Bonjour à tous,
BAIGORRY
Rapport du capitaine
Je soussigné AMESTOY Etienne, capitaine du vapeur BAIGORRY de Bayonne, jaugeant 1841 tx, armé par 25 hommes d’équipage, appartenant à MMr. Plisson et Cie, rue de Mogador à Paris, déclare avoir quitté le port de Bayonne le 22 Avril 1917 à 17h15 avec un chargement de poteaux de mine dont une pontée, à destination de Barry Dock, Angleterre. Navire en état de navigabilité, panneaux soigneusement condamnés. Mouillé à Saint Jean de Luz à 18h30 et appareillé le 23 Avril à 11h00, aux ordres de convoyeurs et ayant à bord Mr. Parenthoen, pilote de la flotte, n° 1 du convoi.
Le 24 Avril à 14h20, par 45°48 N et 04°16 W Paris, un vapeur anglais se trouvant sur notre avant tribord est frappé par une torpille et coule en 30 secondes. Manœuvré et forcé de vitesse pour nous éloigner du lieu de l’incident. Le reste du convoi s’éloigne de nous. En forçant de vitesse, réussissons à nous rapprocher du convoi. A 21h30, les navires armés qui nous convoyaient nous quittent pour faire route sur La Pallice. Nous sommes le dernier du convoi, éloignés des autres navires et des convoyeurs qui sont en tête. A 04h00 du matin, nous apercevons le feu de poupe d’un navire du convoi et marchons à toute allure pour le rattraper.
A 05h00 du matin nous sommes par 47°05 N et 05°14 W Paris et apercevons le feu de Kerdonis (Belle Ile). Le second capitaine Mr. Esnault Claude, qui était de quart, me prévient qu’un sous-marin placé a tiré sur nous et que l’obus est tombé très près de l’avant. J’étais dans la chambre de veille avec le pilote de la flotte, à pointer sur la carte. Je monte sur la passerelle et donne l’ordre au chef mécanicien de lancer la machine à toute puissance pour nous échapper, ordre exécuté sans retard. Ne voyant pas le sous-marin, ni la direction d’où venait l’obus, mis le cap sur la terre. Fait le branle-bas général et mis tous les hommes aux postes de sauvetage. Ordres exécutés rapidement et dans un ordre parfait. Deux minutes plus tard, un obus frappe le navire, selon le lieutenant Arzul sur l’arrière par le travers du salon. J’aperçois alors le sous-marin sur tribord arrière à 300 m et, craignant qu’il ne lance une torpille, vient sur bâbord pour lui présenter l’arrière. Je suis dans l’impossibilité absolue de lui échapper, ma vitesse maximum étant 7 nœuds, étant encore à 17 milles de terre et dépourvu de tout moyen de défense. Le sous-marin vient à nous toucher et continue à tirer. Aucun bâtiment n’est en vue pour nous secourir. Je stoppe, fais embarquer tous les hommes dans les canots et vais chercher les papiers du bord. Mais mon embarcation menace de se fracasser le long du bord. Le lieutenant me crie d’embarquer rapidement et je suis contraint d’abandonner les papiers et d’embarquer par un palan de la baleinière. Alors que je glisse le long du palan, un obus passe très près de moi.
Nous débordons du navire et le sous-marin s’approche. Le commandant, revolver au poing, oblige le second capitaine qui commandait la baleinière de bâbord à accoster son sous-marin, la prend en remorque et s’approche du BAIGORRY. En même temps, il nous fait signe de nous éloigner vers le Sud en nous menaçant de son revolver. A une certaine distance, nous attendons pour ne pas quitter le navire, ni la baleinière du second. La forte brise de NNE et la mer très clapoteuse nous obligent à laisser porter pour ne pas chavirer et nous nous éloignons de plus en plus. Il devient matériellement impossible de rallier le navire. Entraînés sous le vent, à 06h30 nous apercevons encore la baleinière du second accostée contre le BAIGORRY et le sous-marin qui navigue autour. A 08h00, nous perdons de vue le navire qui flotte toujours, et avec beaucoup de difficultés nous dirigeons vers l’île d’Yeu que nous apercevons vers midi et atteignons à la rame vers 17h00.
Selon les déclarations de Mr. Esnault Claude, second capitaine, et des hommes de son embarcation, le commandant a pris 8 hommes dont le second en otages sur son sous-marin, a fait embarquer dans le canots des marins armés de revolvers et de 8 bombes. Ils sont allés à bord du BAIGORRY qu’ils ont dévalisé, ont placé leurs bombes et sont revenus au bout de 45 minutes. Après avoir embarqué les provisions, ils ont remis les hommes dans le canot et leur ont dit de s’éloigner. Les bombes, placées le long du vapeur n’ont pas eu l’effet escompté. Le sous-marin l’a alors canonné de très près. Atteint dans ses œuvres vives, le vapeur a disparu vers 08h30 le 25 Avril 1917.
Après avoir nagé toute la journée, le second et ses hommes ont atterri à Noirmoutier le soir même à 23h00.
Je décline toute responsabilité dans la perte du BAIGORRY et de son chargement car il n’y a nullement de ma faute ni de celle de mon équipage.
Rapport de l’officier enquêteur
L’officier reprend point par point les déclarations du capitaine et précise qu’il a quitté le bord le dernier.
Il précise que les naufragés de Noirmoutier ont été amenés à Saint Nazaire par l’arraisonneur CROZON et que ceux de l’île d’Yeu sont arrivés à Saint Nazaire le 28 Avril au matin.
Il conclut que sans moyen de défense et sans TSF, étant à 17 milles de la terre la plus proche et sans vitesse le capitaine était à la merci de l’ennemi et ne pouvait faire autrement qu’abandonner son navire. Il est toutefois coupable de n’avoir pas sauvé les papiers du bord. Il transmet, sans avis, les éloges du capitaine, du second et des officiers en faveur du second maître pilote Paranthoen. Il propose pour le capitaine une sanction correspondant à sa faute, mais avec circonstances atténuantes.
Enfin il signale que la Cie des Messageries de l’Ouest a interdit jusqu’à nouvel ordre toute navigation du bateau postal des îles car on a découvert six mines sur le passage qu’emprunte ce bateau. Le nettoyage est en cours.
Description du sous-marin
Petit modèle d’environ 50 m
Etrave très élevée avec une sorte de gaillard
Tubes lance torpille de chaque bord de l’étrave
1 seul canon de 88 mm entre le gaillard et le kiosque
Filières le long du bord
Ni mât, ni projecteur, ni embarcation
Peinture pas fraîche mais en bon état
Le commandant parlait français et anglais
Les officiers et les hommes étaient vêtus de noir
Un marin qui parlait anglais a dit que c’était ce sous-marin qui avait coulé la veille à 14h20 le vapeur anglais BARNSTONE (nota : en réalité BARNTON) qui faisait partie de notre convoi.
Voici la silhouette du sous-marin
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UC 21 de l’Oblt z/s Rheinhold Saltzwedel. Il avait effectivement torpillé la veille le BARNTON qui transportait du minerai de fer et était parti au fond comme un plomb de sonde. Le naufrage avait fait 14 victimes.
Il est probable qu’il avait suivi toute la nuit le BAIGORRY pour l’attaquer au petit matin.
Cdlt