Voici une autre tranche de vie ……..et de mort
De la classe 1911, le soldat Georges S s’est engagé en 1910 au 27e RI pour 3 ans à la mairie de Chalon sur Saône, soldat de 1ère classe puis caporal, il est remis simple soldat pour fautes diverses dans le service qui paraissent aujourd’hui bénignes. Passé au 10e RI, il passe dans la réserve de l’armée d’active avec le certificat de bonne conduite accordé le 9 avril 1913.
Employé de commerce, d’une taille de 1,73, il a une cicatrice à l’arcade sourcilière gauche et les yeux « orangé verdâtre ». Le soldat Georges S a été rappelé à l’activité et est arrivé au corps le 3 août 1914.
A-Le 25 février 1915, le soldat Georges S du 10e passe pour des faits du 4 février 1915 devant le CdG de la 15e Di présidé par le Lt Col Duperrier du 134e pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre, est condamné par 2 voix contre 3 ayant voté des peines différentes et plus fortes à 6 mois de prison puis est transféré au 27e le 28 février 1915.
B-Le 12 avril 1915, le soldat Georges S passe devant le CdG de la 15e Di présidé par le Col De Séganville du 16e Chasseurs pour désertion à l’intérieur et refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre. Les questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :
1-le soldat Georges S est-il coupable de désertion à l’intérieur en temps de guerre pour avoir abandonné son corps à Commercy du 19 mars 1915 jour de l’absence constatée au 22 mars 1915 jour de son arrestation par la gendarmerie de Commercy ?
2-Ledit Georges S est-il coupable d’avoir le 24 mars 1915 à Commercy refusé de suivre sa compagnie partant pour occuper les tranchées, ordre relatif au service donné par le sous-lieutenant Chaumont du même régiment ?
3-Ledit refus d’obéissance a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
Les juges ont répondu oui aux 3 questions posées et ont condamné à l’unanimité à 5 ans de travaux publics en application de l’article 231, 232, 234, 218, 135 et 139 du C d JM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 12 avril, la décision est suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Georges S a été transféré au 134e le 13 avril 1915. On peut remarquer deux choses :
1-Commercy n’est pas tout à fait en première ligne ce qui certainement incité les juges à la clémence
2-La peine est immédiatement suspendue et le soldat transféré
C-Le 6 juillet 1915, le soldat Georges S passe devant le CdG de la 15e Di présidé par le Lt Col Théron du 16e Chasseurs pour abandon de poste sur un territoire en état de guerre. Les 2 questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :
1-le soldat Georges S est-il coupable d’avoir le 15 juin 1915, au bois Mulot, commune de Mécrin abandonné son poste en quittant sans autorisation sa compagnie qui occupait des tranchées ?
2-Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
Les juges ont déclaré le soldat Georges S coupable à la majorité de 3 contre 2 aux questions posées et l’ont condamné à 5 ans de prison en application de l’article 213 et 139 du C d JM. Par décision du général commandant la 15e DI en date du 6 juillet, la décision est suspendue jusqu’à la fin de la campagne. Le soldat Georges S a été transféré au 56e le 07 juillet 1915
D-Le 7 août 1915, le soldat Georges S passe pour la 4ème fois devant le CdG de la 15e Di présidé par le Col De Séganville du 16e Chasseurs pour abandon de poste en présence de l’ennemi.
Le rapport du sous-lieutenant Lefranc commandant de la 1ère compagnie du 56e indique : le soldat S a été affecté à la Cie le 10 juillet 1915, venu du 134e après sa condamnation en CdG. Le commandant de la Cie ayant reçu le 10 juillet à 20 heures, un avis de faire prendre cet homme à Mécrin au poste de police, envoya le caporal Joly, celui-ci apprit à son arrivée que le soldat S s’était évadé. Informé, le Lt Col Duchet commandant le 56e a traduit ce soldat en CdG.
Le 18 juillet 1915, le capitaine Garnier-France adjoint au colonel a été chargé de recueillir les explications de l’inculpé : je suis parti de Mécrin, le 10 juillet avant d’être incorporé à la Cie du 56e à laquelle j’étais affecté parce que je voulais retourner chez moi à Chalon sur Saône. J’ai pris la route de Pont et arrivé dans cette localité, j’ai rencontré des camarades avec qui je suis resté et avec lesquels j’ai été arrêté.
Une note du Lt Col Duchet indique qu’il n’y a pas de témoins lors de disparition du soldat S le 10 juillet 1915.
Le compte-rendu de gendarmerie de Stainville du 12 juillet précise qu’après une heure de recherches avec le renfort des gendarmes de Nant le Petit, 5 soldats ont été découverts couchés sous un arbre à proximité de la ferme de Nantelle. Ramenés à la caserne, interrogés, le soldat S a été fait prisonnier et conduit au QG de la 1ère armée.
Procès-verbal de l’interrogatoire du soldat S par le lieutenant Vermeil commissaire-rapporteur de la 15e DI :
D : reconnaissez-vous avoir abandonné votre poste, le 10 juillet 1915 à Mécrin
R : oui
D : dans quelles conditions et pourquoi êtes-vous parti ?
R : j’avais le cafard, je voulais voir ma famille. Le 7 juillet en quittant Ménil, je me suis rendu à Pont sur Meuse où je me suis présenté au bureau du colonel du 134e. On m’a fait conduire par un chauffeur au bureau du colonel du 56e à Mécrin. Un secrétaire m’a dit que j’étais affecté à la 1ère Cie, m’a indiqué que je devais manger à la CHR et que j’avais à attendre au poste de police le retour de ma Cie. Le sergent de garde du poste de police où je me suis rendu, m’a dit de rester au poste. Le 10 juillet, vers 18 heures en compagnie de Brisseault et Petit, je suis parti pour Pont sur Meuse ; de là nous gagnâmes Commercy et le lendemain, nous nous sommes mis en route pour Chalon sur Saône. Nous avons été arrêtés à Stainville par la gendarmerie vers 21 heures
D : avez-vous quelque chose à ajouter ?
R : non
Les conclusions du commissaire-rapporteur qui concluait à la mise en jugement sans la circonstance aggravante de "en présence de l’ennemi", n’ont pas été suivies par le général Collas commandant la 15e DI qui, maintenant l’ordre d’informer, convoqua le CdG.
Par 3 fois, le général COLLAS avait suspendu les peines requises contre le soldat S lors de ses 3 précédents jugements en CdG.
Le défenseur du soldat S était l’officier d’administration de 2ème classe Collot.
Les questions posées aux juges lors de ce procès ont été les suivantes :
1-le soldat Georges S du 56e est-il coupable d’avoir le 10 juillet 1915 à Mécrin abandonné son poste en quittant sans autorisation le local où il devait attendre le gradé chargé de le conduire à sa compagnie ?
2-Ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
Les juges ont répondu :
-sur la 1ère question : à l’unanimité, l’accusé est coupable
-sur la 2ème question : à la majorité de 4 voix contre une, oui
Les juges ont condamné à l’unanimité le soldat Georges S à la peine de mort en application de l’article 213, 185, 187 et 139 du C d JM.
Le soldat Georges S a été exécuté le 7 août 1915 à 15 h 30 à la sortie Nord-Est de Pont sur Meuse avec le soldat T du 134e. Ces 2 soldats ont été enterrés dans la même tombe du petit cimetière de cette commune. Deux erreurs figurent sur cette tombe :
-la mention « mort pour la France » au regard du texte de la loi en vigueur
-le soldat Georges S est mentionné à tort au 134e
Le dossier de ce soldat ne fait apparaître aucune blessure, citation, action d’éclat ou décoration.
Le 22 mars 1934, dans le cadre de loi du 9 mars 1932 relatif à la création de la cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations par des juridictions d’exceptions, Georges S fils de Georges S a demandé une copie du jugement de son père, du rapport de l’officier enquêteur, des témoins et a sollicité la révision du jugement rendu.
Le dossier du soldat Georges S a été transmis à Monsieur le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire permanent de Lyon sous le numéro 4981. Par dépêche en date du 23 juin 1934, le Garde des Sceaux a fait connaître qu’aucun fait nouveau n’étant allégué, cette affaire ne lui a paru susceptible, en l’état, d’aucune suite au point de vue révisionnel. Le fils du soldat Georges S a été avisé.

Cordialement
yves