j'ai souhaité ouvrir ce sujet afin d'y mettre,un peu pêle-mêle,sans lien entre eux,des petits témoignages révélateurs de l'univers des services de santé pendant la Grande guerre;
ce sont des situations,des portraits,des comportements rencontrés au hasard de mes lectures,et que j'ai trouvé très typiques de l'ambiance et du regard de l'époque.
ça serait comme pour un tableau,une multitude d'impressions pour mieux saisir une certaine réalité.
Journaux de tranchées
extraits du livre de Jean-Pierre Tubergue,"1914-1918,les journaux de tranchées",éditions Italiques 1999
Le brancardier
Parmi tous les êtres étranges qui composent la faune du front,le brancardier mérite d'arrêter quelques instants notre attention.C'est un mammifère de l'ordre des Poilus;extérieurement il se distingue du Poilu ordinaire par le signe rouge,en forme de croix,qui orne son membre antérieur gauche;il se caractérise,surtout par ses moeurs toutes spéciales et son genre de vie très différent de celui de son proche parent,le Poilu des tranchées.
De même qu'on a personnifié le travail dans la fourmi,l'astuce dans le renard,la malpropreté dans le porc et la fourberie dans le Boche,le brancardier semble l'incarnation du dévouement.
Peu belliqueux de sa nature,il se borne à suivre au combat les autres Poilus,ses frères,afin de les panser,et,au besoin,de les emporter s'ils sont blessés.Rien ne le rebute,dans l'accomplissement de ce travail de sauvetage,et l'on a vu des brancardiers se faire tuer en essayant d'aller chercher un de leurs congénères tombé au cours de la bataille.
Pendant les périodes calmes,les brancardiers poursuivent leur oeuvre bienfaisante:ils se rassemblent en groupe et soufflent de leur mieux dans des instruments de formes variées dont ils tirent des sons assez agréables pour la plus grande joie des Poilus qui les écoutent.
Ils sont généralement dans cette tâche plutôt les clairons,et l'ensemble forme ce qu'on appelle une "fanfare".Une chose curieuse à étudier,c'est la façon dont procèdent les clairons et leurs partenaires pour arriver à produire leurs sons en mesure : tandis que le brancardier-fanfariste,animal méthodique et de tempérament classique,déchiffre méticuleusement,sur un carton gribouillé,les notes et les mesures,le clairon,plus fantaisiste et d'allures plutôt romantiques,joue de mémoire en scandant simplement les temps avec le pied.
Le brancardier,être bizarre et à transformations multiples,sera sans doute,pour les générations futures,un sujet d'étonnement et d'admiration.Nos arrières-petits-enfants se représenteront avec stupéfaction cet étrange phénomène : aujourd'hui,terre-neuve sauveteur,versant au jour de la bataille la teinture d'iode réglementaire,et obligatoire sur les plaies des Poilus,et demain,rossignol charmeur,faisant couler dans leurs oreilles des torrents d'harmonie.
"le diable au cor,n°11-22 août 1915"
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L'aumônier missionnaire
Ce n'est pas seulement à Rome que mènent tous les chemins,pour lui...C'est aussi aux tranchées de 1ère ligne.
Au-dessus de tous les déblais de boyaux du secteur,on voit son casque,gainé de kaki,avancer par bonds,au rythme de ses infatigables guiboles.Il file,sur le caillebotis,comme si c'était le chemin du Paradis.
Il surgit partout,à toute heure,bruyant,boueux et cordial sauf,toutefois,quand il a pris rendez-vous.
Il apporte toujours avec lui des nouvelles de joyeuses histoires toulousaines et de multiples paquets de cigarettes.Le tout est abondamment distribué aux Poilus,assaisonné d'une bonne philosophie à la " faut pas s'en faire " que soulignent le timbre méridional de la voix et le geste énergique,rendu plus ample encore par les évolutions de la canne ferrée.
Quand " ça barde ",voix et gestes s'adoucissent pour devenir ceux du prêtre,de la maman ou de l'infirmier.
Son aspect est terrible de loin,et l'on dirait parfois un vieux routier de missions étrangères qui a évangélisé les cinq parties du monde.Il est douceur,bonté et joie....une âme d'enfant de coeur.
(....)
-Moussu Lassalo? Lous caldrio toutis coumo aquel!
Signe particulier:n'a jamais pu se tenir debout dans aucune cagna.
"L'écho du boyau,n°14-décembre 1916"
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L'infirmière
L'infirmière n'est pas,comme on pourrait le croire,la femelle de l'infirmier.Elle paraît en avoir même une certaine horreur.Il n'y a d'ailleurs qu'à considérer l'un et l'autre pour s'en convaincre qu'ils ne sont pas de la même espèce.Elle lui parle sur un ton plutôt aigre-doux: " Ôtez-vous de là,vous sentez la pharmacie ! Allons,du coton! vite! ",etc.Sa tendresse,ses sourires,ses paroles affectueuses sont exclusivement réservés aux malades et aux blessés.On constate d'ailleurs qu'ils produisent des effets surprenants!
" Le diable au cor,n°33-15 janvier 1917"
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Les infirmiers
Il y a,au point de vue médical,deux sortes d'infirmiers : celui qui n'y connait rien et celui qui n'y connait pas grand chose.L'un et l'autre sont suffisamment dangereux pour qu'on les isole dans un cabanon appelé poste de secours.
Ils vivent là,en famille,sous la surveillance d'un médecin qui les tient à l'oeil.De temps en temps pour les calmer,le docteur leur jette un malade à panser.Alors les infirmiers se précipitent sur le malheureux,lui entourent les membres de coton et de gaze en l'engueulant et en lui recommandant,avec une joie féroce,de "revenir le soir même".Le pauvre revient le soir,confiant,et il entend à la porte des voix dire: "Je coupe....."Il frémit épouvanté,et s'en va,croyant à une opération chirurgicale.Mais s'il entrait,il verrait que les infirmiers jouent simplement à la manille.
André Dahl--"le Pépère"
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"nos chers blessés-une infirmière dans la Grande Guerre-
journal de Claudine Bourcier (édition Alan Sutton-octobre 2002-collection évocations)---page 127
Claudine Bourcier 58 ans au moment de la guerre,mère de cinq enfants,un fils mobilisé,était depuis longtemps infirmière diplômée de la Croix-Rouge;elle demanda à reprendre du service en tant qu'infirmière bénévole dès août 14 dans les hôpitaux de Biarritz;son énergie et son dynamisme infatigable l'amènera à devenir infirmière militaire et elle sera envoyée dans un hôpital tout près du front à Amiens en 1918 au moment de l'offensive allemande;son journal s'adresse à son petit-fils âgé de 6 ans
(...)
Au bout d'un mois,je dus aller à Bayonne pour suivre un cours "de Caducée".Toutes les infirmières militaires y étaient obligées afin de remplacer les infirmiers partant au front qui tenaient auparavant cet emploi.Cela m'ennuya beaucoup car je ne m'étais pas faite infirmière,dans mon idée,pour faire des écritures.Enfin,j'étais militaire,j'avais signé,il me fallait obéir.
Je fus donc pendant un mois à l'hôpital militaire de Bayonne et je rentrais le soir à la maison.Un sergent nous dictait ce que nous devions apprendre: les fonctions attribuées à chacun dans un hôpital depuis l'infirmier jusqu'au chef;comment inscrire sur le cahier de visite les aliments et médicaments décernés à chaque malade à la visite du matin;comment préparer les feuilles de sorties et de rentrées des malades;copier leur diagnostics,remplir feuilles d'observation,faire l'inventaire de leurs effets;apprendre les démarches à suivre en cas de décès,évasion,mutation ou réforme.Il fallait aussi savoir par coeur les attributions de l'officier gestionnaire et comment on gère un hôpital;savoir chercher dans la nomenclature ce qui permettait au docteur de chaque service de donner tel ou tel médicament,tel ou tel régime,tel ou tel supplément d'alimentation;enfin,tous les rouages de fonctionnement d'un hôpital.
Ensuite ce fut la pharmacie qui fut pasée en revue:il fallait savoir discerner par le goût,le toucher ou l'odorat tel ou tel médicament.Je me rappelle un fait qui nous fit bien rire.Le pharmacien, très correct mais voulant adoucir tout ce qui pouvait nous sembler ennuyeux dans ces études un peu ardues,mettait de temps en temps une note de gaîté dans les questions qu'il nous posait.Si bien qu'il me montra un gros morceau de savon que je pris pour du cacao.Je pensais en moi-même que dans un hôpital on n'allait pas cherche du savon à la pharmacie,mais bien à la dépense,et je répondis que c'était du cacao.
Explosion de rire de mes collègues lorsque le pharmacien me répondit:"c'est du savon.En effet,madame,ce morceau de savon a la couleur du cacao.c'est pour cela que je vous ai posé la question,escomptant d'avance votre méprise"
Moi qui ai élévé cinq enfants et fait des savonnages (et combien),ma réponse était bien comique.
Un autre jour,il nous présenta de l'eau pure dans une bouteille pour nous attraper.Ensuite,nous suivîmes des cours de médecine,de chirurgie,de pansements,etc,bref,tout ce que nous avions appris pour obtenir nos diplômes.
Tout cela me fatiguait.Il me fallait prendre le premier train tous les matins et le soir je revenais à 8 heures à la maison.En plus,ce mois-là fut très froid,et il y eut même de la neige!
Enfi,au bout de cinq semaines nous passâmes les examens,et j'étais,malgré mon âge,tout aussi émue qu'un enfant pour son certificat d'études.La nuit,je me réveillais,et vite je prenais mes livres et cahiers et j'étudiais.Heureusement que ton grand-père était à Viarmes,car il n'aurait pas été content de me voir travailler ainsi.Je réussit.Il fallait 90 pour cent pour être reçue et j'obtins 99.
(...)
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voilà,c'est tout pour aujourd'hui
si vous avez envie de participer,n'hésitez-pas

amicalement,
Mireille