Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

ALVF
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

Message par ALVF »

Bonjour,

Les documents relatifs à l'affaire Dreyfus sont désormais presque tous en ligne ainsi que les compte-rendus des débats des différents Procès de 1894 à 1906.
La question de la "valeur" militaire des pièces énumérées dans le "Bordereau" a fait l'objet d'interprétations fort différentes lors des débats. Pour simplifier, deux grandes théories s'affrontent:
-les pièces citées au Bordereau n'ont que bien peu de valeur et ne révèlent que des renseignements militaires de second ordre. C'est la position du général de division de l'artillerie de marine Sébert et de trois autres artilleurs renommés.
-les pièces ont une grande valeur et sont particulièrement secrètes à l'époque de la rédaction du Bordereau (1894). C'est la position du général Mercier, ministre de la guerre en 1894 et du général Deloye, Directeur de l'artillerie, dont les déclarations provoqueront son éviction dès l'arrivée du général André au Ministère.
Il est de bon ton d'affirmer que le "canon de 120" évoqué au premier alinéa du bordereau n'est qu'un matériel médiocre.
En fait, le canon de 120 C modèle 1890 est un matériel révolutionnaire en son temps car il s'agit du premier matériel lourd équipé d'un frein hydraulique permettant un tir à peu près trois à quatre fois plus rapide que les pièces en service dans toutes les Armées de l'époque.
Conçu par le capitaine Locard et achevé à Bourges par son adjoint le capitaine Baquet, le canon de 120 C, d'abord appelé d'abord "120 léger" s'inscrit dans un contexte stratégique entièrement nouveau:
-sous l'impulsion de ministres "républicains", notamment Freycinet, la doctrine d'emploi de l'Armée française, défensive depuis 1872, devient résolument offensive. Le plan de mobilisation en vigueur à partir de 1889 est grandiose, il s'appuie sur une Armée française mobilisée à 38 Corps d'Armée (20 Corps actifs, y compris le Corps formé par les troupes de la Marine, et 18 Corps d'Armée de réserve mobilisés).
-le rôle de l'artillerie est important, outre des pièces d'artillerie de campagne, chaque Corps d'Armée devra posséder 2 batteries de 6 canons courts de 120 mm destinés à briser la fortification passagère du Champ de Bataille. Ces canons de 120 C devront posséder une mobilité égale à celle des matériels de l'artillerie de campagne.
-l'ensemble de ces 38 Corps d'Armée formeront 9, voire même 10 Armées, dans les Plans de mobilisation du début de la décennie 1890.
Le canon de "120 léger" est donc un instrument de l'offensive et est classé matériel d'artillerie lourde de campagne à la date de son adoption, prononcée le 5 octobre 1891 sous l'appellation de "120 C modèle 1890".
Au début de 1892, des copies des Procès-verbaux n° 1 et 2 des essais du 120 C par la Commission de Calais sont dérobées à la Direction de l'Artillerie de Marine, destinataire en copies de ces 2 PV relatant les essais, les caractéristiques et le schéma du frein du 120 C. L'auteur de ce forfait est arrêté et condamné à 20 années de prison (affaire Greiner).

Revenons au Bordereau de 1894:

-le 1er paragraphe stipule "Une note sur le frein hydraulique de 120 et la manière dont s'est conduite cette pièce". Le général Sébert, lors des procès de Rennes affirmera qu'il ne peut s'agir que du frein hydraulique du vieux canon de forteresse de 120 de Bange ce qui paraît impossible car tous les pays du monde disposent de freins hydrauliques pour leurs canons de forteresse, appareils très simples, connus depuis des décennies et décrits en détail dans d'innombrables livres. Le général Deloye affirmera pour sa part le caractère tout à fait secret du frein hydraulique du 120 C modèle 1890, mis en service depuis peu dans l'artillerie française à l'époque de la rédaction du Bordereau. Notons d'ailleurs que les "Carnets" de Schwartzkoppen indiquent clairement que le matériel visé au Bordereau est bien le 120 C modèle 1890.

-au 3e paragraphe, le bordereau évoque "une note sur une modification aux formations de l'artillerie". On sait aujourd'hui par une des pièces du" Dossier Secret" qu'il s'agit de l'attribution de 120 C à la 9e Armée (note récupérée "par la voie ordinaire" après la condamnation du capitaine Dreyfus mais datant de 1893). Cette "9e Armée" est appelée à jouer un grand rôle en cas d'offensive à cette époque.

-au 4e paragraphe, le bordereau évoque "une note relative à Madagascar". Cette pièce n'est pas précisée exactement mais il faut noter que l'expédition préparée en 1894, pour une intervention l'année suivante à Madagascar, comporte une nouveauté en matière d'emploi de l'artillerie. L'expédition, outre ses canons de 80 de montagne et de 80 de campagne, sera en effet dotée d'une batterie de 120 C modèle 1890, réduite à 4 pièces, placée sous l'autorité technique de son créateur, le capitaine Baquet, affecté à l'expédition en qualité de responsable du Parc d'Artillerie.

Le 120 C apparaît donc en filigrane dans 3 sur 5 des paragraphes du "Bordereau". Ce canon joue donc un rôle certain dans les préoccupations de l'attaché militaire allemand à une époque où l'artillerie allemande ne dispose d'aucune pièce lourde de campagne car ses lourds obusiers ne peuvent suivre l'infanterie à la différence du 120 C modèle 1890.
Certes, en 1914, tout changera: l'Armée allemande disposera d'obusiers légers et lourds au sein de ses Corps d'Armée (dont beaucoup sont des Corps de Réserve mobilisés) alors que l'Armée française ne disposera d'aucun matériel lourd au sein de ses 21 Corps d'Armée et que ses Divisions de Réserve sont jugées peu aptes à la guerre de campagne.
Pour terminer, il faut tout de même noter que le 120 C modèle 1890 est encore en service dans l'Armée française mais dans 4 des 5 Régiments d'Artillerie Lourde, affectés aux Armées. Certes, il est démodé, manque de portée mais il servira encore jusqu'en 1916 sur le front occidental et jusqu'en 1918 dans l'Armée d'Orient.
Un dernier point, j'ai voulu consulter les PV n°1 et n° 2 de la Commission de Calais relatant les essais du 120 C aux archives du C.A.A à Châtellerault. Il y a bien la série des PV à partir du n° 3 mais une note manuscrite indique que ces deux PV n°1 et n° 2 ont été envoyés à la Brigade d'Artillerie car "demandés d'urgence par le Ministre de la Guerre le 28 février 1892". Intéressante conséquence de l'affaire Greiner ou prélude à "l'affaire"?
En tout cas, voilà une photographie d'un canon de 120 C modèle 1890, prise à Mailly en août 1904 lors d'une école à feu: un beau matériel, véritable obusier léger, venu peut-être trop tôt et maintenu en service trop tard!
Image
Canon de 120 C modèle 1890 à Mailly en août 1904.
Cordialement,
Guy François.
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Poterne
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

Message par Poterne »

Bonjour,

Ce petit mot pour vous remercier pour cette contribution que je trouve aussi pertinente qu'intéressante.

Bien cordialement.

JM Balliet
ALVF
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

Message par ALVF »

Bonjour,

Merci pour votre appréciation relative à cette contribution!
Cordialement,
Guy François.
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IM Louis Jean
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

Message par IM Louis Jean »

Bonjour à toutes et à tous,

Le texte ci-dessous est intéressant à plus d'un titre :

Déposition du général Deloye devant le Conseil de Guerre de Rennes (7 août-9 septembre 1899) :

<< On introduit M. le général Deloye, Denis-Francois-Félix, général de division, directeur de l'artillerie au ministère de la guerre, 62 ans.

.../...

Le général Deloye. — M. le général Gonse m'indiqua comment on s’était procuré cette pièce et il m'invita, de la part de M. le général de Boisdeffre, à chercher par le moyen des écritures
ou par d'autres moyens à en découvrir l'auteur. II pensait que cet auteur pouvait être recherché parmi les officiers du ministère ou des services annexes.

J'ai le souvenir parfaitement net de mes impressions à cette époque et je me rappelle très bien qu'a ce moment cette opinion me parut être l'évidence même. II y avait pour me donner cette
impression l’énumération des matières énumérées au bordereau et une foule d'autres raisons. Le Conseil en connait quelques-unes et j'en ai quelques autres que le Conseil ne connait pas ; mais le temps du Conseil est précieux et je ne reviendrai pas la-dessus.
Depuis, la réflexion m'a confirme dans cette opinion ; je suis persuadé encore pour une foule de raisons qu'il fallait chercher l'auteur du bordereau au ministère ou dans ses environs immédiats.
(Mouvement.) Avec cette conviction, je recherchais, j'ai fait même la comparaison des écritures de toutes les personnes sous mes ordres. J'allais de temps en temps rendre compte au général de Boisdeffre et j’étais obligé de lui dire : « Je n'ai rien encore. » II m'engagea à continuer, puis, au bout d'un certain temps, j'ai appris qu'une arrestation avait été faite. Alors j'ai considéré ma mission comme terminée et, pour m'occuper de l'affaire, j'ai attendu d'y être appelé de nouveau. Au moment du procès Zola, j'ai eu à fournir, par ordre du ministre, diverses explications, soit verbales, soit écrites, au sujet de telles ou telles questions, entre autres sur le frein hydraulique, sur les obus et sur une foule d'autres questions qui n'ont pas une importance particulière.

Je passe à la dernière circonstance. Au mois de février de cette année 1899, j'ai été appelé par le ministre de la guerre qui était alors M. de Freycinet. Le ministre m'a communiqué un certain
nombre de passages d'une déposition d'ordre technique, qui avait été faite devant la chambre criminelle ; il m'a demandé de lui rechercher, au moyen des documents que je pouvais posséder et des ressources qui étaient à mon service, ce qu'il fallait penser des diverses affirmations qui étaient contenues dans cette déposition.

Je me suis mis au travail, mais, pour ne pas me borner à mes seules ressources, j'ai fait adresser une lettre ministérielle au général Ligne... (nom mal entendu). Je l'ai invité à faire faire des
recherches par la section technique. La section technique a procédé à ces recherches, son travail a été adresse par le général au ministre, et ses conclusions se sont trouvées absolument d'accord avec les miennes. J'ai donc été en mesure de donner au ministre mes appréciations et je les lui ai formulées en ces termes :

Dans la déposition dont il s'agit, il y a un certain nombre de points qui sont matériellement et manifestement inexacts : il y en a un plus grand nombre ou les inexactitudes sont moins palpables, mais qui, telles qu'elles sont, sont de nature a donner à des esprits insuffisamment préparés sur ces matières, une impression qui n'est pas celle de la réalité, et qui est quelquefois opposée a celle de la réalité.

Ayant donné cette appréciation au ministre, en lui indiquant les passages de la déposition qui paraissaient critiquables, le ministre me donna l'ordre de faire une note sur ce point, note que je lui fournis et qu'il a jugé ensuite bon de faire communiquer à la Cour de cassation. Cette note doit être au dossier de l’enquête.

Je n'ai absolument qu'à m'y référer ; je n'ai rien à dire de plus, à moins que le Conseil ne juge utile de me questionner.

Le président. — Voulez-vous nous donner quelques explications sur les différentes questions de cette note? Le canon de 120 court a-t-il a été connu de l’étranger dans tous ses détails, fin 1890, grâce à la trahison?

Le général Deloye. — J'ai indique dans cette note que le sieur B... avait été arrêté et condamné le 20 aout 1890. Quand le bordereau est arrivé, il y avait longtemps que Boutonnet avait été
mis hors d’état de nuire. A cette époque-là, il y avait à la section technique où était cet employé infidèle un très petit nombre de documents concernant le 120; ces documents n’étaient pas, dans tous les cas, des documents qui puissent donner des renseignements très positifs aux deux points de vue utiles, à savoir : d'une part, en quoi consistait bien le frein du 120 au point de vue de sa construction ; d'autre part, quelle était l’utilité que pouvait présenter au point de vue pratique une machine de cet ordre-là.

Vous savez qu'en définitive la question de l’utilité d'un frein au canon de campagne est à l’étude depuis ce temps-la et y est encore; il y a des officiers d'artillerie qui pensent qu'il ne faut pas compliquer le matériel de guerre, qu'il faut le laisser absolument sans toutes ces complications qui sont des sujets de dérangement; il y en a d'autres, au contraire, qui disent : la série du matériel est maintenant épuisée, on est arrive au bout de tous les perfectionnements ; avec le matériel rustique, il faut aller plus loin et accepter certaines complications comme rachat d'un perfectionnement plus grand et permettant de faire plus grand.

Mais à quelles conditions faut-il accepter ces inconvénients ? Quels sont-ils en réalité? Quelle sujétion vous imposent-ils? Pour quels avantages? Voilà la question qui peut intéresser une puis-
sance étrangère.

Eh bien, je dis que les documents que j'ai étudiés ne permettent pas à quelqu'un de répondre a cette question. Ce qu'on fait, ce sont des schémas, ce sont des principes du frein. Or cela est très joli, mais on vous donnera le principe de la machine à vapeur en vous disant qu'on fait venir de l'eau dans une machine bien fermée, qu'elle a des tuyaux, des pistons et une cheminée pour l’échappement de la vapeur. Mais vous pouvez chercher longtemps avant de l'avoir faite.

On en était à des questions purement théoriques, les communications qui ont été faites aux corps et aux divers services pour les expériences ont été des communications générales : on donnait à chacun des notions, des renseignements sur la manière dont la pièce allait. Voila tout ce qu'on a pu avoir comme renseignements, et pas autre chose.

En 1894, les expériences ont été faites sur une certaine étendue. Dans le printemps de 1894, à partir du mois d'avril, le frein du canon de 120 court avait été essayé dans huit écoles d'artillerie (j'ai les noms de ces écoles dans ma serviette, je ne m'en souviens pas de mémoire), d’après un programme qui avait été élaboré par le cours pratique de tir, au mois de février 1894.

Voilà à peu près la notoriété qu'avaient les affaires du 120 court à ce moment. Le Conseil a-t-il besoin d'autres explications sur le 120 court?

Je pourrais ajouter pourtant un mot. II y a du matériel de 120 court à Rennes, il y en a des batteries en service ; il y a même, je crois, parmi les membres adjoints du Conseil de guerre, un officier qui commande une de ces batteries. Je donne ce renseignement à ses collègues. D’après les notions qu'il a aujourd'hui encore sur l’intérieur du frein, on verra bien ce qu'on pouvait en connaître en 1894.

Le président. — Voulez-vous passer a la question suivante, celle relative au frein hydro-pneumatique ?

Le général Deloye. — J'ai, dans ma note, donne quelques indications sur ce qui s’était passé au sujet du secret du frein. Le frein est en effet de l'invention du commandant Locard ; le commandant tenait à ce secret d'une façon très nette ; il en avait fait une sorte de condition, il ne le donnait qu'a bon escient, et je crois que c'est le général Mercier qui l'a dit dans sa déposition : je l'ai dit dans ma note aussi.

Lorsque plus tard, les études s'appliquant a d'autres matériels, on s'est reporte a d'autres précédents, aux solutions analogues du même problème, lorsque le colonel Debort a étudié le frein, il a fallu un ordre ministériel pour lui faire voir ce frein. Il est allé à Bourges en vertu d'un ordre donné par ordre du ministre. Un ordre corrélatif avait été donne à Bourges de le recevoir. Ce n’était pas une affaire de rituel, c'est bien exactement comme cela : on ne voit pas les affaires dans nos établissements et les officiers sont invités à ne rien laisser sortir de leur service non seulement sans nécessité, mais sans ordre. C'est une chose certaine que personne n'a pu avoir connaissance du dispositif de ce frein alors qu'il n’était pas qualifié pour cela, qu'il n'avait pas des ordres pour en savoir plus.

Le président. — Cette expression de frein hydro-pneumatique était-elle rigoureuse ou employait-on au besoin l'expression de « frein hydraulique ? »

Le général Deloye. — Hydro-pneumatique est plus vrai, c'est certain. Vous savez qu'on lâche quelquefois une expression un mot, qu'on peut faire un lapsus ; il est certain qu'hydro-pneu-
matique est la seule expression réelle. Pourtant il faut dire que nous sommes au début ; la pièce n'est pas beaucoup connue ; les théories sont à peine à l’état d’ébauche, un mot a pu passer pour un autre ; je n'en fais pas une grosse affaire, d'autant plus que dans la pratique courante on dit 120 aussi bien que 120 court, quand il est entendu qu'il s'agit d'un canon de campagne. Je relève dans ma note des cas d'officiers qui, sur des documents anciens, avaient dit 120, sans plus, pour dire 120 court, et même dans une note du Comité que j'ai eu l'occasion de voir hier ou avant-hier, et qui est, je crois, entre les mains de M. le général Chanoine, il y a le mot 120 pour désigner infailliblement le 120 court; c'est dans un avis officiel du Comité. Ce sont des choses qui ne sont pas l'expression absolument rigoureuse, mais qui sont dans le domaine courant.

Le président. — Le bordereau dit : « Le frein hydraulique du 120. » Des personnes ont cru qu'il s'agissait du frein du canon de campagne. Y avait-il longtemps qu'il était en service ?

Le général Deloye. — Oh ! cela remonte jusqu’à 1883. C'est un frein qui n'est pas de l'artillerie ; il a été imaginé par la maison de Saint-Chamond. C'est un bon frein; mais c'est autre chose; il
s'agit d'un canon de siège ; ce n'est pas difficile de constituer un frein de canon de siège. Vous avez le sol, vous y mettez un pivot, vous tirez dessus, vous êtes sûr que cela s’arrêtera puisque cela tient a la terre; mais le problème est autre quand il s'agit d'avoir un canon qu'on doit transporter partout, qui doit sauter les fossés, et quand il faut trouver un organe qui le fixe au sol à un moment donné, quand vous voulez, et qui ne le fixe plus après : c'est tout-a-fait un autre problème. Celui-la a été résolu, et tous les canons de siège de toutes les puissances étrangères sont maintenant constitués avec des freins fixes. On n'en est pas encore là pour les canons de campagne.

Le président. — Le matériel Baquet a-t-il été adopté en 1890 sous le nom de matériel de 120 léger, modèle 1890?

Le général Deloye. — Non, non ; il a été adopté , si je ne me trompe, à la suite d'un avis du Conseil supérieur de la guerre qui est du 5 octobre 1891, on lui a donne le nom de modèle 1890; c'est courant dans l'artillerie, et vous savez bien, vous autres qui en êtes pour la plupart, qu'à tort ou à raison nous ne travaillons pas vite; nous avons quelquefois une idée creusée, étudiée en 1890 ; cela parait à peu près arrêté, et cela n'a pourtant vraiment pas de figure, cela n'est définitif qu'en 1891, 1892, 1893, et même bien plus tard.
Nous en avons un exemple récent dans le matériel qui vient d’être mis en service qui porte le titre de matériel modèle 1897 ; je m'adresse ici aux officiers du conseil qui savent bien ce qu'en 1897 on pouvait savoir de ce matériel. Assurément on n'en savait rien; pourtant ce matériel est dit du modèle 1897.

Le président. — Le millésime qui entre dans l'indication d'un modèle d'arme ou de matériel implique-t-il l’idée que ce matériel ou cette arme étaient connus des officiers, à l’époque marquée
par ce millésime?

Le général Deloye. — Je viens de répondre d'avance a cette question : Lorsque l'affaire est vérifiée dans ses grandes lignes, et qu'il n'y a plus qu'à la mettre au point, qu'il est inévitable qu'elle soit mise au point, que l'adoption en est prévue, dès cette époque on constitue un dossier et, pour le distinguer d'un autre peut-être similaire, on lui donne la date du millésime.

Le président. — La question suivante est celle-ci : « Quelles sont les tables de construction du matériel de 120 court distribuées aux établissements de l'artillerie en 1892? »

Le général Deloye. — Ici il faut faire une distinction. II y a dans le canon de 120 court, comme dans tout le matériel, des parties qui ont pu être faites avant d'autres. II y a l'affût, il y a la
roue ; tout cela était fait ; des tables de construction ont pu être faites en 1891 ou 1892, c'est bien possible ; pour l'affût du 120 court, modèle 1890, il y a pu avoir des tables de construction faites peut-être en 1891 ; mais les tables de construction de l'affût et de son frein n'ont jamais été faites, je peux le certifier au Conseil. Des dessins ont été demandes par le Président du comité, qui était alors M. le général Lavocat, pour pouvoir étudier plus à l'aise le matériel, au moment ou on allait prendre une détermination. On a demandé à Bourges des dessins comme ceux qui auraient été fournis pour établir les tables de construction. Ils ont été demandé, si je ne me trompe, en mars ou mai 1894 ils sont partis le 29 mai de la fonderie de Bourges, ils sont arrivés au ministère le lendemain ou le surlendemain, et donnés à la section technique de l'artillerie seulement le 7 juin 1894; ils n'en sont pas sortis pour aller dans les ateliers; ils sont allés dans les bureaux du président et de ses adjoints immédiats pour être étudiés, et n'ont jamais été transformés en tables de construction, et n'ont pas paru dans les ateliers. Actuellement ils sont dans mon bureau; il n'a jamais été établi de tables de construction.

A ce sujet je dois dire pourtant que dans l'artillerie nous sommes, si l'on peut s'exprimer ainsi, saturés de tables de construction ; nous en faisons pour tout, pour une brouette, pour un levier de pointage, et même lorsque les objets doivent être confectionnés dans un seul et même établissement, parce que les hommes se renouvellent, ils vont et viennent, et il faut un texte qui nous garantisse contre les désastres qui résulteraient en cas de guerre de parties du matériel qui ne s'assembleraient pas. C'est pour cela que l'on fait des tables de construction.

Le président. — Quels sont les renseignements donnés dans le cours de l'Ecole d'application professé en 1892-1893, au sujet du matériel de 120 court.

Le général Deloye. — J'ai relu ce cours; ce sont des renseignements théoriques, généraux ; on indique les positions relatives du canon, du cylindre, du frein et du récupérateur dans un schéma. Mais sur la façon dont cela peut marcher, il n'y a rien, comme je le disais tout à l'heure, il n'y a rien ; la grosse question c'est toujours de savoir quelles sont les actions que l'introduction de ce nouvel engin va nous imposer pour faire la guerre. Or s'il est très joli d'avoir un perfectionnement, encore faut-il savoir ce qu'il coûtera.

Le président. — Est-il exact que dans une conférence faite à Saint-Cyr en 1892 se trouve une description du frein hydro-pneumatique du commandant Locard?

Le général Deloye. — Je réponds absolument dans les mêmes termes que dans ma note; j'ai vu cette conférence, je l'ai eue en mains; je puis affirmer qu'il n'y a rien qui permette de répondre à la question comme je l'ai posée.

Le président. — A quelle époque le règlement du 120 court a-t-il été mis dans le commerce?

Le général Deloye. — Je pense que c'est en 1895, mais j'aurais besoin de mes notes pour l'affirmer. Je suis, monsieur le Président, un peu doctus cum libro, j'ai des archives, je les consulte. Je crois pouvoir donner la date de 1895, sous réserve d'un défaut de mémoire.

Le président. — La publication du règlement est de 1895, mais les rapports sur les essais sont parvenus au ministre en octobre 1894. La description du frein de 120 court figure-t-elle dans les règlements vendus dans le commerce?

Le général Deloye. — La description y figure sous les réserves que je vous ai dites. On ne pourrait avec ces renseignements reconstituer le frein. D'ailleurs j'en reviens toujours au même
point, ce qu'il importe de savoir, c'est à quoi une amélioration que vous réalisez va vous obliger, et ce que vous allez être oblige de subir, comme entretien, comme raccommodage, etc.

Le président. — Le règlement sur le matériel de 155 court contient-il des renseignements sur le frein hydro-pneumatique?

Le général Deloye. — Ma réponse est dans le même ordre d’idées que précédemment.

Le président. — Le frein du canon de 120 court a-t-il été soumis en 1894 a des expériences qui auraient pu inspirer l'auteur de la note?

Le général Deloye. — J'ai eu l'honneur de dire au Conseil tout à l’heure qu'en février 1894 il y a eu des cours pratiques de tir à Poitiers, où l'on a fait des expériences en vue de constituer une sorte de méthode de tir provisoire; sur cette méthode, des écoles à feu ont dû avoir lieu dans huit écoles d'artillerie, c'est-a-dire dans huit brigades. Elles ont eu lieu au Mans, à la sixième
brigade, etc... je ne me souviens bien nettement que de celles du Mans. Ces expériences-là ont eu lieu depuis le 20 avril 1894 jusqu'au mois d'août, je crois.

Le président. — Est-il vrai que des notes de la troisième direction ne vont jamais à l'Etat-major général?

Le général Deloye. — Au contraire, monsieur le Président; je suis parti de Paris avant-hier, je suis sûr qu'il y en a qui sont déjà allées à l'Etat-major, sous la signature de mon suppléant; c'est
courant, nous sommes en correspondance journalière avec l'Etat-major. Comment voulez-vous que les relations verbales sur les choses que nous avons à faire ensemble suffisent? II y va des notes tous les jours.

Le président. — Comment expliquez-vous qu'un agent étranger n'ait pu avoir avant 1894 de renseignements sur le frein du 120?

Le général Deloye. — II faut distinguer; il y a renseignement et renseignement. L’étranger a une manière de demander ses renseignements; tantôt il les demande pour les connaitre, tantôt il
les demande aussi comme recoupements, pour juger son espion; c'est très fréquent, cela. Quant aux espions, ils peuvent se ranger, comme tous les donneurs de renseignements, en trois catégories : d'abord celui qui ne sait pas ou qui ne sait presque rien, qui en tout cas ne sait pas où en est la question, c'est le plus grand nombre; celui-la donne des renseignements qui ne valent pas grand-chose, à moins que le hasard ne le serve ; maintenant, il y a celui qui est en mesure par sa situation de vous donner un document officiel. Ah! c'est la une chose intéressante : le document officiel est fait pour le service, il doit être compris, il est plus clair, on le reconnait tout de suite; il peut être fourni par un planton, un scribe, un domestique à gages, un commis infidèle, même quelquefois par des personnes d'une situation plus relevée, mais enfin ce sont des gens qui ont accès auprès du document officiel. Mais le document officiel s'adresse a des services spéciaux, qui ont toutes facilités pour le comprendre; il ne traite qu'un point très limite, pour être précis. Pour le reste de la question, il ne sert à rien, il faut que vous interprétiez les trous, les lacunes par votre imagination; de là un danger.

Mais si vous avez quelqu'un qui soit place à la source, qui puisse vous donner le fort et le faible, la substance, la moelle de ce qu'il y a dans ce document officiel, c'est le rêve. C'est un grand seigneur, celui-là; il est effectivement dangereux.

Comment se fait-il qu'avant 1894 une puissance étrangère n'ait pas pu se procurer un renseignement de cette sorte? C'est parce que les documents officiels n’étaient pas très nombreux. On a distribué quelques règlements, ce qu'il a fallu pour faire les manoeuvres. Quant aux renseignements des petits malheureux, qui ne savent rien, qui vous vendraient la gâchette d'un fusil, on n'en peut rien tirer et je ne sais pas si on n'avait pas encore trouvé le gros seigneur dont j'ai parlé.

Le président. — Le frein du canon du 120 court est-il le seul renseignement qui, en 1894, pouvait intéresser un officier étranger?

Le général Deloye. — Non, il y a deux choses qui pouvaient l’intéresser : 1° l'objet, 2° une appréciation indiquant les avantages et les charges que l'on va assumer. C'est là le point qui peut
intéresser une puissance étrangère; voilà la solution dont elle a besoin et ce qui constitue le bon renseignement. Du moment qu'un problème technique a été résolu par une puissance ou par une personne, il est également soluble pour les autres et cela souvent de bien des manières. Mais le fait important à savoir, c'est si le problème a été bien résolu d'une façon pratique pour la guerre.

Le président. — Dans le langage courant des artilleurs, dit-on : « cette pièce s'est conduite de telle ou telle manière », ou bien : « s'est comportée »?

Le général Deloye. — Je ne fais pas de différence entre les deux expressions, et vous savez, monsieur le Président, que nous ne sommes pas des orateurs.

Le président. — L'artilleur a-t-il pu dire en 1894 hydraulique au lieu du mot hydro-pneumatique, en parlant du frein?

Le général Deloye. — Oui, c'est un lapsus. Je suis persuade qu'il voulait dire hydro-pneumatique, et qu'il aurait mieux fait d'employer cette expression.

Le président. — Le bordereau parle de » formations d'artillerie » ; de quelles formations s'agit-il?

Le général Deloye. — Dans ma réponse j'ai dit, si je m'en souviens bien, que pour répondre d'une façon tout à fait précise et certaine il fallait voir la pièce, mais que pourtant ce qui me paraissait le plus probable c'est qu'il s'agissait des formations nouvelles qui ont pu être faites dans les corps d'artillerie, dans la mobilisation, par suite de la suppression de batteries, et de la création de batteries correspondantes qui ont alors été réparties d'une autre manière, et qui ont amené une modification d'ordres tout à fait radicale. Nous avons eu a ce propos une correspondance volumineuse avec l'Etat-major. C'est là qu'il en est arrivé des notes!

Et j'ai dit dans ma réponse au questionnaire qu'il fallait que par une note particulière tout soit bien arrêté, convenu ; on m'a répondu : nous sommes bien d'accord, et alors on a fait une longue note qui énumérait toutes les formations, tous les changements. Cette note, c'est l'Etat-major qui nous l'a passée comme une sorte de certificat destiné à bien préciser la marche que nous devions suivre.

Si naturellement quelqu'un à l'Etat-major de l’armée a eu cette longue correspondance, cette correspondance présentait pour lui le plus grand intérêt, car la note en question indiquait la nouvelle manière dont l'artillerie allait être groupée.

Le président. — Le manuel d'artillerie (je parle naturellement de celui de 1894), était-il confidentiel et était-il destine aux officiers dans les corps de troupe et à l'Etat-major de l’armée?

Le général Deloye. — Le manuel de tir en question est un projet qui était fait sur des données toutes nouvelles ; ces messieurs du conseil sont certainement au courant de ces questions. Et il a été envoyé en petite quantité dans les corps de troupe; si je me rappelle bien, c’était d'abord trois par batterie qu'on devait envoyer. On ne tenait pas à multiplier les documents, mais cependant on pensait bien qu'on en était un peu trop économe en procédant ainsi, mais il y avait impossibilité de fournir a l'impression, le manuel en temps utile, par suite de l’époque tardive à laquelle il avait été arrêté. Eh bien, le manuel fut envoyé avec une lettre qui disait que ce document était confidentiel.

Les exemplaires ne furent pas numérotés; mais ce que je puis dire, c'est que le bordereau d'envoi portait « confidentiel » et, quand le manuel de 1895, qui présentait très peu de différence avec celui de 1894, fut envoyé, l’année d’après, on réclama les exemplaires de 1894.

Le président. — Avez-vous quelques renseignements à nous donner sur les projets de manuel de tir qui ont été mis à la disposition des bureaux de l'Etat-major ?

Le général Deloye. — Oui. Je sais que nous avons envoyé un très petit nombre de projets de manuel au bureau de l'Etat-major de l’armée.

Je sais ensuite, et j'ai retrouvé la trace de cet incident dans une mention au crayon sur un bordereau d'envoi, qu'un officier de l'Etat-major est venu nous dire : « Mais les stagiaires vont aller aux écoles à feu, et ils n'ont pas de manuel, vous ne nous en avez pas envoyé assez. »

On en avait adressé un pour le chef de l'Etat-major et un pour quelques personnages. II y en avait donc très peu.

On en a alors envoyé dix, si je m'en souviens bien, pour une vingtaine de stagiaires.

Sur la minute du bordereau d'envoi, de ces dix exemplaires envoyés à l'Etat-major, il y a une mention inscrite au crayon de la main de l'officier qui était chargé de faire cet envoi et qui dit :
« Sur la demande verbale de l'Etat-major. » II ne dit pas de qui, mais on a pensé que c’était du commandant Jeannel.

Le président. — Et pour les officiers de la réserve et de la territoriale ?

Le général Deloye. — Oh non, il n'y en avait pas assez.

Le président. — Est-il exact que le shrapnel allemand de 1891 ne présente aucune analogie avec l'obus Robin?

Le général Deloye. — Ces projectiles étrangers présentent au contraire la plus grande analogie, une analogie telle, c'est qu'on ne connait pas de projectiles d'autres puissances étrangères qui
soient fondés sur le même principe. Le principe de cet obus consiste essentiellement dans ce fait que les balles qui constituent la partie active du projectile sont maintenues dans le corps de l'obus, dans de la poudre comprimée ; il y a une certaine manière de fabrication ; on s'arrange pour qu'il n'y ait pas de danger ; on comprime ces balles pour qu'elles tiennent bien au moment du départ, et plus tard, lorsque le projectile est arrive au but de sa course, la fusée met le feu et le projectile fonctionne bien ; en même temps le projectile, par suite de la grande
quantité de poudre, fait une fumée abondante, ce qui fait que le réglage du tir est très perceptible. Dans le réglage de l'obus G 91 et l'obus G 96, il avait été indiqué que le projectile C 91 et le projectile G 96 ne contiennent pas de balles noyées dans de la poudre comprimée. C'est une erreur, une erreur absolue ; il est absolument certain, d'une façon indubitable, qu'il est comme je vous le dis ; ce qui a motivé cette erreur, c'est que les documents officiels destinés au grand public ne parlent pas de cette poudre ; ils parlent d'une matière agglutinante et fumigène ; c'est certain, elle est agglutinante, elle tient bien, et fumigène elle l'est, mais cela ne veut pas dire que ce ne soit pas de la poudre ; c'en est, soyez-en bien certain.

Le président. — Avez-vous d'autres renseignements que vous croyiez utile de donner?

Le général Deloye. — Je n'en vois pas d'autres, monsieur le président.

Le lieutenant-colonel Brongniart. — A quelle époque a-t-on su que l'obus allemand C 91 était constitué?

Le général Deloye. — Pas avant 1896. Je n'en ai pas eu connaissance avant. J'ai appris le renseignement tout d'une pièce sur la constitution de l'obus C 91, je l'ai appris tout en entier, pas par petits morceaux ; j'ai appris comment il était fait et c'est en 1896 que je l'ai appris ; le Conseil peut être sûr de cela.

Le lieutenant-colonel Brongniart. — Le règlement constitué sur le service du canon de 120 contient-il des renseignements sur le frein hydropneumatique? Pouvez vous nous dire si le règlement de 1894 contenait les mêmes renseignements?

Le general Deloye. — Je ne fais pas une grande différence; certainement il y a eu des corrections.

Le lieutenant- colonel Brongniart. — Ce sont ces renseignements qui auraient été livrés, par exemple?

Le général Deloye. — Oui ! Oh ! cela oui !

Le capitaine Beauvais. — Pensez-vous qu'il était difficile pour un officier de l'Etat-major de l’armée de se procurer un manuel de tir?

Le général Deloye. — Mon Dieu non, pas trop ; seulement c'est possible dans le moment, quand la méfiance n'est pas éveillée : il est certain que si l'on peut tenir une hypothèse plausible et
que si l'on demande un manuel pour ceci, cela, et que cela tienne bien, ça peut aller ; mais plus tard, on peut se dire : tiens ! tiens ! il m'a demande ça ; eh ! eh ! pourquoi ?

Je crois que le manuel de tir n'est pas une chose qu'un officier qui aurait pu avoir de la méfiance aurait refusé à quelqu'un qu'il connut bien et dont il crut les intentions louables. Si je ne craignais d'abuser des instants du Conseil, je lui dirais ce que je pense de ce manuel de tir.

Qu'est-ce qui est intéressant dans un manuel de tir ? Voila un document qui sert à faire l'instruction technique des officiers ; la puissance étrangère a besoin de savoir quelle est la méthode de tir ; n'est-elle pas enfantine ? N'a-t-elle pas envisagé les problèmes d'ordre technique en usage à la guerre? ou bien les envisage-t-elle et leur a-t-on donné une bonne solution? C'est là la question intéressante. Après cela qu'on fasse manoeuvrer la culasse de la main gauche, cela ne fait rien ; le point intéressant est celui-ci :
quelle est leur instruction de tir, et comment vont-ils se présenter devant l'ennemi? Avec quelles habitudes et quelles applications ?

Le capitaine Beauvais. — Vous personnellement, mon général, en 1894, parlant du frein de 120 court, auriez-vous eu quelquefois tendance a dire : « frein hydraulique » aussi bien que « frein hydro-pneumatique »?

Le general Deloye. — En parlant ainsi, cela aurait pu m’échapper ; mais certainement pour parler du 120 court on doit dire : « hydro-pneumatique ». Ce frein est composé de deux parties, une partie ferme et une partie liquide, ce n'est pas douteux, tandis qu'il y a des freins qui ne sont qu'hydrauliques : le frein de 120 long n'est qu'hydraulique, c'est certain.

Le président. — Monsieur le commissaire du gouvernement, avez-vous des observations à présenter?

Le commissaire du gouvernement. — Non.

Le président. — La défense a-t-elle des questions à poser ?

M e Demange. — Voudriez-vous demander à M. le général Deloye où se fabriquait le frein du 120 à Bourges?

Le général Deloye. — A la fonderie.

M e Demange. — Et où se fabriquait également l'obus du 120 ?

Le général Deloye. — A l'école de pyrotechnie. II faut cependant distinguer : une partie de la fabrication, celle de l'enveloppe, se faisait autre part, mais cela n'a pas d'importance.

M e Demange. — L’école de pyrotechnie et la fonderie sont-elles séparées?

Le général Deloye. — Elles sont séparées ; il y a bien 500 mètres de l'une a l'autre, mais de pension a pension...

M e Demange. — Enfin, les officiers qui sont à la pyrotechnie et à la fonderie...

Le président. — ... sont dans deux établissements distincts. (Au témoin.) C'est bien de l'accusé ici présent que vous avez entendu parler?

Le général Deloye. — Oui.

Le président. — Accusé, levez-vous. Avez-vous des observations à présenter sur la déposition qui vient d’être faite?

Le capitaine Dreyfus. — Mon colonel, il m'est très difficile de discuter le bordereau, puisque nous sommes absolument dans le domaine des hypothèses. Je voudrais savoir d'abord ce qu'il y a
dans les notes, la nature des notes et leur valeur. Je crois que nous sommes tout-a-fait dans le champ des hypothèses. On a parlé du 120 court ; je résume une seconde fois ce que je connaissais en 1889 et 1890 pendant mon séjour à Bourges, sur le 120 court; je connaissais le principe du frein hydro-pneumatique. M. le général Mercier a dit dans sa déposition qu'il avait été inspecteur général à Bourges en 1890 ; il doit se souvenir qu'une conférence a été faite à tous les officiers réunis, officiers de l'Ecole de pyrotechnie, officiers de la fonderie, officiers de tous les services de Bourges, officiers également des deux régiments d'artillerie en garnison à Bourges.

II a été fait une conférence finale; dans cette conférence, quelqu'un a parlé du frein hydro-pneumatique. On en a donné le schéma habituel qui est dans tous les cours, dans les cours de
l'Ecole d'application, dans les cours de Saint-Cyr, schéma que tout le monde connaissait. C'est toute la connaissance que j'ai du frein hydro-pneumatique. Le canon de 120 court, je l'ai vu à deux reprises différentes : la première fois dans la cour de la fonderie, à Bourges ; la seconde fois dans la cour de l'Ecole d'artillerie de Calais, quand j'y ai été comme élève de l'Ecole de guerre, avec mon groupe. Je n'ai jamais vu tirer le 120 court, je ne l'ai jamais vu manoeuvrer, pendant les deux ans que j'ai été à l'Etat-major, je n'ai jamais assisté à des écoles à feu, et aucun stagiaire n'a jamais assisté a des écoles à feu ; je ne connais pas de stagiaires qui aient assisté à des écoles à feu.

On a parlé tout à l'heure du shrapnell, modèle 91. Je suis parfaitement convaincu que les connaissances du général Deloye sont plus complètes que les miennes. Ce qu'il a dit est parfaitement exact. En 1894, j'ai étudié le shrapnell modèle 91. Cette étude était forcement incomplète, puisque les documents que nous avions n'étaient pas aussi complets que ceux que M. le général Deloye a eus à sa disposition en 1896 et que le shrapnell modèle 91 était un shrapnell dans lequel les balles étaient maintenues par une substance destinée à produire immédiatement un gros nuage de fumée afin de faciliter le tir. Voila la conclusion à laquelle j’étais arrive en 1891, conclusion que j'ai relevée dans mon travail du premier semestre 1894, et au deuxième bureau de l’état-major de l’armée.

.../... >>
source Le procès Dreyfus, devant le Conseil de Guerre de Rennes (7 août-9 septembre 1899) - tomme III - Stock 1900 sur archives.org

Ce texte est retranscris de l'OCR et, bien qu'il soit de bonne qualité, il n'est pas parfait. Surtout, il est anglo-saxon et ne reconnait pas les accents. Il y a donc certainement des oublis dans la correction : veuillez m'en excuser!

Cordialement
Étienne
<< On peut critiquer les parlements comme les rois, parce que tout ce qui est humain est plein de fautes.
Nous épuiserions notre vie à faire le procès des choses. >> Clemenceau
ALVF
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de "l'affaire".

Message par ALVF »

Bonsoir,

Tous les débats importants des procès Dreyfus sont désormais en ligne mais il faut, pour tenter de s'y retrouver, bien faire le point de la chronologie des faits relatés car, pour des raisons diverses mais faciles à comprendre, les témoins n'ont pas toujours été très rigoureux sur ce point d'autant que les débats s'étalent entre 1894 et 1906!
Quelques exemples concernant la question du canon de 120 C modèle 1890:
-le vol des PV n° 1 et 2 de la Commission de Calais contenant les schémas du frein, les résultats des tirs effectués, les effets du tir sur le matériel, etc... date de 1892.
-la description du frein du 120 C (schéma de principe) n'apparaît que dans les Cours de l’École de Fontainebleau et du Cours d'Artillerie de l’École de Saint-Cyr édités pour l'année d'instruction 1894-1895.
-le premier manuel officiel "Règlement sur le service du canon de 120 Court" n'a été approuvé que le 28 mai 1895 puis édité par l'Imprimerie Nationale et mis dans le commerce au cours de l'année 1895.
-les tables de tir de l'obus explosif allongé du 120 C ont été approuvées le 5 octobre 1892, celles de l'obus ordinaire le 21 novembre 1893. Ces documents ne sont pas mis dans le commerce et les fascicules sont attribués aux batteries concernées.
Voici les schémas de principe du frein hydropneumatique du canon de 120 C modèle 1890 figurant dans le manuel de 1895:
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A défaut des tables de tir de 1892-1893, voici la couverture des "Tables de tir du canon de 120 Court", édition de 1898:
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Cordialement,
Guy François.
ALVF
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Re: Le 120 C modèle 1890 triplement au coeur de

Message par ALVF »

Bonsoir,

Un film récent nous ramène à l'affaire Dreyfus, même si on entend plus de commentaires sur son réalisateur que sur l’œuvre proprement dite!
Je remonte donc ce sujet des profondeurs du Forum pour illustrer le canon de 120 C modèle 1890 Baquet au sujet duquel bien des "experts" nous gratifient des pires stupidités...

D'abord un document peu commun, il montre un 120 C modèle 1890 équipé d'un masque pare-éclats. Cet accessoire, très peu répandu, a été expérimenté sur plusieurs matériels dans les années 1895-1896 avant de devenir une des caractéristiques originales du canon de 75 modèle 1897, le masque pare-éclats sera ensuite adopté sur les matériels du monde entier. On sait que des masques pare-éclats ont équipé "quelques affûts" de 155 C modèle 1890, "grand frère" du 120 C modèle 1890 puisque le Règlement du 155 C l'indique. Par contre, le Règlement du 120 C n'évoque pas ce point, pourtant cette photographie prise au quartier du 32e R.A montre un 120 C modèle 1890 équipé d'un masque pare-éclats:
120 C mle 1890 32e RA.jpg
120 C mle 1890 32e RA.jpg (198.63 Kio) Consulté 1871 fois
Cet autre document, datant cette fois de 1916, montre un 120 C modèle 1890 capturé en février 1916 au Bois-le-Fay lors des premiers jours de l'offensive allemande sur Verdun. A partir de 1916, le 120 C modèle 1890 sera retiré du Front occidental mais il est envoyé en nombre à l'Armée d'Orient où il servira jusqu'en 1918:
120 C Mle 1890 Bois le Fay.jpg
120 C Mle 1890 Bois le Fay.jpg (233.29 Kio) Consulté 1871 fois
Comme l'indique la légende manuscrite d'une autre photographie de 120 C de ma collection, malheureusement très pâle, il s'agit bien du "canon qui aurait pu coûter cher à Dreyfus"!
Cordialement,
Guy François.
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