( suite )
"......Léon a pu avoir quelques détails sur la mort d'Abel, il les donne debout sur la porte de l'étable, sans commentaires, tout simplement. Au point du jour Abel est sorti de sa tranchée avec " un de Sainte-Foi " pour aller relever un bléssé qui avait gémi la nuit entière et qui était un copain, mais avant d'avoir fait trois pas Abel est tombé sans un cri, sans un mot, les deux tempes trouées par une balle. Léonie écoute les deux mains posées sur ses hanches. Pauvre petit Abel si jeune et qui trouvait un si bon goût à la vie. Comme il dansait le soir d'été au pied des gerbiers pendant que celui du Bastié ( le Caillou ) jouait de l'accordéon. Comme il filait à Mirepoix sur sa bicyclette en se cachant un peu avec des mines d'amoureux sournois, et comme il a quitté tristement Malaquit la dernière fois. La brume d'automne remplissait les chemins et lui s'en allait avec l'air de mourir un peu à chaque pas.
..........On rapporte de Mirepoix une caisse en bois. Ce sont les derniers menus objets ayant appartenu à Abel, des riens auxquels il devait tenir beaucoup et qui reviennent de très loin. On pleure autour de la caisse comme devant un cercueil, ces pauvres choses qu'on prend une à une donnent tellement l'impression qu'il est mort. On trouve un miroir de poche, un paquet de tabac, un beau mouchoir rose tendre brodé ( par Elise sans doute ), un porte-monnaie qui contient encore quelques sous, la fortune d'Abel, des photographies, des lettres, ses secrets d'amoureux cachottier. Ce sera dans ces riens que son souvenir vivra le plus longtemps. On l'y retrouvera en exhumant de loin en loin un puéril trésor, puis ces reliques mourront elles aussi au fond de leur boîte et le pauvre petit Abel descendra alors très vite dans cet oubli immense d'après la tombe."
Cordialement.
Jean RIOTTE.
La mort d' un compagnon d'armes.
- Jean RIOTTE
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- Arnaud Carobbi
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Re: La mort d' un compagnon d'armes.
Bonjour à tous,
Merci monsieur Riotte pour tous ces témoignages très émouvants. J'ai été plus particulièrement touché par le dernier car je n'appartiens pas à une génération qui a pu rencontrer les anciens de ce conflit. Par contre, j'ai écouté les récits de ma famille, de la manière dont elle a vécu le décès de mon AGP. Et en lisant le dernier paragraphe, j'ai retouvé cette émotion que j'avais en regardant ma Grand-mère décrire l'histoire des derniers objets de son père. "Ce sera dans ces riens que son souvenir vivra le plus longtemps". Ma grand-mère les conservait précieusement, seuls liens, avec quelques photos, d'un père qu'elle n'a jamais connu (il est décédé deux mois avant sa naissance). Ces objets m'ont été transmis ainsi que leur charge émotionnelle. C'est ainsi que cet AGP continue d'être dans nos mémoires. Il n'est pas descendu "dans cet oubli immense d'après la tombe" et ce forum prouve que nous sommes nombreux à entretenir ce souvenir. Et à chérir ces objets.
Merci monsieur Riotte
Cordialement,
A. Carobbi
Merci monsieur Riotte pour tous ces témoignages très émouvants. J'ai été plus particulièrement touché par le dernier car je n'appartiens pas à une génération qui a pu rencontrer les anciens de ce conflit. Par contre, j'ai écouté les récits de ma famille, de la manière dont elle a vécu le décès de mon AGP. Et en lisant le dernier paragraphe, j'ai retouvé cette émotion que j'avais en regardant ma Grand-mère décrire l'histoire des derniers objets de son père. "Ce sera dans ces riens que son souvenir vivra le plus longtemps". Ma grand-mère les conservait précieusement, seuls liens, avec quelques photos, d'un père qu'elle n'a jamais connu (il est décédé deux mois avant sa naissance). Ces objets m'ont été transmis ainsi que leur charge émotionnelle. C'est ainsi que cet AGP continue d'être dans nos mémoires. Il n'est pas descendu "dans cet oubli immense d'après la tombe" et ce forum prouve que nous sommes nombreux à entretenir ce souvenir. Et à chérir ces objets.
Merci monsieur Riotte
Cordialement,
A. Carobbi
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Re: La mort d' un compagnon d'armes.
Bonjour
ce livre est dans ma bibliotheque , c'est un superbe temoignage de combattant .cdt Roger
ce livre est dans ma bibliotheque , c'est un superbe temoignage de combattant .cdt Roger
- Jean RIOTTE
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Re: La mort d' un compagnon d'armes.
Bonne fin d' après-midi à toutes et à tous,
En cherchant de la documentation j' ai trouvé cette lettre.
Il s' agit d' une correspondance du Chef de Bataillon Edouard Guasco, du 43ème RI, mort pour la France le 5 avril 1915, au bois de Pareid, dans la Meuse, à son frère Alexandre.
" ...... Quoi de plus touchant que l' inhumation de ce sous-officier tué avant-hier dans sa tranchée! Naturellement, il faut attendre la tombée du jour pour procéder à la cérémonie. Préalablement, quelques soldats sont venus me demander à quel endroit je désirais que le sous-officier fût enterré. Je désigne l' emplacement; ce sera ici, contre le talus de la route, au pied de ce grand sapin qui servira de point de repère si, plus tard, les parents veulent retrouver le corps de leur fils. Alors, dans le jour qui tombe, les piocheurs se mettent à l' ouvrage; l' excavation est faite; on y jette de la paille pour que le lit soit plus doux. On apporte le corps qu' on a retiré de la tranchée; des soldats, précédés de leurs officiers, l' accompagnent. Salut militaire des officiers et des soldats à leur chef de bataillon.
On dépose le corps à terre. Le capitaine se découvre, les soldats aussi. Le capitaine demande à un soldat de dire une prière. Tous se signent alors. Je me mets à genoux devant le corps et, pendant que le petit soldat dit le "Notre Père qui êtes aux cieux", la prière de son enfance, la seule qu' il ait retenue mais qu' il récite avec une émotion qui vous remue, je demande au Bon Dieu pour ce brave mort au Champ d' Honneur la paix éternelle. La prière est finie. Je me penche sur le cadavre et le baise au front. J' entends autour de moi des hommes qui sanglotent. Puis, le capitaine commande à voix basse, car il ne faut pas éveiller l' attention de l' ennemi: "Présentez armes! ". Les assistants font alors le cercle; on couche l' homme dans la tombe; chacun à son tour prend un peu de terre et la jette sur le corps en se signant. On plante la croix. Je me retourne avec mes hommes, je leur serre la main et chacun part de son côté. C' est chaque fois ainsi, quand l' ennemi nous laisse le temps de procéder à cette touchante cérémonie."
Sources: Histoire Contemporaine par trois indépendants. Tome 1: La france du sacrifice (1914-1916). Librairie des Beaux-Arts. Paris.
Cordialement.
Jean RIOTTE.
En cherchant de la documentation j' ai trouvé cette lettre.
Il s' agit d' une correspondance du Chef de Bataillon Edouard Guasco, du 43ème RI, mort pour la France le 5 avril 1915, au bois de Pareid, dans la Meuse, à son frère Alexandre.
" ...... Quoi de plus touchant que l' inhumation de ce sous-officier tué avant-hier dans sa tranchée! Naturellement, il faut attendre la tombée du jour pour procéder à la cérémonie. Préalablement, quelques soldats sont venus me demander à quel endroit je désirais que le sous-officier fût enterré. Je désigne l' emplacement; ce sera ici, contre le talus de la route, au pied de ce grand sapin qui servira de point de repère si, plus tard, les parents veulent retrouver le corps de leur fils. Alors, dans le jour qui tombe, les piocheurs se mettent à l' ouvrage; l' excavation est faite; on y jette de la paille pour que le lit soit plus doux. On apporte le corps qu' on a retiré de la tranchée; des soldats, précédés de leurs officiers, l' accompagnent. Salut militaire des officiers et des soldats à leur chef de bataillon.
On dépose le corps à terre. Le capitaine se découvre, les soldats aussi. Le capitaine demande à un soldat de dire une prière. Tous se signent alors. Je me mets à genoux devant le corps et, pendant que le petit soldat dit le "Notre Père qui êtes aux cieux", la prière de son enfance, la seule qu' il ait retenue mais qu' il récite avec une émotion qui vous remue, je demande au Bon Dieu pour ce brave mort au Champ d' Honneur la paix éternelle. La prière est finie. Je me penche sur le cadavre et le baise au front. J' entends autour de moi des hommes qui sanglotent. Puis, le capitaine commande à voix basse, car il ne faut pas éveiller l' attention de l' ennemi: "Présentez armes! ". Les assistants font alors le cercle; on couche l' homme dans la tombe; chacun à son tour prend un peu de terre et la jette sur le corps en se signant. On plante la croix. Je me retourne avec mes hommes, je leur serre la main et chacun part de son côté. C' est chaque fois ainsi, quand l' ennemi nous laisse le temps de procéder à cette touchante cérémonie."
Sources: Histoire Contemporaine par trois indépendants. Tome 1: La france du sacrifice (1914-1916). Librairie des Beaux-Arts. Paris.
Cordialement.
Jean RIOTTE.
- Yvick Herniou1
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Re: La mort d' un compagnon d'armes.
Bonjour à Tous,
Bonjour Jean,
Bravo et merci pour ces remarquables témoignages !! Quelle dimension humaine !
Cordialement,
Yvick Herniou
Bonjour Jean,
Bravo et merci pour ces remarquables témoignages !! Quelle dimension humaine !
Cordialement,
Yvick Herniou