ceux d’un frère.
C’est moi qui l’ai vu partir. De là-haut, sur la crête, j’observais l’aube et les hommes. Mon terrier était encore tiède de la nuit quand les bottes ont crissé sur le givre. Lui, il marchait au milieu, le regard un peu perdu, mais calme. Une feuille de carnet dépassait de sa poche. J’aurais pu fuir, mais je suis resté, tétanisé. Il portait un nom que la forêt n’a jamais oublié.
Je suis un vieux renard maintenant. Mon museau est blanc et mes pas hésitants. Mais je me souviens… Je me souviens de sa voix. Elle ne disait pas grand-chose, mais elle ne faisait pas peur. Je me souviens de ses mains, fines et rapides, traçant sur le papier les secrets de la forêt.
Un jour, je l’ai vu pleurer. Juste là, derrière le grand chêne fendu. Il tenait une lettre froissée. Peut-être qu’il savait déjà qu’il ne reviendrait pas. Quand les détonations ont rugi plus tard, les garennes ont tremblé, et les pies se sont tues. Depuis, je veille. Quand le vent tourne, je sens encore son odeur d’encre et de pipe froide.
Quand les premiers obus sont tombés, nous avons fui. Les terriers se sont remplis de silence. Les oiseaux ont cessé de chanter. Et lui, le poète des bêtes, a disparu dans le vacarme des hommes. Mais parfois, la nuit, quand le vent souffle du nord, je crois l’entendre encore. Il parle aux arbres. Il murmure aux lapins. Il demande pardon aux blés couchés.
Il n’est jamais revenu. Mais je sais qu’il écrit toujours, quelque part. Et les ronces lui laissent le passage. Les hommes l’ont oublié. Ou presque. Mais nous, les invisibles, nous n’oublions pas.
Le Merle
Je suis né bien après le vacarme. Quand les étuis rouillés étaient devenus des cachettes pour les fourmis.
Quand l’herbe avait repris ses droits sur les tombes sans croix. Je chantais, moi. Entre deux tirs, dans les haies effilées, j’ai repris mon couplet. Pas pour narguer les hommes, non. Pour rappeler que la vie, tenace, restait là, entre les sillons.
Je chante souvent au lever du jour. Pour rien. Pour tout. Mais parfois, c’est pour lui. On m’a raconté… par un rouge-gorge chenu et une hulotte un peu sourde… qu’un homme venait autrefois marcher ici sans fusil. Il s’arrêtait longuement sous les noisetiers. Il notait nos trilles, il devinait nos secrets. On dit qu’il souriait même aux ronces. On dit qu’il s’appelait Louis.
Il levait parfois les yeux vers moi, ce Louis. Comme s’il comprenait. Comme s’il voulait que je continue. Quand tout s’est figé, quand l’assaut a englouti les visages, j’ai attendu. Et un matin, sur le rebord d’un tronc calciné, j’ai trouvé une feuille de son carnet, tombée d’un havresac.
Ce nom, le vent me l’a soufflé un matin de givre. Et depuis, je le porte dans ma gorge comme un refrain ancien. Les hommes sont revenus, parfois. Certains lisent des noms sur des pierres moussues. Mais rares sont ceux qui lèvent les yeux. Rares sont ceux qui entendent ce que nous, les oiseaux, n’avons jamais cessé de chanter.
Un jour, j’ai vu une femme s’asseoir sur une souche. Elle avait les mains pleines de lettres et le cœur vide. Elle a pleuré sans bruit, et j’ai chanté pour elle. Pas un chant joyeux. Un chant de souvenir. Un chant pour le poète tombé là où chantent encore les bêtes.
Et chaque printemps, les œufs que je couve portent en eux un soupçon de sa mémoire. Quand je chante pour lui, je crois que le ciel s’ouvre un peu. Et que quelque part, là-haut, une plume frôle encore le carnet qu’il n’a jamais refermé.
Le Lièvre
Je suis né entre deux fracas. Pas celui des armes. Celui du tonnerre qu’on laisse dans le sol. Les obus qui ne dorment jamais vraiment. Mais moi, j’ai appris à courir entre les souvenirs. À me faufiler entre les mirages.
Je courais. Pas par peur, non. Mais parce que mes muscles sont faits pour fuir le bruit, pour bondir loin des éclats. Il y a longtemps, on m’a dit qu’un homme savait voir sans fusil. Qu’il attendait, patiemment, que l’aube déplie ses ombres pour guetter le bond d’un lièvre ou la silhouette d’une belette.
Je l’ai croisé un matin de gel, à la lisière. Il s’est arrêté. Moi aussi. Il m’a salué, je crois. Pas avec la main, mais avec ce regard doux, presque fraternel. On m’a dit qu’il écrivait… qu’il écoutait les silences entre deux battements de cœur. On m’a dit qu’il aimait ce que les autres chassent.
Je suis revenu, après l’assaut. Les champs n’étaient plus champs, les sillons plus que des cicatrices. J’ai gratté la terre, là où il était tombé. J’ai creusé sans savoir pourquoi. Peut-être pour le retrouver. Mais c’est une odeur d’encre et de cuir qui m’a accueilli. Il avait laissé son âme entre deux racines.
Il est mort par ceux qui ne regardent pas. Ceux qui foncent sans comprendre. Mais son odeur est encore là, légère comme une brise sur la mousse. Quand je traverse les prés, je sens son souvenir. Quand je gratte sous les feuilles, c’est parfois pour retrouver un mot qu’il aurait laissé là, à moitié mangé par la pluie.
Depuis, je cours moins vite. Comme si je portais quelque chose sur mon dos. Et quand je m’arrête — ce que je fais rarement, car je suis un lièvre, et j’ai appris à fuir — je pense à lui. À celui qui, parmi tant d’hommes, avait su voir dans nos regards une âme.
Je ne sais pas écrire, moi. Mais mes traces dans la neige, mes bonds dans l’aube… c’est ma façon de signer le carnet qu’il a commencé. Et que nous autres, bêtes sauvages, continuons — à notre manière.
Le Cerf
Je suis venu bien avant eux. Avant les tranchées, avant les clameurs. Avant que les hommes ne décident qu’il fallait mordre la terre pour s’y cacher. Je suis le veilleur aux bois dressés, celui qui traverse les âges en silence.
Je suis l’ancien. Le silence me connaît. Les frondaisons se penchent quand je passe. J’ai vu les ornières se creuser et les arbres tomber un à un, fauchés non par le temps, mais par la rage. J’ai vu les oiseaux fuir, les sources se troubler, les renards marcher sans bruit, comme en deuil.
Et puis… j’ai vu l’homme aux yeux calmes. Il ne chassait pas. Il observait. Il écrivait, penché contre un tronc, parfois à la lisière, là où l’ombre et la lumière négocient leurs frontières. Il ne faisait pas de bruit — il écoutait les nôtres.
Je l’ai reconnu sans mal, ce Louis. Il avait cette tristesse dans le regard que seuls les poètes portent sans faiblir. Chaque soir, ses pensées s’élevaient comme des volutes dans les branches. Je sentais sa peine, sa colère contre l’absurdité.
Quand le feu a balayé son monde, j’ai entendu un silence différent s’installer. Ce n’était plus seulement la peur. C’était l’absence. Quand il a disparu, les clairières ont blêmi. Le vent a hurlé longtemps, et les faons sont restés tapis plusieurs lunes.
Alors j’ai marché. Lentement. Jusqu’au noyer où il écrivait. J’y ai frotté mes bois, pour m’y mêler un peu. Et quand les autres sont partis, que les bottes ont cessé de battre le sol, je suis revenu. J’ai retrouvé sa trace.
Elle n’était pas dans l’herbe. Elle était dans l’air, dans cette façon que la forêt avait de se souvenir.
Depuis, quand je m’avance lentement entre les futaies, je crois entendre encore sa voix — ou plutôt le murmure de ses mots, ceux que la guerre n’a pas pu tuer. Je suis vieux, désormais. Mais tant que mes bois s’élèveront vers le ciel, je garderai sa mémoire dressée, fière et muette, comme un hommage de velours à celui qui savait nous regarder… et nous aimer.
Et quand mes pas mènent les miens au bord du chemin, je leur murmure : "Ici vivait un homme qui aimait les vivants."
La Chouette
Je ne suis ni jour ni nuit — je suis l’intervalle, le murmure entre deux souffles. Je vis dans l’ombre, mais je vois tout.
Lorsque les cloches sonnaient encore au loin, avant que les églises ne s’écroulent sous la mitraille, je nichais au clocher d’un petit village. Puis, vinrent les obus. Et le silence d’après.
Dans les ruines noires, j’ai trouvé un nouveau refuge. Un grenier effondré, un lambeau de toit, quelques pierres encore chaudes de mémoire. C’est là que je l’ai entendu lire, ce soldat aux mains tachées d’encre.
Tandis que les autres parlaient de retour, de vin, de femmes, lui ouvrait un petit carnet qu’il tenait serré contre lui, comme un cœur de rechange.
Je veille. Du creux de mon tronc, j’ai vu passer les saisons, les soldats, les pleurs étouffés. Il lisait parfois à voix haute. À la lune. Sa voix était douce, éraillée, comme une feuille froissée dans la brise. Un soir, il a pleuré. Un vrai sanglot. J’ai déployé mes ailes pour couvrir son cœur.
Quand il n’est plus revenu, j’ai su que l’arbre était orphelin. Alors j’ai couvé ses mots. Chaque nuit, je les relis dans le noir. Et quand mes petits prennent leur envol, je leur confie un fragment de ses phrases, qu’ils porteront, discrets et légers, dans les cieux sans frontières.
Je suis restée dans ce village déserté, où les coquelicots poussent dans les interstices du béton, et j’ai gardé son souvenir comme un œuf sous mes ailes. Les hommes oublient. Mais nous autres, créatures de la nuit, nous n’oublions pas.
Quand la lune est pleine, je vole bas au-dessus du champ où il est tombé. Je frôle la stèle et j’écoute le vent.
Parfois, il me rapporte des bribes : "Je vous écris d’un monde où les animaux parlent, et où les hommes se taisent enfin…"
Le Vent
Je suis passé sur leurs casques et dans leurs cris. J’ai dansé dans les cratères encore fumants. J’ai fouillé les poches des morts, sans les réveiller. Je suis le vent. Je vais, je viens, je reviens.
Je suis passé sur les plaines et les tranchées, j’ai caressé les visages des vivants et des morts, soulevé les toiles de tente, effleuré les pages du carnet. C’est moi qui ai dispersé les lettres, moi qui ai porté les rumeurs de son absence jusqu’au cantonnement. Je connais la vérité, mais je ne le dis pas. Je souffle, et c’est tout.
C’est moi qui ai séché les larmes de Delphine, là-bas, sur le seuil de sa maison. C’est moi qui ai balayé la dernière mèche de cheveux de Louis quand il écrivait dans sa tranchée. Je connais le goût de l’encre, le sel des joues, la poussière des carnets froissés.
Je l’ai vu tomber, Pergaud, là-haut sur la côte 233. Son sang s’est mêlé à la glaise, mais son souffle… je l’ai pris. Et je l’ai porté. Par-delà les lignes, par-delà les années.
J’ai frôlé les pages de son carnet, dans les mains tremblantes de son ordonnance. Je les ai lues en silence, une à une. Elles parlaient de la vie. Et de ceux qu’on appelle bêtes, mais qui savent mieux que quiconque aimer, fuir, et survivre.
Je suis passé dans les plumes du merle, dans la fourrure du renard, dans les oreilles dressées du lièvre. Ils m’ont compris. Car moi aussi, je parle le langage de la nature.
Les hommes ont dressé des stèles, puis les ont oubliées. Mais moi, je souffle encore. Et chaque fois que je passe sur la côte 233, je murmure :
“Tu vis toujours, Louis, dans le cri des oiseaux, dans le frisson des branches, dans le silence que les hommes ne savent plus écouter.”
Et parfois, la nuit, quand les hommes dorment mal, je me glisse à leur oreille et je murmure :
“Louis écrivait encore… même sous les obus.”
Et certains se réveillent en larmes. Je repars. Je n’ai ni tombe ni nom. Mais je suis de ceux qui se souviennent.
La Pluie
Je tombe. Toujours. Depuis l’aube du monde. Je suis la pluie. Celle des champs ensemencés, celle des tranchées ravinées. Je tombe sans haine. Je lave sans jugement. J’ai glissé sur ses épaules, ses papiers, ses silences. Il m’aimait, je crois. Il disait que j’étais la voix des absents.
Je suis tombée sur les épaules de Louis quand il écrivait, à l’abri précaire d’un pan de toile, le carnet posé sur les genoux, les doigts tachés d’encre et de boue. Je ne fais pas de distinction : je suis tombée sur les blessés comme sur les survivants, sur les bottes des Allemands comme sur les guêtres des Français.
Quand il n’est plus monté sur la crête, je me suis mise à tomber longtemps, comme si le ciel lui-même voulait le chercher. J’ai trempé les fourrés, les croix, les carnets. J’ai fait de la terre une mémoire humide. Et parfois, quand une veuve lit une page tachée, elle pense que c’est son chagrin. Mais c’est moi. Toujours moi. La pluie du 8 avril 1915. Et celle d’aujourd’hui.
Mais moi, je sais. Je sais qui aimait les bêtes et qui les torturait, je sais qui écrivait pour oublier la peur, et qui tuait pour oublier d’avoir trop pleuré. Quand Louis est tombé, je suis tombée aussi. Et ce jour-là, je n’étais pas douce. J’étais noire, lourde, infinie.
Mais depuis… je reviens plus calme, mouillant la pierre sans nom, ruisselant sur les marges d’un vieux carnet, préservé comme une relique dans un tiroir. Je suis la pluie. Je fais refleurir le trèfle autour des tombes. Je suis les larmes qu’on ne verse plus. Je suis la mémoire qu’on oublie d’écrire, mais que la terre n’oublie pas.
Quand un promeneur lève les yeux au ciel et dit : — Il pleut, comme un chagrin d’autrefois… Je souris. Car je suis ce chagrin.
Et je veille.
Le Carnet
Je suis un modeste carnet, de ceux qu’on glisse dans la poche d’un manteau râpé, qu’on sort aux haltes, aux accalmies, ou parfois même au cœur du fracas. Je n’étais rien. Un assemblage de feuilles, un peu de cuir. Mais entre les doigts de Louis, je suis devenu refuge. Et mémoire.
Je suis resté, entre les doigts glacés, entre les plis d’une vareuse. Je n’ai pas brûlé. Je n’ai pas fui. J’ai absorbé l’odeur de la poudre, le sel des larmes, les miettes de silence. Un jour, un homme m’a ouvert, là-bas, au cantonnement. Il a lu sans comprendre. Puis il a remis mes pages à une femme. Elle m’a tenu comme une chose vivante.
Je l’ai vu sourire, penché sur moi, quand un merle s’est posé près du parapet. Je l’ai vu soupirer, quand le vent portait des lettres venues de l’arrière. Je l’ai vu pleurer, quand les mots ne suffisaient plus à couvrir le bruit des obus. Il ne m’écrivait pas comme on écrit pour être lu. Il me confiait ce que l’on confie aux arbres, à la nuit, aux anciens compagnons.
Il m’a parlé des élèves qu’il n’aurait plus, des bois qu’il n’entendrait plus bruire au printemps, et de sa Delphine, toujours avec tendresse, jamais avec plainte. J’ai dormi dans une musette déchirée. J’ai été trempé, sali, oublié… Puis, un jour, une main — pas la sienne — m’a retrouvé.
Je n’ai pas crié. Je ne pouvais pas. Mais je crois que le cuir, ce jour-là, a battu comme un cœur. On m’a remis à Delphine. Elle m’a ouvert, lentement. Et son souffle a suspendu le temps.
Depuis… je repose dans un tiroir, au creux d’une armoire qu’on n’ouvre qu’avec douceur. Et parfois, je crois que je l’entends encore : — Écoute, mon Louis… je te lis. Tu es là. Tu vis encore.
Je suis un carnet. Mais en moi bat l’âme d’un homme. Et tant qu’on m’ouvre, tant qu’on me lit, Louis ne meurt pas.
Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Louis Pergaud est tombé, là-haut, sur la côte 233. Mais l’écho de sa voix continue, dans les fourrés, les chants d’oiseaux, les pas furtifs. Le renard l’a vu partir, le merle l’a chanté, le lièvre l’a suivi, le cerf l’a porté, la chouette l’a veillé, le vent l’a murmuré, la pluie l’a pleuré, et le carnet l’a gardé.
Ce que la guerre n’a pas pu tuer, c’est cette alliance secrète entre l’homme et le vivant, entre l’encre et l’écorce, entre la mémoire et la nature. Louis écrit encore. Et nous lisons, à voix basse, pour ne pas troubler la paix retrouvée.
Il ne reste rien, pensent certains, quand les balles et les obus ont tout fauché. Mais ils oublient les silences.
Ceux qui, entre deux souffles, abritent une mémoire plus vive que les monuments.
Louis Pergaud n’a pas seulement écrit des histoires de bêtes. Il a parlé au merle, au lièvre, au renard, au cerf et à la chouette. Et tous, depuis, parlent encore de lui.
Il n’est plus dans les registres militaires, ni dans les alignements de croix. Il est dans les ombres qui bougent sous les arbres, dans les gouttes qui frappent les vitres, dans les vents qui remontent les tranchées désertées.
Il est là, à chaque fois qu’un enfant lit La Guerre des boutons sans savoir que l’auteur est mort dans une vraie guerre. Il est là, chaque fois qu’on referme un vieux carnet avec un soupir.
Car ce que la guerre n’a pas pu tuer, c’est le regard qu’il portait sur le monde. Un regard qui, aujourd'hui encore, fait reculer l’oubli.
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonsoir,
Je reviens d'une balade sur la Calonne et, comme à chaque fois, je suis passée devant la stèle de la cote 233.
Vote texte y résonne très bien. Et le vent le lui a porté.
Magnifique hommage, bravo.
Bien à vous,
Elise
Je reviens d'une balade sur la Calonne et, comme à chaque fois, je suis passée devant la stèle de la cote 233.
Vote texte y résonne très bien. Et le vent le lui a porté.
Magnifique hommage, bravo.
Bien à vous,
Elise
Re: Le carnet de Pergaud - Ce que la guerre n’a pas pu tuer
Bonsoir Elise,
Merci beaucoup pour votre beau message.
Il me touche particulièrement, car tout ce que nous écrivons ici n’a qu’un but : faire revivre un instant ces âmes courageuses, faire résonner leurs voix dans le vent de nos campagnes et sur les pierres de nos stèles oubliées.
Imaginer que nos mots puissent accompagner vos pas devant la côte 233 est pour moi un immense honneur.
Je continuerai à "tisser" encore un peu autour de Louis Pergaud, pour qu’il ne soit jamais tout à fait seul là-bas.
Bonne fin de soirée,
Polux
Merci beaucoup pour votre beau message.
Il me touche particulièrement, car tout ce que nous écrivons ici n’a qu’un but : faire revivre un instant ces âmes courageuses, faire résonner leurs voix dans le vent de nos campagnes et sur les pierres de nos stèles oubliées.
Imaginer que nos mots puissent accompagner vos pas devant la côte 233 est pour moi un immense honneur.
Je continuerai à "tisser" encore un peu autour de Louis Pergaud, pour qu’il ne soit jamais tout à fait seul là-bas.
Bonne fin de soirée,
Polux