L'écrit de DE LANGLE, car ce n'est pas beau

"LES RAISINS DU DESASTRE"
par le Général DE LANGLE DE CARY
Payot, Paris–1935
"29 septembre 1914:
Je jette un coup d’œil en arrière sur ce qui s’est passé depuis le 4 Août. Que d’enseignements à tirer de ces huit semaines de guerre !
Nos échecs du début semblent dus en premier lieu à un plan d’opérations défectueux : l’attaque par les deux ailes à la fois, en LORRAINE et en BELGIQUE. Ce procédé qui est l’application de la doctrine allemande de SCHLIEFFEN n’est réalisable que si on possède une grande supériorité numérique. Or nous ne l’avions pas. Notre infériorité à cet égard était même beaucoup plus forte que nous le pensions. Les Allemands ont pu dédoubler sans les affaiblir la presque totalité de leurs corps d’armées ; et ils nous ont attaqué avec 34 Corps actifs ou de réserve. Quatre Corps actifs seulement ont été laissés sur la frontière Russe.
Notre attaque de LORRAINE s’est heurtée à des organisations défensives puissantes préparées dès le temps de paix à quelques lieues de la frontière : de la nos défaites de MORHANGE et des VOSGES. La valeur de nos chefs, le courage de nos troupes les ont réparées et ont brisé la contre offensive de l’ennemi qui cherchait à débotder notre aile droite. Mais à quel prix ! Nous pouvions l’arrêter et l’immobiliser en LORRAINE, en restant là sur une défensive active et vigilante pendant que nous attaquions en BELGIQUE . Combien le résultat que nous avons obtenu après les défaites de MORHANGE et des VOSGES eût été plus facile et moins coûteux avec des troupes intactes ! Alors, pour l’ennemi, c’était probablement le défaite et le recul définitif au lieu de l’arrêt. D’ailleurs l’offensive de LORRAINE ne pouvait nous mener à rien de décisif, avec METZ et STRASBOURG sur nos flancs et un terrain d’action resserré entre les VOSGES et la région des Etangs d’une part, entre celle-ci et le camp retranché de METZ d’autre part.
Le plan d’opérations est l’œuvre entière du général JOFFRE et de son Etat-Major. Il n’a pas été soumis à l’examen et l’appréciation du conseil supérieur de la guerre.
La plupart des Commandants d’Armée, moi entre autres, nous ne connaissions que la zone de concentration de nos armées ; nous ne savions rien des intentions du Général en chef. C’est sa méthode d’agir avec le seul concours de son entourage intime, sans consulter ses commandants d’armée, sans même les mettre au courant, autrement que par les instructions et les ordres qu’il leur envoie.
Je ne critique pas, mais je crois préférable la méthode qui est fondée sur la collaboration et la confiance. Elle ne diminue en rien l’autorité du chef suprême auquel seul, appartient la décision.
L’offensive en BELGIQUE a échoué pour d’autres motifs que celle de LORRAINE. Là, nous nous sommes trouvés en présence d’une supériorité numérique notable, qui a permis aux Allemands leur grand mouvement enveloppant par la BELGIQUE jusqu’à la mer.
Nous pouvions , il est vrai, percer en son milieu l’énorme arc de cercle formé par leurs armées de droite et du centre. Mais pour réussir cette offensive, deux conditions étaient nécessaires : la priorité de l’attaque et un terrain propice.
La priorité de l’attaque, nous ne l’avions pas eue du côté de notre V° armée (Général LANREZAC) ni du côté de l’armée anglaise qui ne s’est pas trouvée prête à entrer en ligne à la date espérée, et c’est l’ennemi qui nous a attaqué (CHARLEROI).
De mon côté et du côté de la III° armée ( du mien surtout) nous avons été lancés à l’offensive dans un terrain d’une difficulté inouïe : la forêt des ARDENNES, véritable coupe-gorge, traversée par la SEMOY qui formait barrage devant nous. L’ennemi était installé dans la forêt depuis plusieurs jours et à l’abri de ce masque il avait préparé une organisation défensive à laquelle se sont heurtés plusieurs de nos corps d’armée, le 17° notamment. Ce n’était pas un terrain d’attaque, surtout pour une armée. Aborder l’ennemi avec un pareil masque devant soi, s’était s’exposer aux plus graves mécomptes, malgré la valeur des troupes. Il eût fallu au moins sonder cette forêt en premier lieu ; mais le Général en Chef m’avait interdit d’y envoyer autre chose que de la Cavalerie. Il voulait en effet attaquer par surprise, et j’ai du m’incliner.
La surprise a été pour nos troupes qui ont trouvé dans la forêt du fils de fer et des mitrailleuses habilement dissimulées.
Ceci n’excuse pas les fautes commises de notre côté.
Ainsi le 17° Corps a été engagé en pleine forêt sans que les précautions les plus élémentaires aient été prises.
Le Corps Colonial dont les excellents régiments n’étaient pas suffisamment rompus aux nécessités de la guerre continentale, surtout en face de l’armée allemande, s’est porté de l’avant avec un entrain magnifique, mais une imprudence absolue. Incomplètement protégée à sa droite par le 2° Corps , qui était en retard et qui, d’ailleurs, devait marcher en échelon refusé, il n’a pas su utiliser les renseignements fournis par les habitants, ni se faire couvrir par le régiment de cavalerie qui lui était affecté : de là une surprise terrible qui malgré le dévouement héroïque des officiers et le courage de la troupe, a causé la perte de près des deux tiers de la 3° Division Coloniale".
Sans commentaires !
Cordialement

Jean-Yves