BABIN CHEVAYE Trois-mâts barque
Lancé le 16 Octobre 1901 à Chantenay, ce navire appartenait à l’armement Bureau et Baillergeau. Il était du type AMIRAL COURBET. Sa marraine était Madame Bureau, née Babin-Chevaye, épouse de l’un des armateurs et fille de l’ancien propriétaire des ateliers et chantiers de la Loire.
Caractéristiques du BABIN CHEVAYE
Trois-mâts barque à coffre
3100 tpl 2174 tx JB 1930 tx JN
Longueur 84,7 m Largeur 12,26 m Creux 6,89 m TE 6,20 m
Voici le BABIN CHEVAYE à l’appareillage
Il fut pris au neuvage par le capitaine Eugène Robert qui venait de débarquer du TARAPACA à la suite d’un voyage particulièrement difficile (voir fiche de ce navire)
Son premier voyage sur le Chili fut mouvementé. Au retour, alors qu’il était en fuite dans le grand sud, une lame énorme le balaya par l’arrière jusqu’au gaillard, blessant gravement cinq hommes, en enlevant un, et occasionnant une voie d’eau. Le cap Horn fut doublé, mais le mauvais temps redoubla de violence et, dans un coup de roulis formidable, le mât de grand perroquet s’affala, faussant la vergue du grand hunier volant. Il fallut mettre en cape pendant trois jours pour dégager le pont, puis aller relâcher à Montevideo pendant 139 jours pour réparer.
Voici le récit de ce voyage laissé dans ses mémoires par le novice Alfred Forgeard, futur CLC et capitaine à la Havraise Péninsulaire
J’embarquai à Nantes sur le BABIN CHEVAYE , en 1901, commandé par Monsieur Robert de Dinard. Il avait quitté l’armement Bordes, à la suite du naufrage du TARAPACA dans le sas de La Pallice. A la suite d’une faute du remorqueur, ce bateau se creva malencontreusement, contre un escalier de pierre. D’ailleurs, ce monsieur Robert s’avéra très bon capitaine. J’embarquais avec lui comme novice, j’avais donc monté en grade. Le bateau était tout neuf, sa construction avait duré 10 mois, (on favorisait beaucoup la construction des bateaux à l’époque). Nous partîmes pour le même voyage, après chargement de charbon en Angleterre, à Port Talbot Les voiliers de l’époque étaient non compartimentés : mieux valait ne pas faire de voie d’eau !!
Traversée mémorable : nous mîmes 130 jours pour aller au Chili, au lieu de 80 à 90 jours. A la suite de vents contraires, nous mîmes 45 jours à doubler le cap Horn! Les vents changeaient sans cesse, nous virions de bord 3 à 4 fois par jour, vent arrière. Mon voilier par vent debout, navigue au plus prés. Pour cela, on oriente les voiles dans le sens du vent. Si le vent vient de bâbord, on dit qu’on va bâbord amure, amure étant par définition le bas de la voile du côté d’où vient le vent. Nous arrivâmes à Iquique. Au mois d’août, il y fait très froid. Les voiliers ne passent pas dans le Détroit,, mais en dessous de la Terre de Feu, par 60 - 61 ° de latitude Sud ( mais attention aux icebergs ! bon-papa n’en vit jamais, mais le père de bonne-maman, lui, en vit).
A notre arrivée, tout le monde nous croyait perdus, corps et biens. Mon frère le croyait aussi, il l’avait vu dans le journal. Malheureusement, c’est lui qui se perdit. Il commandait vers 1924, un vapeur, le PORT DE BREST, chargé de rails et se perdit entre Bordeaux et Dakar.
A Iquique, il n’y avait plus un gramme de peinture sur la coque. Elle était complètement rouillée. Nous restâmes un mois. A l’époque c’était l’équipage lui-même, qui chargeait et déchargeait le bateau, sous l’œil vigilant du réceptionnaire de la cargaison qui cherchait à nous rouler ( ce à quoi nous lui répondions en arrosant le charbon la nuit pour le faire peser plus lourd )
Après avoir déchargé le charbon,, nous rentrâmes avec du nitrate. Mauvais temps, Beaucoup de vent, épouvantable tempête au Cap Horn, une des plus dures que j’ai vues, on fut obligé de mettre en fuite : vent arrière, les cales furent remplies d’eau, le salpêtre fondait. On a voulu pomper à la vapeur, impossible. Il fallut vider les cales avec des seaux, tout le dessous de la cargaison fut perdu. L’équipage était très fatigué. On couchait, on mangeait dans la cale, pour ne pas perdre de temps: 2 heures de travail, 2 heures de repos sur place. On essayait de faire route sur Montevideo. On fut démâté du grand mât de perroquet (la partie haute du grand mât ) par une deuxième tempête. On a relâché à Montevideo, les médecins voulurent nous mettre en quarantaine, tant nous avions tous triste mine ! Le Capitaine réussit à les convaincre que nous étions seulement fatigués et non malades.
Nous sommes restés 3 ou 4 mois en réparations à Montevideo : changer 3000 rivets qui avaient pris du jeu, (d’où la voie d’eau). Nous repartîmes pour Anvers où nous arrivâmes après 16 mois de voyage.
Après ce voyage, je suis resté quelque temps à terre, où je pris quelques leçons chez l’instituteur de St Lunaire
Le 2e voyage, Anvers-San Francisco-Ipswich, se déroula sans incidents : 138 jours à l’aller et 117 au retour.
Pour son 3e voyage qui débuta le 15 Juin 1904, il monta de Nantes sur Swansea pour prendre une cargaison de charbon. Il atteignit San Francisco en 120 jours et revint à Queenstown (Irlande) en 127 jours, toujours sous les ordres du capitaine Robert. Le voyage s’acheva le 27 Mai 1905.
Voici le BABIN CHEVAYE descendant le canal de Bristol, chargé aux marques avec du charbon
Et voici l’équipage de ce 3e voyage.

Il est bien sûr très difficile, et même impossible aujourd’hui d’identifier tous les hommes de la photo.
Deux sont toutefois reconnaissables : le mousse Georges Bichon, 16 ans, de Pornic, qui tient la bouée et juste à côté de lui, avec le chien du bord, le novice Henri Echard, 17 ans. Ce dernier, originaire de Nantes était domicilié au 8 quai de la Fosse.
Le mousse Bichon sera torpillé treize ans plus tard, le 3 Avril 1917, étant second capitaine du vapeur SAINT SIMON, mais survivra au naufrage. Il deviendra commandant à la Société Navale de l'Ouest.
L’homme tenant la poële à frire, à côté de Georges Bichon, pourrait être le cuisinier Pierre Hillereau, de La Chevalière, près de Nantes. Hillereau décèdera quelques années plus tard, le 18 Avril 1910, à bord de l'EUGENE PERGELINE peu avant l'arrivée à Glasgow, au retour d'un voyage du Chili.
Les officiers sont debouts; ce sont, au centre, au niveau du mousse, le second Emmanuel Chaumur, inscrit à Saint Malo (originaire de Saint Briac); 2e à partir de la droite, le capitaine Robert, également de Saint Malo, et 3e le lieutenant Eugène Fiterbe, de Dinan. Le capitaine Robert sera torpillé sur le BOUGAINVILLE en Mars 1916 (voir fiche de ce navire).
Enfin, on note, 2e debout à partir de la gauche, le matelot Martiniquais Victor Arlin, né à Fort de France et domicilié à Saint Pierre de la Martinique. Victor Arlin sera capturé en Décembre 1914 sur le JEAN (voir fiche de ce navire), à l’île de Pâques, par le PRINZ EITEL FRIEDRICH. Il parviendra à rentrer en France puisqu’on le retrouve fin 1916 à Nantes où il demeurait au 62 quai de la Fosse. Saint Pierre de la Martinique n'existait plus, détruite par une nuée ardente le 8 Mai 1902. Arzin, sans doute embarqué à l'époque, avait échappé à la catastrophe.
Voici un cliché du second capitaine Chaumur (2e à partir de la gauche)sur le pont du Babin Chevaye en 1904 (Document fourni par son petit-fils que je remercie ici)

Le Babin Chevaye continua sa carrière jusqu’au 14 Janvier 1918, notamment, à partir de Juin 1905, sous les ordres du capitaine Louis Lacroix.
Voici le capitaine Lacroix sur la dunette du BABIN CHEVAYE.

En 1906, s’y trouvait aussi embarqué le futur commandant Georges Aubin qui a laissé un émouvant récit de ce voyage dans son ouvrage « Nous, les cap-horniers ». Grand écrivain maritime, Georges Aubin a aussi écrit « L’empreinte de la voile », « Les hommes en suroit », « En bourlinguant sur les sept océans », « L’amour en matelote » et un petit bijou d’humour : « Dans le vert sillage des cap-horniers ».
Quelques anecdotes concernant le BABIN CHEVAYE méritent encore d’être rapportées.
En Septembre 1905, le BABIN CHEVAYE était à nouveau au cap Horn. Bâbord amures, portant bon plein il faisait route avec basses voiles au ris, 4 huniers, grand perroquet fixe, 2 focs, voile d’étai et artimon de cape. Soudain, une lame se leva sur l’avant. Le navire y plongea son bout dehors tout entier et son avant jusqu’au roof équipage. Il sembla comme assommé, mais se redressa et l’eau embarquée se précipita vers l’arrière, arrachant tout sur son passage. Un bruit sec se fit entendre : le cadre du gouvernail venait de casser. Il fallut mettre à la cape, passer des chaines autour du safran, puis gouverner avec les voiles pour atteindre Taltal. L’avarie nécessita 25 jours de réparations.
Le 18 Avril 1906, en plein Pacifique, le navire cessa de gouverner et sembla échoué. La voilure fut contre-brassée et la sonde mise à l’eau. Mais elle ne trouva aucun fond jusqu’à 200m. La nuit était calme, mais apparurent de violents remous de courants et de vastes remous circulaires troublant l’eau phosphorescente. A l’arrivée à Sydney, l’équipage apprit que, ce jour-là, un terrible tremblement de terre avait dévasté San Francisco. Or BABIN CHEVAYE était justement en escale à San Francisco quelques semaines auparavant. Il avait quitté le grand port américain le 12 Février 1906. Voici le bon de pilotage de sortie, signé par le capitaine Lacroix.
La perte du BABIN CHEVAYE
Extrait du rôle
Armé au long cours le 16 Juillet 1916 à Nantes par MM. Bureau Frères et Baillergeau.
Capitaine BOURGE Emile CLC né le 25/12/1883 à Saint Suliac inscrit à Saint Malo
Second DESBIOTS Henri CC né le 28/12/1876 à Cancale inscrit à Granville
Lieutenant COADOU Jean Marie né le 18/04/1878 à Beuzec Conq inscrit à Concarneau
Le capitaine Bourge remplaça le capitaine Robert le 12 Novembre à Londres.
14 hommes d’équipage en tout ce qui est peu.(En fait 22 hommes -voir ci-dessous)
A noter que le novice Paul KERMORVAN né le 19/11/1898 à Bangor et inscrit à Belle Ile sera débarqué le 25 Août 1917 à Valparaiso, gagnera Buenos Aires sans doute en train, et sera rapatrié en France par le paquebot NAMERA (?) qui appareillera le 29 Août de Buenos Aires. La raison de ce débarquement n’est pas mentionnée sur le rôle. Il sera remplacé à Antofagasta par un matelot japonais, Shinao Kusumi.
Itinéraire
Londres 19/09/16 04/01/17
Valparaiso 24/04/17 05/06/17
Antofagasta 20/06/17 21/08/17 pour Nantes
« Le navire a fait naufrage le 14 Janvier 1918 par 43°23 N et 7°18 W (méridien de Paris) à 70 milles à l’ouest de la Pointe des Poulains. »
Pas de rapport du capitaine.
Récit (source Lacroix)
Le 14 Janvier 1918, le BABIN CHEVAYE, chargé de 3000 tonnes de salpêtre, fut intercepté par un U-boot à 30 milles au SW de Penmarch. Il venait de faire 138 jours de mer et arrivait presque en vue de sa destination. La veille, il avait croisé le vapeur Saint Louis qui lui avait signalé la présence de plusieurs sous-marins. A 07h40 du matin, un sous-marin fit surface et tira un obus qui passa entre le grand mât et la misaine, puis encadra le trois-mâts de plusieurs autres coups.
Le capitaine Bourge mit en panne et fit embarquer ses hommes dans les baleinières.
Se rapprochant, le sous-marin envoya des marins allemands avec des explosifs ; ils se firent accompagner par le capitaine Bourge. A 09h30, le navire sauta et coula en 30 secondes.
Les embarcations se perdirent de vue car il ventait grand frais. Celle du capitaine arriva en vue de la Pointe des Poulains en Belle-Ile, et atterrit à Portivy (Quiberon). Celle du second fit route sur le feu de Penmarch et croisa le torpilleur TROMBLON (voir fiche de ce torpilleur) qui ramena tout le monde à Port Haliguen.
Le sous-marin attaquant
Pendant longtemps, on a ignoré quel sous-marin avait coulé le BABIN CHEVAYE, aucun des trois présents sur zone : U 84, U 93 et U 95 n’étant rentré à sa base. Tous avaient disparu corps et biens.
Mais en 2005, l’épave de l’U 95 fut identifiée au fond du Pas de Calais, mais tout d'abord prise pour l'U 93. Les listes d'équipage furent alors ressorties et notre spécialiste de la guerre sous-marine, Yves, s’intéressa à ces listes. Il découvrit que le capitaine Bourge avait fait un rapport détaillé, décrivant notamment avec précision les officiers du sous-marin avec lesquels il avait été en contact. Il signalait en particulier :
- le commandant, visage jeune, yeux bleus gris, rasé, plutôt amical, âgé d’environ 40 ans.
- un officier ingénieur mécanicien dont le prénom était Hermann,
- un officier petit, souriant, visage émacié, avec un seul galon, sans doute un ancien de la marine marchande.
Or parmi les états-majors des trois sous-marins, seule la liste des officiers de l’U 93 répondait exactement à cette description. L’état major du l’U 93 se composait en effet de
Helmuth GERLACH Lieutenant de vaisseau Commandant né le 25/08/1885 (42 ans )
Friedrich BURCHARDI « Cdt stagiaire 26/08/1883 (44 ans)
Hans von USEDOM Enseigne 1er officier 05/10/1894 (33 ans)
Hermann HAHN Enseigne de réserve 2e officier ex mar-mar (33 ans)
Hermann HAUSSMANN Ingénieur mécanicien (38 ans)
Le doute fut donc levé en 2007. Depuis presque 90 ans, ces hommes, que les marins du BABIN CHEVAYE avaient été les derniers à rencontrer, étaient en patrouille éternelle dans les flancs de leur sous-marin. Bel exemple de recherche couronnée de succès.
Je laisse le soin à Yves d’apporter des précisions sur le déroulement exact du naufrage car il doit posséder le rapport de mer du capitaine Bourge. Il n’y a, bien sûr, plus de KTB du sous-marin.
Voici un tableau représentant le BABIN CHEVAYE dans les glaces des mers australes en 1907 (voyage raconté par Georges Aubin).
Cdlt
Olivier