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Citation et attribution de la Croix de guerre
□ La règle selon laquelle une citation comportait attribution de plein droit de la Croix de guerre semble avoir été restrictivement interprétée à l'égard des officiers supérieurs par l'administration du Ministère de la Guerre, notamment quant à la portée à donner à la notion de « faits de guerre ». L'arrêt du Conseil d'État Sieur Lipman (*) ci-après reproduit, rendu aux conclusions du commissaire du Gouvernement Léon Blum, en témoigne.
Conseil d'État, 17 mai 1918 — 63.448 — Sieur Lipman
(M.M. Delfau, rapp.; Blum, c. du g. ; Me Bickart-Sée, av.)
(Rec., p. 472, 3e esp.)
Vu LA REQUÊTE présentée pour le sieur Lipman, chef d'escadron d'artillerie à l'état-major de la 17e région à Toulouse,... et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, une décision, en date du 27 mars 1917, par laquelle le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ; — Ce faire, attendu que, le 10 juin 1915, alors qu'il exerçait les fonctions de chef d'état-major de la 85e division d'infanterie, le requérant a été l'objet d'une citation à l'ordre de la division ; qu'aux termes de la loi du 8 avril 1915 et du décret du 23 avril suivant, cette citation devait comporter de plein droit attribution de la croix de guerre ; que, pour lui refuser cette distinction, le ministre de la Guerre s'est fondé, d'une part, sur ce que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'aurait pas été obtenue pour faits de guerre, et, d'autre part, sur ce que la citation dont il s'agit n'aurait pas été confirmée par le commandant d'armée, comme l'exigeait une circulaire du général commandant en chef, en date du 8 juin 1915 ; que ces motifs ne sauraient être retenus ; qu'en effet, si le sieur Lipman a été cité à l'ordre de la division, c'est bien en raison de faits de guerre, et qu'aucun texte n'a subordonné à l'approbation de l'autorité supérieure, la validité de citations faites régulièrement par les chefs d'unités, dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par les règlements militaires ; que, par suite, c'est à tort, et en violation de la loi du 8 avril 1915, que le ministre de la Guerre a refusé de lui attribuer la croix de guerre ;
Vu les observations présentées par le sous-secrétaire d'Etat à la justice militaire,... et tendant au rejet de la requête, par le motif : que la citation dont le sieur Lipman a été l'objet n'a pas été obtenue pour faits de guerre ; que, dès lors, et par application des textes mêmes invoqués par cet officier, elle ne comporte pas attribution de la croix de guerre ;
Vu les nouvelles observations présentées pour le sieur Lipman,... et tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et, en outre, par le motif que, si la citation dont le sieur Lipman a été l'objet ne relate pas expressément des faits de guerre, il n'est pas contesté que cette situation a eu, en fait, pour but de reconnaître les services rendus par cet officier dans la zone immédiate des opérations et à l'occasion de faits de guerre ;
Vu la loi du 8 avril 1915 ; le décret du 23 avril 1915 ; les lois des 7-14 octobre 1790, 24 mai 1872 ;
CONSIDÉRANT qu'aux termes de l'article unique de la loi du 8 avril 1915 : « Il est créé une croix, dite croix de guerre, destinée à commémorer, depuis le début de la guerre 1914-1915, les citations individuelles pour faits de guerre, à l'ordre des armées de terre et de mer, des corps d'armée, des divisions, des brigades et des régiments », et que l'article 3 du décret du 23 avril 1915, relatif à l'application de la loi précitée, précise que la croix de guerre est conférée, de plein droit, aux militaires qui auront obtenu pour faits de guerre, une des citations ci-dessus énumérées ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la citation à l'ordre de la 85e division dont le commandant Lipman, alors chef d'état-major de cette division, a été régulièrement l'objet, a été décernée à cet officier en raison de sa participation à des faits de guerre ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que ladite citation comporte, aux termes mêmes des textes précités, attribution de la croix de guerre ; ... (Décision annulée).
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(*) Armand Bernard LIPMAN, né le 12 août 1858 à Phalsbourg, alors département de la Meurthe. Fils de Benjamin et de Rosalie SÉE. Avait opté pour la nationalité française le 23 septembre 1872 à Lille (Nord).
Chef d'escadron d'artillerie breveté. Rappelé le 2 août 1914 comme chef d'escadron de réserve et affecté en qualité de chef d'état-major de la 85e Division territoriale (Région Est du Camp retranché de Paris) ; rayé des cadres par limite d'âge, le 1er avril 1918.
Cité à l'ordre de la Division dans les termes suivants : « Chef d'état-major de la 85e Division territoriale depuis la mobilisation, s'est fait remarquer dans ses fonctions par un travail, une conscience, un zèle et un dévouement hors pair, dont il ne s'est pas départi un seul instant. Signé : Comby. » (Ordre de la Division n° 72 du 10 juin 1915).
En dépit de l'arrêt du Conseil d'État du 18 mai 1918 qui lui était favorable, il semble bien qu'Armand Lipman ne fut jamais décoré de la Croix de guerre...
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