Bonsoir à tous et à toutes,
Permettez-moi d'apporter ma petite pierre à l'édifice en citant un article du hors-série N°3 du magazine "UNIFORMES - LES ARMEES DE L'HISTOIRE" (1980) qui prendra toute sa valeur dans le présent fil :
"Dés les premiers jours de son existence, la jeune République Française, Troisième du nom, crée à l'usage de ses enfants une Histoire sacrée de la Patrie. Le dogme, transmis par les instituteurs, est d'une percutante clarté : puiser dans le passé national les forces qui permettront, au jour venu, de ramener à la France les provinces perdues.
Dans ce contexte cocardier et revanchard, le lignard de la guerre de1870-1871 occupe une place de choix, sous la forme d'une jeune mais vénérable allégorie : la capote bleue retroussée sur le pantalon rouge, le képi crânement bahuté sur la tête, la dernière cartouche tirée, le Chassepot encore menaçant.
Ce héros au courage malheureux doit servir de modèle aux jeunes Français appelés par la République à faire leur devoir de citoyen : les fantassins de 1873 endosseront donc, à quelques détails près, l'uniforme de leurs aînés de 70 : la glorieuse silhouette se perpétuera ainsi dans l'armée nouvelle, comme pour stigmatiser le conscrit et maintenir vivace un patriotisme que l'on redoute de voir s'émousser avec le temps.
Du reste, rendre l'uniforme moins visible, est une question encore sans objet : la nécessité technique consiste, au contraire, à conserver une tenue suffisamment voyante pour permettre l'identification des troupes sur le champ de bataille
(1).
Cet accord parfait entre les exigences nationales et les necessités tactiques n'est que de courte durée : en 1884, le Français Paul Vieille, alors inspecteur général des Poudres et Salpêtres, découvre une nouvelle poudre qui, outre d'étonnantes propriétés balistiques, offre la particularité de ne dégager aucune fumée. En 1890, l'Américain Hiram Maxim met au point la répétition automatique, ouvrant ainsi l'ère des mitrailleuses modernes. Ces deux inventions vont bouleverser la physionomie du champ de bataille et les méthodes tactiques.
Sur le plan vestimentaire, la prise de conscience est générale parmi les futurs bélligérants : une tenue de campagne de teinte neutre, propre à se confonfdre avec le paysage, devient d'une urgente nécessité.
En France, l'idée de la tenue de campagne future prend sérieusement corps en 1902, grâce aux travaux du commandant Emile-Charles Lavisse
(2). En se qui concerne la couleur à adopter, le réquisitoire est formel :
le gris et le brun feuille morte sont les deux couleurs qui doivent composer les uniformes si l'on veut rendre ceux-ci aussi peu visible que possible.
Quant à la tenue elle-même, Lavisse suggère de considérer la capote (avec un large col rabattu) uniquement comme un vêtement de bivouac, en adoptant pour la marche et le combat une vareuse ample. Enfin, le képi serait avantageusement remplacé par un casque léger, imperméable, comportant visière et couvre-nuque, pour mieux protéger le soldat... contre les intempéries.
A l'issue de ces travaux, le ministre de la Guerre décide la création d'une commission d'études pour l'amélioration de la tenue du soldat Français. Les essais vont dés lors se succéder et, de 1903 à 1912, pas moins de quatre nouvelles nuances de drap seront proposées : le
gris bleuté (tenue dite "boër", 1903), le
beige-bleu (1906), le
réséda (1911 et 1912) et le
bleu cendré (tenue Detaille avec culotte garance, 1912).
Aucune ne sera adoptée, sous divers prétextes : composition chimique des colorants trop compliquée pour permettre leur industrialisation, mauvaise fixité des teintes, similitude (pour le drap
réséda) avec la couleur adoptée par l'ennemi potentiel. La raison principale n'est elle pas d'ailleurs tout simplement pas dans l'attachement dogmatique à la silhouette du glorieux vaincu de 1871 ?
"Le pantalon rouge, c'est la France" s'exclamera le ministre de la Guerre André Messimy, fossoyeur en 1912 de la tenue
réséda et grand admirateur d'Edouard Detaille.
Mais si l'on adopte pas, on continue de chercher : en 1914, l'essai en cours est celui du surprenant
drap tricolore, composé à 60% de laine bleue, 30% de laine rouge et 10% de laine blanche, résultant en un gris-bleu légèrement violacé. Ainsi, à l'exception du drap
réséda, la plupart des nuances de drap essayées avant guerre restent proches de celle préconisée par le commandant Lavisse, un gris-bleu promis au titre de couleur nationale - surtout si elle est "tricolore" - bien distincte de celles portées à nos fontières
(3).
Malheureusement, son adoption définitive semble devoir reculer à mesure que l'on progresse : entre les pressions exercées par de trop zélés gardiens de la tradition et le souci de perfection animant nos commissions d'uniformes du temps de paix, les compagnies d'essai, défilant régulièrement le 14 juillet à Longchamp entre deux haies de pantalons rouges, semblent avoir leur avenir assuré...
La comédie cesse brutalement en août 1914 : il n'est plus question de poursuivre la fabrication des uniformes d'avant-guerre, il faut adopter, au plus vite, n'importe quoi de moins voyant.
Selon le général Maistre
(4) la première attitude consiste à se tourner vers la couleur de nos alliés britanniques : cependant, ceux-ci réservent la totalité de leur production à leurs propres troupes, et nos industriels, pressentis pour en entreprendre la fabrication en France, se déclarent incapables de produire dans cette teinte les métrages necessaires au réhablillement général de l'armée.
Il y a bien un
kaki Français produit dés la fin 1914, mais les faibles prévisions de sortie en limiteront l'usage : il habillera les troupes d'Afrique, déjà accoutumées à ce type de coloris pour leurs tenues de toile. Encore les mètrages disponibles ne permettront-ils, jusqu'à fin mai 1915, que la confection de vareuses et culottes ! Faute de colorants appropriés et de la maîtrise du procédé chimique, la nuance du
kaki Français est très différente du
khaki britannique. Sa dominante jaunâtre lui vaudra le surnom officieux de
drap moutarde (5).
Pour le reste de l'armée, l'énorme majorité des effectifs , une seule solution demeure envisageable : se tourner vers l'essai en cours, celui du drap tricolore. Nouvelle péripétie, la composante rouge (30% du tissu) n'est plus réalisable car la teinture utilisée, l'
alizarine (6), était entièrement importée d'Allemagne. En fait de tricolore, force est de se contenter d'un drap bicolore composé de laine teinte en bleu indigo et de laine blanche. Ainsi naît le nouveau standard de l'armée Française dans la fièvre de l'automne 1914.
Son nom officiel lui est donné le 25 novembre 1914 par le ministre de la Guerre : le
drap bleu clair. Il entrera dans la légende comme le
bleu horizon.
(...) Dés le printemps 1915, pour l'offensive d'Artois, toute l'infanterie du corps de bataille est vêtue de neuf. Le 28 mai 1915 est décidée, pour les zouaves et les tirailleurs, la confection de capotes kaki qui rendront leur tenue homogène.
Puis est lancé l'offensive de Champagne en septembre 1915 : les soldats Français sont les premiers coiffés d'un casque d'acier, fabriqué en quelques semaines à des centaines de milliers d'exemplaires. Dés cette époque se dessine une nouvelle silhouette du fantassin. Avec verdun en 1916, la Somme en 1917, elle a complètement supplanté celle du glorieux vaincu de 1870-1871."
(1) A notre connaissance, la première recherche sur la visibilité des tenues remonte à juillet 1860. Ce n'était alors qu'une simple
Etude de l'Appréciation des Distances.
(2) Il s'agit d'une étude comparative entre les éléments de la tenue de campagne du fantassin Français et ceux de treize pays étrangers , dont une collection complète avait été réunie au ministère de la Guerre. Analyse et synthèse, publiées avec l'autorisation ministérielle, firent l'objet d'un ouvrage intitulé
"sac au dos" (Hachette éd. Bibl. du Musée de l'Armée, Paris).
(3) Seule l'Autriche-Hongrie avait adoptée en 1907, une teinte analogue, le
helchtgrau (gris brochet). Bien qu'elle fît partie de nos adversaires prévisibles, il y avait peu de risque d'un choc majeur contre ses troupes, en raison de la situation géographique.
(4) Dans son
Rapport de présentation au Conseil Supérieur de la Guerre achevé le 24 octobre 1921.
(5) Dans son ouvrage
"la chimie et la guerre", (Masson éd. Paris, 1920), le professeur Charles Moureu indique la teinture utilisée pour ce drap :
le jaune d'anthracène tiré sur mordant au chrome.
(6) La culture de la garance naturelle était abandonnée depuis fort longtemps, malgré la légende tenace. C'est au professeur Georges Dillemann, uniformologue spécialiste entre autres de l'histoire des essais de nouvelles tenues, que nous devons d'avoir exhumé cette vérité fondamentale de l'ouvrage méconnu de Ch. Moureu.
Ouf... Voilà pour ma modeste contribution
Amic@lement !!!
Lionel