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" L'histoire du Brignogan.
Le Brignogan est construit à Détroit (Etats-Unis) en 1903 par le chantier de Wyandotte. Alors baptisé Albert M. Marshall, il navigua sous le pavillon américain de la Great Lakes and Saint Lawrence Transportation. De 75,28 m de long, 12,55 m de large, il fait 2 200 t de port en lourd. Comme tous les cargos de cette époque, il possède une machine à vapeur à triple expansion de 800 cv environ et sa vitesse en service est de 8 à 9 noeuds. Après avoir traversé l'Atlantique Nord, il est livré en France, où il commence une carrière classique de charbonnier en temps de guerre, qui, comme on vient de le voir, n'est pas de tout repos. Le 4 septembre 1917, il s'échoue sans gravité dans le Pas de Calais avec une cargaison de charbon et arrive en remorque au port de Boulogne sur Mer. Il poursuit ensuite ses rotations entre les ports anglais et ceux du nord de la France, notamment Caen, car il approvisione les dépôts de charbon de la Compagnie des Chemins de Fer de l'Ouest. Ces navires d'un type particulier et inconnu en France jusque là, possèdent les caractéristiques des Lakers américains, c'est à dire un château à l'extrême avant et un château à l'extrême arrière ; ils sont complètement différents des charbonniers classiques dits "à trois îles", avec un gaillard, un château central et une dunette. Le Brignogan est commandé par le capitaine Le Guennec, le chef mécanicien est l'officier mécanicien de première classe Cardon. Nous sommes en juin 1918 dans le port de Swansea au Pays de Galles, où le Brignogan charge une pleine cargaison de charbon destinée au port de Caen. le temps est plutôt médiocre, ce qui promet une fois de plus une traversée mouvementée, car ces petis navires roulent beaucoup. Le cargo appareille de Swansea sans escorte et commença sa traversée qui le ménera à Ouistreham. La veille est attentive mais le Brignogan est armé d'un canon situé sur la plage arrière, afin de pouvoir repousser les éventuelles attaques d'U-Boote. Il arrive sur rade de Ouistreham, prend son pilote et passe le sas qui va lui permettre de remonter jusqu'au nouveau bassin de Caen en parcourant les treize kilomètres de canal reliant cette ville à la mer. Le 24 juin 1918, le navire est à quai et commence à décharger le charbon. Auparavant, l'équipage a procédé à l'ouverture des cales en manutentionnant less lourdes planches de bois qui les ferment. C'est le soir et le temps n'est pas trop mauvais dans la capitale normande. La vie continue à l'arrière et une partie de l'équipage décide de se rendre au cinéma, nouvelle attraction. D'autres marins préfèrent aller se désaltérer dans les cafés caennais. Il semble que les uns et les autres se livrent à de joyeuses libations et ne regagnent le bord que tard dans la nuit. Vers deux heures du matin, le dimanche 26 juin 1918, une effroyable explosion se fait entendre à plusieurs kilomètres à la ronde. la population croit d'abord à un début de bombardement par la célèbre Grosse Bertha et attend dans l'angoisse, la chute de projectiles sur la ville, mais rien ne se passe. C'est dans le port que l'explosion s'est produite : le Brignogan vient de sauter. Quand l'équipage regagne le bord, comme on le sait après de joyeuses libations (d'après la presse de l'époque - nous sommes en 1918 -,la censure se deserrant un peu) et certains en agréable compagnie, il ne s'aperçoit pas qu'un incendie à pris naissance dans la cambuse. L'électricité n'existe pas à bord et la lampe à pétrole éclaire les cabines et les coursives du navire. C'est le mousse qui donne l'alerte après avoir constaté le premier le début d'incendie. Ce dernier prend de l'ampleur et les pompiers de Caen alertés par un douanier qui se trouve de garde non loin du navire, accourent en quelques minutes et commencent à lutter contre les flammes.
Mais l'incendie se propage de plus en plus rapidement dans la partie arrière du navire. Le capitaine, resté à bord, est surpris par la rapidité de l'extension du sinistre. L'équipage entame également la lutte contre le feu et fait tout son possible pour maintenir les flammes dur l'arrière. Sur le quai, juste à côté, M. L'Hérisson, concierge passeur à la maison Lamy, s'occupe de larguer les amarres du vapeur Circé, appartenant à la Société Navale Caennaise, afin de le soustraire au danger de l'incendie. Grâce à cette présence d'esprit, le Circé échappe à une destruction certaine.
Pendant ce temps, à bord du Brignogan, on commence à se rappeller un détail ou en tout cas à prendre conscience que l'incendie peut se terminer en catastrophe. A Swansea, le navire n'a pas chargé que du charbon, mais également des munitions, dont trois cent obus (cent cinquante à l'avant et cent cinquante à l'arrière en pontée). Ces munitions sont destinées au front. A deux heures du matin, une très violente explosion secoue le navire. Les dégâts sont importants dans un rayon de deux kilomètres. Le bilan est de cinq mort et et neuf blessés graves dont deux pompiers, un officier du Brignogan et M. L'Hérisson. Parmi les blessés graves figure le commandant du Brignogan et son second ainsi que le deuxième mécanicien et un nettoyeur. L'arrière du navire est complétement détruit, mais le navire ne coule pas. Il sera plus tard réparé et reprendra sa navigation pour son armateur, avec le même capitaine et le même chef mécanicien. Lorsque la guerre se termine, ce navire est revendu. Le Brignogan garde même son nom jusqu'en 1929 chez ses armateurs canadiens. Après quoi il est vendu à une société américaine qui le nomme Fellowcraft et l'arme sur les Grands Lacs. Ce navire, qui échappa de peu à la destruction, aura une carrière exceptionnellement longue, jusqu'en 1959, date à laquelle son armateur finit par le vendre à la démolition. Pour la petite histoire, il est intéressant de savoir que le chef mécanicien du Brignogan, le soir de l'explosion, était auprès de sa fiancée, à Blainville, ce qui lui sauva la vie. Plus tard, il devint armateur à la pêche et arma un chalutier, le Cérès qui fut lui aussi victime d'un accident dramatique : en 1948, il sauta sur une mine en rade de Caen, emportant avec lui tout son équipage, soit cinq personnes. Quant au Circé dont on a parlé plus haut, on sait juste qu'il fut attaqué par un submersible allemand, mais sans conséquence notable, puisqu'un armateur belge en prendra livraison à Anvers le 17 mars 1925."
La photo du haut est prise le 30 juin 1918.
Source : Jérôme Billard, La Mar Mar, la marine marchande française de 1914 à nos jours, ETAI, 1999.
Cordialement.
