GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits

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Ar Brav
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Je demande au lieutenant de vaisseau T..., du Bouvet, s'il sait quelque chose des amis que j'avais sur son navire : l’enseigne A..., un ancien du Gaulois, les médecins D... et C..., qui, occupant les fonds, ont dû être surpris par la soudaineté de l’explosion. Que d'héroïsmes obscurs que jamais l'histoire n'inscrira ! Le docteur C... avait été appelé dans la tourelle avant, où quatre hommes étaient tombés asphyxiés, jusqu'au dernier moment il resta près d'eux, mais put-il alors se sauver, comme le premier-maître canonnier qui dirigeait la pièce ? Le commandant R. de T…, est demeure à son poste dans le blockhaus. Le capitaine de frégate A..., commandant en second, était dans la cambuse, au moment de la secousse. Il dit : « Je crois que nous venons de recevoir une torpille : je vais voir ce que c'est. » Qu'est-il devenu, lui aussi ?
Beaucoup, certes, ont dû pouvoir se jeter à la mer, mais combien ont pu être recueillis ? Un survivant dit avoir vu, à quelques mètres de lui, pendant qu'il nageait, une manche ornée de trois galons se dresser vers le ciel en signe de ralliement ; un cri de « Vive la France ! » et le bras de l'officier disparut.
Fait déconcertant, inexplicable - et cependant souvent noté - en ces moments de grand danger, dont la conscience nous échappe : l'empreinte qu'un insignifiant détail laisse en nous, et qui nous poursuit de son obsession. Un officier de notre Bouvet serrait contre son sein, quand on l'a repêché, la mappemonde de navigation, la « tête de veau », dont il ne voulait, à aucun prix, se défaire. Un matelot brandissait la longue vue de la timonerie, heureux de « sauver quelque chose ». Mais n'a-t-on pas vu déjà, en 1907, quand l'Iéna sautait dans les cales de Missiessy, l’amiral Manceron vouloir retourner dans son salon pour chercher sa casquette, et cet officier russe, dont il est parlé quelque part dans les Mémoires de Sémenoff, put-on, au cours d'un combat naval, l'empêcher de traverser le carré en feu pour y prendre une boîte d'allumettes ?...

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- Une cigarette, docteur ?
- Volontiers, capitaine... Mais, au fait, vous l'attentif observateur qui notez du blockhaus tout ce que vous voyez du combat, nous direz-vous ce qui, là-haut, fournit matière à votre rapport ?

L’officier raconte.

- Avant que notre division ne vînt appuyer les cuirassés anglais, le tir des mortiers et des canons de campagne turcs avait été très violent. Des fumées noires - shrapnells ou fusées servant à régler la chute des projectiles - s'étendaient au dessus de la Queen-Elizabeth, de l' Inflexible et du Lord Nelson. Vers midi, un incendie éclatait à gauche de Chanak, probablement dans un dépôt de munitions.
Quand le Gaulois eut cessé son feu, cédant la place au Charlemagne, une batterie d'obusiers dirigea quatre salves contre le Prince-George, lui enlevant la moitié de sa passerelle. Deux coups tombèrent près du Gaulois, puis, pendant que le Charlemagne tirait sur Hamidieh, deux obus encore explosèrent par tribord, à cinq et dix mètres de l'avant.
Le Suffren ayant ordonné la ligne de file derrière l'escadre anglaise, nous entrons, à 1 h. 50, dans le champ de tir d'une nouvelle batterie d'obusiers, dont les projectiles, tombant d’abord entre dix et cinquante mètres de l'avant, finissent par nous atteindre. C'est l'un d'eux qui éclata sur notre plage arrière, allumant des flammes que nos manches à incendie éteignirent rapidement. C'est un autre peut-être, à moins que ce ne soit une mine, qui a déchiré notre coque sous la cuirasse.
- A-t-on aperçu des mines flottantes le long du bord ?
- Avant de commencer notre tir, vers 12 h. 30, nous avons pu voir, pas très loin de nous, deux bouées grisâtres qu'entraînait le courant. Quand, le Charlemagne nous ayant remplacés, nous venions en dérive sur la droite, nous avons vu encore, à quatre ou cinq cents mètres par tribord, deux flotteurs blancs qui étaient probablement des mines, mais beaucoup trop loin pour que nous puissions tirer dessus.
- Et le Bouvet ?
- Il avait terminé son tir et ralliait le Suffren, quand, à 1 h. 55, on distingua par le travers de sa tourelle de 27 tribord, une gerbe d'eau, puis des flammes, puis une fumée jaunâtre. Presque aussitôt, il se penchait de ce côté jusqu'à 90 degrés ; les tourelles, projetées hors de leur loge, tombaient à la mer l'une après l'autre, et en cinquante-cinq secondes exactement, il avait chaviré la quille en l'air, la proue disparaissant la dernière.
- Le Charlemagne s'en tire sans avarie. Le Suffren aussi, je suppose ?
- Le Suffren a dû être également touché, car, pendant qu'il était en position de tir le long de la rive d'Asie, une longue flamme a semblé partir d'une de ses casemates.
- Et nous ? Avez-vous senti, de votre blockhaus, que nous étions touchés ?
- Par ma foi, il y avait par-dessus nos têtes tant de sifflements, autour de nous tant d'explosions, sans compter les vibrations, le souffle de nos propres pièces, que la secousse passa inaperçue. Mais, vous, en bas, avez-vous pu seulement vous rendre compte de sa gravité ? Et ne fallût-il pas que les canonniers entendissent le bruit de l'eau, que l'on ouvrit le panneau de descente à la soute aux gargousses, pour que l'on mesurât l'importance de l'avarie ? D'ailleurs, même si nous l'avions, par impossible, reconnue de suite, cela nous eût-il empêchés de nous porter à toute vitesse au secours du Bouvet ? Notre brèche, certes, a dû en souffrir, de cet élan, et l'envahissement de l'eau dut être plus rapide, Mais un blessé qui ne sent pas encore sa blessure, et qui se précipite sur son frère d'armes en danger, pour défaillir ensuite auprès de lui, peut-on vraiment lui reprocher son geste généreux ?...

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Nous causons, et chaque minute qui s'écoule abrège la distance que nous avons à parcourir. Drépano¹, là-bas, dans le mirage amical du soir, semble flotter comme un grand navire qui se rapproche. Il est pauvre et nu, cet îlot, sans humus ni végétation, inhabité, sauf peut-être par les quadrupèdes gentils que rappelle son plaisant surnom. Venu trop tard, sans doute, dans la série des archipels ioniens à la décevante géologie, son sol ingrat a méconnu la faveur du ciel. Mais quelle terre, parmi les plus belles, fut plus ardemment désirée ? Ithaque assurément fut moins aimée d'Ulysse, après son long voyage !...

¹ Drépano fait partie avec Mavro et Phido d’un groupe d'iles qui portent le nom d’Iles aux Lapins.

Nous avançons, nous avançons toujours. On se montre au loin, à toucher la côte d'Europe, un navire que surmonte un dais fumeux de mauvais augure : l' Inflexible ou la Queen-Elizabeth ?

Une vedette maintenant nous accoste, et j'y reconnais la haute casquette à broderies d'or de l'amiral. Pourquoi nous n'allons pas plutôt à Ténédos, où nous serions plus près de l'escadre ? Mais tout simplement parce que le temps presse. La cloison du compartiment des tubes sous-marins commence à laisser passer l'eau. L'échouage est urgent, et d'ailleurs les fonds seront meilleurs à Drépano.

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A 5 h. 55 enfin nous y arrivons, à cette île d'inespéré salut, et sans heurt notre proue s'y pose doucement sur une petite plage de sable. Cinq minutes de plus, et la Fortune, lassée, se détournait de nous. Une ancre à jet fixe notre avant, une aussière portée à terre nous appuie sur la plage. L'hélice continue à tourner lentement pour ne pas déraper sur le sable et pour éviter les secousses de la houle.
La côte turque n'est pas très éloignée, et, de peur qu'on ne nous canonne, le Charlemagne veille sur nous, prêt à nous protéger. Des scaphandriers anglais vont travailler toute la nuit pour reconnaître la voie d'eau et l'aveugler, si possible. Tout va bien, et il est à prévoir que d'ici peu notre avant délesté flottera.
Une partie de la bordée débarquée revient à bord. Dans les Détroits, au cours de cette mémorable journée, les cuirassés anglais Ocean et Irresistible ont été aussi coulés par des mines, mais leurs équipages, sauvés presque au complet, ont pu passer sur des bâtiments de secours.

19 mars

Le jour se lève, gris et froid, sur une mer houleuse, qui déferle en chocs brefs sur notre flanc tribord : léger roulis, qui complique de dures oscillations notre stabilité. Dans la bruine du matin glisse et s'efface, vers l'entrée des Détroits, la silhouette familière de quelques croiseurs britanniques.
Des deux dragueurs qui se sont amarrés près de nous, l'un pompe l'eau, l'autre envoie de l'air aux scaphandriers anglais qui ont plongé jusqu'à la brèche. On sait maintenant quelle est l'avarie : une voie d'eau de 7 mètres de long sur 25 centimètres en sa plus grande largeur, un défoncement des tôles au-dessous du bord inférieur de la cuirasse. Peu de chose, en somme, - surtout en largeur - mais en faut-il beaucoup, dans ces trop vulnérables régions, pour compromettre une machine de guerre telle que nous ?... On espère, avec des coins de bois, de l'étoupe et du plomb, obtenir une réparation provisoire, qui nous permettra de gagner un arsenal.

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Sur la plage arrière, au ras de la tourelle, un trou d'un mètre carré représente le passage de l'obus dont les éclats ont atteint par ricochet les canonniers derrière leur pièce. Le pont inférieur est également troué, et les chambres au-dessous ont subi quelques dégâts. En explosant, le projectile a rempli de fumée le compartiment de la barre à bras, l'a criblé d'éclats de cornière. On ferma, puis on ouvrit les portes, à cause de l'asphyxie. Boubou-Sy, le quartier-maître sénégalais, était couché près de la barre, quand un fragment d'acier vint s'écraser à quelques centimètres de sa joue. Il se lève, va s'étendre à l'autre bout du compartiment, non sans avoir ramassé le précieux métal : « Avec bon gris-gris comme ça, moi y en a plus mourir ! » (sic)
Nous apprenons le nombre des rescapés du Bouvet : 51, dont 5 officiers. Mes trois amis sont morts, ou peut-être prisonniers des Turcs, ce qui, malgré tout, est peu probable. Il faut ajouter à ce chiffre les 5 hommes laissés, avant le combat, sur le bateau hôpital Canada ou à terre à Ténédos pour garder les embarcations. Ce qui fait, au total, 56 survivants sur un équipage de 721 hommes. Mais aucun de tous ces noms, dont je ne connais que quelques-uns, ne sera oublié.
Vous ne périrez pas, morts du Bouvet, dans notre mémoire.
Vous tous, amis et camarades, qui, la veille même du jour glorieux, veniez, en guise d'adieu, nous apporter votre gaieté - dormez au fond de l'Hellespont, dormez en paix votre dernier sommeil ! Sur les autels du Souvenir notre piété tresse déjà de durables couronnes. Votre héroïque exemple a exalté nos volontés, et nos canons bientôt tonneront de leurs voix victorieuses. Alors, éveillez-vous des glauques profondeurs, et, quand nous glisserons sur votre cercueil, que vos âmes consolées nous parlent dans le murmure du flot !...

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Dans l'après-midi, la Cognée nous ramène le reste de, nos hommes de la première bordée. Ils sont ravis, ces braves gens, de l'accueil qu'on leur a fait sur les bateaux anglais. Belle occasion pour la cordiale alliance ! On a fait échange de bérets en se séparant, et ce sont les noms de Lord Nelson, Triumph, Agamemnon qui sur chaque front brillent maintenant en lettres d'or.
Enthousiasme expansif, reconnaissance attendrie, au souvenir des prévenances - d'ordre surtout gastronomique - dont on les entoura. Mais sous toute cette bruyante objectivité, qu'eût pu facilement percer un philosophe, un air de confusion, de honte presque pour cette fugue rapide, ordonnée pourtant.

- On est parti, parce que tout le monde a cru qu’on allait couler, même que tout le monde le disait sur les bateaux où on est monté !...

Un maître-d'hôtel m'expose les vicissitudes sans nombre qui suivirent son débarquement :

- Allez ! Pour sûr que si j'avais su que j'allais m'appuyer une pareille ribote, j'aurais préféré rester à bord avec les copains… Le Chelmer, le torpilleur anglais qui m'a pris, vous l'avez vu, n'est-ce pas ? Eh bien ! Au lieu de nous débarquer sur un de ces grands bateaux qui ne faisaient rien, les 85 que nous étions là, il a carrément repiqué sur les Dardanelles. Là, il y avait le Dartmouth, près de Seddul-Bahr. Nous pensons : « Chouette ! Ca y est. Cette fois, on va nous laisser sur ce rafiot ». On commence à débarquer, mais ouat ! V’là qu’on enlève la planche et qu’on repart à toute vitesse, rapport à un T. S. F. qu’on venait de recevoir. Tous les torpilleurs, tous les chalutiers qu'on rencontrait, on leur y signalait de nous suivre. Paraît qu’y avait deux bateaux au plein qui demandaient deux bateaux au plein qui demandaient du secours. On s'en approche, on fait des ronds autour de l'un, qui était l'Océan ; l'autre, c'était l'Irresistible. On finit par accoster l'Océan, mais pan ! On reçoit un obus dans la cuisine qui enlève le dessous de la passerelle, et deux minutes après, un autre pruneau qui tombe dans la chaufferie et cause une voie d'eau. Fallait voir les marins anglais ! De suite, ils soufflent dans une sorte de bouée en caoutchouc qu'ils ont toujours autour du cou. Mince ! Pensais-je, dans quoi est-ce que je vais souffler, moi ? Je me préparais à me jeter à l'eau, mais la terre était loin, et puis… il y avait les Turcs.
Je me cachais près de la cuisine, rapport aux projectiles, puis, quand j'ai vu que l'Océan nous passait des blessés, je me suis mis à aider le mouvement. Avec le paillet Makaroff on avait bouché la voie d'eau, et alors les gens de l'Ocean, qui rigolaient en fumant leur pipe, ont commencé à descendre chez nous. Leur pauvre bateau ! Il était tout ouvert sur l'avant, et on voyait l'intérieur sur 6 ou 7 mètres. N'empêche qu'ils se sont mis de suite à jouer aux cartes sur le pont.
Il était bien 9 heures du soir à ce moment-là, et notre voie d'eau, elle recommençait à donner sérieusement. Alors nous sommes allés près du Lord Nelson, et on nous a dit à tous de monter à bord. On nous a donné un grand demi-bol de tafia, du thé, du pain, de la confiture, de quoi nous retaper un peu. Mais moi, ça ne me chantait pas, j'étais trop fatigué. J'ai préféré m'endormir sur un tapis dans la batterie. Le lendemain, la faim était un peu revenue, et j'ai mangé du pain, du beurre, du fromage, de l'endaubage, tout ça à discrétion. Y me manquait bien mon quart de vin, mais je me suis rattrapé sur le cacao. Y en avait une bâille pleine, et on y plongeait son bol autant de fois qu'on voulait.
Vers 2 heures, un canot du Suffren est venu nous chercher pour nous conduire à bord de la Cognée. On était bien contents, vous pouvez croire, mais on avait la larme à l'œil en se quittant avec les Anglais. On nous avait tellement dit que le Gaulois était coulé que ce fut une vraie joie pour nous de le revoir, et nous sommes montés à bord, heureux de retrouver les copains… Ben quoi ! Vous autres, vous avez l'air de vous payer ma tête maintenant ! C'est-y pas vrai qu'on s'est embrassé ? Mais tout de même, allez ! J’aurais mieux fait de rester à bord…

Et, revenu déjà de son émotion, notre maître-d'hôtel regagne, d'un pas léger, son office.

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Les nouvelles du combat d'hier, transmises télégraphiquement par les deux amiraux des escadres alliées, sont parvenues en France et en Angleterre. L'amiral de Robeck loue en termes élevés la conduite de la division française :

Je désire porter à la connaissance des Lords de l'Amirauté la manière splendide dont l'escadre française s'est comportée. Elle n'est point troublée, malgré ses lourdes pertes. L'amiral Guépratte l'a conduite au feu, dans une action rapprochée, avec la plus grande bravoure. Officiers et marins sont tous ardents pour engager à nouveau l'ennemi.

Le Ministre de la Marine française et l'Amirauté britannique envoient, en échange, leur témoignage de sympathie et de haute satisfaction. Concert de voix élogieuses qui nous emplit tous de fierté et nous touche profondément. Comment en mieux résumer le sens que par ces trois phrases éloquentes et simples, dont la dernière est pour l'avenir un gage assuré de victoire :

Général d'Amade à Contre-Amiral Suffren :

Nous prenons part au deuil général de la marine française. Tous ont, malgré tout, noblement accompli leur devoir et donnent un magnifique exemple de courage.
Leurs frères d'armes du corps expéditionnaire les admirent et les vengeront.


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20 mars.

Les travaux se poursuivent normalement. Les coins de bois que les scaphandriers enfoncent dans la brèche la réduisent peu à peu, et dès ce soir, sans doute, on pourra faire fonctionner vigoureusement les thirions pour aspirer l'eau des compartiments envahis.
Le Suffren, qui est ancré derrière nous, a reçu aussi au cours du combat quelques avaries, mais peu graves. Un projectile a éclaté dans une de ses casemates - la flamme que l'on avait aperçue de notre blockhaus – tuant des hommes de l’armement et faussant une tourelle de 16 voisine. Grâce à un simple quartier-maître, un incendie et peut-être l’explosion des soutes furent évités. Voyant une gargousse enflammée tomber dans sa soute de 16, il la fit évacuer rapidement, et, avec un merveilleux sang-froid, ouvrit les prises d’eau pour la noyer.
La coque du Suffren a également une petite voie d'eau. Comme nous, il aura besoin d'un carénage.
Le croiseur de bataille anglais Inflexible a eu son poste de contrôle de tir avant frappé par un obus de gros calibre. C'est lui probablement que nous avions aperçu au loin, près de Seddul-Bahr, environné d'une épaisse fumée.

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Re: GAULOIS - Un cuirassé aux Dardanelles, l'attaque des détroits

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21 mars.

Nous voici à flot, depuis midi, ayant pris mouillage entre les deux îles Mavro et Phido. Notre proue, allégée, a quitté son lit de sable et de gravier, et c'est plus bas, à la verte ligne de flottaison, que la vague, comme autrefois, vient la caresser.
On peut descendre, maintenant, dans les locaux qu'a saccagés l'eau de mer, et que revêt une boue gluante. La cale à eau, trois compartiments voisins, dont celui que nous occupions pendant le combat, le pivot de la tourelle avant, les soutes des maîtres charpentier, magasinier et électricien, huit chambres de maîtres et le poste des seconds-maîtres ont été inondés, ce qui représente bien 1 800 tonnes d'eau. De la cale à eau, où mon service m'appelle pour le nettoyage et la désinfection des caisses à eau distillée, je vais, par curiosité, rendre visite à ce qu'on peut voir de la brèche. Il faut, pour y parvenir, ramper dans l'obscurité de caisse en caisse, enjamber un infect bourbier, traverser la porte étroite d'une cloison, grimper le long des tôles extérieures en s'accrochant à des saillies de fer.
Alors, sur la coque défoncée, qui, sous la poussée de l'explosion, a tordu et gondolé les couples d'acier, on voit, tout au haut, s'avancer une grande fente aux bords éversés, au travers de laquelle les planches de bois font saillie. C'est la partie antérieure de la déchirure, la plus basse en raison de l'obliquité, et la plus accessible. Un peu d'eau filtre encore, avec un glouglou de source, sur la convexité des tôles peintes au minium, mais le ruisseau qui se collecte en bas, dans le fond ténébreux que mon fanal n’éclaire pas, est à mesure asséché par la rude aspiration des crépines.
Tout est donc pour le mieux, et demain, après avoir rejoint l’escadre à Ténédos, après avoir embarqué des vivres et du charbon et pris les ordres de l’amiral, nous ferons route avec le Suffren sur un arsenal : Malte, Bizerte ou Toulon.

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23 mars.

A Navarin, où nous avons dû faire escale.

Depuis Ténédos, en vue jusqu'au cap Cérigo des côtes de Grèce, nous avions eu le plus merveilleux temps qui se puisse rêver une mer transparente et unie comme un ciel, malgré la tiède brise.
A Vatika, dans la fraîche lumière du matin, toute l'armée navale était sortie de l'anse où elle s'abritait, et, conduite par le cuirassé-amiral, s'était portée à nos devants. Elle avait défilé tout près de nous, dans le tumulte des vivats, nous avait encadrés d'une escorte d'honneur. Le commandant en chef nous avait dit sa joie, sa fierté, sa gratitude, puis – récompense tant souhaitée - nous avait enjoint de regagner Toulon, après une courte escale à l'île de Malte.
Doublé le cap Matapan, la brise peu à peu s'était mise à fraîchir, et le vent, le grand vent de la Méditerranée, s'était levé. La calme surface s'émeut. Argentée d'abord de moutonnements épars, elle s'enfle bientôt en houles parallèles, dont notre flanc blessé supporte l'effort. Nos coins de bois un à un sont arrachés, l'eau recommence à envahir le compartiment de la cale. A 8 heures du soir, nous sommes à 40 milles au sud-ouest de Navarin, marchant à peine à la vitesse de 4 noeuds. Vaut-il mieux continuer sur Malte ou revenir en arrière ? La tempête augmente. Roulis et tangage violents. L'eau entre à torrents dans la cale à eau qui s'emplit. Nous virons de bord. Nous mettons le cap à petite allure sur Navarin. On sent que l'avant s'enfonce. Situation plus critique qu'à Koum-Kaleh, car il fait nuit, nous sommes en pleine mer, par très gros temps et loin de tout secours. La nuit est relativement claire, le vent rugit, les lames se creusent en tourbillons. Derrière nous, la grosse silhouette noire du Suffren semble nous guetter, impassible. Quel secours attendre de lui, en cas de danger, par un temps pareil ? Toute embarcation mise à l'eau chavirerait infailliblement.
Le Courbet, prévenu par T. S. F., dépêche un croiseur et trois torpilleurs à notre rencontre.

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