IMMACULEE CONCEPTION
Voilier de pêche de 36 tx. Immatriculé à Boulogne n° B 28
Armateur FOURMENTIN Ainé
Patron RAMEZ Louis inscrit à Boulogne
Rapport du patron Ramez
Le 27 Février 1917, l’IMMACULEE CONCEPTION était en pêche à 8 milles dans le WNW de Berck. Temps calme, mer très belle. Brume et faible visibilité.
Chalut à l’eau mais pêche impossible faute de vent.
Vers 23h00, un sous-marin approche et envoie 4 pétards dans la voile. Pas de coup de canon. C’étaient des gros pétards. Un officier du sous-marin les interpelle et dit en bon français « Abandonnez votre vaisseau ».
L’équipage embarque dans le canot. Tandis qu’il embarque, le sous-marin tire trois obus. Deux percent la coque et finissent dans la chambre de veille. Le 3e touche le canot et fait un trou dans la coque. Le mousse est légèrement blessé à la tête.
Un homme aveugle la voie d’eau avec son cache-nez, et pour éviter que l’eau ne repousse le cache-nez, restera assis dessus tout le temps passé dans le canot.
N’ayant pas de compas, l’équipage va nager en direction supposée de l’Est, voguant à l’aventure. Vers 04h00 du matin le 28, ils entendent la corne de brume du Colbart. A 08h00, ils se réfugient sur le bateau-feu.
Le capitaine du bateau-feu fait signe à un hydravion qui passait. Celui-ci amerrit et le capitaine fait part au pilote de la présence de naufragés sur le bateau-feu. Le pilote va informer l’Inscription Maritime de Boulogne qui envoie le torpilleur 323 récupérer les hommes. Ils sont ramenés à Boulogne le 28 à 15h45.
Rapport de l’hydravion
Cet hydravion était piloté par l’EV 1 VABRANT avec comme navigateur l’EV1 TECHENEY.
Techeney va écrire au commandant, chef de division des flottilles orientales :
« Lors de la sortie du 28 Février, j’ai amerri auprès du bateau-feu Colbart pour lui demander la signification du signal « EDA » battant à son mât de signaux, que je n’était pas en mesure d’interpréter.
Une embarcation montée par trois hommes se détacha du bateau-feu. L’un de ces hommes, qui semblait être le patron, m’annonça que le bateau de pêche B 28 auquel il appartenait avait été canonné et coulé la veille au soir vers 23h00 par un sous-marin allemand à 15 milles dans le SWqW de Dungeness. Ils venaient d’atteindre le bateau-feu avec leur embarcation endommagée par un obus et demandaient à être rapatriés ».
Interrogatoire de l’officier enquêteur
Ce dernier va alors reprendre l’interrogatoire du patron Ramez pour tirer au clair la position
-« Le pilote de l’hydravion qui a signalé votre présence sur le bateau-feu a déclaré à Boulogne que, selon vos dires, votre bateau a été coulé dans le SWqW de Dungeness. Comment expliquez-vous cette contradiction entre ce que vous avez dit au pilote de l’hydravion et votre déposition officielle ? »
-« Le pilote de l’hydravion a mal compris. Nous avons dit que pendant les neuf heures passées dans le canot, nous avons du faire route, selon notre estimation, vers le SW de Dungeness, mais nous n’avons pas dit que notre bateau avait été coulé dans le SW de Dungeness, ce qui serait faux ».
Malheureusement pour le pauvre patron Ramez, l’officier enquêteur va interroger l’équipage du torpilleur 323. Or les hommes de l’IMMACULEE CONCEPTION ont été très bavards.
Déposition du maître mécanicien Eugène LE GUYADER (Quimper) chef mécanicien du torpilleur 323
« Le patron du B 28 m’a dit personnellement qu’un sous-marin avait émergé à quelques mètres de son bateau, alors qu’il se trouvait du côté de Dungeness, par 20 brasses de fonds. Il m’a signalé que l’équipage avait ensuite du nager pendant neuf heures. Je ne me rappelle d’aucun autre détail ayant une importance réelle. »
Déposition du matelot électricien SNECK du torpilleur 323
« L’équipage parlait en patois boulonnais, mais j’ai compris. Il disait que l’accident s’était produit dans le SqSW de Dungeness, à 20 milles du Ritch. Les hommes parlaient entre eux, sans s’adresser à personne. C’était pendant que nous leur servions un réconfortant, aussitôt après leur embarquement à bord. »
Déposition du matelot timonier Julien PEPIN (Cancale) du torpilleur 323
« Etant de quart sur le pont, j’ai demandé à quelques hommes du B 28 où s’était produit l’accident. Ces marins m’ont répondu qu’au moment où le sous-marin a émergé ils se trouvaient dans le SqSW de Dungeness, à environ 18 à 20 milles du Ritch, par des fonds de 20 brasses. »
Déposition complémentaire du patron Ramez
Le 23 Mars, le patron Ramez est à nouveau entendu au bureau de l’Administrateur de l’Inscription Maritime.
On lui donne lecture de la déposition de l’Enseigne de Vaisseau Techeney.
Ayant entendu lecture de cette déposition, le patron Ramez reconnaît le propos que rapporte l’Enseigne Techeney et ajoute que s’il a donné cette position (15 milles dans le SWqW de Dungeness) c’est parce qu’au moment où il parlait à Monsieur Techeney, il était encore bouleversé par l’accident et n’avait pas toute sa présence d’esprit.
On lui donne ensuite lecture de la déposition faite par le maître mécanicien Le Guyader, du torpilleur 323 qui affirme que pendant le trajet du Colbart à Boulogne, le patron Ramez lui a déclaré que l’accident s’était produit alors que le voilier était au large de Dungeness par des fonds de 20 brasses.
Ramez reconnaît alors avoir tenu ces propos, donnant comme explication qu’il était bouleversé et ne savait pas ce qu’il disait.
Une confrontation avec MM. Techeney et Le Guyader s’avère donc inutile puisque Ramez reconnaît les propos tenus aux témoins.
Conclusions de l’enquête
« Il résulte de façon certaine de l’enquête conduite par les autorités maritimes au sujet de la perte du voilier de pêche IMMACULEE CONCEPTION, coulé par un sous-marin le 27 Février 1917, que ce petit bâtiment se trouvait au moment du sinistre en dehors de la zone de pêche autorisée.
La déclaration contraire du patron, motivée par le désir de profiter de l’assurance (contractée pendant l’absence du bateau et après son départ du port) a été reconnue fausse.
Elle constitue de la part de son auteur une grave infraction aux règles fixées pour la sécurité de la navigation. »
Rapport au Ministre
Le vice-amiral De BON, chef d’Etat Major General de la Marine écrit le 13 Avril
« Le 27 Février 1917, le voilier de pêche IMMACULEE CONCEPTION, arraisonné par un sous-marin, dut être abandonné par son équipage puis fut coulé par l’ennemi. L’équipage réussit à gagner le bateau-feu du Colbart, d’où il fut rapatrié.
Il résulte de l’enquête que le patron Ramez pêchait dans la zone interdite et qu’il a fait une fausse déclaration lors de l’interrogatoire qui eut lieu après son débarquement à Boulogne.
Sans préjuger de la question relative aux assurances actuellement soumise à enquête, étant donné la gravité que peuvent présenter de fausses déclarations de cet ordre dans les circonstances actuelles, j’ai l’honneur de proposer au Ministre que le patron de pêche Louis Ramez soit suspendu de la faculté de commander pendant douze mois au motif : « Avoir contrevenu aux instructions des Autorités Maritimes en pêchant dans la zone interdite et avoir fait de fausses déclarations sur sa position au moment de l’attaque dont il a été l’objet. »
Conclusion
L’assurance ayant été contractée « après le départ du bateau, de Boulogne », on peut soupçonner que le patron a subi quelque pression de la part de son armateur…avant de faire sa première déposition (qu’il n’a d’ailleurs pas signée car il déclare ne pas savoir écrire)
C’était sans doute un brave homme, mais il s’est débrouillé fort maladroitement.
Bref, ce 27 Février ne fut pas une bonne journée pour lui.
Le sous-marin attaquant
C’était l’UB 40 de l’OL Hans HOWALDT, dont voici la photo.

Nous avons déjà rencontré ce sous-marin qui avait coulé le trois-mâts SAINT ROGATIEN le 17 Novembre 1916.
Hans Howaldt sera promu Kapitänleutnant le 18 Janvier 1918 et recevra la croix « Pour le Mérite » le 23 Décembre 1917.
Il est décédé à Bad Schwartau le 6 Septembre 1970.
Cdlt