Voici le récit du naufrage du CANNEBIERE tel qu’il est rapporté par la commission d’enquête.
Le trois-mâts CANNEBIERE faisait route de Buenos Ayres sur Le Havre. Le 24 Octobre 1916 à 10h00, il se trouvait à 80 ‘ dans le S22W de Bishop Rock faisant route au 073 à 7 nœuds.
La brise soufflait fraîche de sud et la visibilité était exceptionnellement bonne.
A 10h00, le capitaine, qui faisait son point, entendit un coup de canon qui venait de l’est. Puis les hommes de veille signalèrent un sous-marin sur tribord avant à environ deux milles.
Le sous-marin hissa deux pavillons que le capitaine ne put reconnaître à cause du soleil. Sur son injonction, le CANNEBIERE mit en panne et se disposa à mettre à l’eau les embarcations sous le vent.
Tandis que l’équipage prenait place dans les canots, le sous-marin, qui arborait le pavillon allemand, s’approcha du voilier, passa sur son arrière et vint l’élonger sur bâbord où étaient les canots.
Le commandant du sous-marin s’adressa au capitaine dans un français très correct et lui dit :
- « Approchez, accostez-nous et mettez cinq hommes à bord ».
Ces cinq hommes étant montés sur le sous-marin, trois marins allemands prirent place dans le canot. Puis le commandant allemand, s’adressant à l’équipage dit :
- « Vous avez vingt minutes pour remonter sur le voilier et prendre les objets nécessaires ».
Cinq ou six hommes remontèrent sur le CANNEBIERE avec les marins allemands porteurs de trois bombes.
Un des Allemands disposa les trois bombes à chaque panneau, avant, milieu et arrière, tandis que les autres prenaient les chronomêtres et quelques provisions (viande et pain).
Pendant ce temps, le capitaine et ses hommes amenèrent une troisième embarcation dans laquelle ils mirent des bouées de sauvetage et des provisions. Ils avaient tout loisir de voir ce que faisaient les Allemands, mais s’ils s’approchaient d’eux, ceux-ci les faisaient reculer en montrant leurs revolvers. Les bombes furent affalées avec des bouts pour ne pas détériorer la mêche qui aboutit au détonateur. Ayant embarqué le butin, l’un des marins allemands arma le détonateur et s’adressant en français au capitaine lui dit :
« - Nous avons cinq minutes pour quitter le bateau avant l’explosion. »
Le détonateur, en explosant fit un bruit analogue à la détonation d’un moteur de motocyclette et les bombes explosèrent avec une forte détonation. Le CANNEBIERE coula en trois minutes. Il était 11h00.
La mer se faisant de plus en plus grosse et la brise tournant au coup de vent, le commandant allemand s’adressa à l’équipage français et dit :
« - Prenez la remorque. Je vais vous remorquer jusqu’aux chalutiers qui patrouillent. »
C’est ainsi qu’il les remorqua pendant plusieurs heures, faisant route au 022 sur Bishop Rock. Le vent soufflant de sud en fortes rafales, les embarcations étaient remplies d’eau sous l’effet des paquets de mer. Vers 17h00, ils arrivèrent en vue de deux chalutiers anglais.
Pour attirer leur attention, le sous-marin fit les signaux suivants :
- il arbora un pavillon rouge
- il hissa les couleurs françaises
- enfin, avec un pistolet à signaux, il lança deux fusées bleues et trois fusées rouges.
Voyant ces signaux, les chalutiers mirent le cap sur eux. Le sous-marin largua alors la remorque, plongea et disparut.
Les deux chalutiers étaient les patrouilleurs TYNE et CYMERIS. Ils recueillirent les naufragés en leur disant qu’ils avaient failli leur tirer dessus, les ayant pris pour deux sous-marins. Ils rentrèrent alors sur Plymouth où ils déposèrent les naufragés le 26 Octobre à 08h00.
Au cours de son interrogatoire, le capitaine Rihouët signale qu’il restait dans le tiroir de son bureau un fascicule sur les sous-marins, datant du début de la guerre, donnant des instructions sur les manœuvres à effectuer en cas d’attaque. Mais il assure que les Allemands ne sont pas descendus dans sa cabine. Ils ont seulement pris les papiers commerciaux du voilier.
L’enquêteur fait remarquer au capitaine qu’il aurait du détruire le fascicule jaune concernant les manœuvres de sous-marins. Mais il ajoute :
« - L’important, c’est que l’ennemi ne l’ai pas eu. »
Le capitaine donne aussi une description précise du sous-marin, assez long, au moins 50 m, plus long par exemple que le ROLAND MORILLOT. Il est muni d’un hauban pare-mines, servant aussi d’antenne TSF. Il possède un canon d’au moins 65 mm. Sur l’arrière du sous-marin, il y avait des taquets de remorque qui ont permis le remorquage des embarcations.
Il dessine une silhouette du sous-marin
et fait un croquis des manœuvres effectuées autour du voilier, puis au cours du remorquage.
Il fait une description du commandant allemand, grand, bien rasé, portant une veste bleue et une casquette avec macaron. Il parlait très correctement le français et l’anglais. Les marins allemands portaient des vêtements cirés, serrés autour de la taille par une ceinture. Deux d’entre eux parlaient le français.
La position exacte du naufrage du CANNEBIERE est 49° 47’ N et 006° 30’ W.
Ce récit du naufrage du CANNEBIERE est fort intéressant car les deux équipages ont été longtemps en contact. C’est, de plus, l’un des rares cas où le sous-marin remorque ses victimes pour les tirer d’affaire.
C’était bien sûr avant la guerre sous-marine totale décrétée par la Kaiser en Février 1917, l’armement généralisé des navires de commerce, ainsi que la mise en service des Q-ships (bateaux-pièges).
On est même surpris de constater que le commandant Steinbrinck n’hésite pas à rechercher le contact avec les patrouilleurs anglais, sans doute en prenant tout de même quelques précautions…
Cdlt
Olivier