bonjour à tous
bonjour Stephan
j'aimerais apporter quelques éléments pour comprendre cet état d'esprit et ainsi nuancer ce que vous dîtes
je suis aussi bien mal "outillé" pour comprendre l'esprit de sacrifice total qui s'en dégage. Autres temps, autres moeurs, bien sûr.
le petit topo qui va suivre et que j'ai essayé de rédiger le plus clairement possible,peut aider à voir les choses différemment;
bien sûr,vous n'êtes pas obligé de me croire,mais sachez que je n'ai rien inventé.
le soldat de 14-18 est très vite confronté à la mort des autres,à la mort de masse et fatalement cela le renvoie à la pensée de sa
propre mort.
or,la confrontation à l'idée de mourir-parce qu'on vous l'a annoncé ou parce que les circonstances s'y prêtent- engendre systématiquement un processus psychologique dont les 5 étapes ont été décrites par
Elizabeth Kübler-Ross,une médecin et psychiatre américaine dont les travaux capitaux sur le "mourir" et le deuil,sont reconnus et enseignés au niveau international.
ce cheminement psychologique et profondément intime, est universel et intemporel;seule la durée de chaque étape est fonction des circonstances et de la personnalité,culture, vécu de l'individu.
connaissant bien ces étapes,si on l'applique au soldat de la 1ère guerre mondiale, voilà ce que cela donne:
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1ère étape:le choc
l'homme ne peut y croire,en même temps,il est submergé par l'angoisse de la mort,tout bascule,il se sent seul,différent des autres,notamment de ceux qui sont à l'arrière
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2ème étape:le déni
une fois le "choc" encaissé,l'homme refuse la réalité;cela ne peut pas lui arriver à lui,il entretient des projets,il fait "comme si" ,comme si tout était normal;c'est un mécanisme de défense important car cela permet de réaliser progressivement les choses et d'amortir l'impact de la dure réalité.
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3ème étape:la colère et la révolte
qui peut se résumer en 2 questions:
"pourquoi moi? pourquoi maintenant?"
plaintes,récriminations,violences verbales,l'homme a besoin de traduire son agressivité et sa colère, qui cachent en fait l'angoisse qui l'habite à la pensée de mourir.
phase où se situe la révolte contre Dieu,où l'incroyance surgit.
où maudir quelqu'un,quelque chose, est souvent exprimé.
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4ème étape:le marchandage,la négociation
conscient qu'il va mourir (ou qu'il risque de mourir),l'homme veut croire au miracle,espère envers et contre tout;cela traduit sa volonté de vivre et de mettre une distance entre lui et la mort
retour d'un sentiment de culpabilité pour des actes passés,retour spirituel,l'homme fait des promesses
"si je....,alors je...",il est prêt à tout pour survivre;petits rituels,gris-gris ou amulettes porte-bonheur trouvent là leur place
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5ème étape:la dépression
l'homme est souvent silencieux,replié sur lui-même;il accomplit un travail de deuil car il va perdre ceux qu'il aime
ses échecs passés sont réactivés,il déplore les pertes vécues,ses actes manqués
phase de désespoir,de pleurs,où les peurs plus ou moins refoulées et contenues par les mécanismes de défense précédents, s'expriment alors pleinement:
-peur issue de la perte de contrôle de la situation (au lieu d'éviter une situation mortelle,il y va droit dedans)
-peur du processus de la mort,souffrance,mutilation,devenir du corps;
-peur de l'inconnu,de "l'après",
-peur d'être seul au moment de mourir;
-peur de ce qui va arriver aux siens après sa mort;
-peur de la peur des autres;
-peur de l'absurdité et du non-sens de sa mort,comme de l'absurdité et du non-sens de sa vie
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6ème étape:l'acceptation
l'homme ne se débat plus à contre-courant mais ne désespère pas non plus;
il parle calmement de sa mort,avec paix;il souhaite prévenir et laisser des messages à ses proches
leur dire combien il les aimait,leur dire adieu pour qu'ils puissent continuer dans la vie sans lui,il veut laisser des recommandations et conseils pour le futur,il fait un testament..
il évoque ceux qui l'ont précédé,rêve de sa mère
avec ses compagnons,il parle de son souhait d'être inhumé et identifié et de son désir de transmettre une lettre,une pensée;
enfin,il donne un sens à sa vie et parfois
l'offre:à un idéal,à une cause,à Dieu,à la Patrie...d'où des dernières paroles très fortes.
cette dernière étape marque tout le temps l'esprit des témoins
pour y arriver,il faut du temps,certains y arriveront plus vite que d'autres
d'autres resteront bloqués à une étape intermédiaire
certains accompliront ou finiront ce cheminement alors qu'ils sont en train de mourir
d'autres n'en auront pas le temps,ou ne s'en rendront pas compte
et certains mourront en colère ou dans le pire des désespoirs.
pour terminer,je dirais que la seule vraie différence entre notre mentalité et celle de l'époque,se situe dans la notion de "belle mort"
-de nos jours,la priorité est donnée à l'absence de souffrances ou à la mort subite,sans qu'on en prenne conscience.
-à l'époque,c'était plutôt mourir chez soi dans son lit, entouré de proches,surtout ne pas être seul,le tout dans un contexte d'accompagnement familial,amical et social,avec également l'ensemble des rituels religieux entourant la mort (avant et après)
à part ça,nous sommes pareils à eux et dans les mêmes circonstances,pouvont être capables de prononcer des mots semblables sur des comportements identiques...ce n'est pas une question d'époque,de temps ou de moeurs différentes,
et la notion de sacrifice par l'individu lui-même est toute relative car elle est subordonnée à cette fameuse acceptation de mourir,que l'on ne peut que souhaiter à tous pour la paix de l'âme;
il n'en est pas de même des généraux (par exemple) qui ont
sacrifié des hommes qui n'étaient pas prêts à mourir..
en espérant n'avoir pas été trop ennuyeuse sur ce sujet délicat,
amicalement,
Mireille