Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

R.I. - R.I.T. - Chasseurs
eric62
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par eric62 »

Bonjour à tous,
Effectivement le 34e RI etait en garnison à Mont-de-Marsan et le 31e RI était 1er bataillon à Melun, 9ème et 10ème compagnies au fort de Romainville et le reste du régiment à Paris.
Il y a dans la liste des mplf (histo 31e RI ), période Vauquois ( 12 fev 1915 au 31 juil 1916 ), le lieutenant Armand de Châtillon -sur-Marne.
Cordialement eric62
eric62
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bruno17
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par bruno17 »

Bonjour,
« 31ème régiment d’infanterie- Prise du bois des Buttes et de la Ville-aux-Bois. »

Ce récit n’est qu’un fragment de l’histoire du 31ème régiment d’infanterie (5ème corps d’armée, 10ème division), que je retranscrirai en plusieurs étapes.

AVANT-PROPOS :
« Le 31 n’a jamais eu peur de rien. Nom d’un chien ! » (Refrain du régiment).

Avec la IIIème armée, dont le 5ème corps fait partie, la 10ème division participe à la poussée victorieuse du début de la campagne, puis au mouvement de repli général qui prépare l’offensive de la Marne. C’est à ce moment là que le général Sarrail prend le commandement de la IIIème armée. Pendant toute la retraite, la 10ème division tient en respect l’ennemi, de la frontière luxembourgeoise jusque sous les murs de Bar-le-Duc. Là se brise la vague de l’invasion et, passant à leur tour à l’offensive, nos régiments rejettent les armées allemandes. Le 31ème parcourt à nouveau les champs où gisent encore les cadavres de ses soldats tombés pendant la retraite, et bien vengés par la défaite de l’ennemi : Villers-au-Vent, Laheycourt, noms glorieux pour le régiment. À Montfaucon, la poursuite s’arrête, puis, après quelques combats locaux, la ligne se stabilise : c’est la guerre de tranchée qui commence.
De novembre à janvier, la division se bat en Argonne. L’Argonne ! pour les vétérans, quel long cortège de souffrances… de gloire aussi évoque ce seul nom ! Le pays est tourmenté, coupé de ravins profonds, hérissé de forêts propices aux embuscades ; pendant des mois, il faut subir la pluie, le froid et, par-dessus tout, l’odieuse boue, gluante et tenace, qui enveloppe le soldat d’une froide gaine et fait de chaque relève un calvaire.
La division est commandée par le général Gouraud. Contre elle, les meilleurs troupes du Kronprinz, servies par un matériel bien supérieur au nôtre, multiplient les assauts et s’acharnent à reprendre l’encerclement de Verdun. Pendant tout l’hiver se livrent des combats acharnés où la vaillance de nos soldats arrête à nouveau les armées allemandes : le ravin des Meurissons, les Courtes-Chausses, le plateau de Bolante : autant de noms glorieux dans l’histoire du régiment.
En janvier 1915, pour la première fois depuis le début de la campagne, la division est envoyée au repos : c’est le prélude d’un nouvel effort. En effet, le général Sarrail, commandant l’armée, l’a choisie entre toutes pour une tâche difficile et glorieuse : à la 10ème division revient l’honneur de prendre Vauquois. Qui ne se rappelle ce nom qui retentit alors dans toute la France ? De l’étroit plateau où se dressait le village, les Allemands contrôlaient tous nos mouvements, depuis Clermont-en-Argonnes jusqu’à la vallée de l’Aire. Bien abrités dans les caves bétonnées et reliées entre elles par des galeries souterraines, ils nous bravaient : plus d’un assaut s’était déjà brisé au pied de la Butte sanglante.
Sous les ordres du général Valdant, son nouveau chef, dont le nom est attaché à celui désormais historique de Vauquois, la 10ème division devait l’attaquer à son tour.
Le 17 février, le 2ème bataillon du 31ème (commandant Cuny) est lancé à l’assaut. D’un élan il pénètre dans le village, le traverse et atteint un moment l’arête Nord du plateau ; mais, privé de renforts, contre-attaqué de tous côtés, il doit se replier la rage au cœur. Le 28 février, un nouvel assaut, exécuté par le 89ème et le 46ème nous ramène dans Vauquois qu’il faut abandonner une fois de plus. Le 1er mars enfin, le 31ème tout entier (lieutenant-colonel Cuny) reprend l’attaque et c’est alors la ruée splendide sur ces pentes arrosées de tant de sang. Cette fois, nous tenons Vauquois, et nous le gardons. Le régiment est proposé pour une citation à l’ordre de l’armée.
Une autre guerre commence car l’ennemi modifie sa méthode. Il s’ingénie à reconquérir mètre par mètre l’étroite bande de terrain où nos soldats se cramponnent. Sur cette position où les lignes ne s’écartent pas de plus de 50 mètres, la guerre de mine fait rage. Presque tous les jours, la Butte est comme secouée par un tremblement de terre ; d’énormes cratères s’ouvrent, autour desquels se livrent des corps à corps furieux sous les torpilles et les obus.
Pendant dix-huit mois, nos soldats se battent sur ce piton tellement ravagé par les obus et les mines que la terre est devenue une poussière fine et impalpable qu’il faut étayer à grands renforts de claies. Mais pas un mètre de terrain n’a été gagné par l’ennemi, et quand la division quitte ce secteur où dorment tant de ses soldats, elle laisse intacte sa conquête.
Un mois après c’est la Somme, où la division est engagée au plus fort de la bataille. Le 31ème est lancé sur un des pivots de la ligne allemande : le bois Saint-Pierre-Vaast. À travers un tir de barrage terrifiant, le régiment traverse la route de Béthune, mais son mouvement n’ayant pu être appuyé à temps par les régiments voisins, il se trouve en flèche aussitôt après avoir dépassé la route de Béthune ; de tous côtés les mitrailleuses croisent leurs feux sur lui. Le tiers de l’effectif est hors de combat. Le régiment avance encore, gagne 1000 mètres de terrain, puis cloué au sol, creuse des tranchées et organise une position qui lui permettra d’attendre de pied ferme la contre-attaque allemande. Celle-ci se déclenche six jours plus tard, le 20 septembre, après un déluge d’obus. C’est une division fraîche toute entière qui se rue sur nous. Le régiment voisin qui tient Bouchavesnes plie sous le choc, menacé d’encerclement. Le 31ème, bien que très réduit, se défend avec une telle âpreté que les assauts répétés des Allemands se brisent sur sa première ligne et que l’aile droite de celle-ci, par ses feux d’enfilade, arrête l’avance ennemie et facilite le succès de notre contre-attaque : les pertes de l’adversaire sont très élevées et il recule dans le plus grand désordre. Le régiment est proposé de nouveau, pour la seconde fois, pour une citation à l’Ordre de l’armée.
Deux fois encore, en octobre et en novembre, le régiment lutte devant le bois Saint-Pierre-Vaast, où devaient échouer par la suite toutes nos attaques. La bataille de la Somme atteint son maximum de violence ; le terrain tenu par le régiment est pilonné sans répit jour et nuit : personne ne lâche pied. Une des compagnies du 31ème, la 6ème, est anéantie : seuls, son commandant et seize gradés et soldats redescendent des tranchées. L’ennemi parvient, après de terribles efforts, à nous chasser par surprise de la lisière du bois, mais il ne peut avancer plus loin. Ecrasé sous les obus, réduit des trois-quarts, le 31ème se laisse hacher sur place et ne perd pas la moindre parcelle du terrain conquis.
Enfin le corps d’armée est relevé. Un repos dans la Seine-Inférieure, une courte période d’instruction au camp de Mailly, une occupation de peu de durée d’une position défensive dans la région d’Ailles, et la division est envoyée dans un nouveau secteur ; celui qui lui est réservé dans l’offensive du 16 avril.
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)
arnauds
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par arnauds »

bonsoir à tous,

mon arrière grand père,caporal Henri François Dussauge était au 31 é ri,10 è compagnie ,il est mort le 14 avril 17, 2 jours avant l'attaque du bois des buttes.

il y avait été incorporé le 15 mars 1915 pour y découvrir vauquois

les jmo étant imcomplets ,je suis très heureux de découvrir un sujet traitant du 31 é,aucune trace familiale ni meme une photo de mon aieul n'a subsisté,alors j'ai entrepris de faire des recherches afin de lui rendre hommage

avis à tous

grace à des forumeurs,j'ai retrouvé la tranchée ou il est décédé (tranchée tourcoing,la ville aux bois les pontavert) ,je les remercie encore

dans le but de visiter les lieux ou il a combattu,vauquois,la somme,chemin des dames (je vais voir du pays!)
j'essaie de me documenter au mieux pour toutes ces visites

je suis allé aux archives départementales,j'ai obtenu une copie du registre matricule

il a été cité 2 fois à l'ordre du régiment,croix de guerre,étoiles en bronze

pour les combats du 14 au 21 septembre 1916 à saint pierre de vaast (citation n 521)

pour son courage et son mépris du danger le jour ou il a été bombardé et tué (citation n 707)

d'ou une question un peu hors sujet,je m'en excuse,y a t'il moyen d'en savoir plus avec ces numéros de citations?

et d'une manière plus générale je suis preneur de tout renseignement concernant ces lieux et ces combats

quelques sources sur le 31 è

les carnets de Laurent Pensa (il détaille chaque journée sauf l'année 14,un passage interressant sur les premières attaques françaises désastreuses au lance flamme),sur cd rom,avec beaucoup de photos,ainsi qu'un petit film

un numéro de juin 1917 de l'illustration sur la prise du bois des buttes

merci bruno et à tous pour ce sujet et vos connaissances

jef,je te souhaite d'aboutir dans tes recherches,je n'ai rien trouvé de mon coté

bonne fin de soirée à tous

arnaud









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bruno17
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par bruno17 »

Bonjour Arnaud,
Concernant votre arrière grand-père j’ai trouvé cela dans la liste des morts au champ d’honneur. Par contre, je pense qu’ils ont fait une erreur dans la retranscription de son nom ; Dussange au lieu de Dussauge ?
J’ai également ce chapitre intéressant et impressionnant intitulé « 12 avril : la veillée d’armes ».
Il correspond à ce qu’a dû vivre votre arrière grand-père deux jours avant sa mort…

« Les dernières fractions du régiment s’ébranlent pour gagner les tranchées. A mesure que nous descendons dans la plaine, le fracas du canon s’enfle démesurément : on dirait qu’on s’enfonce dans une mer de bruit, dont les vagues sonores, grossies à tous les échos, multiplient à l’infini les coups de tonnerre des canons.
Pontavert est traversé en silence, d’un pas hâtif, l’oreille tendue pour saisir, dans le vacarme incessant, le bruit de l’obus redouté. Le village que nous avons vu encore riant est devenu, maintenant, avec ses arbres fauchés et ses maisons écrasées, une ruine tragique, comme tant d’autres.
Les Buttes sont méconnaissables. Le taillis a disparu, les arbres sont presque tous à terre. A la place des tranchées, on ne voit plus que d’énormes entonnoirs, lèvre à lèvre, et, sur le sommet, autour des observatoires, s’ouvrent d’énormes cratères.
La préparation continue. Un cercle de feu entoure le massif ; de tous côtés se succèdent les claquements secs des 58, les détonations violentes des 240, et l’on prend plaisir à suivre des yeux la trajectoire des torpilles ailées ou des bombes énormes dont l’explosion ébranle le sol comme un coup de mine. Derrière nous partent la pétarade des 75, les grondements des 155 et des lourds mortiers de 270. Une à une, les tranchées allemandes s’effritent, disparaissent dans une tourmente de sable et de branchages. Des abris s’effondrent, d’autres tiennent bon ; les deux observatoires bétonnés de la cote 96 et du Nez-du-Boche restent intacts. En vain les mortiers de tranchée et les obusiers de gros calibre s’acharnent sur eux, ils résistent à tous les chocs, mais leurs créneaux obstrués les rendent désormais inoffensifs. La nuit, au tir de destruction succède le tir de harcèlement, et du crépuscule à l’aube, inlassablement, les mortiers de 75 et de 150 tirent par rafales capricieuses, tenant toujours suspendue sur la tête de l’ennemi une menace de mort.
Sous cette destruction méthodique, implacable, l’ennemi se terre, mais son artillerie réagit violemment ; malgré nos tirs ininterrompus de contre-batterie, les canons allemands bombardent avec rage les tranchées où se massent nos soldats. L’ennemi a d’abord essayé de nous faire quelques prisonniers pour surprendre nos projets, mais ses tentatives d’incursion dans nos lignes ont été repoussées.
Chaque jour, on le sent, l’affaissement moral de l’adversaire s’accentue. Pourtant, le soir, des coups de fusils partent encore dans toutes les tranchées où se massent nos soldats. Bien que chaque nuit nos patrouilles épient la ligne ennemie, l’ordre est donné de pousser plus avant et de faire des prisonniers. Aussitôt un coup de main s’organise. Une vingtaine de braves, tous volontaires, sous le commandement du sous-lieutenant Bailly, jeune officier coutumier de ces actions d’éclat, s’élancent une nuit dans les tranchées allemandes du Nez, font sauter les abris, tuent ou blessent les occupants et ramènent deux prisonniers du 14ème régiment de réserve bavarois qui nous donnent des renseignements précieux sur l’ordre de bataille ennemi et l’efficacité de notre préparation.
Les plis secrets renfermant les ordres d’attaque viennent d’arriver : H= 6 heures, disent ces ordres dans leur langage précis, volontairement sec. Aussitôt, les compagnies sont prévenues et prennent leurs dispositions.
Cette dernière nuit se passe dans un calme relatif ; on dirait qu’avant la ruée, les deux adversaires se recueillent et tendent leurs énergies pour mieux combattre. Massés dans les tranchées de départ, nos soldats attendent l’heure décisive. Les uns sommeillent, insouciants, d’autres, plus agités, parlent entre eux à voix basse, nerveusement, ou bien griffonnent quelques lignes à ceux pour qui ils vont se battre.
Et les chefs ? Pour eux, quels instants d’angoisse ! Tant d’efforts, de travaux et de peines vont-ils dans quelques heures aboutir à un triomphe ou à un tragique effondrement ? Mais non, ils ne peuvent pas douter et cette foi en la Victoire, leur plus grande force, ils ont su la communiquer à leurs soldats et les exalter jusqu’au sacrifice suprême. »
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)
arnauds
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par arnauds »

bonsoir Bruno,bonsoir à tous

merci pour ce récit en effet très interressant

le nom de mon aieul est bien Dussauge,sa fiche mdh elle aussi comporte la meme erreur

le recit que vous faites partager confirme la cause de son décès

aux dires de mon grand père,il serait mort enseveli dans sa tranchée

de plus,plusieurs soldats son morts le meme jour dans sa compagnie

je vous remercie pour ces renseignements

maintenant,je vais essayer d'en savoir plus sur les combats en septembre 1916 à saint pierre de vaast,puis sur les précédents combats à vauquois

j'ai en mémoire que le 46 è ri a combattu aux cotés du 31 è,il faudrait que je prene le temps de vérifier si le jmo est plus ettoffé

merci à tous

cordialement

arnaud

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Ferns
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par Ferns »

Bonsoir,
Maurice Chevalier n'était-il pas au 31° ?...
Cordialement,
Ferns
L'homme en campagne a les mêmes besoins qu'en temps de paix ; ces besoins deviennent même plus impérieux, étant exacerbés par une existence plus active et plus énervante.(Henry Mustière)
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bruno17
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par bruno17 »

La prise du bois des Buttes

16, 17, 18 avril, ces trois journées seront les « Trois Glorieuses » du régiment. Après le bois de Buttes, avant-hier, la Ville-aux-Bois, aujourd’hui, vient d’être prise dans une deuxième attaque ou plutôt non : c’est la même bataille, le même assaut qui s’est poursuivi, sans arrêt ni trêve.
Aujourd’hui seulement on commence à comprendre les phases de cette bataille faite de mille combats épars et à voir le lien qui a fait de ces mille succès une victoire.

Aspect général de l’assaut :
Le matin du 16 avril a été brumeux. A l’aube, par un temps maussade, le tir des mortiers de tranchée reprend ; ce jour se lève, semblable pour l’ennemi aux jours précédents.
5h30 : les nerfs sont tellement tendus que l’on voudrait pouvoir avancer d’une heure l’aiguille trop lente qui marque inexorablement des minutes dont chacune paraît un siècle.
5h45 : au tir des canons de tranchée, se superpose le barrage de l’artillerie de campagne, précis et rapide.
5h50 : Et tout à coup, quelques minutes avant l’heure, sur toute la ligne, nos soldats se dressent, sortent des parallèles : l’assaut est commencé. Singulier tableau pour ceux qui rêvent encore des charges épiques, en rangs épiques, en rangs épais baïonnette au canon, drapeau déployé. Ici, rien de semblable. Disposés en minces colonnes, chargés de grenades, de cartouches, de fusées signaux, nos soldats avancent au pas à travers le fouillis des tranchées bouleversées et des réseaux arrachés. Comme un flot mouvant, les petites files bleues s’élèvent peu à peu, plongeant, puis reparaissent dans les replis du terrain, derrière le rideau de feu que tendent devant elles nos canons.

La surprise.
La première ligne dépassée en quelques minutes, les nôtres abordent la deuxième ligne bouleversée, surprennent dans leurs trous les occupants et poursuivent aussitôt leur course. Le barrage ennemi commence à cet instant, hésitant, mal réglé : il est trop tard, les compagnies de réserve ont déjà passé, sans perte. Mais l’ennemi se ressaisit ; dans les créneaux à fleur de terre des blockhaus, des mitrailleuses crépitent ; les abris dégorgent un flot d’Allemands qui garnissent la troisième ligne ; la bataille commence : il est 6h15.

La bataille aux mille combats.
Tout de suite le combat se morcèle. Sur ces buttes au relief tourmenté, la cohésion des unités d’assaut est impossible à maintenir. L’action des chefs de bataillon, des commandants de compagnies s’affaiblit : ce sont les chefs de section, de demi-section ou d’escouade qui mènent la lutte avec un courage et une abnégation qui coûte la vie à beaucoup d’entre eux. Souvent même, c’est un simple soldat qui s’improvise chef pour entraîner et guider ses camarades hésitants. Grâce à la préparation minutieuse de l’attaque, l’idée directrice de la manœuvre est ancrée dans l’esprit de tous et au milieu des péripéties multiples de la bataille, malgré les arrêts, les reculs momentanés, inlassablement, les groupes avancent vers l’objectif.

La troupe des nettoyeurs.
Derrière les premières vagues, les nettoyeurs de tranchées suivent pas à pas la progression. Leur tâche est difficile : ils doivent protéger leurs camarades contre les retours offensifs et les surprises des Allemands qui, devant les sections de tête, par prudence et par tactique, se réfugient au fond de leurs innombrables abris, aux sorties multiples, mal connues des nôtres. Le long des boyaux, les équipes de nettoyeurs s’égaillent, accompagnées de lance-flammes. A chaque issue, une grenade, un jet fulgurant de liquide enflammé et les cadres s’embrasent d’un seul coup, tandis que se répand dans l’abri la fumée âcre des grenades incendiaires. Parfois, des clameurs s’élèvent du fond de la sape :
_ Kamerad ! Kamerad !
Et vingt ou trente allemands, blêmes d’effroi, défilent devant la petite troupe des nettoyeurs ; souvent aussi, l’ennemi s’échappe par une sortie inconnue des nôtres et prend ceux-ci à revers.
Ailleurs, c’est un blockhaus qui résiste opiniâtrement et arrête sur ce point la progression ; il faut attendre les sapeurs dont les lance-flammes sont d’un puissant secours.
Le combat s’éparpille ainsi dans tout le bois des Buttes.
De l’observatoire, il est difficile de suivre les phases de la bataille. Peu de bruit : quelques éclatements de grenades, des rafales de mitrailleuses, rapides et saccadées ; les mortiers de tranchée se sont tus et la canonnade semble avoir faibli. Que se passe-t-il ? où sont nos soldats ? Et l’on se sent honteux de ne pouvoir discerner dans cette lutte gigantesque de quel côté penche le sort.
Peu à peu, cependant, les renseignements parviennent au colonel ; des coureurs arrivent en même temps qu’apparaissent les premiers prisonniers, preuve tangible de notre succès ; les grandes lignes de la bataille se dessinent.

Le bataillon FLEURIOT
.
Le bataillon Fleuriot attaquait de l’Ouest à l’Est, avec les 10ème et 9ème compagnies en première ligne, celle-ci à droite, celle-là à gauche, et la 11ème compagnie en réserve. Nos tranchées, situées en ce point à 200 mètres de la lisière du bois, subissent un terrible bombardement ; aussi, avant même que l’assaut fût commencé, des pertes sérieuses nous sont infligées. Le sous-lieutenant Poncinet est tué par un obus au moment où, debout sur le parapet, il encourageait ses hommes et leur montrait le chemin à suivre dans le bois ; en même temps que lui tombent une quinzaine de soldats. Ces pertes ne font qu’exaspérer l’ardeur du bataillon qui, à l’heure d’arrivée, bondit d’un élan tel qu’il devance le tir de barrage dont quelques coups tombent à la hauteur de la première vague ; une fusée lancée par la compagnie de réserve fait aussitôt allonger le tir.

La 9ème compagnie dans les bois.
Lancée au milieu du bois, dans le chaos des taillis, des arbres et des tranchées bouleversées, et prise sous le feu des mitrailleuses de la cote 92, la 9ème compagnie est bientôt disloquée. La section de l’adjudant-chef Senut et le peloton du sous-lieutenant Tessier foncent droit devant eux. Les ennemis résistent d’abord mais, redoutant le choc, ils s’enfuient bientôt vers la Ville-aux-Bois où ils savent devoir trouver des renforts et un point d’appui solide. La 9ème les poursuit et une demi-heure après le départ de l’attaque, ayant traversé dans un élan furieux toute la partie nord du bois des Buttes, parvient à 20 mètres des premières maisons du village. Telle a été la rapidité de sa course que des Allemands, surpris dans leur sommeil, se sauvent en bras de chemise.
Mais à ce moment, la compagnie subit un feu terrible de mitrailleuses et de mousqueterie parti de la Ville-aux-Bois et des pentes de la cote 96. En même temps apparaissent, venus de la partie est du village, des groupes nombreux qui se disposent à contre-attaquer ; d’autres groupes, descendant de la cote 96, menacent le flanc droit de la compagnie. Le lieutenant Bossard, qui la commande, se voit sur le point d’être cerné ; il n’a auprès de lui qu’un petit nombre de soldats mais, il le sait, sa résistance peut décider du succès de la journée : il donne l’ordre de tenir sur place et, debout au milieu de ses soldats, il les enflamme par son exemple.
Pendant une heure c’est une lutte acharnée. Des deux côtés la bravoure est égale : à découvert dans les tranchées comblées, Français et Allemands se fusillent à trente mètres. L’ennemi lance sans trêve ses grenades à long manche, les « manches à gigot », dont il est abondamment pourvu ; ses mitrailleuses, abritées dans des blockhaus bétonnés, forcent nos soldats à se jeter dans des trous d’obus. De notre côté, les munitions commencent à manquer ; les coureurs envoyés au chef de bataillon ne reviennent pas. N’importe, assaillie de face, de flanc, près d’être tournée, la 9ème tient tête aux Allemands avec un tel courage que ceux-ci renoncent enfin à contre-attaquer et se terrent dans la Ville-aux-Bois.
Pendant ce temps, la section de droite de la 9ème, chargée d’établir sur la cote 92 la liaison avec le 1er bataillon, soutenait de durs combats. Une troupe ennemie se présente devant elle les bras levés ; les nôtres se laissent approcher sans défiance lorsque, tout à coup, ils reçoivent des Allemands une volée de grenades qui, heureusement, ne blessent personne. Exaspérés par cette traîtrise, les nôtres cernent la troupe ennemie et l’extermine jusqu’au dernier homme. Pendant plusieurs heures, la section commandée par le sergent Léon tient en respect les Allemands qui l’ont presque entourée ; enfin, les camarades du 1er bataillon surgissent sur la cote 92 et, sa mission remplie, la section rejoint devant la Ville-aux-Bois le gros de la 9ème compagnie.


La 10ème compagnie dans la plaine.
Différent, mais tout aussi acharné, avait été le combat soutenu par la 10ème compagnie. Tandis que la 9ème luttait dans le bois où la bataille s’émiette en corps à corps, la 10ème toute entière se battait dans la plaine, sa droite longeant la lisière nord du bois des Buttes. Dans ce terrain découvert, les mitrailleuses allemandes avaient beau jeu. Aussi, dès le début de l’action, les pertes sont lourdes. Une balle blesse mortellement le sous-lieutenant Lefebvre au moment où, debout, il cherchait à repérer une mitrailleuse ennemie. Le lieutenant Le Hir, commandant la compagnie, est blessé d’une balle à la cuisse ; il refuse d’abandonner le combat et continue à diriger sa compagnie jusqu’à ce qu’une deuxième balle lui brise le bras. Mais sa disparition ne diminue pas l’élan de la compagnie ; l’adjudant Michot en prend le commandement et continue la marche sur la Ville-aux-Bois : à 6h40 il parvient à la lisière nord-ouest du village, suivi d’une douzaine de soldats seulement. Le reste de la compagnie le rejoint homme par homme, sous le tir ininterrompu des mitrailleuses.

La 11ème échappe à l’encerclement.
Pendant un moment, le succès semble compromis. Les 9ème et 10ème compagnies, clouées devant la Ville-aux-Bois, ne reçoivent aucun renfort ; la compagnie de réserve qui les a suivies à 200 mètres de distance, aux prises avec les Allemands descendus des cotes 92 et 96, ou sortis de leurs terriers dans le dos des 9ème et 10ème compagnies, est elle-même menacée d’encerclement. Le capitaine Rouleau envoie deux gradés au chef de bataillon pour le mettre au courant et demander des munitions ; les deux français sont saisis par une troupe d’Allemands, injuriés et frappés à tour de bras. A ce moment un obus arrive en ronflant : les boches s’écartent vivement de leurs prisonniers, courbent l’échine ; les nôtres profitent du désarroi, bondissent hors de la tranchée et parviennent à rejoindre leur compagnie, mais sans avoir pu remplir leur mission. A force de fouiller dans les abris, on découvre par bonheur un dépôt de ces petites grenades que nos poilus –douce ironie- appellent des « œufs de Pâques » ; elles sont aussitôt renvoyées vigoureusement à leurs propriétaires.
Au bout de trois heures de lutte, l’apparition du bataillon Lagorce, qui dévale les pentes nord du massif, dégage enfin la 11ème compagnie ; elle reprend alors sa marche sur la Ville-aux-Bois et vient s’intercaler devant le village, entre les 9ème et 10ème compagnies. Privé de munitions, sous le feu de nombreuses mitrailleuses, le 3ème bataillon doit renoncer à pousser plus avant ; son avance rapide jusqu’aux lisières du village avait jeté le désarroi chez les ennemis et sa résistance farouche les avait empêchés de porter tous leurs efforts sur le 1er bataillon. Momentanément arrêté, le 3ème bataillon reçoit l’ordre de se fortifier sur place en attendant la reprise de l’attaque.


Le groupe LAGORCE- L’assaut à 96.
Plus favorisé que le bataillon Fleuriot, le bataillon Lagorce n’a pas eu à souffrir du tir de barrage ennemi. La 2ème compagnie, à droite, commandée par le capitaine Poitevin, traverse rapidement les marécages de la région du lavoir où les hommes enfoncent jusqu’à mi-jambe et, après avoir traversé la première ligne, aborde la longue tranchée « Pontavert-Graben » qui va du Pied-du-Boche au sud de la Ville-aux-Bois. Les mitrailleuses allemandes crépitent déjà, tuant l’adjudant-chef Lefrançois et blessant à mort le sous-lieutenant Moretti, mais les fortins sont réduits à coups de grenades et la compagnie poursuit sa marche parallèle à la route de la Ville-aux-Bois.

Le dur combat de 92
.
Plus à gauche, la 3ème compagnie, sous les ordres du lieutenant Hervet, et la 7ème compagnie avec le capitaine Paillard qui, pour faciliter l’action du commandement, a été mis sous les ordres du commandant Lagorce, enlèvent d’un élan le premier étage de la position ennemie : le Pied-du-Boche et le Nez-du-Boche. Les fusées de jalonnement déploient leurs gerbes d’étoiles, annonçant ce premier succès. Devant la troisième ligne, tranchée profonde qui court autour des deux crêtes et nommée par les Allemands du nom d’un de leurs généraux « Tümpling Stellung », nos soldats sont arrêtés par un feu terrible de mitrailleuses : le sous-lieutenant Franceschini est tué, l’adjudant Scoquart grièvement blessé ; le capitaine Paillard reçoit une balle dans la cuisse et se voit forcé de quitter sa belle compagnie qu’il exaltait par sa vaillance et sa foi ardente en la victoire. Le sergent Imbert parvient bien à encercler un blockhaus et à le réduire au silence, d’autres fortins résistent toujours et clouent sur place notre ligne. De la Butte-Villars, on aperçoit les mitrailleurs allemands qui pointent leur pièce tour à tour sur le premier bataillon et sur le bataillon Fleuriot, déployé au nord-ouest de la cote 92.

L’enlèvement des sommets.
Enfin, les renforts arrivent. Derrière les 3ème et 2ème compagnies, survient la section de renfort du sous-lieutenant Dubois ; par une habile manœuvre, il réussit à prendre d’écharpe la tranchée ennemie, se découvre brusquement et fait une véritable hécatombe de Bavarois ; les autres sections profitent de cette diversion pour faire un bond en avant, se rapprocher de la ligne ennemie. Brusquement un cri retentit, poussé par on ne sait quel obscur héros :
_ Allons-y ! et, entraînés par cette voix anonyme, nos soldats sautent dans la tranchée que les Allemands ont vaillamment défendue.
Pour renforcer la 7ème compagnie, le commandant Holtzscherer envoie un peloton de la 5ème compagnie, commandé par le lieutenant Auriche, tandis qu’une section de mitrailleuses du 2ème bataillon va s’établir au Nez-du-Boche et prend d’enfilade les mitrailleurs allemands. Ce renfort opportun fait pencher la balance : la 7ème compagnie, dont le lieutenant Auriche a pris le commandement, force la troisième ligne allemande et les ennemis, pressés de toutes parts, détalent vers la Ville-aux-Bois ou, se rendant par bandes, courent à toutes jambes vers la Sapinière.
Il est sept heures, le bataillon Lagorce est à cheval sur les deux cotes. Une épaisse nappe de balles, tirées de la Ville-aux-Bois, rend inabordables les deux sommets et les pentes nord-est. Aussi, les sections de la 3ème compagnie et celles de la 1ère compagnie qui, sous les ordres du lieutenant Contard, a mis fin aux résistances locales surgies sur les derrières des compagnies de tête, évitent la zone dangereuse et traversent prudemment le col, pendant que la 2ème compagnie s’infiltre dans les boyaux parallèles à la route Pontavert-Ville-aux-Bois.

Avance éparpillée.
Les pentes nord et nord-est de la cote 96 sont semées d’embuches : dans cette partie cachée à nos vues et difficilement battues par notre artillerie, les Allemands s’étaient creusés de vastes tunnel, véritables casernes souterraines, amplement pourvues de munitions et de vivres. Aussi la lutte est-elle farouche à l’entrée du principal de ces abris, le « Regiment’s Tunnel III », occupé par deux compagnies et où se trouve un poste de commandement de bataillon. Une mitrailleuse tient sous ses feux le débouché du boyau, les Allemands sont en train de mettre deux autres pièces en batterie, lorsque surgit le sous-lieutenant Dubois avec sa section ; nos grenadiers forcent les Allemands à se réfugier dans le Tunnel ; Dubois laisse quelques hommes pour surveiller les issues en attendant l’arrivée des nettoyeurs et reprend sa marche vers la Ville-aux-Bois.

Trois Français font 72 prisonniers.
Au détour d’u boyau, le voilà en présence d’une troupe nombreuse d’Allemands : il se retourne pour crier :
_ En avant !
Seuls deux de ses hommes l’ont suivi. Reculer ? Hésiter ? Dubois n’y songe même pas et fonce, revolver au poing, tandis que ses deux soldats arrosent le boyau de grenades habilement dispersées. Un boche se rend, puis un deuxième, et bientôt toute la troupe mettant bas les armes défile devant les trois français : ils étaient 72 !
La reddition du Régiment’sTunnel III.
Derrière lui, la garnison du Tunnel III a réussi à sortir par une issue inconnue de nos soldats et, lorsque les nettoyeurs arrivent, ils sont accueillis à coups de grenades et de fusils. Très crâne sous les balles, un officier bavarois fait mettre en batterie deux mitrailleuses. Vite on appelle les lance-flammes ; les sapeurs s’approchent, dardent leur jet enflammé : l’officier et deux de ses hommes se roulent sur le sol, les autres, épouvantés, lèvent les mains. 150 prisonniers sont ainsi capturés. Les nôtres pénètrent alors dans le Tunnel. Dans leur désarroi, les Allemands ont tout abandonné : des vêtements, des ceinturons, des porte-cartes ; sur le bureau du commandant, le cahier de secteur est ouvert et, dans le mess, les couverts semblent attendre nos soldats.

Les deux groupes réunis. Attaque de la Ville-aux-Bois.
Jusqu’à la Ville-aux-Bois, la marche du 1er bataillon n’est qu’une série de sièges et d’assauts toujours renouvelés ; enfin, vers 11 heures, le gros des compagnies est établi aux lisières sud et sud-est du village, en liaison avec le 3ème bataillon et le régiment de droite.
Pendant toute la matinée, on se bat encore dans le bois des Buttes. Les nettoyeurs débarrassent d’ennemis, l’un après l’autre, les vastes abris, vrais dédales où de nombreux Allemands se terraient encore.

Fin de journée.
Presque tous les objectifs du régiment sont atteints à la fin de la journée du 16 avril. Le bois des Buttes est pris en entier. Seule, la Ville-aux-Bois résiste encore, mais, encerclée du 3ème et du 1er bataillon, elle ne peut tarder à tomber. Toutefois, la situation est moins claire à droite, dans le Bois-des-Boches, où ont eu lieu des alternatives d’avance et de recul.
Le colonel redoute une contre-attaque, dispose en échelons face à l’Est, les 5ème et 6ème compagnies, restées à la Sapinière en réserve de division, et les renforce des mitrailleuses et des canons de tranchée enlevés à l’ennemi. Heureusement, cette précaution reste inutile.
Les trophées de cette journée sont imposants : 843 prisonniers valides, dont 23 officiers, 30 mitrailleuses lourdes, 25 mitrailleuses légères, 15 minenwerfer, des lance-grenades en grand nombre, un approvisionnement énorme en munitions, vivres et matériel. L’ennemi a laissé, en outre, sur le terrain de nombreux morts et blessés.
La nuit est tombée. Partout c’est une activité fébrile ; les chefs remettent l’ordre dans les compagnies désorganisées par les plus rudes combats de la journée. Des corvées portent en ligne des munitions anxieusement attendues. Les pionniers relient notre ancienne ligne aux positions conquises. Les brancardiers parcourent le champ de bataille à la recherche de blessés.

Plan d'attaque
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Dédaigneux des grenades allemandes, nos soldats s’élancent, divisés en deux groupes qui vont encercler le blockhaus.
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-Emplacement de mitrailleuses au sommet de la cote 92.
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(A suivre : Le siège de la Ville-aux-Bois)
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arnauds
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par arnauds »

bonsoir à tous

encore merci Bruno pour vos récits

je connaissais la carte du plan d'attaque mais pas les photographies,

je suis comblé

j'attends le prochain capitre avec impatience

cordialement

arnaud
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bruno17
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par bruno17 »

Bonsoir,
Maurice Chevalier n'était-il pas au 31° ?...
Cordialement,
Ferns
Eh bien je crois bien avoir lu ça quelque part Ferns!

En 1913, Maurice Chevalier part faire son service militaire. En 1914 l’amant de Mistinguett a juste le temps de tourner dans le film "La valse renversante", avant d’être envoyé au combat. "Moi j’me balade…" Renversant ! Blessé lors de l'attaque de Cutry et capturé, "Ma Pomme" se retrouve prisonnier en Allemagne, au camp d'Alten Grabow, d’où il sera libéré deux ans plus tard, en 1916, grâce à l’intervention de Mistinguett qui a su faire jouer ses relations. "Ah, si vous connaissiez ma poule !" chantait-il aux Allemands ! Mais comme "dans la vie faut pas s’en faire", il revient magistralement sur le devant de la scène et tourne en 1917 dans le film "Une soirée foudroyante". Foudroyant ! Le couple va au front soutenir le morale des troupes. Maurice Chevalier devient la vedette du Casino de Paris et se produit devant des soldats anglais et américains, ce qui lui donne l’occasion de découvrir la culture anglo-saxonne."Oui au whisky!". S’intéressant au jazz et au ragtime, il enrichit son répertoire et commence à penser à l’international, ( "Brodway!" )d’autant que son emprisonnement lui a donné l’occasion d’apprendre l’anglais. Désirant apparaître comme autre chose que le "protégé de Mistinguett", il finit par rompre avec sa protectrice pour voler de ses propres ailes.
La deuxième guerre, l'occupation, son apparente sympathie pour le gouvernement de Vichy lui vaudront quelques ennuis en 1945, mais en chantant une des grandes chansons de la libération, "Fleur de Paris", tout fini par être oublié et le voilà reparti pour vingt ans où il donnera des tours de chant dans le monde entier, tournera dans d'innombrables films, écrira ses mémoires, posera avec les grands de ce monde et deviendra un monument national. "Prosper, youp’là boum… !!!"
Cordialement
L'ami Maurice dans son bel uniforme du 31ème RI!
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N’empêche, même si j’aimais bien Maurice, tant qu’à m’intéresser à un Chevallier, je préfère celui-là : Gabriel Chevallier, auteur de « La peur », écrit en 1930. Retentissant !
http://www.ledilettante.com/fiche-livre.asp?Clef=1051
Cordialement
BB
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bruno17
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Re: Le 31ème (et 34ème) régiments d'infanterie.

Message par bruno17 »

Le siège de la Ville-aux-Bois

Combats de nuit.
Devant la Ville-aux-Bois, le combat n’a pas cessé. Toute la nuit, c’est une série de patrouilles qui harcèlent l’ennemi ; on le sent nerveux, désemparé par cette attaque ; il ignore tout du résultat de la bataille dans les secteurs voisins et il lance désespérément des fusées auxquelles répondent, dans le lointain, des signaux hésitants. Les nôtres veillent et travaillent. Alternativement, les soldats saisissent le fusil et l’outil : coûte que coûte, il faut qu’au matin la tranchée soit faite.
Dans la nuit sombre, sous le noir rideau qui enveloppe le grand drame, l’œil du veilleur se fixe sur les ruines toutes proches dont les silhouettes hostiles semblent se mouvoir, prêtes à répandre la mort dans nos rangs héroïques. Il évoque en ces heures solitaires les combats de la journée : ils se dressent devant lui, ressuscités par l’imagination, lui apparaissent dans un mirage d’apothéose. Hélas ! la mort a voulu sa part. Combien d’amis ne verront pas le triomphe qu’ils ont payé de leur sang !
Nuit sinistre ! Une timide lueur paraît à l’horizon. Peu à peu, les premiers rayons de l’aurore déchirent l’ombre ; alors les choses se fixent, on reprend confiance, on se sent plus fort.

Encerclement progressif.
Dans les boyaux à demi-comblés, battus par les mitrailleuses, les nôtres avancent pas à pas. L’ennemi résiste désespérément à notre poussée lente et continue. Sur les barrages de sacs à terre derrière lesquels, à 20 mètres les uns des autres, Français et Allemands se guettent, les grenades tombent sans arrêt. Les blessés sont rares dans cette lutte presque corps à corps. Le 3ème bataillon y perd, tués par les balles ou les grenades, un grand nombre de ses meilleurs soldats et gradés, parmi lesquels l’adjudant-chef Senut, frappé d’une balle à la tête au moment où il observait les positions ennemies.
Ces sacrifices ne restent pas stériles : épuisés par les pertes que nous leur infligeons, maîtrisés par notre ascendant, les Allemands reculent peu à peu et perdent leur force de résistance ; seules, les mitrailleuses leur permettent encore de tenir et arrêtent l’élan de nos troupes.
Vers 16 heures on risque une tentative d’attaque. Pendant que le 3ème bataillon cherchera à forcer la lisière ouest du village, un peloton du 1er bataillon essaiera de s’y glisser par le Sud-est. Dès leur départ, les patrouilles du 3ème bataillon se heurtent aux barrages établis dans les boyaux et déclenchent les rafales des mitrailleuses ennemies. Dans un seul blockhaus, trois pièces sont repérées ; elles prennent d’enfilade nos boyaux et balayent toute la plaine. Les grenades, les bombes à ailettes pleuvent dru ; l’artillerie allemande commence à tirer : il faut renoncer à s’avancer plus loin.
Le peloton du sous-lieutenant Guérin tente d’utiliser les boyaux à demi-comblés. A peine a-t-il fait 20 mètres que les mitrailleuses crépitent ; les soldats qui sont en tête, lâchent le fusil, empoignent leur pioche et, le dos courbé sous les rafales, creusent avec rage et gagnent quelques mètres encore. Maintenant, les balles arrivent de trois côtés : cette poignée de braves ne songe pas à reculer, quand arrive l’ordre de retourner dans la tranchée de départ. Jugeant cette petite troupe trop exposée, le colonel remet au lendemain la manœuvre décisive.
Une nouvelle nuit se passe dans cette lutte implacable et sans trêve. Les signes d’épuisement, chez l’ennemi, ne font que se multiplier ; le découragement le saisit, tandis que nos soldats, exaltés par leur succès, brûlent du désir de compléter leur conquête.

L’assaut décisif.

C’est le moment choisi par le commandement. La manœuvre de la veille doit être reprise, mais sur une plus grande échelle. Précédés de fortes patrouilles, le 3ème bataillon à l’Ouest et le 1er au Sud vont donner l’assaut décisif.
Les patrouilles partent avant le lever du jour. Dans la tranchée, des cadavres abandonnés et de nombreux casques troués par nos balles disent éloquemment l’adresse de nos tireurs. Tout à coup, le capitaine Rouleau, qui a rejoint son avant-garde avec l’adjudant Jazeix et le soldat Pinon, se trouve en présence d’une quarantaine d’Allemands pourvus de deux mitrailleuses qu’ils se disposent à mettre en batterie. Les grenades pleuvent des deux côtés, mais, cernée rapidement, la troupe ennemie met bas les armes, entraînant dans sa reddition plusieurs autres groupes moins importants.
Nos compagnies pénètrent de toutes parts dans la Ville-aux-Bois ; dépassant la lisière Est, la 9ème compagnie parvient à la Tuilerie, ancienne carrière organisée par les Allemands en P.C de bataillon et appelée par eux « Hasennöhle ». Au moment où le lieutenant Bossard survient, en même temps que les soldats du peloton Guérin, un officier allemand, debout à l’entrée de l’abri, fait sortir ses hommes et donne des ordres. Brusquement assailli par les nôtres, il fait d’abord mine de se défendre, puis se ravise devant la menace d’un revolver. Sur un signe de lui, les Allemands sortent un par un et posent leurs armes devant les vainqueurs ; c’est un commandant que nous venons de faire prisonnier.

Les objectifs sont dépassés.
L’avance ne s’arrête pas au village. Le bois des Boches, à son tour, est envahi. Presque partout, les Allemands sont surpris au moment où ils sortent de leurs sapes et se rassemblent pour résister à notre attaque. La rapidité de notre mouvement ne leur en laisse pas le temps : entourés de tous côtés, assaillis furieusement par nos soldats que le succès grise, ils se rendent par paquets. Les prisonniers affluent ; en fin d’action, on en dénombre plus de 600.
Le 3ème bataillon, qui a reçu l’ordre d’établir la liaison avec la division voisine, pousse la 10ème compagnie sur la Musette, point fortifié barrant la route nationale N°44 de Laon à Reims et que l’on croyait encore occupé par l’ennemi : nos soldats y étaient déjà. La 10ème compagnie retrouve dans cette région les 5ème et 6ème compagnies. Ces deux dernières avaient déjà fourni aux compagnies de première ligne, pour l’attaque du 16, des équipes de grenadiers et de nettoyeurs de tranchée : prêtées le 17 au soir à un régiment voisin, elles avaient contribué à l’occupation de toute la zone comprise entre le bois des Buttes et la route Nationale.
Le peloton du sous-lieutenant Tessier pousse encore plus avant, au-delà de la route 44, jusqu’au bois en L, boqueteau fortifié que l’ennemi occupe avec une trentaine d’hommes et une mitrailleuse. Ils se défendent d’abord, puis, bientôt, devant la fougue des assaillants, ils se replient précipitamment en laissant six morts sur le terrain. Le bois est à nous et notre première ligne s’établit définitivement aux abords immédiats de l’ancienne position allemande.

Les résultats.
Cette bataille de trois jours se termine par la victoire la plus complète que puisse rêver un régiment : tous ses objectifs conquis et largement dépassés, un matériel immense et, témoins de son triomphe, des centaines de prisonniers.
Les voici groupés devant la Sapinière, les 600 Allemands valides capturés dans la Ville-aux-Bois. Comme le 16, les hommes du 14ème bavarois figurent pour la plus large part ; certaines des compagnies sont là presque au complet, officiers en tête ; deux chefs de bataillon ont été pris et le colonel n’a dû son salut qu’à la fuite.
Nous les observons, ces prisonniers. Beaucoup sont très jeunes et de stature médiocre. Leur affreux casque de tranchée, qui fait penser à une cloche à melon, leurs habits de mauvais drap, d’une couleur douteuse, leurs figures tirées par l’accablement d’un bombardement d’une semaine, tout leur donne un air misérable.
Ils sont gais et s’interpellent bruyamment, heureux d’en avoir fini avec la guerre. Pourtant, beaucoup d’entre eux se sont battus avec courage et l’on s’étonne de trouver chez ces gens, qui ont été de braves soldats, une soumission obséquieuse. Sur l’ordre d’un officier français, les sous-officiers allemands font ranger leurs hommes en groupes de 80 ou 100, et à voir ceux-ci sur un commandement rauque se redresser brusquement et se figer dans un garde à vous impeccable, on comprend la puissance de leur discipline. Les officiers sont plus distants. Pourtant, beaucoup d’entre eux, des réservistes, se laissent aller à dire leurs impressions : attaque menée d’une façon parfaite, -vos soldats sont excellents-, il n’y a que les Français qui sachent se battre.
Un des commandants est interviewé par un téléphoniste :
_ Jumelles, souvenir ? lui dit celui-ci en montrant avec convoitise un superbe étui que l’officier porte en bandoulière.
_ Mon petit, lui répond le commandant allemand dans le meilleur français, impossible, c’est mon premier cadeau d’officier.
L’un après l’autre, les détachements de prisonniers partent vers l’arrière, en colonne par quatre, bien alignés et encadrés par de braves territoriaux qui ont participé à la préparation du combat et sont heureux de figurer dans ce triomphe.
Dans le matériel pris à la Ville-aux-Bois figurent 5 canons, une vingtaine de mitrailleuses, plusieurs lance-bombes et d’importants stocks de vivres et de munitions.
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( A suivre : A la peine, à l’honneur)
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)
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