conseils de guerre série 11J

garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Voici une autre tranche de vie ……..et de mort

De la classe 1911, le soldat Georges S s’est engagé en 1910 au 27e RI pour 3 ans à la mairie de Chalon sur Saône, soldat de 1ère classe puis caporal, il est remis simple soldat pour fautes diverses dans le service qui paraissent aujourd’hui bénignes. Passé au 10e RI, il passe dans la réserve de l’armée d’active avec le certificat de bonne conduite accordé le 9 avril 1913.

Employé de commerce, d’une taille de 1,73, il a une cicatrice à l’arcade sourcilière gauche et les yeux « orangé verdâtre ». Le soldat Georges S a été rappelé à l’activité et est arrivé au corps le 3 août 1914.

A-Le 25 février 1915, le soldat Georges S du 10e passe pour des faits du 4 février 1915 devant le CdG de la 15e Di présidé par le Lt Col Duperrier du 134e pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre, est condamné par 2 voix contre 3 ayant voté des peines différentes et plus fortes à 6 mois de prison puis est transféré au 27e le 28 février 1915.

B-Le 12 avril 1915, le soldat Georges S passe devant le CdG de la 15e Di présidé par le Col De Séganville du 16e Chasseurs pour désertion à l’intérieur et refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre. Les questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :

1-le soldat Georges S est-il coupable de désertion à l’intérieur en temps de guerre pour avoir abandonné son corps à Commercy du 19 mars 1915 jour de l’absence constatée au 22 mars 1915 jour de son arrestation par la gendarmerie de Commercy ?

2-Ledit Georges S est-il coupable d’avoir le 24 mars 1915 à Commercy refusé de suivre sa compagnie partant pour occuper les tranchées, ordre relatif au service donné par le sous-lieutenant Chaumont du même régiment ?

3-Ledit refus d’obéissance a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?

Les juges ont répondu oui aux 3 questions posées et ont condamné à l’unanimité à 5 ans de travaux publics en application de l’article 231, 232, 234, 218, 135 et 139 du C d JM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 12 avril, la décision est suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Georges S a été transféré au 134e le 13 avril 1915. On peut remarquer deux choses :

1-Commercy n’est pas tout à fait en première ligne ce qui certainement incité les juges à la clémence
2-La peine est immédiatement suspendue et le soldat transféré

C-Le 6 juillet 1915, le soldat Georges S passe devant le CdG de la 15e Di présidé par le Lt Col Théron du 16e Chasseurs pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre. Les 2 questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :

1-le soldat Georges S est-il coupable d’avoir le 15 juin 1915, au bois Mulot, commune de Mécrin abandonné son poste en quittant sans autorisation sa compagnie qui occupait des tranchées ?

2-Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?

Les juges ont déclaré le soldat Georges S coupable à la majorité de 3 contre 2 aux questions posées et l’ont condamné à 5 ans de prison en application de l’article 213 et 139 du C d JM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 6 juillet, la décision est suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Georges S a été transféré au 56e le 07 juillet 1915

D-Le 7 août 1915, le soldat Georges S passe pour la 4ème fois devant le CdG de la 15e Di présidé par le Col De Séganville du 16e Chasseurs pour abandon de poste en présence de l’ennemi.

Le rapport du sous-lieutenant Lefranc commandant de la 1ère compagnie du 56e indique : le soldat S a été affecté à la Cie le 10 juillet 1915, venu du 134e après sa condamnation en CdG. Le commandant de la Cie ayant reçu le 10 juillet à 20 heures, un avis de faire prendre cet homme à Mécrin au poste de police, envoya le caporal Joly, celui-ci apprit à son arrivée que le soldat S s’était évadé. Informé, le Lt Col Duchet commandant le 56e a traduit ce soldat en CdG.

Le 18 juillet 1915, le capitaine Garnier-France adjoint au colonel a été chargé de recueillir les explications de l’inculpé : je suis parti de Mécrin, le 10 juillet avant d’être incorporé à la Cie du 56e à laquelle j’étais affecté parce que je voulais retourner chez moi à Chalon sur Saône. J’ai pris la route de Pont et arrivé dans cette localité, j’ai rencontré des camarades avec qui je suis resté et avec lesquels j’ai été arrêté.

Une note du Lt Col Duchet indique qu’il n’y a pas de témoins lors de disparition du soldat S le 10 juillet 1915.

Le compte-rendu de gendarmerie de Stainville du 12 juillet précise qu’après une heure de recherches avec le renfort des gendarmes de Nant le Petit, 5 soldats ont été découverts couchés sous un arbre à proximité de la ferme de Nantelle. Ramenés à la caserne, interrogés, le soldat S a été fait prisonnier et conduit au QG de la 1ère armée.

Procès-verbal de l’interrogatoire du soldat S par le lieutenant Vermeil commissaire-rapporteur de la 15e DI :

D : reconnaissez-vous avoir abandonné votre poste, le 10 juillet 1915 à Mécrin

R : oui

D : dans quelles conditions et pourquoi êtes-vous parti ?

R : j’avais le cafard, je voulais voir ma famille. Le 7 juillet en quittant Ménil, je me suis rendu à Pont sur Meuse où je me suis présenté au bureau du colonel du 134e. On m’a fait conduire par un chauffeur au bureau du colonel du 56e à Mécrin. Un secrétaire m’a dit que j’étais affecté à la 1ère Cie, m’a indiqué que je devais manger à la CHR et que j’avais à attendre au poste de police le retour de ma Cie. Le sergent de garde du poste de police où je me suis rendu, m’a dit de rester au poste. Le 10 juillet, vers 18 heures en compagnie de Brisseault et Petit, je suis parti pour Pont sur Meuse ; de là nous gagnâmes Commercy et le lendemain, nous nous sommes mis en route pour Chalon sur Saône. Nous avons été arrêtés à Stainville par la gendarmerie vers 21 heures

D : avez-vous quelque chose à ajouter ?

R : non

Les conclusions du commissaire-rapporteur qui concluait à la mise en jugement sans la circonstance aggravante de "en présence de l’ennemi", n’ont pas été suivies par le général Collas commandant la 15e DI qui, maintenant l’ordre d’informer, convoqua le CdG.

Par 3 fois, le général COLLAS avait suspendu les peines requises contre le soldat S lors de ses 3 précédents jugements en CdG.

Le défenseur du soldat S était l’officier d’administration de 2ème classe Collot.

Les questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :

1-le soldat Georges S du 56e est-il coupable d’avoir le 10 juillet 1915 à Mécrin abandonné son poste en quittant sans autorisation le local où il devait attendre le gradé chargé de le conduire à sa compagnie ?

2-Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?

Les juges ont répondu :
-sur la 1ère question : à l’unanimité, l’accusé est coupable
-sur la 2ème question : à la majorité de 4 voix contre une, oui

Les juges ont condamné à l’unanimité le soldat Georges S à la peine de mort en application de l’article 213, 185, 187 et 139 du C d JM.

Le soldat Georges S a été exécuté le 7 août 1915 à 15 h 30 à la sortie Nord-Est de Pont sur Meuse avec le soldat T du 134e. Ces 2 soldats ont été enterrés dans la même tombe du petit cimetière de cette commune. Deux erreurs figurent sur cette tombe :

-la mention « mort pour la France » au regard du texte de la loi en vigueur
-le soldat Georges S est mentionné à tort au 134e

Le dossier de ce soldat ne fait apparaître aucune blessure, citation, action d’éclat ou décoration.

Le 22 mars 1934, dans le cadre de loi du 9 mars 1932 relatif à la création de la cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations par des juridictions d’exceptions, Georges S fils de Georges S a demandé une copie du jugement de son père, du rapport de l’officier enquêteur, des témoins et a sollicité la révision du jugement rendu.

Le dossier du soldat Georges S a été transmis à Monsieur le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire permanent de Lyon sous le numéro 4981. Par dépêche en date du 23 juin 1934, le Garde des Sceaux a fait connaître qu’aucun fait nouveau n’étant allégué, cette affaire ne lui a paru susceptible, en l’état, d’aucune suite au point de vue révisionnel. Le fils du soldat Georges S a été avisé.

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Cordialement
yves
garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Lors son évasion du 10 juillet 1915 le soldat Georges S, dont le cas a été évoqué ci-dessus, n’était pas seul, il était en compagnie d’autres soldats dont Claude Joseph B.
Celui-ci est passé plusieurs devant fois devant le CdG de la 15e DI.

A - Le 20 mai 1915, le soldat Claude Joseph B du 56e est passé devant le CdG de la 15e DI présidé par le Lt Col Théron du 16e Chasseurs pour dissipation d’armes appartenant à l’état, il a été condamné par 3 voix contre 2 à 6 mois de prison en application des articles 245 et 139 du CdJM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 26 mai, la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Claude Joseph B a été transféré au 134e.

B - Le 6 juillet 1915, le soldat Claude Joseph B du 134e est passé devant le CdG de la 15e DI présidé par le Lt Col Théron du 16e Chasseurs pour désertion à l’intérieur, il a été condamné à par 3 voix contre 2 à 4 ans de travaux publics en application des articles 221, 232, 234 et 139 du CdJM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 6 juillet, la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Claude Joseph B a été transféré au 56e.

C - Le 27 juillet 1915, le soldat Claude Joseph B du 56e est passé devant le CdG de la 15e DI présidé par le Col Landel du 48e RA pour refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre et dissipation d’armes appartenant à l’état.

Le dossier de ce soldat nous apporte les informations suivantes.

L’état signalétique et des états nous apprend que le soldat Claude B est natif de Chalon sur Saône, exerçait la profession de chaudronnier, mesurait 1,62m, avait des cheveux bruns, des yeux gris et un visage ovale. Il a été incorporé au 56e avant d’être envoyé dans ses « foyers » en décembre 1912. On ne retrouve pas trace d’une attribution du certificat bonne conduite.

Le rapport du Lt Beissac commandant la 2e Cie du 56e est rédigé ainsi : le 9 juillet le soldat Claude Joseph B venant du 134e par mesure disciplinaire s’est présenté au sergent-major Chollet à Mécrin, porteur d’un avis de mutation, l’affectant à la 2e Cie. Il n’avait ni fusil, ni sac, ni équipement. Il a reçu l’ordre de revenir le lendemain à 8 heures. A l’heure prescrite, il se présenta et le sergent-major lui remit son armement et l’envoya prendre son équipement et lui donnant l’ordre formel de rejoindre immédiatement la Cie qui se trouvait au ravin du bois Mulot. Le soldat Claude Joseph B ne rejoignit pas son unité. Il fut arrêté par les gendarmes de la brigade de Stainville le 12 juillet 1915 près de la ferme de Nantelle et déclara avoir quitté son corps à Mécrin le 10 juillet entre 17 et 18 heures abandonnant armes et équipement.

Déclaration du soldat Claude Joseph B reçue le 18 juillet 1915 par le capitaine Garnier-France : après avoir reçu du sergent-major l’ordre de rejoindre ma Cie au bois Mulot, je suis parti dans la direction de Commercy et j’ai suivi la route qui devait me conduire à Chalon sur Saône où je voulais rentrer. J’ai été arrêté à Stainville par les gendarmes et ramené à la prison de Commercy.

Déclaration du sergent-major Chollet : « après lui avoir donné un fusil, je le prévins d’avoir à rejoindre la Cie qui se trouvait à ce moment au ravin du bois Mulot, ce qu’il promit d’ailleurs en déclarant connaître l’emplacement » fait au bois Mulot le 15 juillet 1915. Le caporal-fourrier Guillaux a fait la même déclaration.

Le relevé des punitions du soldat Claude Joseph B fait apparaître de nombreuses punitions certaines sans gravités, d’autres surprenantes (s’est esquivé ostensiblement devant ses camarades de l’épluchage des pommes de terre prétextant qu’il ne mangeait pas le soir)et plusieurs cas d’ivresse pendant son temps de service et pendant la guerre

Interrogé par les gendarmes de Stainville, il a répondu à toutes les questions, déclarant qu’il voulait rentrer chez lui pour revoir sa famille (il est marié et a un enfant) puis il a été conduit au QG de la 1ère armée à Ligny.

Interrogatoire du soldat Claude Joseph B par le Lt Vermeil commissaire-rapporteur de la 15e DI

D : reconnaissez-vous, le 10 juillet 1915 à Mécrin, avoir reçu l’ordre du sergent-major Chollet, de rejoindre votre Cie alors au ravin du bois Mullot et n’avoir pas obéi à cet ordre ?
R : je reconnais avoir reçu cet ordre et ne pas l’avoir respecté. Je n’ai touché qu’un fusil, j’ai cherché un sac et un équipement à Mécrin. Je n’en ai pas trouvé ; au surplus, je n’avais pas mangé et le sergent-major ne m’avait pas indiqué où je pourrais trouver à me nourrir
D : avez-vous demandé à votre sergent-major où vous pourriez trouver d’abord à manger ensuite un sac et un équipement ?
R : non
D : reconnaissez-vous, le 10 juillet 1915 à Mécrin, avoir abandonné votre cantonnement sans autorisation ?
R : le 9 juillet, lorsque je me suis présenté à Pont sur Meuse au bureau du colonel du 56e, un secrétaire m’a dit d’aller à Mécrin me présenter au sergent-major de la 2e Cie à laquelle je venais d’être affecté. Je m’y suis rendu, le sergent-major m’a dit de revenir le lendemain. J’ai touché mon fusil et on m’a donné l’ordre d’aller rejoindre la Cie au ravin du bois Mulot. Je suis resté à Mécrin jusqu’à 18 heures où en compagnie du soldat Georges S et du soldat Pierre P, je suis parti pour Commercy avant d’être arrêté avec 4 autres camarades par les gendarmes de Stainville
D : reconnaissez-vous le 10 juillet à Mécrin avoir abandonné vos armes et votre équipement à vous remis par le service ?
R : je n’avais touché qu’un fusil que j’ai laissé dans le cantonnement de la 5e Cie du 134e à Mécrin
D : avez-vous quelque chose à ajouter ?
R : non


Lecture a été faite à l‘inculpé du présent procès-verbal, il a déclaré ses réponses fidèlement transcrites et a signé avec nous et le greffier.

A la suite de cet interrogatoire, le commissaire-rapporteur a demandé la mise en jugement du soldat Claude Joseph B pour avoir refusé de monter aux tranchées le 10 juillet 1915 et pour avoir dissipé un fusil appartenant à l’état. Ces délits sont punis par les articles 218 et 245 du CdJM. Le général Collas a signé l’ordre de mise en jugement de ce soldat.

Le 27 juillet 1915, les questions suivantes ont été posées aux juges du CdG :
1ère question : le soldat Claude Joseph B est-il coupable d’avoir le 10 juillet 1915, à Mécrin, refusé de monter aux tranchées ordre relatif au service qui lui a été donné par le sergent-major Chollet ?
2ème question: ledit refus d’obéissance a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
3ème question : ledit Claude Joseph B est-il coupable d’avoir le 10 juillet 1915 à Mécrin, dissipé un fusil appartenant à l’état et qui lui a été remis pour le service ?


Aux 2 premières questions, les juges ont déclaré le soldat Claude Joseph B coupable à l’unanimité
A la 3ème question, les juges ont déclaré le soldat Claude Joseph B non coupable à l’unanimité

Les juges ont condamné le soldat Claude Joseph B par 3 voix contre 2 à 10 ans de travaux publics en application des articles 218 et 139 du CdJM

En conséquence, le soldat Claude Joseph B a été conduit à la parade le 29 juillet 1915 à Mesnil aux Bois afin d’y entendre la lecture de la sentence en présence d’un détachement de chacun des corps en garnison à Mesnil aux Bois et ensuite défiler devant le front des troupes.
Le soldat Claude Joseph B a été condamné :
-le 20 mai 1915, à la peine de 6 mois de prison pour dissipation d’armes appartenant à l’état
-le 6 juillet 1915, à la peine de 4 ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre
-le 27 juillet 1915, à la peine de 10 années de travaux publics pour refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre.

Après la parade, le condamné a été conduit à la prison militaire d’Epinal et dirigé sur celle de Marseille pour y être mis à la disposition du général Cdt la 15e région militaire afin d’être dirigé vers un établissement de travaux publics où il doit subir sa peine.

Par décision du général commandant la 15e DI en date du 18 février 1918, la peine a été suspendue.
Le 29 octobre 1919, le général commandant la 8e région militaire a ordonné le retrait de la suspension de l’exécution de ce jugement.

Le soldat Claude Joseph B a été arrêté en même temps que d’autres soldats dont Georges S qui a été fusillé le 7 août mais les délits commis par ce dernier étaient plus graves ce qui explique les condamnations plus « légères » à l’encontre du soldat Claude Joseph B.

Ce cas est très représentatif des cas de récidives que l’on retrouve souvent dans ces jugements en CdG.

Dans le dossier de ce soldat, on ne trouve aucun document expliquant la décision du général commandant la 8e région militaire concernant le retrait de la suspension de l’exécution de ce jugement.

En conclusion, je ne peux que rappeler cette phrase extraite du livre d’André Bach « on touche là un des paradoxes de cette justice qui, en punissant les crimes militaires, aboutissait à éviter à certains de leurs auteurs le danger suprême qui guettait quotidiennement tous les autres combattants »


cordialement
yves
garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Sous peu, nous apprenons les éventuelles décisions choisies sur la base du rapport concernant les fusillés et remis au ministre des anciens combattants. Une des problématiques que l’on retrouve fréquemment dans les dossiers des CdG, est celle de la récidive. Cette question a été posée par André Bach dans son article publié par le figaro le 11/10/2013.

L’exemple que j’ai pris, est celui du soldat Adrien C natif de Montceau Les Mines qui exerçait la profession de plâtrier

Dossier du CdG n° 59 de la 15e DI présidé par le Cel Vachée du 37e RA à Ménil aux Bois le 21/01/1915

Le soldat C Adrien du 10e RI est accusé de voies de fait et d’outrages par paroles envers un supérieur pendant le service. Trois questions ont été posées aux juges :
-ledit Adrien C est-il coupable d’avoir donné au sergent Drain, un coup de pied qui l’a atteint à la hanche ?
-ledit Adrien C est-il coupable d’avoir outragé, le même jour, à la même heure le sergent Drain en lui disant : « toi, le sergent Drain, je t’emmerde, tu es une vache »
-ces outrages ont-ils eu lieu pendant le service ?

Les juges ont répondu :
-sur la 1ère question : à la majorité de trois voix contre deux, l’accusé n’est pas coupable
-sur la 2ème question : à l’unanimité, l’accusé est coupable
- sur la 3ème question : à l’unanimité, non

En conséquence, le conseil de guerre a condamné l’inculpé à 5 ans de prison

Dossier du CdG n° 138 de la 15e DI présidé par le Cel Théron du 16e Chasseurs à Ménil aux Bois le 19/05/1915

Le soldat Adrien C qui a visiblement été transféré au 56e RI sans avoir été incarcéré en prison, est accusé d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre.
Aux 2 questions posées aux juges, les juges ont reconnu l’inculpé coupable à la majorité de trois voix contre deux et l’ont condamné à 4 années de prison en application des articles 213 et 139 du CdJM. Par décision du général commandant la 15e DI, la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne.

Dossier du CdG n° 265 de la 15e DI présidé par le Lt Cel De Séganville du 16e Chasseurs à Ménil aux Bois le 21/07/1915

Le soldat Adrien C qui a été transféré au 134e RI, est accusé de refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre. En l’absence des témoins : les soldats Chambard et Jullien, les juges ont renvoyé le jugement à une date ultérieure.

Dossier du CdG n° 287 de la 15e DI présidé par le Lt Cel De Séganville du 16e Chasseurs à Ménil aux Bois le 07/08/1915

Le soldat Adrien C du 134e RI est accusé de refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre.

Aux 2 questions posées aux juges, les juges ont reconnu l’inculpé coupable à la majorité de quatre voix contre une et l’ont condamné à 10 années de travaux publics en application des articles 218 et 139 du CdJM. Par décision du général commandant la 15e DI, la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne.

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Ce bref résumé du parcours du soldat Adrien C illustre la question de la récidive que l’on retrouve également parmi les soldats fusillés.

Cordialement

yves

garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Question de récidive


Le soldat Jean Henri R qui est passé 3 fois devant les conseils de guerre de la 15e DI pendant le conflit.

Son premier jugement devant le conseil de guerre, le 12 février 1916, est référencé sous le numéro 372. Le soldat Jean Henri R, affecté au 134e, a été prévenu d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre par suite d’absorption d’acide picrique . Ingérée en petite quantité, cette substance provoque sur la peau l’apparition d’une couleur jaune verdâtre qui donne lieu à une erreur de diagnostic lors d’un examen médical. Il a été condamné par 3 voix contre 2 à six mois de prison. Par décision du général commandant la 15e DI, l’exécution de la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Pourtant, comme le précise le jugement, en application de l’article 213 du code de justice militaire, ce soldat risquait la peine de mort. Sur ce jugement, par un décret du 23 juin 1919, le président de la république a accordé au soldat Jean Henri R une remise du restant de la peine de six mois de prison.

Après cette condamnation, le soldat Jean Henri R qui a été transféré au 56e, a été prévenu de désertion à l’intérieur en temps de guerre avec récidive. Sur son jugement référencé sous le numéro 466 daté du 30 juin 1916, il est mentionné : « attendu que le soldat Jean Henri R a été condamné le 11 octobre 1905 par le conseil de guerre de Toulouse à la peine de 2 ans de prison pour désertion à l’intérieur en temps de paix, attendu qu’il est constant que l’inculpé a déserté antérieurement, le conseil de guerre le condamne à l’unanimité à la peine de 3 ans de travaux publics en application des articles 231, 232, 234 et 139 du code de justice militaire dont le président du conseil de guerre a publiquement donné lecture ». Par décision du général commandant la 15e DI en date du 30 juin 1916, l’exécution de la peine a été suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Par décret en sortie du 23 juin 1919, le président de la république a commué la peine de 3 ans de travaux publics en 3 ans de prison et celle de 3 ans de travaux publics prononcée par le CdG de la 15e DI.

Après ce jugement, le soldat a été transféré au 134e. Le 28 septembre 1917, le soldat Jean Henri R est passé pour la 3e fois en jugement devant le conseil de guerre pour :
• abandon de poste en présence de l’ennemi
• 2 désertions à l’intérieur en temps de guerre avec récidive, la seconde étant en service

Le soldat Jean Henri R est accusé des faits suivants. Le 29 juillet 1917, vers 21 heures, une corvée de 15 hommes de la section de discipline de la 15e DI quittait les abris de Beauséjour pour transporter des torpilles de 58 à la position Jacquinot. Il faisait nuit, les hommes étaient obligés de marcher à la file dans les boyaux. Le sergent Roze ne s’est pas aperçu tout de suite de la disparition du soldat Jean Henri R. Ce dernier a quitté la corvée au croisement du boyau B7 avec le boyau B8 à environ 800 mètres de tranchées de la première ligne. L’accusé déclare qu’il s’est rendu à Valmy où il a pris un train pour Lons le Saulnier puis Beaune les Roches où il a travaillé chez son beau-frère pendant 8 à 10 jours. Le 14 août, il s’est constitué prisonnier à la prévôté de la 15e DI. Le soldat Jean Henri R indique qu’il a quitté son poste sans motifs mais souligne que son transfert à la section de discipline est une injustice. Le 31 août, sa section de discipline qui faisait mouvement pour revenir dans le secteur de Beauséjour, s’arrêta quelques heures au camp Madelin. Au rassemblement qui précédait le départ au camp Madelin, l’adjudant Lerouge constata l’absence du soldat Jean Henri R .L’accusé a quitté sans autorisation son unité vers 19 heures pour se rendre dans sa famille. Le 17 septembre, il rejoignait volontairement son unité au ravin de Marson. Dans ses déclarations, le soldat Jean Henri R souligne qu’il avait reçu des lettres de sa famille lui indiquant que sa fille était gravement malade.

Ce jugement nous apprend que le soldat Jean Henri R est né le 24 décembre 1884 à P.... dans le Jura, qu’il mesure 1,76m, qu’il a les yeux bleus, un front ordinaire, un visage ovale, les cheveux châtains et que sa profession est « homme de peine ». On apprend les différentes condamnations reçues par ce soldat :
• 27/01/1898 : Lons le Saunier, vols, envoi dans colonie peine jusqu’à 20 ans
• 14/03/1903 : Belley, vol, 3 jours de prison
• 03/10/1903 : CdG de Clermont, désertion à l’intérieur, 1 an de prison
• 14/06/1904 : CdG de Clermont, refus d’obéissance, 1 an de prison
• 15/09/1904 : CdG de Limoges, bris de clôture, 4 mois de prison
• 11/10/1905 : CdG de Toulouse, désertion à l’intérieur, 2 ans de prison
• 13/12/1905 : CdG de Toulouse, évasion et destruction d’effets de couchage, 2 ans de prison
• 12/02/1916 : CdG de la 15e DI, abandon de poste, 6 mois de prison, peine suspendue
• 30/06/1916: CdG de la 15e DI, désertion à l’intérieur, 3 ans de travaux publics, peine suspendue

Après les interrogatoires de l’accusé, des témoins, les 5 questions suivantes ont été posées aux juges :
• Le soldat Jean Henri R du 134e (section de discipline) est-il coupable d’avoir le 29 juillet 1917 dans le secteur de Beauséjour, commune de Mesnil les Hurlus (Marne), abandonné son poste en quittant sans autorisation la corvée chargée de transporter du matériel en ligne ?
• Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
• Ledit Jean Henri R est-il coupable de désertion à l’intérieur en temps de guerre pour avoir le même jour au même lieu abandonné son unité sans autorisation et être resté illégalement absent du 29 juillet 1917 jour de l’absence constatée au 14 août 1917 jour de sa présentation volontaire à la prévôté de la 15e division d’infanterie ?
• Ledit Jean Henri R est-il coupable de désertion à l’intérieur en temps de guerre pour avoir le 31 août 1917 abandonné son unité au camp Madelin et être resté illégalement absent du 31 août 1917 jour de l’absence constatée au 17 septembre 1917 jour de sa présentation volontaire à sa section ?
• A-t-il déserté étant en service ?
Sur la 1ère question, à l’unanimité, l’accusé est coupable. Sur la 2e question, à l’unanimité, oui. Sur la 3e question, à l’unanimité, l’accusé est coupable. Sur la 4e question, à l’unanimité, l’accusé est coupable. Sur la 5e question, à l’unanimité, oui.

Attendu que le dit Jean Henri R a été condamné le 30 juin 1916 par le conseil de guerre de la 15e DI à la peine de 3 ans de travaux publics, jugement devenu exécutoire, attendu que le dit Jean Henri R a déserté antérieurement, le conseil de guerre le condamne à la peine de Mort en application des articles 213 et 135.
Le conseil de guerre considérant que tout l’effet moral qu’on devait attendre, a été produit par le prononcé de la peine et considérant l’âge, l’attitude du condamné, les bonnes notes fournies par son ancien commandant de Cie depuis son passage à la section de discipline, les juges ont estimé qu’il y a lieu de recommander le dit Jean Henri R à la clémence du président de la république pour une commutation de peine.

Ce jugement a été cassé et annulé par décision du conseil de révision de la 4e Armée en date 04/10/1917. Par quatre voix contre une, le conseil de révision de la 4e armée a pris cette décision au vu du mémoire du défenseur du soldat Jean Henri R basé sur la violation de l’article 140 du CJM , le jugement n’énonçant pas à quel nombre de voix la peine avait été prononcée. Le CdG a également estimé les inculpations d’abandon de poste en présence de l’ennemi et de désertion à l’intérieur en temps de guerre sont contradictoires et font naître un doute sur l’exacte qualification des faits. On voit donc que c’est une erreur de procédure qui a sauvé la vie du soldat Jean Henri R même si le recours en grâce avait toutes les chances d’être accepté vu les recommandations des juges du CdG de la 15e DI

Ce dossier a été renvoyé devant le conseil de guerre de la 16e DI qui a siégé le 06 novembre 1917. Le soldat Jean Henri R est accusé de :
• abandon de poste en présence de l’ennemi
• 2 désertions à l’intérieur en temps de guerre avec récidive

Après avoir entendu le commissaire-rapporteur, le prévenu, les dépositions des autres témoins, les questions suivantes ont été posées aux juges :
• Le soldat Jean Henri R du 134e détaché à la section spéciale de la 15e DI, est-il coupable d’abandon de poste pour avoir le 29 juillet 1917, dans le secteur de Beauséjour, commune de Mesnil les Hurlus (Marne), abandonné la section spéciale de discipline de la 15e DI au moment où cette unité effectuait une corvée chargée de transporter des munitions dans les tranchées de première ligne ?
• Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
• Subsidiairement : Le dit abandon de poste a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
• Le soldat Jean Henri R, ci-dessus désigné, est-il coupable de désertion en temps de guerre avec récidive pour avoir au camp Madelin (Marne), quitté sans autorisation, la section spéciale de discipline de la 15e DI, le 31 août 1917, jour de l’absence constaté et s’être aussi absenté de son corps du 03 au 17 septembre 1917, jour de sa présentation volontaire avec cette circonstance aggravante qu’il a déserté antérieurement ?

Les 5 juges ont répondu :
• Sur la 1ière question : à l’unanimité des voix, oui, l’accusé est coupable
• Sur la 2ème question : à l’unanimité des voix, non
• Sur la 3ème question : à l’unanimité des voix, oui, l’accusé est coupable
• Sur la 4ème question : à l’unanimité des voix, oui, l’accusé est coupable

Le CdG a condamné à la majorité de quatre voix contre une à trois ans de travaux publics le soldat Jean Henri R en application des articles 213 & 2, 231, 232 & 3, 234, 135 et 139 du CJM.

On peut s’étonner des réponses apportées par les juges au cours de ces 2 procès. A la question : l’abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi, à l’issue du premier procès, les juges ont répondu oui d’où la peine de mort, à l’issue du second procès, les juges ont répondu non à la même question. C’est l’alinéa 2 de l’article 213 qui a été appliqué avec une peine de 3 ans de travaux publics.


cordialement
yves
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Charraud Jerome
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par Charraud Jerome »

Bonsoir
Comme il est question de récidive, cela m'a rappelé que j'ai l'ouvrage "De la justice aux armées" de René de Planhol, qui fut avocat au CDG de la 17e DI.
Voici ce qu'il rapporte d'une affaire de récidive de désertion, qui se termina par une exécution capitale:

"Le cas de Bouclos était presque le même : déjà puni pour une première désertion, il revenait devant le conseil pour avoir abandonné sa colonne en arrivant aux tranchées. On l'inculpait donc de refus d'obéissance. Cette qualification, qui pourrait intriguer d'abord le lecteur, a été l'objet de controverses. Elle semble légitime en droit. Puisque le refus d'obéissance équivaut à l'abstention volontaire d'obéir; il est logique de soutenir que le déserteur a refusé d'obéir, et les juges ont généralement admis cette thèse. Les chefs et les camarades de Bouclos formulèrent sur lui des témoignages analogues à ceux recueillis sur Dupières ou Leprêtre : bon garçon, serviable, docile, mais incapable de se battre. Ouvrier agricole, de forte stature, âgé de vingt-cinq ans et n'étant pas marié, il n'avait pas non plus l'excuse du mal à la gorge et des gouttes. Aux questions du colonel il répondait sans chercher de raisons. Pourquoi s'était-il esquivé de sa colonne ? Pourquoi ? Il n'en savait rien, n'ayant pas réfléchi, ayant agi comme une bête. Mais oui, c'était vrai. Il s'était blotti dans l'herbe haute d'un champ et puis n'avait plus bougé pendant un jour entier, jusqu'à la survenue des gendarmes. Son front bas, que barrait une mèche bouclée de cheveux noirs, se sillonnait de plis profonds et ses yeux, bruns et larges dans son visage joufflu, semblaient prendre les juges à témoin de sa sincérité. Il ne paraissait point se douter du péril et se bornait à énoncer doucement son regret. Le défenseur eut beau supplier le conseil de qualifier le crime désertion, quatre voix contre une condamnèrent Bouclos à mort pour refus d'obéissance. Ses gardiens lui apprirent le verdict. Il hocha la tête et ses bras croisés tombèrent, tandis qu'il murmurait seulement :
- C'est dur.
Il demeura, quelques instants, accablé. Et voilà que peu à peu, en face de la mort inéluctable et toute proche, le miracle d'une métamorphose spirituelle s'opérait en lui. Ce garçon presque brutal ouvrait lentement les regards de l'âme et, se figurant à sa mesure une image dérisoire et touchante, contemplait le paysage des régions infinies. C'était en lui un beau retour et un précieux épanouissement des vieilles leçons du catéchisme. Grâce à elles il ne mourait pas dans le blasphème ou la forfanterie. Mais, comprenant qu'il avait commis un crime, distinguant mieux les grandes idées de patrie et de sacrifice, il acceptait de mourir pour expier et demandait à l'aumônier s'il avait le droit encore d'espérer en la miséricorde du bon Dieu. Le lendemain à l'aube, dans une prairie où s'effilochait le brouillard, eut lieu l'exécution
Assisté de l'aumônier et de son défenseur. Bouclos se montra ferme et résigné. On l'avertit que c'était la dernière minute... Alors, s'adressant aux soldats qui allaient le fusiller :
- Les gars..., souvenez-vous!... Faut pas faire comme moi... J'ai mérité ce qui m'arrive... Souvenez-vous!
Puis on lui banda les yeux. Et il n'est plus, ce malheureux que j'ai nommé Bouclos, qu'un Français qui a payé sa faute, enfoui dans une tombe que ne marque aucun nom".
Sources biblio: "De la justice aux armées" René De Planhol - Attinger 1917


De Planhol ayant attribué un pseudonyme à chacun des condamnés, j'ai volontairement laissé les pseudos attribués.

http://indre1418.canalblog.com/archives ... 90837.html

Cordialement
Jérôme Charraud
Les 68, 90, 268 et 290e RI dans la GG
Les soldats de l'Indre tombés pendant la GG
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garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonsoir

Ce récit est très intéressant. L'auteur qui était avocat au CdG nous apporte la vision d'un professionnel de la justice ce qui n'est pas très fréquent.

En ce moment, je recherche en autre la famille actuelle du capitaine Vermeil qui a longtemps servi en tant que commissaire-rapporteur lors des CdG de la 15e DI. Avocat à Bourg en Bresse, il est décédé en 1927 à Hauteville. Il a eu 3 enfants une fille et 2 fils, l'un né à Chalon sur Saône, l'autre à Bingen en Allemagne.

Si j'arrive à retrouver ses descendants, j'espère qu'il aura laissé des écrits mais ce n'est pas certain

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Amicalement

yves
garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Un autre cas :la désertion à l’étranger


Le soldat Charles B est né en Suisse à La Chaux de Fonds. Mécanicien, il résidait à Lyon dans le 7e arrondissement. C’est un appelé de la classe 14.

Ce soldat a été incorporé au 134e RI où il a été arrivé le 18 septembre 1914. Il a été blessé par éclats d’obus le 4 août 1916 dans les terribles attaques de la station de Fleury devant Douaumont. Il a été cité à l’ordre du régiment le 13 décembre 1915 probablement suite à son action dans l’enfer de Tahure et a reçu la croix de guerre.

Rapport du lieutenant Berchigny Cdt de la Cie :

Le 20 mars 1918, vers 9 heures, le soldat Charles B de la 3e Cie de mitrailleuses fut avisé qu’il pourrait partir en permission le même jour à titre de détente. Il déclara qu’il désirait se rendre à Villers le Lac dans le Doubs pour sa permission de 10 jours. Par suite du déplacement du régiment, les permissionnaires partis le 20 mars ne rejoignirent le corps que le 22 avril 1918.

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Le soldat Charles B ne s’étant pas présenté à l’unité à cette date, fut signalé comme déserteur. Ce soldat jouit « d’une bonne moralité, assez bon soldat, d’un esprit frondeur, rien dans son passé à la Cie ne pouvait supposer qu’il aurait eu l’intention de déserter ».

Le 6 septembre 1918, le soldat Charles B se présenta au poste frontière franco-suisse du col des Roches dans l’intention de rejoindre son corps.

Le 8 septembre 1918, le commissaire spécial de la gare de Morteau a remis pour transfèrement à la gendarmerie, le soldat Charles B considéré comme déserteur du 134e RI.

Incarcéré dans la prison militaire de Besançon, le soldat Charles B a été reconduit à son corps pour passer en jugement.

Le rapport du Capitaine Bouillet commissaire-rapporteur mentionne : l’inculpé a déclaré qu’en arrivant en Suisse, son unique intention était d’assister sa mère. Le soldat n’a aucune condamnation, aucune punition. Au moment de sa désertion, il déclare n’avoir subi l’influence d’aucune personne étrangère. L’inculpé reconnait sa désertion.

Le commissaire-rapporteur recommande l’inculpation de ce soldat pour « désertion à l’étranger en temps de guerre, délit puni par l’article 236 du CdJM.

Déclaration du caporal Papillon au sujet des circonstances de la désertion du Soldat Charles B : après l’embarquement en chemin fer en gare de Vitry la Ville, je n’ai plus revu Charles B, ce dernier n’est pas reparu à la Cie sa permission achevée.

Déclaration du soldat Charles B : arrivé à ma destination le 22 mars 1918 muni d’une permission de 10 jours, je n’ai séjourné que 24 heures sur place puis j’ai passé la frontière franco-suisse pour me rendre à La Chaux de Fonds où réside ma mère. J’ai trouvé cette dernière gravement malade, maladie qui a duré 3 mois environ. Je n’ai pas rejoint mon corps à l’expiration de ma permission. Pendant mon séjour en Suisse, j’ai travaillé comme mécanicien jusqu’au 30 août 1918 dans la maison Peter. Le 6 septembre 1918, je me suis présenté au poste frontière français dans l’intention de rejoindre mon corps. Je déclare qu’en restant en Suisse pendant et après ma permission, je n’avais d’autre motif, ni d’autre intention que d’assister ma mère pendant sa maladie.

Le 22 novembre 1918, le CdG de la 15e DI séant à Luzarches (Seine et Oise) était présidé par le Cel Larivière de l’AD15 et composé du Chef de Bataillon Girod du 56e, du capitaine Mantes du 134e, du lieutenant Chauveau du 134e et du MdL Brelot du 16e Chasseurs.

Le CdG a déclaré à l’unanimité l’accusé coupable. A la majorité, le CdG a également déclaré qu’il existait des circonstances atténuantes

Le CdG a condamné le soldat Charles B à la majorité de trois voix contre deux à la peine de 2 ans de prison en application des articles 236 et 139 du CdJM mais attendu qu’il ressort que ledit Charles B n’a pas subi de condamnation antérieure à la prison pour crime ou délit de droit commun, ordonne à la majorité de trois voix contre deux qu’il sera sursis à l’exécution de la peine prononcée contre lui.

L'article 236 du CdJM prévoit une peine de 2 ans à 5 ans de travaux publics en temps de paix, de 5 à 10 ans de travaux publics en temps de guerre.

Le dossier de conseil de guerre de ce soldat est consultable sous la cote 11 J 752/904

En somme, un bon soldat qui comme le souligne le document de l’ambassade française en Suisse, voulait régulariser sa situation au point de vue militaire, compromise à la suite d’une véritable obsession : revoir sa famille.

Cordialement
yves
garigliano1
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Parmi les dossiers que j’ai relevé, voici le cas du soldat Claude D de la 10e Cie du 134e

Le soldat Claude D est arrivé le 19 décembre 1914 au régiment.

Rapport du capitaine Mantes :

Le 20 août 1918, à 6h15, la 10e Cie quittait l’ouvrage de Bimont pour se rendre à la Carrière Martial, point de départ de l’attaque des positions allemandes du Bois de la Montagne. A quelques centaines de mètres de l’ouvrage, la Cie était amenée à traverser le tir de barrage ennemi et deux obus successifs tombaient sur la queue de la 11e Cie, précédant la 10e. Ces 2 obus tuaient et blessaient plusieurs hommes de la 11e Cie. La 10e qui n’avait pas de perte, continuait son cheminement et arrivait à la Carrière Martial à 6H15. Un appel rapide permettait de constater l’absence du soldat D. Cet homme restait absent le 20, le 21 et ne rejoignait la compagnie que le 22 à 17 heures. Interrogé, le soldat D a prétendu qu’au moment de la chute des obus sur la 11e Cie, il avait entendu appeler au secours, il s’était dirigé du côté des blessés pour aider à leur transport au poste de secours. Il prétend qu’il a recherché ensuite la Cie progressant tantôt avec des unités du 56e, tantôt avec des mitrailleurs du 134e. Le soldat D a rejoint volontairement la compagnie qu’il a retrouvé le 22 au soir. Sans chercher à vérifier l’exactitude des faits et gestes du soldat D, du 20 au 22 août, je ne retiens que l’acte de quitter sans ordre les rangs de la Cie allant à une attaque, acte qui constitue l’abandon de poste en présence de l’ennemi. Dans une compagnie, seuls les brancardiers ont la qualité pour ramasser les blessés. Ce rôle n’incombe pas aux combattants surtout à l’heure d’une attaque. En conséquence, le capitaine commandant la Cie demande la traduction du soldat D devant un conseil de guerre en vertu de l’article 213 du code de justice militaire.

A la lecture du rapport du capitaine Mantes, Le Lt Cel Sézille des Essarts commandant le 134e a déposé une plainte en conseil de guerre au général commandant la 15e Division pour abandon de poste en présence de l’ennemi.

Le 19 septembre 1918, le parquet du CdG de la 15e DI séant aux armées a cité à comparaitre le soldat Claude D pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Selon l’article 213 du CdJM, ce crime était passible de la peine de mort. Le défenseur désigné d’office était le canonnier Maroux du 18e RAC.

Le soldat Claude D était né en Saône et Loire en 1890 et résidait dans le Lot et Garonne où il était cultivateur. Son signalement nous le décrit ainsi : yeux châtains, cheveux blonds, front moyen, visage ovale, d’une taille de 1,64m.

Le relevé des bulletins n° 1 transmis par la cour d’appel de Dijon mentionne les faits suivants :

1-Le 30 avril 1904, ce soldat avait été inculpé pour incendie volontaire et tentative de vol simple, acquitté, il a été envoyé dans une colonie pénitentiaire jusqu’à ses 20 ans accomplis.
2-Le 8 novembre 1910, il a été condamné à un an de prison pour vol au préjudice d’un militaire
3-Le 26 janvier 1915, après 5 semaines de présence au sein du régiment, il a été condamné à 2 ans de prison pour refus d’obéissance. Dirigé sur la prison militaire de Clermont-Ferrand, puis au pénitencier militaire d’Avignon, transféré le 9 juin 1916 sur la prison civile de Toulouse puis dirigé le même jour au 134e RI aux armées.


Interrogatoire du soldat D matricule 8328 classe1910 de la 10e Cie
D : pourquoi avez-vous quitté les rangs de la Cie le 20 août à 6h30 ?
R : parce que j’ai entendu des blessés appeler au secours
D : où êtes-vous allé ?
R : j’ai transporté un blessé sur mon dos, au poste de secours de la Ferme de Bimont
D : avez-vous cherché immédiatement à rejoindre la Cie
R : oui, immédiatement
D : qu’avez-vous fait pour la retrouver ?
R : je l’ai cherché dans le bois St Mard
D : saviez-vous que la compagnie allait à une attaque ?
R : oui


Il est décrit comme un très mauvais soldat, il suffit de lire le relevé de ses punitions pour être fixé sur sa valeur morale. Sa conduite au feu est déplorable, il est inutile de lui chercher à lui faire racheter son attitude par des actes de courage. Le soldat D joue l’inconscient mais il ne me parait pas irresponsable.

La note de l’officier greffier reprend les mêmes éléments que le capitaine Mantes a exposé.

Dans leurs dépositions, Le caporal Métroz Charles et le sergent Dessertennes henri certifient que le soldat D a quitté la Cie le 20 août à 6h30 et n’est rentré que le 22 août à 14 heures.

Il est vrai que le relevé de punitions de ce soldat est chargé : 4 pages bien remplies de punition en tout genre. Il totalise 12 jours de salle de police ou arrêts simples, 359 jours de prison ou arrêts de rigueur et 72 jours de cellule soit un total de 443 jours.

Le 20 septembre 1918, le CdG de la 15e DI séant à Neuilly en Thelle (Oise) au nom du peuple français (le texte est toujours rédigé ainsi) a jugé le soldat Claude D pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Ce motif d’inculpation est de loin le plus répandu mais concentre une multitude de causes difficilement assimilables ce qui implique que chaque cas doit être étudié en détail.

Le CdG était composé du :
-Lt Cel Greiner du 56e RI
-Chef de Bataillon Burel du 106e RIT
-Capitaine Beaumont du 4e RG
-Lt De Miramon du 26e Dragons
-Adjudant Duluc du 8e Génie téléphonique

Après le rappel des faits, 2 questions ont été posées aux juges :
1-le soldat D du 134e est-il coupable d’avoir le 20 août 1918, aux armées, abandonné son poste en quittant sans autorisation sa Cie qui se portait à l’attaque des positions allemandes ?
2-l’abandon a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?

Sur la 1e question, à l’unanimité l’accusé est coupable
Sur la 2e question, à la majorité de quatre voix contre une :oui
A la majorité, il existe des circonstances atténuantes

Le CdG de la 15e DI a condamné à l’unanimité à la peine de 10 ans de travaux publics le soldat Claude D en application des articles 213, 139 du CdJM. L’application du 1er l’article de la loi du 19 juillet 1901 sur les circonstances atténuantes lui a évité la peine de Mort.

Pour l’exécution de ce jugement, le soldat D a été conduit à la parade du 21 septembre à 9h00 du matin par un piquet d’infanterie à l’effet d’y entendre la lecture de sa sentence en présence d’un détachement de chacun des Corps de la 15e DI en garnison à Neuilly en Thelle et ensuite défiler devant le front des troupes avant d’être acheminé à la maison d’arrêt où il doit subir sa peine.

L’avis d’écrou n° 6951 nous apprend que le soldat D a été écroué le 20 décembre 1918 au dépôt de détenus de Collioure.

L’atelier de travaux publics d’Orléansville a reçu un avis un avis de décision gracieuse délivré le 11 juillet 1921 en application de la loi du 29 avril 1921.
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Le 19 juillet 1921, le commissaire du gouvernement auprès de la 8e Région militaire a adressé au procureur de la république de Charolles un avis d’amnistie concernant le soldat Claude D.

cordialement

yves
hastings35
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par hastings35 »

Bonjour, mon grand-père Francis Buttel , que j'ai très bien connu, était maréchal des logis au 7ème Rac de la 19ème DI , 3ème groupe 8ème batterie. A Verdun il était observateur dans les tranchés pour son groupe. Cité à l'ordre de la division le 5 avril 1916.Le 15 Aout 1916, il est grièvement blessé à la tête et l'épaule comme 2ème classe( jmo 2ème groupe 4ème batterie ) des documents medicaux confirment le grade 2ème classe. Muté dans l'armée d'Orient début 1917, je lis sur son carnet personnel "aux tranchées du 17 au 21 Février piton Perras* ( dès son arrivée), le 22 à disposition du chef de section Petit, le 26 examen lieutenant Chaumont (état major), passé brigadier le 6 Mars.Blessé balle mitrailleuse 5 Avril 1917 comme signaleur morse cote 1248 Monastir .
*avec une consigne (en ma possession) demandant entre autre au chef de bataillon d'infanterie de transmettre ses demandes de tir de barrage au sous-officier qui transmettra lui même en morse, bref les mêmes attributions qu'à Verdun, alors qu'il est 2ème classe!

Que penser de tout cela? existe t-il la possibilité de consulter les conseils de guerre de la 19ème DI?
si quelqu'un peut m'aider, merci.
robin des bois
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Re: conseils de guerre série 11J

Message par robin des bois »

Bonjour à vous

Je découvre ce forum..... avec prudence et réserves

Mais alors là CHAPEAU et sincères félicitations pour ce sujet et son auteur : du très très haut de gamme

( j'y joins aussi le topic des "Fusillés par régiment" que je trouve remarquable )



robin des bois
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