Un petit complément sur la perte du FRESNEL
Ordre de mission du FRESNEL 4 Décembre 1915
FRESNEL partira aujourd’hui à 16h30, route sur le cap Rodoni. Les journées du 5 et du 6, il restera en surveillance dans le golfe du Drin entre les parallèles du cap Rodoni et de la pointe Menders.
Retour à Brindisi le 7 au matin.
Le CUGNOT se tiendra au nord de la pointe Menders dans les environs de Saint Jean de Medua. Le 6 au soir, un autre sous-marin partira de Brindisi pour le cap Rodoni.
Il n’est pas impossible qu’un’ escadre de croiseurs italiens et alliés se trouve dans le golfe du Drin le 5 au matin. Le FRESNEL devra s’en éloigne suffisamment pour éviter toute méprise.

Voici les télégrammes, dont certains paraissent provenir d’un agent de renseignement en Albanie, échangés après la disparition du FRESNEL
5 Décembre 1915 20h00 - Très secret - Lovcen à Commandant en chef 2e escadre
X…. affirme que ce matin des torpilleurs autrichiens ont coulé à coups de canon un sous-marin qui se trouvait à l’embouchure de la Bojana. Il est échoué à 800 ou 1000 m de l’embouchure du fleuve. On m’informe qu’il est français.
Signé : Accamé
6 Décembre 1915 02h50
Un quartier maître timonier envoyé sur les lieux rapporte ce qui suit :
« Le sous-marin, de type AMPERE est à sec, percé de trous d’obus Stop Porte un canon avec lettres MNE et date de construction Stop Les marins locaux disent qu’il s’est échoué dans la nuit précédente, a fait tout son possible pour se déséchouer sans y parvenir Stop Ce matin, à l’approche des bâtiments, le personnel a débarqué sur une petite île Stop Les contre-torpilleurs autrichiens, dès qu’ils l’ont découvert, l’ont canonné, puis ont amené deux embarcations et ont fait prisonnier l’équipage Stop Prière communiquer si des sous-marins français pouvaient se trouver dans les parages car quelques faits font supposer qu’il s’agit du CURIE Stop »
Signé : Accamé
07 Décembre 08h25
Le sous-marin est échoué par l’avant et par l’arrière et complètement sous l’eau. Il est impossible de vérifier les lettres du gouvernail. Suis allé à bord, mais n’ai rien trouvé pour certifié le nom. Tout a été démoli à coups de canon. Tout ce qui était transportable a été jeté à la mer par l’équipage après échouage. Trouvé sous l’eau un autre canon et quelques fusils de la manufacture d’armes de Saint Etienne. Sur la partie sortant de l’eau, où l’équipage s’était réfugié, trouvé quelques morceaux de lettres écrites en français, les cartes personnelles d’un nommé HOUDOUIN et un ruban de bonnet du JOULE.
7 Décembre 1915 21h30
Communiqué autrichien annonce que torpilleurs autrichiens ont détruit sous-marin FRESNEL. Commandant, officier en second et 26 hommes d’équipage sont prisonniers.
Le 27e homme de l’équipage, le quartier-maître mécanicien ROUMEGUERE était resté malade à l’hôpital de Brindisi.

8 Décembre 1915 De Commandant en chef 2e escadre à Attaché Naval à Cettigne
Il serait nécessaire de détruire à la dynamite le sous-marin perdu à l’embouchure de la Bojana pour rendre impossible son renflouement.
Signé Cutinelli
8 Décembre 1915 18h45
Attaché naval italien a demandé à Rome confirmation du radiotélégramme allemand.
Voici la réponse :
« FRESNEL était échoué quand il a été attaqué. La position donnée pour la flotte autrichienne est exacte. Deux petits vapeurs ont été coulés dont un de 390 tx et quelques tartanes. Les canons qui auraient ouvert le feu de terre ne peuvent être italiens. Preuve de l’inexactitude des communiqués autrichiens : un très grand voilier annoncé coulé le 23 Novembre était en fait le GALLINA, de 30 tx. »

Il existe trois rapports sur les circonstances de la perte du FRESNEL
1) Interrogatoire, probablement en Juillet 1918, du matelot cuisinier Pierre JULIEN, évadé le 23 Mai 1918
2) Interrogatoire le 14 Novembre 1918 du QM électricien Léon BARDON, évadé le 4 Novembre 1918 en compagnie de l’officier en second ZIEGLER.
3) Rapport du LV JOUEN à son retour de captivité fin 1918.
Les deux premiers récits rapportent les faits de façon assez identique à celle du commandant. Certains extraits concernent toutefois les conditions de captivité et sont intéressants. Nous garderons le récit du commandant pour la perte du sous-marin et la reddition. Voici ceux concernant la captivité.
Interrogatoire du matelot JULIEN
… A 09h00, le commandant tenta d’envoyer le berthon (nota : canot de sauvetage) avec quelques hommes pour avertir les alliés à Saint Jean de Medua. Le patron Lefrançois, le QM électricien Ducarme, le maître torpilleur Judet, le matelot électricien Ropers et l’ordonnance Protat y sont embarqués. Mais le berthon est aussitôt canonné et un obus éclate blessant mortellement Protat. Ducarme se jette à l’eau et disparaît. Judet et Ropers se sauvent à la nage sur un petit îlot. Lefrançois se couche au fond du canot pour protéger Protat et dérive vers le large. Il est recueilli avec le blessé par le NOVARRA….
Le WARASDINER et le HUSSARD envoient leurs vedettes armées de mitrailleuses autour de l’îlot. On crie en français « Rendez-vous ». Comme l’équipage refuse, on ouvre le feu au canon et à la mitrailleuse sur lui. Il riposte puis, voyant que la résistance est inutile, Jullien et Rannou jettent toutes les armes dans l’eau. Le canot du WARASDINER embarque tout le monde. Les Français sont bien traités sur ce navire et les officiers sont reçus au carré.
A Cattaro, le QM Protat est inhumé avec les honneurs militaires. Une délégation française et une délégation autrichienne suivent le cercueil. Trois couronnes de fleurs sont offertes : une par les marins autrichiens, une par les marins allemands et une par le navire amiral portant la mention « A nos ennemis braves ».
Après 30 jours de quarantaine à Graetz, les marins sont envoyés au camp de Deutsch Gabel, en Bohême, où ils sont traités humainement. La nourriture est toutefois détestable. Les colis sont souvent pillés. Il faut les envoyer une fois par mois, groupés dans une grande caisse, pour qu’ils arrivent intacts. On essaie de les faire travailler en usine, mais ils sabotent le travail et sont renvoyés au camp avec des jours de prison.
En 1917, Julien est envoyé en Galicie pour travailler aux champs avec 9 hommes des FOUCAULT, MONGE et CURIE. Il est employé par une institutrice polonaise très bienveillante, à laquelle il apprend le français. Il soigne aussi la vache et s’occupe des travaux du jardin. Un soldat surveille les prisonniers du village. Mais lui-même ne touche que 25 sous par jour et doit travailler durement pour gagner sa vie. Il laisse les prisonniers faire ce qu’ils veulent. Les gendarmes des environs sont des Ruthènes et détestent les Allemands.
Le 23 Mai, Julien s’évade avec Rouhaut et Olivieri. Sa patronne lui fait des adieux affectueux et lui donne 50 couronnes.
(Nota : on trouvera le récit de son évasion sur ce lien pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas)
Interrogatoire du QM BARDON
… Sur l’îlot, le QM Wolff fut blessé par une balle de mitrailleuse d’un avion qui était au dessus de nous. Le commandant donna alors l’ordre de reddition.
Nous fûmes très bien accueillis sur le contre-torpilleur et débarqués à Castelnuovo. Puis nous fûmes dirigés sur Zenica, à 40 km de Sarajevo, où nous souffrîmes de la faim et fûmes couverts de poux.
Dans la nuit du 31 Décembre 1915, nous fûmes envoyés à la gare de Zenica et très bien reçus par le chef de gare, Monsieur Urlep, qui nous donna du pain, ce que nous n’avions plus depuis 4 jours. Nous fûmes dirigés sur Graz où nous arrivâmes le 2 Janvier et où nous retrouvâmes l’équipage du MONGE qui venait d’être fait prisonnier.
Le 10 Février 1916, nous fûmes évacués sur Deutsch Gabel où nous fûmes très bien reçus par l’équipage du CURIE. Dans ce camp, la nourriture laissait à désirer :
- Légumes secs
- Carottes
- Betteraves
- 200 g de viande par semaine et par homme
Beaucoup de querelles avec un interprète allemand nommé Bruckner qui vivait à Paris avant la guerre et avait l’intention d’y retourner la guerre terminée.
En Mars 1918, envoyé au camp des officiers de Salzerbad. Très bien traité. Je n’ai jamais eu à me plaindre de mauvais traitements de la part des Autrichiens. Seule la nourriture était mauvaise, mais la population et les soldats étaient au même régime. On les voyait faire des soupes d’orties. Les soldats fumaient les feuilles des arbres. Nous avons été bien aidés par les 3 kg de biscuits que nous envoyait régulièrement la Fédération Nationale et par les colis de la Mission des Marins de Paris.
Peu avant l’armistice, il régnait un tel désarroi chez les Autrichiens que j’ai pu m’évader avec Monsieur Ziegler, officier en second du FRESNEL, et trois camarades. Nous avons gagné Trieste, puis Venise sur un torpilleur italien qui a accepté de nous prendre, et enfin Vintimille. L’autorité militaire nous a envoyés au 5e dépôt.
Cdlt
nota : à suivre prochainement, le rapport complet du LV JOUEN.