Bonjour à tous,
Le propriétaire véritable de l’Ariadne était la H.A.P.A.G.
Avant guerre, la Hamburg-Amerikanishe Packetfahrt Aktien Gesellschaft (H.A.P.A.G.) avait, en réalité, conservé l’entière propriété non seulement de l’Ariadne, mais encore de deux autres navires transbordeurs, le Bon Voyage et l’Au Revoir, qu’elle utilisait en France pour assurer le service d’escale de ses transatlantiques : Philippe Hattemer, agent général de la compagnie à Paris, n’était qu’un homme de paille, utilisé par celle-ci à seule fin de contourner les règles nationales de francisation et de cabotage. La fraude est révélée par le « chapeau » – ci-après reproduit – d’un jugement du tribunal civil de la Seine en date du 12 novembre 1921, publié au Dalloz 1923 (Deuxième partie : Cours d’appel et tribunaux, p. 103 à 105). Cette décision fut prononcée dans une affaire qui opposait le sieur Hattemer à l’Administration des douanes, l’intéressé prétendant voir appliquer à ce subterfuge l’article 10 de la loi du 24 octobre 1919 qui amnistiait « les délits et contraventions en matière de navigation maritime » !
« Avant la guerre, les paquebots de la Compagnie allemande Hamburg Amerika Linie, assurant le service d’Hambourg à New-York, faisaient escale à Boulogne et Cherbourg. Leur tonnage, leur tirant d’eau et la nécessité de ne pas perdre de temps les empêchaient de rentrer dans ces ports, et ils mouillaient en rade foraine. Pour le transport des marchandises légères, des passagers et de leurs bagages, de la terre au paquebot et vice versa, il fallait donc que la Compagnie possédât des vapeurs transbordeurs. Elle en acquit trois, dénommés Bon Voyage, Au Revoir et Ariadne. Mais la navigation pratiquée par ces petits bâtiments était une navigation au cabotage, puisqu’elle s’exerçait en vue des côtes, et, par conséquent, bien largement en deçà des limites déterminées pour les voyages de long cours par l’art. 377 c. com. (L. 14 juin 1854, D.P. 54. 4. 113). Or, la navigation au cabotage français est strictement réservée au pavillon français par les art. 3 et 4 du décret-loi du 21 septembre 1793 [...]. La Compagnie Hamburg Amerika Linie tourna la difficulté. Elle obtint de son agent général à Paris, le sieur Hattemer, de nationalité française, qu’il se fît passer pour le propriétaire des trois bâtiments. Et, afin de colorer davantage le statagème, celui-ci, en la fausse qualité de propriétaire, contracta auprès du sieur Vairon, un autre agent de la Hamburg Amerika Linie, des emprunts sur le corps des navires.
Après la déclaration de guerre, lors de la recherche des biens ennemis, la fraude fut découverte. Poursuivi par l’Administration des douanes : 1° – Pour francisation frauduleuse ; 2° – Pour cabotage interdit, le sieur Hattemer fut, par jugements du juge de paix de Cherbourg du 29 mai 1915 et du juge de paix du 9e arrondissement de Paris des 23 juill. 1915, 28 juill. 1916 et 12 juill. 1918, condamné, en vertu des art. 15 du décret-loi du 27 vendém. an 2 [...] et 3 et 4 du décret-loi du 21 sept. 1793, à des amendes qui, avec les accessoires, atteignirent le total de 30.460 fr. Après avoir longtemps résisté, il fini par s’exécuter, et, le 8 nov. 1920, il versa cette somme au receveur principal des douanes à Paris.
Mais, après versement, il s’avisa qu’il avait eu tort de l’effectuer et que l’Administration avait commis une faute en l’exigeant, car les condamnations avaient, entre temps, été, suivant lui, effacées par la loi d’amnistie du 24 oct. 1919 (D.P. 1920 4. 161). Et il assigna l’Administration des douanes devant le tribunal civil de la Seine, en restitution et en payement de dommages-intérêts. »
Bien évidemment, Hattemer fut déclaré mal fondé en toutes ses demandes et conclusions et, en consé-quence, débouté par les motifs suivants :
« Attendu qu’il résulte de toute la législation qui régit la matière que l’Administration des douanes a pour mission de protéger l’industrie et le commerce français contre la concurrence étrangère, soit par la perception de droits, soit par l’application de mesures de protection de notre marine nationale ; que c’est elle, notamment, qui est chargée de percevoir les droits de francisation et de surveiller le cabotage, c’est-à-dire le transport des marchandises d’un port français à un autre port français ; que le service de la surveillance de côtes et frontières du territoire de la République est attribué à l’Administration des douanes, et que ce service a notamment pour objet la répression de la fraude et de la contrebande ; qu’il n’est pas douteux que les actes commis par Hattemer constituent des fraudes au régime douanier, la fausse francisation donnée par lui à trois bateaux lui ayant permis de pratiquer le cabotage qui leur était interdit ; ― Attendu, dès lors, qu’en constatant et en poursuivant Hattemer pour les infractions qu’il avait commises, l’Administration des douanes n’a pas agit seulement comme un agent de constatation et de poursuite en matière maritime ; qu’elle était, au contraire, complètement dans ses attributions quand, en poursuivant une fausse francisation, elle assurait aux navires français les avantages réservés au pavillon français et notamment le monopole du cabotage ; que le rôle qui lui incombe et qu’elle exerce partout aux frontières ou sur les rivages de la mer se mêle forcément aux opérations maritimes ; ― Attendu, d’ailleurs, qu’il n’est nullement entré dans la pensée du législateur, en amnistiant les délits en matière de navigation maritime, d’amnistier des infractions de la nature de celles commises par Hattemer, et qui avaient pour but de causer un préjudice considérable à la navigation française au profit de l’étranger ; que les délits et contraventions amnistiés sont notamment ceux prévus et réprimés par le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, tels que désobéissance, rixe, ivresse, rébellion, outrages, absences sans permission, etc. ; que la place occupée par l’art. 10 dans la loi du 24 oct. 1919 vient confirmer cette interprétation ; que se plaçant, en effet, après les dispositions relatives aux insoumis, aux déserteurs, aux militaires et aux marins, l’art. 10 ne peut se rapporter qu’à des infractions relatives à la police et à la discipline, et non à des délits ou des contraventions tels que la francisation frauduleuse ou le cabotage interdit ; qu’on ne comprendrait pas que le législateur qui a voté la loi d’amnistie du 24 oct. 1919 dans une pensée de concorde nationale, et qui a pris le soin de limiter les effets de l’amnistie aux infractions douanières ayant entraîné des condamnations pécuniaires inférieures à 625 fr., ait voulu en faire bénéficier les auteurs d’infractions ayant encouru des condamnations comme celles qui ont été prononcées contre Hattemer, et qui révélaient chez leur auteur l’intention de faire échec à la protection nationale que la douane est chargée d’assurer ; que le préjudice ainsi causé aux intérêts français serait trop évident et trop important pour qu’une semblable interprétation de la loi d’amnistie du 24 oct. 1919 pût être accueillie ; qu’il s’ensuit que la demande de Hattemer en restitution de la somme 30.460 fr. doit être repoussée ; que par voie de conséquence, la demande de 20.000 fr. de dommages-intérêts se trouve dépourvue de tout fondement ; ... déboute. »