Bonjour,
On se demande parfois qui donc sont ces "touristes" britanniques croisés sur nos champs de bataille et dans nos cimetières. L'un d'eux a publié un best-seller sur son grand-oncle Harry mort au combat en 1916 dans la Somme. Quelques extraits. Traduction rapide.

- Soldats néo-zélandais, 15 septembre 1916.
Photographe lieutenant Brooks, référence IWM Q 1309. - New_Zealand_trench_Flers_September_1916.jpg (526.95 Kio) Consulté 879 fois
Extrait N°1 :
Lorsque j'ai parcouru le champ de bataille de la Somme dans les pas des Néo-Zélandais, je me suis arrêté un moment d'un côté d'une pente peu profonde et j'ai regardé le bois de Mametz, près de cent sept ans après qu'Harry et ses compagnons d'infanterie eurent établi leur campement à proximité. L'endroit a l'air parfaitement innocent. Une douce pente verte y monte, elle semble bien inoffensive. Les arbres s'élèvent, grands, touffus, calmes dans l'air immobile. Les oiseaux vont et viennent. C'est une oasis de paix parfaite.
Mais même aujourd'hui, il est impossible de ne pas se rappeler ce qui s'est passé ici il y a plus d'un siècle : sur une colline située juste derrière, un impressionnant dragon rouge se dresse sur son socle pour commémorer les hommes de la 38e division galloise qui ont pris ce bois après une bataille féroce au cours de laquelle 4 000 hommes ont été tués ou blessés.
Lorsque le poète Siegfried Sassoon s'est approché de Mametz en 1916, il l'a vu "se profilant sur la pente opposée, un bois dense de vieux arbres et de broussailles, tel un mur fatal et menaçant". Lorsque Harry y dormit deux mois plus tard, les tilleuls, les chênes et les charmes n'étaient plus qu'un tapis de souches brisées et l'odeur de la mort flottait sur ce qui restait du sous-bois. Et lorsqu'il s'est couché pour la nuit, il savait pertinemment que même si les Allemands avaient pu être forcés de quitter le bois de Mametz, ils s'étaient installés dans des tranchées profondes dans d'autres bois à proximité, en attendant de riposter. Harry aura su que c'était le cas, mais ça ne l'aura pas préoccupé. En effet, je soupçonne qu'il m'aurait regardé avec pitié s'il avait lu ce que son petit-neveu venait d'écrire. Le samedi 9 septembre, alors qu'il se trouvait au cœur du bois, Harry trouva de la place pour une dernière note dans son carnet densément rempli, de format poche, à la couverture pourpre : "Obligé de dormir à la belle étoile, j'ai eu plutôt froid car il y avait une forte rosée et de la brume le matin." Typique de Harry. Terre-à-terre, pratique, sans jugement ni spéculation. Juste un autre jour comme les autres. "Parades le matin et inspections l'après-midi, comme d'habitude, etc ..."
Les "inspections de l'après-midi" consistaient à vérifier que l'équipement de chaque homme était prêt pour l'action. Harry sera monté au combat avec fusil et baïonnette, cape imperméable, gamelle, des sacs de sable vides, pioche ou pelle, ration en boîte, chemise et chaussettes, savon, gourde (bien remplie), masque à gaz, pansements de campagne, matériel de rasage, 200 cartouches et deux grenades Mills (plus s'il le souhaitait). Il avait dû laisser son journal fini derrière lui, mais il avait investi dans un nouveau pour quand la bataille serait terminée. C'était un carnet bien plus costaud que celui dans lequel il avait entassé ses expériences auparavant. Des couvertures en carton bleu solide, à l'intérieur desquelles il avait listé les noms des membres de la 11e section du 9e peloton : Caporal Palin, soldats Woodham, Simpson A, Clough, Roberts H, Caporal McIsaacs S., soldats Proudlock, Downes et Pacey.
À côté des noms de Downes et Pacey, il a écrit "malade." Sur la page opposée est soigneusement inscrit :
Caporal HWB Palin
6/319 12ème Compagnie Nelson
1er Bataillon d'Infanterie de Canterbury
Force Expéditionnaire de la Nouvelle-Zélande, France
10 septembre 1916
Adresse personnelle :
St. Helen's
Tonbridge, Kent
Angleterre
Presque toutes les autres pages sont blanches.

- "Un impressionnant dragon rouge se dresse sur son socle". Bois de Mametz, Somme, France.
- 20240623_132959.jpg (605.05 Kio) Consulté 879 fois
Le 25 septembre 1916, les Britanniques se déploient en direction des positions allemandes de Lesbœufs, Morval, Gueudecourt, appuyés par des tanks.
Extrait N°2 :
Le lendemain matin, Harry et le reste des Nelsons se préparèrent pour la prochaine avancée, visant à attaquer et, espéraient-ils, capturer la ligne allemande fortement défendue connue sous le nom de "Gird Trench". Dans l'histoire officielle, cette action, qui a eu lieu entre le 25 et le 28 septembre, est appelée "Bataille de Morval". La division néo-zélandaise était chargée de sécuriser le flanc droit et d'ouvrir une ligne allant de Goose Alley à Factory Corner. Pendant qu'ils attendaient, un match de cricket fut organisé par les troupes néo-zélandaises en réserve. Alexander Aitken se souvint plus tard que la veille de l'attaque, l'un des officiers suggéra qu'ils chantent ensemble. "Nous chantions, un peu timidement au début, des chansons déjà quelque peu démodées, tirées d'un recueil écossais de chansons ... "Riding Down to Bangor", "In a Cavern, in a Canyon" et d'autres du même genre, et pour finir "Vive l'amour, vive la compagnie". Nous ne voyions alors aucune ironie dans ces paroles," poursuivit-il ; "nous l'aurions pu, si nous avions pu prévoir qu'à la même heure, trois nuits plus tard, presque tous les chanteurs seraient étendus morts ou blessés dans le no man's land."
L'attaque fut lancée à 12h35 le lundi 25 septembre, les troupes avançant derrière un barrage roulant de tirs de couverture. Les lignes massées d'infanterie submergèrent facilement les positions ennemies et repoussèrent les Allemands hors de Goose Alley en 23 minutes.

- La Nouvelle-Zélande sur la Somme, 1916.
Geographx, site NZ History, Ministère de la Culture, gouvernement néo-zélandais. - somme-battles.pdf_20240623_113943_0000.png (894.78 Kio) Consulté 879 fois
Le 27 septembre à l'aube, les Néo-Zélandais s'élancent sur la tranchée "Gird", au centre de laquelle se situe "Factory Corner", nommé en raison d'une usine de betteraves. Tranchées tenues par des soldats bavarois et redoutablement défendues (barbelés, mitrailleuses ...). L'assaut est un succès, ainsi que le souligne le communiqué officiel : "Malgré une résistance initiale due aux grenades et mitrailleuses ennemies, bientôt réduites au silence par nos mitrailleuses Lewis, tous les objectifs ont été atteints par nos troupes à 14h38 ; quelques victimes à déplorer dans nos rangs."
Extrait N°3 :
L'une des "quelques victimes" était le grand-oncle Harry. Lorsque je suis retourné dans la Somme pour retracer ses pas, l'endroit que je voulais voir plus que tout autre était la bande de 1 000 mètres de terres agricoles françaises à travers laquelle il a couru vers la Gird Trench cet après-midi de septembre.
Je l'ai trouvée, assez facilement. Il y a un point de repère utile : une maison isolée à la jonction où se trouvait l'usine de betteraves. D'un côté, une façade de murs crème et de volets verts, avec une rangée de lucarnes, fait face à la route. L'autre côté de la maison, donnant sur la pente qu'Harry avait gravie, est presque caché derrière un épais lierre sombre. En passant, j'ai remarqué des voitures dans la cour. À ma surprise, elles avaient des plaques d'immatriculation anglaises, mais je n'ai vu personne. Derrière moi, la route de Longueval à Bapaume était calme alors que je commençais à marcher vers le sommet de la montée, en direction de Gird Trench. Pour suivre avec précision la ligne d'assaut, j'ai dû franchir un fossé peu profond et entrer dans un champ vert de pousses de blé d'hiver. Conscient que je marchais sur des cultures en germination, je regardais autour de moi, l'air inquiet, mais il n'y avait personne pour me voir. Après quelques pas de plus, j'ai soudainement ressenti tout le poids de l'endroit où je me trouvais et de ce que je faisais. Quelque part dans ce champ anonyme, sous mes bottes de plus en plus boueuses, se trouvait le trou d'obus dans lequel le grand-oncle Harry s'était abrité et d'où il n'est jamais sorti. Le soleil était apparu, une brise s'était levée et des alouettes tournaient au-dessus de moi. J'étais arrivé à la fin de son histoire et à la fin de ma recherche.

- Mon grand-oncle Harry, par Michael Palin, 2023.
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Ce livre a fait sensation dans les îles britanniques, et bien au-delà. Écrit par l'un des Monty Pythons, Michael Palin y prouve qu'un humoriste peut être très sérieux. La biographie de son grand-oncle Harry est un remarquable travail de détective, qui recoupe archives, photographies et journaux de combattants de la guerre 14-18.
Il semble avoir bénéficié d'un extraordinaire coup de pouce d'archivistes néo-zélandais, spécialistes de la période.
Cet hommage à un combattant de 14-18 sera-t-il un jour traduit en langue française ? À voir.
Le grand-oncle Harry, né en Angleterre, avait avant-guerre traîné ses guêtres jusqu'aux aux confins de l'Empire britannique avant d'émigrer en Nouvelle Zélande, pour s'engager en 1914 dans un régiment néo-zélandais. À ce titre, cette biographie concerne autant la civilisation britannique, son empire, que cette guerre mondiale. Seul le dernier tiers du livre, à partir de la page 200, se déroule en France. Harry Palin avait survécu à Gallipoli.
Harry Palin (1884, Linton, Herefordshire, Angleterre - 1916, Somme, France).
Caporal Henry William Bourne "Harry" Palin, Canterbury regiment, NZEF, 1er Bataillon.
L'un des 1272 soldats néo-zélandais inscrits sur le mur du Mémorial national néo-zélandais de Longueval, Somme, France. Grâce à son talentueux et célèbre petit-neveu, cet homme-là ne sombrera pas dans l'oubli.
Bien cordialement.
Eric