conseils de guerre série 11J

[garigliano1]

Bonjour

Après avoir « fouiné » dans les cotes 22 N du SHD, j’ai décidé d’approfondir ma base d’étude en parcourant les cotes 11 J des conseils de guerre de la 15ème DI soit 25 cartons. Ce panel étant 10 fois important, cela permet de mieux appréhender cette réalité tout en faisant abstraction des impressions personnelles ou des « perturbations médiatiques » d’aujourd’hui.
Les minutiers des jugements de la 15ème DI n’ont pas disparu et sont complets. Il manque 2 jugements et quelques dossiers dans les différentes côtes mais les minutiers compensent ces manques.
Cet ensemble de données représente 923 jugements devant ces conseils de guerre pendant la période qui court du 6/09/1914 au 21/03/1919. Quelques remarques préliminaires :
• on note petit à petit au fil du conflit une « professionnalisation » de ces jugements
• hormis le commissaire-rapporteur et le greffier qui resteront longtemps à leur poste, les juges changent à chaque tenu d’une séance du conseil même si on retrouve des noms « connus »

Comme le précise le guide pratique des conseils de guerre, il faut connaitre la qualification des faits : les crimes (assassinats, meurtres, coups et blessures graves, vols avec circonstances aggravantes,…) ou les délits (homicide involontaire, outrages, vol simple, usurpation de titres ou de fonction,…)

Le code de justice précise bien les peines encourues pour chaque crime ou délit. Le livret individuel du soldat comporte une nomenclature de 5 pages concernant ces crimes et délits. Les articles 213 (abandon de poste devant l’ennemi), 218 (refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi), 220 (violences envers une sentinelle à main armée) par exemple prévoient la peine de mort.

Dans un des cartons des minutiers, on trouve plusieurs registres dont un registre listant les 96 ordonnances de non-lieux des soldats de la 15e DI et un registre alphabétique des soldats inculpés.

Les soldats inculpés ne font pas tous partie de la 15e DI, on trouve même des civils : berger, cultivateur, terrassier, ménagère, tenancier de café, carrier.
Sur ces 923 jugements qui impliquent 956 soldats et 15 civils, on s’aperçoit que :
- 121 acquittements ont été prononcés
- 38 peines de mort ont été prononcées. 4 civils accusés d’espionnage ont été exécutés en 1914, 4 soldats ont également été exécutés, 27 peines de mort ont été commuées puis amnistiées en 1921, deux jugements ont été cassés et renvoyés devant le conseil de guerre d’une autre division (je n’ai pas encore pu voir ces jugements), le dernier soldat condamné à mort par contumace en 1916 pour désertion à l’ennemi refusait de rentrer en France en 1920 (il s’est enfui la veille de son rapatriement, la commission d’amnistie de 1938 n’indique pas la suite des événements ; dans son dossier, on trouve un plan très précis de la tranchée établi au jour de la désertion avec la position des témoins, le chemin parcouru avec son profil).

Les 4 soldats exécutés étaient inculpés un ou plusieurs des motifs suivants : abandon de poste en présence de l'ennemi, refus d'obéissance pour marcher contre l'ennemi, tentative de désertion à l'ennemi et d'intelligence avec l'ennemi dans le but de favoriser ses entreprises. Trois de ces soldats sont passés plusieurs fois devant les conseils de guerre, par décision du général commandant la 15e DI, leurs peines allant de 6 mois à 5 ans de prison avaient été suspendues sauf ….pour leurs derniers passages. Le 4e soldat n’a pas eu le temps de passer plusieurs fois en conseil de guerre car il a enchainé les désertions en présence de l’ennemi.
Dans ces jugements, les inculpations sont souvent doubles ou triples : refus d'obéissance sur un territoire en état de guerre et abandon de poste sur un territoire en état de guerre ou désertions à l'intérieur en temps de guerre avec récidives, abandon de poste en présence de l'ennemi, vol au préjudice d'un militaire et d'outrages envers un agent de la force publique ce qui rend difficile un classement par type de crime ou de délit.

-29 cas de mutilations volontaires sanctionnés 13 acquittements et les 16 autres cas par des peines de prison allant de 1 mois à 2 ans. Certaines de ces peines ont été suspendues jusqu’à la fin de la guerre. Aucune peine de mort n’a été prononcée pour les cas de mutilations volontaires. Par une lettre du GQG de 1914 ces mutilations volontaires relèvent suivant les cas d’espèces et d’après les circonstances particulières à chaque affaire soit le crime de « refus d’obéissance », soit le crime « d’abandon de poste ». Le premier relève de l’article 218 du code justice militaire, le second relève de l’article 213 mais dans les 2 cas, la peine est la mort.
-154 cas d’abandon de poste en présence de l’ennemi (le code de justice militaire dans l’article 213 prévoit la peine de mort dans ce cas)
-229 cas d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre
-81 refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre.
-47 voies de fait envers un supérieur pendant le service ou à l’occasion du service.
-105 cas d’outrages envers un supérieur ou un agent de la force publique avec gestes, menaces ou paroles avec ou sans ivresse manifeste et publique
-388 cas de désertions à l’intérieur avec ou sans récidive avec ou sans abandon de poste avec ou sans emport d’armes
-18 cas de désertions en présence de l’ennemi
-114 cas de vols au préjudice d’habitant, de militaire, de l’état, d’une commune, dans un édifice religieux, de vols qualifiés sanctionnés de 20 ans de travaux forcés, complicité de vols, d’escroqueries,

-On retrouve des cas particuliers d’homicides par imprudence, de divulgations de secrets intéressants la défense, inculpés d'avoir ouvert un débit de boissons à consommer sur place sans déclaration préalable, des faux et usages de faux,….

-On trouve également, une vingtaine de cas de violences sans armes envers une sentinelle, des coups et blessures volontaires qui parfois en entrainé la perte de l’usage d’un membre, des cas de violences envers un militaire, des cas de rébellion, de dénonciations calomnieuses, falsifications de feuille de route, …..

-On retrouve des cas de dissipations d’effets, d’armes, de munitions, de cris séditieux, de bris de clôture, port illicite d’insignes, de pêche à l’explosif……………….
remarques :
Au cours des années 1917 et 1918, les cas de désertion à l’intérieur sont très nombreux, les sanctions sont plus dures qu’auparavant surtout pour les récidivistes. Pour les soldats dont c’est la première condamnation, la peine prononcée par le tribunal est réduite, le sursis à l'exécution de la peine est presque systématiquement prononcé par le tribunal ou par le général de la 15e DI qui suspend la peine si le tribunal n’a rien accordé.

Les cas de récidives sont nombreux, les multi- récidivistes également (parfois jusqu’à 6 voire 9 condamnations, le « record » est de 19 avant et pendant le guerre) comme le cas suivant « 2 désertions en temps de guerre avec récidive, la 1ière en service, violences envers des agents de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions avec la circonstance aggravante que des violences ont été la cause d'effusions de sang et de blessures, vol au préjudice d'un habitant » qui n‘est pas isolé.
Hormis la peine de mort, une des peines les plus lourdes requise par le conseil de guerre, a sanctionné un soldat du 10e RI qui s’est vu infligé les travaux forcés à perpétuité mais sa peine a été commuée en 20 ans de travaux forcés en mars 1921 puis en 5 ans de prison en décembre 1921 enfin il a bénéficié d’une remise de peine de 3 ans en mai 1923.

Comme le souligne André Bach dans son livre « fusillés pour l’exemple » « on touche là un des paradoxes de cette justice qui, en punissant les crimes militaires, aboutissait à éviter à certains de leurs auteurs le danger suprême qui guettait quotidiennement tous les autres combattants »

On remarque sur les minutes de jugements que la loi d’amnistie de 24 octobre 1919 a bénéficié à beaucoup des soldats inculpés. Sur ces dossiers, on voit que sur les 971 jugements prononcés, 691 soldats ont bénéficié soit d’une suspension de peine, soit d’un sursis à l'exécution de la peine, soit d’une remise de peine, soit d’une réhabilitation soit d’une amnistie ou de plusieurs de ces mesures de clémence.

Ramené au niveau d’une unité, le 134e RI par exemple, cela représente 185 jugements :
• 22 pour 1914
• 48 pour 1915
• 44 pour 1916
• 40 pour 1917
• 28 pour 1918
• 3 pour 1919
Pour l’année 1915, 48 jugements pour environ 2800 à 3000 soldats, on voit que moins de 2% de l’effectif du régiment est concerné par ces jugements.

Pour être considéré comme représentative, cette étude doit être reproductible sur d’autres DI mais je ne pense pas que les résultats obtenus soient similaires, les conseils de guerre de la 15e DI étant réputés comme relativement cléments.

Cette étude est limitée à une division je le répète. Elle ne concerne que la 15e DI permet quand même de se forger une opinion et de mieux comprendre ce vaste sujet, de parler de ces jugements ce que je n’aurais osé faire auparavant et surtout d’éviter de lancer des affirmations « à la cantonade » sans support car il est d’abord impératif de consulter les ouvrages références comme celui d’André Bach et d’étudier ces dossiers.
Comme l’avait déjà dit Frédéric Radet sur le forum, on lit des « choses pas très jolies »dans ces dossiers.

Cordialement
yves

[Charraud Jerome]

Bonjour
Excellente étude de la part d'Yves. La méthode d'étude est très professionnelle et les résultats annoncés sont très intéressants, car argumentés.
On est bien loin de la vision partielle et partisane de certaines associations militantes (qui d'ailleurs n'ont souvent jamais mis le bout de leur nez dans ces archives).

Yves, tu indiques avoir fouiner dans la 22N, puis tu retournes vers la 11J, est-ce à dire que la 22N n'est pas exploitable?

Cordialement
Jérôme Charraud

[Jean RIOTTE]

Bonjour Yves,
Toutes mes félicitations pour ce remarquable travail en profondeur qui évite les vues partielles et surtout les conclusions définitives et partisanes auxquelles nous avons régulièrement droit.
Cordialement,
Jean RIOTTE

[garigliano1]

bonjour

La série 22 N 472 pour la 15e DI, ne couvre que la période du 06/09/1914 au 03/11/1916 et ne concerne que 91 cas, ce qui n'est pas suffisamment représentatif mais ce n'est peut-pas le cas pour les autres DI.
J'en profite pour remercier le lieutenant Caron qui m'a bien facilité les choses

cordialement
yves

[dominique rhety]

Bonjour Yves,

Pierre Perrin, soldat au 27e RI, dont le journal a été récemment publié sous le titre Un guerrier d'occasion et signalé sur ce forum en son temps, témoigne du destin de trois des condamnés des CG de la 15e DI.
Le premier est un des 23 du 56e Ri condamnés à mort le 27 mai 1915 et graciés par Poincaré.

"16 octobre. Cette nuit, la 11e escouade a enterré ses morts. On leur a confectionné des croix, un bâton et une planche sur laquelle j'ai gravé leur nom et on leur prépare des craie gravées comme nous en avons vues aux tombes du 56e. L'un d'eux, pour lequel le capitaine a obtenu une citation, est Housset, un jeune de la classe 15, autrefois condamné à mort au 56e, et qui, depuis son arrivée à la compagnie, s'était toujours distingué, notamment le 7 juillet et les jours suivants." (pages 132-133).

Il assiste à l'exécution des deux autres le 7 août de la même année (pages 117-118), mais vous connaissez l'affaire aussi bien que moi.

Amicalement.

[Laurent59]

Bonjour et merci Yves pour cette étude intéressante en tout point de vue. Question: comment connaitre la côte 22N ou 11J des dossiers qui pourraient intéresser nos recherches respectives ?

laurent

[garigliano1]

bonjour dominique

Effectivement, le soldat Housset fait partie des 23 qui ont été graciés par le président de la république, le passé du 56 a joué en sa faveur avec le soutien du général Cordonnier


Regardez bien la page de garde du dossier du soldat Housset, on voit un détail intéressant

amicalement

yves

[garigliano1]

[ comment connaitre la cote 22N ou 11J des dossiers qui pourraient intéresser nos recherches respectives ?

bonjour Laurent

Pour la 22 N, il faut chercher dans les côtes du premier bureau du CA concerné dans le nicot dédié ci-joint:
http://www.servicehistorique.sga.defens ... 8_0004.pdf

Pour la cote 11 J, le classeur est rangé en salle d’accueil scientifique, il contient les informations utiles mais l'a déjà souligné Bernard Larquetou, il faut connaitre la DI concernée et la période recherchée, il existe également des minutiers qui rassemblent les jugements.


cordialement

yves

[dominique rhety]

Regardez bien la page de garde du dossier du soldat Housset, on voit un détail intéressant

Re-bonjour Yves,

le détail interressant est-il l'officier dont le nom figure dans la case Témoins et renseignement ?

Bien amicalement.

[Charraud Jerome]

Bonsoir

Regardez bien la page de garde du dossier du soldat Housset, on voit un détail intéressant

Re-bonjour Yves,
le détail interressant est-il l'officier dont le nom figure dans la case Témoins et renseignement ?
Bien amicalement.

Je ne pense pas que le détail intéressant soit les frais du procés (en bas à droite).
Concernant ce capitaine GIROD, s'agirait-il de celui-ci: pages1418/qui-cherche-quoi/chef-bataill ... 9826_1.htm

(Yves, Dominique je note que vous étiez déjà sur le coup)

Cordialement
Jérôme Charraud