Bonjour,
Toujours sur la trace de cet évènement, je rajoute deux témoignages, l'un glané sur internet, l'autre dans ma bibliothèque.
Témoignage du
Docteur Bion, trouvé sur
http://20072008.free.fr/avril17medecinm ... hemdam.htm
Je reprend également l'introduction qui cite le contributeur :
« Merci à Monsieur Jean Dumont, Rédacteur en Chef des Carnets de la Sabretache qui nous a autorisé à reproduire une partie de l'article relatif aux carnets du Docteur Bion, proposé par le Colonel Christian Hanotaux dans le Carnet de La Sabretache N° 169. »
29 mars...Il nous pleut sur le ventre. Les obus ont des sons différents selon les coins du front. Ici, ils claquent sec et leur écho se répercute dans le vallon. On entend très bien leur départ lointain, et encore mieux leur arrivée. Le 1er groupe (Delorme) est près de nous avec ses 120. Derrière la 23, les 155C Saint-Chamond du 101e. Près de la route, les 155C du 117 (commandant Ducatel), et dans le coin, les 370. Sur 200 m, quel nid de batteries ! Les poilus traînent nos marmites et, sous leur capuchon ciré, ils se confondent avec les marmites pointues. L'offensive se précise de plus en plus, et on en attend avec impatience le déclenchement. Mais quelles averses.
Mercredi saint, 4 avril 1917... Sale journée, beaucoup de morts. Pluie continuelle. Le 120 (groupe Delorme) tire dans la matinée.
À 6h, j'étais étendu sur ma paillasse, lisant André Cornilis de Paul Bourget, tandis que les marmites boches glissaient sur nos têtes. Je suis soudain projeté et reçois un pain formidable sur la joue. Ma lèvre gonfle et saigne. Un souffle formidable a tout renversé et disjoint la cagna. La fiole d'eau de Cologne de Godart me passe au ras du nez et je ne vois plus Philippi, affalé dans un coin. Un énorme nuage de fumée obscurcit tout. Je traverse la cuistance démolie, où Marchand, un éclat de verre dans la tête, reste ahuri devant son poêle renversé, la bouteille de gnole brisée, le pinard renversé, la soupière et le sucrier de Beaucamp en miettes, après tant de campagnes. Le commandant a une bosse à la tête. Devant ce ravage, j'ai aussitôt l'impression que c'est la 23e batterie tout entière qui vient de sauter. Les hommes sont à la porte de leurs cagnas, et Bonnet, de la 25e a une plaie sur la tête et est complètement dingo. C'est le 9e groupe et un dépôt de torpilles qui viennent de sauter. Le commandant Jaispon [Jesson] est tué, ses deux adjoints blessés, Jouanneau mortellement atteint à la tête. Les blessés rappliquent au poste de secours. Le 8e groupe du 101e m'amène les siens. Leur médecin est complètement affolé et restera encore longtemps terré au fond de mon poste de secours, sans oser en sortir. Pendant que j'évacue Levort, un fantassin du 153 (39e D.I.), qui a la figure fendue de l'oreille à l'autre oreille, avec les dents qui pendouillent dans cet affreux cloaque sanguinolent, une marmite nous arrive droit dessus. Avec Wormser, nous n'avons que le temps de nous planquer dans la boue et la pluie qui continue comme le marmitage. Elle éclate à 4 mètres, les éclats bourdonnent, la terre retombe en pluie, longtemps, longtemps. Elle est tombée à 50 cm de l'angle du P.S. et ne l'a que fortement secoué. Les blessés et les morts sont nombreux : plus de 200 au minimum. Plus que 16 hommes à une batterie du 9e groupe du 82. Les deux capitaines seraient tués, un général aussi, le 101e aurait aussi fortement trinqué. Que ne dit-on pas ? Camions, chevaux, cavaliers, tout cela est pêle-mêle, cul par dessus tête et morts.
Toute la nuit, les marmites boches glissent en nappe au-dessus de notre tête et vont éclater derrière la 23e batterie, par rafales de 4 à 5, percutants et fusants. On n'entend plus de circulation sur la route, les communications sont coupées.
Au petit jour, encore une formidable détonation. Les planches de la guitoune se disjoignent, les campements lancés dans toutes les directions. Godart qui avait attaché ses grollons au-dessus de sa couchette, les reçoit en avalanche sur le bide. Mon râtelier qui trempait dans un verre, est projeté dans la terre, à 3 mètres, et le verre n'est pas brisé. C'est Bessard qui m'a retrouvé le précieux dentier. Une autre fois, je l'attacherai avec une ficelle.
Jeudi saint, 5 avril... Les cloches sont peut-être parties pour le restant des mortels, mais cela n'empêche pas les boches de nous sonner sans discontinuer. La neige recouvre la terre.
Ce matin, après l'explosion qui a démoli la guitoune et bousculé ses habitants, quelle jolie minute d'émotion j'ai eue en entendant dans le silence qui suit ces formidables cataclysmes une fauvette, à tête noire, qui chantait un chant printanier. Quels contrastes !
Le temps reste brumeux, mais quelques rayons de soleil, l'après-midi, dont profitent avions et saucisses. Toutes les heures, les boches nous servent une ration. Variant de 20 à 60 coups de bon 15. Tout le monde attend impatiemment l'attaque. On dit qu'elle aura lieu vers le 13. En attendant, aucun canon français ne tire, et les boches tirent dans les nids de batterie et font mouche à tout coup.
Il y a deux jours, c'était une batterie du Mont Charmont, hier le 9e groupe du régiment qui est complètement anéanti. Tous ses obus de 220 ont sauté, faisant une tranchée de 10 m. de profondeur et 800 m de long, et combien de victimes !
La nuit, on entend très bien le départ des coups chez les boches, et encore mieux leur arrivée sur nos pièces. Nous avons, à 200 m de nous, un énorme dépôt de 75. S'il éclate, nous avons moult chances d'être bousillés. À 100 m, ce sont des centaines d'obus de 370, etc.
Le moral est bon et joyeux. On chante, et chacun espère que les boches ne vont pas tarder à en prendre pour leur matricule.
6 avril... Beau temps au réveil.. La fauvette à tête noire chante éperdument.
Une à une, les saucisses montent au plafond où elles forment des constellations. Que de saucisses, pour un Vendredi saint ! En voilà 26 dans notre secteur ! Les batteries commencent à tirer. Un coup par batterie d'abord, puis toutes les pièces. Le vacarme des grands jours commence, c'est la grande fête du canon, la préparation d'artillerie, l'offensive ! Les départs agitent et secouent tellement notre guitoune qu'il m'est presque impossible d'écrire. Les avions se pourchassent et le bleu du ciel n'a comme nuage que les multiples points blancs des éclatements.
L'après-midi, le temps se couvre et je vais voir les restes de la terrible explosion du 9e groupe. Terrible, effrayant, sinistre et pestilentiel ! Plus de 50 chevaux déchiquetés, et les pattes en l'air envoient leur fumet de putréfaction. Ruines, sang, cadavres, c'est effrayant.
Lucien Laby (« Les carnets de l’aspirant Laby », Ed. Bayard 2001, p 233)
Mercredi 28 mars
Nous cantonnons à Bourg et Commun [sic]
Mardi 3 avril [ ?]
Les boches font sauter une de nos réserves d’obus : un 77 arrive sur un tas amorcé qui explose et fait péter toute la collection : quarante cinq mille obus de tous calibres éclatent d’un coup, à l’entrée du village, à 800 mètres de nous. Explosion formidable, telle que je n’ai encore jamais entendue : on parle de huit cents poilus ensevelis sous la colline !!
Nous sommes à notre popote, dans une boutique de la grand’rue, en train de causer, Touyeras, le lieutenant Pernod, l’adjudant Rebous et moi. Brusquement et sans aucun bruit, un éclair aveuglant nous éblouit…, nous nous regardons… Puis, au bout de trois à quatre secondes seulement, le bruit de la détonation, le déplacement d’air et des éclats gros comme le bras nous arrivent : éboulement d’une partie du toit, enfoncement des portes, des fenêtres, toutes les vitres volent en éclat ; nous sommes jetés à terre… On croit que c’est un 210, tombé devant la porte. Les débris de toutes sortes continuent à tomber… On cherche où est arrivé l’obus, sans le trouver, et pour cause. Les premiers blessés commencent à arriver, en sang, et racontent ce qui est arrivé. Que de cadavres aussi ! Cratère immense, route coupée, la colline est retournée, le bois n’existe plus ! Des autobus éloignés de 40 mètres se sont télescopés tant a été violent le déplacement d’air !! Les secours s’organisent autour du dépôt de munitions explosées ; les compagnies y vont avec des pelles et des pioches pour déterrer les blessés ensevelis ; à ce moment, les Boches, qui n’attendaient que ça, s’acharnent et, à coup de 105 et de 150 fusants, tuent quiconque veut aller au secours des malheureux…
L'apport de ces deux textes permettent de situer le dépôt A24 sur la route au 800 mètres au nord de Bourg, en contre-bas de la ferme Comin.
Reporté sur la carte IGN, ceci correspond exactement à un cratère au bord de la route, encore visible, et situé dans un bois (ce qui explique la phrase de L. Laby : "le bois n'existe plus !").
Enfin, je suppose que les fermes Lécuyer et Commin ne font qu'une, Lécuyer devant être le nom du propriétaire en 1917.
Régis