Bonjour,
En complément aux publications précédentes de Rutilius, quelques documents issus des archives britanniques concernant l'exhumation et le rapatriement de soldats et marins français depuis la Grande-Bretagne en mars 1924 sur l'
aviso Aisne.
Ce transfert gratuit est fait à la demande de la famille française, diligenté depuis la France par le
Ministère des Pensions, service des transferts, bureau des sépultures militaires, 14 avenue Lowendal, Paris 7e, et orchestré sur place au Royaume-Uni par l'
Imperial War Graves Commission, depuis le 82 Baker Street, Londres W1 et en liaison avec leurs bureaux Place de la Gare à Arras. Cet organisme est l'ancêtre de l'actuelle CWGC.
La France fait la demande en mai 1923. L'IWGC exige l'excellence des participants à cette vaste opération, car "les Français nous accordent de grandes facilités dans nos cimetières en France." On explique ainsi aux autorités écossaises que "la IWGC tient à souligner que le peuple français s'est efforcé de nombreuses façons de les aider dans le travail de commémoration des morts britanniques en France, et leur a accordé tant de concessions qu'ils souhaitent vivement, maintenant que l'occasion se présente, faire un geste de remerciement en retour."

- Exhumations de Français en Grande-Bretagne en 1924.
- Exhumations marins français - 1924_20241123_114647_0000.png (1.06 Mio) Consulté 475 fois
L'organisation britannique est méthodique, digne et respectueuse, elle est très documentée. L'entreprise de pompes funèbres
The London Necropolis Company est contractée, relayée sur place par les paroisses, secrétaires municipaux, gardiens de cimetière, fossoyeurs. Un médecin de santé publique et un inspecteur sanitaire sont tenus d'assister à chaque exhumation. Elles doivent avoir lieu le matin, et si nécessaire occultées de la vue du public. La dépouille est placée dans un cercueil zingué ensuite acheminé par train vers Douvres. Un représentant français y assiste souvent. La présence d'une famille française à Hartland (Devon) semble être une exception.
Le permis est délivré par le ministère britannique de l'Intérieur (
Home Secretary's licence), certains Curés de paroisse se font également assister par la police. Ainsi, le vicaire de la paroisse de Bembridge (île de Wight) écrit :
"Je propose de demander à notre policier local d’être présent afin d’éloigner du cimetière les curieux ("
to keep out of the Churchyard inquisitive persons"). Bien que l’endroit ne soit pas central, il y a toujours des personnes qui prennent plaisir à ce genre de rares divertissements et qui trouvent toujours un moyen de découvrir ce qui se passe".
On anticipe que les grands cimetières sauront faire : "Dans un cimetière bien organisé, il n’y a aucune difficulté. Cependant, dans les petits cimetières paroissiaux à la campagne, nous constatons souvent qu’il n’existe aucune organisation. Les exhumations sont pratiquement inexistantes, et le vicaire a très peu d’idées sur la manière de procéder". Dans un cas, le curé de paroisse panique : "Le Révérend Coburn ne semblait avoir aucune idée de ce qu'il convenait de faire et paraissait effrayé par toute cette affaire." ("
... seemed scared of the whole business.")
Une difficulté de procédure est liée à la demande par certaines paroisses d'une autorisation ecclésiastique pour l'exhumation du corps d'un sol consacré.
Cette autorisation prend le plus souvent un mois à obtenir. Mais le temps presse et, début mars 1924, il est demandé aux religieux anglicans d'abréger.
Une chapelle ardente est dressée à Douvres du 24 février au 15 mars 1924, veillée par des soldats de l'armée britannique. L'arrivée de l'
aviso Aisne est prévue le 14 mars au soir. Une importante cérémonie militaire a lieu avant l'embarquement le 15.
Fin mars 1924 le ministère britannique des Transports témoigne de la satisfaction des autorités françaises dans cette affaire à l'égard des compagnies de chemin de fer anglaises : "Le gouvernement français apprécie particulièrement la gentillesse des compagnies ferroviaires, qui ont offert le transport gratuit depuis le lieu d'inhumation initial jusqu'à Douvres, et souhaite exprimer ses remerciements, en particulier aux sections South-Eastern et Chatham du Southern Railway, pour avoir mis à disposition une chapelle ardente où les dépouilles ont été accueillies avant leur embarquement."
"Chapelle ardente" en français dans le texte original.
Problèmes rencontrés localement :
- La paroisse de Over, près de Cambridge, exprime des réticences à exhumer la dépouille de Constant Vromman, décédé le 10 juin 1916. "Notre cimetière est un cimetière anglican, et bien que l'exhumation ait été autorisée par le vicaire en vertu du permis délivré par le ministre de l'Intérieur, les autorités diocésaines ont par la suite insisté, comme la loi ecclésiastique le leur permet, pour que la Commission obtienne un acte confirmatif régularisant le transfert." ("
... a confirmatory faculty regularising the removal.")
Sur intervention directe de l'archevêché de Canterbury, siège du primat de la Communion anglicane, l'affaire est résolue. L'obtention du permis ecclésiastique coûtera 4 livres sterling en sus.
- L'exhumation de la dépouille du marin français inhumé à Flamborough (Yorkshire) est plus délicate car il a été enterré dans une fosse commune. L'autorisation est accordée d'exhumer les quatre dépouilles qui y sont. Un représentant français est chargé d'identifier notre marin. Si aucune identification formelle n'est possible, ordre est donné de ré-enterrer les quatre corps. L'administration britannique se félicite après coup de la réussite de cette partie de l'opération.
- Dans le cimetière de la paroisse Saint Nicholas de Myra, à Worth Matravers dans le Dorset, la tombe du lieutenant Ange Guerrin, décédé le 4 octobre 1917, pourtant rapatrié en France en 1924, a été entretenue par erreur jusqu'en 1955.
- Entre 1924 et 1931, on a trace d'une longue correspondance contentieuse à propos du marin Victor Lemarchand, décédé le 28 février 1919, enterré au cimetière de West Hartlepool (dans le nord de l'Angleterre, entre York et Newcastle). La famille se signale après la date butoir du 30 avril 1921 et on laisse Victor Lemarchand alors qu'un autre marin français du cargo Ango, lui aussi décédé de maladie en 1919, Lucien Collinet, est bien rapatrié en 1924. La famille envisage alors de le rapatrier à ses frais, mais le projet est trop onéreux et Lemarchand est finalement resté à West Hartlepool North cemetery. Sa sœur résidant à Dinard Saint-Énogat (Ille-et-Vilaine) se rend sur place.
Document N° 1 : (Pays de Galles)

- Archives CWGC, Royaume-Uni.
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Traduction :
HÔTEL DE VILLE, CARDIFF
20 mars 1924
Monsieur,
Retrait des dépouilles de Marcel Benoist Ignace et Jean Marie Le Lay.
Pour faire suite à votre lettre du 17 courant, j’ai à présent reçu une lettre du gestionnaire du cimetière de Cardiff dont voici le contenu :
« La somme de deux guinées (
environ deux livres sterling), plus le coût des travaux impliqués, est facturée par le Conseil municipal pour chaque exhumation effectuée. Dans ce cas précis, il y a eu deux exhumations, ce qui porte la charge totale à quatre guinées. Je n’ai pas facturé les travaux en eux-mêmes, ayant pris en considération que ces hommes étaient des victimes de la guerre, et j’ai supposé que cette dépense serait compensée lors de la réutilisation des tombes d’où les corps ont été exhumés.
Un ou deux jours avant que les travaux soient réalisés, j’ai reçu une communication du Directeur de la London Necropolis Company indiquant que les corps seraient transférés et que les cercueils seraient remis dans les tombes d’où ils avaient été exhumés. Par conséquent, une charge supplémentaire de vingt shillings a dû être appliquée, car cela empêchait ces tombes d’être réutilisées pour d’autres enterrements. »
Je suis, Monsieur,
Votre dévoué serviteur,
Cecil G. Brown
Secrétaire municipal
NB : le comptable anglais de l'IWGC a trouvé incongru de ré-enterrer un cercueil vide dans une tombe après exhumation du corps et refusé tout paiement supplémentaire.
Document N° 2 : (Écosse)

- Archives CWGC, Royaume-Uni.
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Présence d'un médecin et d'un inspecteur sanitaire en Écosse lors de l'exhumation d'un marin français.
Le capitaine Joseph Huet et ses 30 hommes d'équipage du cargo Longwy avaient été torpillés le 4 novembre 1917 au large des côtes écossaises. Trois marins furent enterrés dans le cimetière Doune de Girvan. La veuve du capitaine Huet, de Saint-Malo, Ille-et-Vilaine, reçoit le 19 janvier 1923 du Service des sépultures militaires, Service des transferts, une réponse favorable à sa demande de transfert gratuit. Cette demande recevra satisfaction "lorsque le Service de Restitution des Corps atteindra le cimetière où il est inhumé." On lui indique qu'on a "l'honneur de lui faire connaître que les transferts des corps de militaires inhumés en Écosse seront effectués dans le courant de l'année 1923."
L'exhumation de la dépouille du capitaine a finalement lieu le 26 février 1924. Deux autres marins français du Longwy, les matelots Brajeul et Harré, restent en terre écossaise. Dans le cas du matelot télégraphiste quimpérois Adolphe Harré, il est établi que ce jeune homme était orphelin et célibataire.
On se reportera aux pages consacrées au cargo Longwy sur ce même Forum Pages 14-18 pour y trouver des exemples de photos de tombes de marins français MPLF enterrés au Royaume-Uni.
Une stèle à l'ensemble de l'équipage du Longwy a été inaugurée en Écosse en octobre 2024 ; elle est précisément située à l'emplacement de la tombe du capitaine Huet, entre ses deux matelots.
Document N° 3 : (France)

- Archives CWGC, Royaume-Uni.
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Transcription :
MINISTÈRE DES PENSIONS, DES PRIMES ET ALLOCATIONS DE GUERRE
SERVICE des Successions & Sépultures
Paris, le 17 mars 1924,
Mon Général,
Au lendemain du jour où l'imposante cérémonie de DOUVRES a clôturé les opérations de rapatriement des corps des militaires et marins français décédés en Angleterre pendant la guerre, j'ai l'honneur de vous demander la permission d'adresser à la Commission Impériale Britannique des Sépultures de Guerre l'expression de la profonde gratitude du Service Français des sépultures Militaires, pour le concours sans pareil qu'il a trouvé auprès d'elle ; grâce aux dispositions prises, au plan soigneusement arrêté et au soin particulier avec lequel ont opéré les agents de la Necropolis London Company, ainsi qu'à l'exactitude avec laquelle vos ordres ont été exécutés par les Compagnies de chemins de fer, le plan adopté a été suivi sans aucune espèce de difficulté ou d'incident. Je vous en exprime personnellement ma très vive reconnaissance.
J'ai rendu compte à M. le Président du Conseil, Ministre des Affaires Étrangères, des conditions dans lesquelles les corps de nos soldats avaient été ramenés d'Angleterre. Je ne doute pas que, déjà, le Général, Attaché Militaire de France et le Capitaine de Vaisseau, Attaché Naval, n'aient exprimé au Département de la Guerre et au Département de la Marine leurs remerciements pour l'inoubliable cérémonie de DOUVRES. Ma pensée de gratitude resterait incomplète si je ne vous priais de témoigner de ma part à M. le Secrétaire Général PHILIPPS et au Major INGPEN tous les remerciements que je leur dois personnellement pour les soins cordiaux qu'ils ont bien voulu apporter dans la préparation de détail des opérations.
Veuillez agréer, mon Général, l'expression de mes sentiments les plus déférents et dévoués.
Signé : BEZOMBES
Le Sous-Intendant militaire de 1ère Classe Bezombes
Chef des Services de l'Etat-Civil,
des Successions et Sépultures militaires
au Ministère des Pensions - 231 Bd Saint-Germain
Adressé à : Monsieur le Général Fabian Ware
Commission Impériale Britannique des Sépultures de Guerre
82, Baker Street
London
Cette synthèse est un travail d'angliciste.
Synthèse d'une liasse d'archives du CWGC, 130 pages. Je remercie M. Richard Conaghan, bénévole de l'association Girvan and District Great War Project, de me l'avoir communiquée.
Thank you very much.
Bien cordialement.
Eric