Le « Crapouillot » serait-il l’illustre descendant du « Crapaudeau » ? Et le mot « Crapouillot » était-il déjà en usage chez les artilleurs des années 1880 ?
• Le Temps, n° 19.623, Lundi 29 mars 1915,
p. 2, article de L. Sainéan intitulé « Autour de la Bataille ~ L’argot des tranchées ».
• Le Temps, n° 19.627, Vendredi 2 avril 1915,
p. 2, en rubrique « Correspondance ».
• Le Temps, n° 20.568, Lundi 29 octobre 1917,
p. 2, sous le titre « La petite Histoire ~ Le Littré des poilus ».
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"Nous espérons bien être affectés à la même unité, dans ce centre de Bourges où l'on forme de toutes pièces ces batteries qu'on appelle, déjà, nous dit-on, des "crapouillots", parce que leurs petits mortiers ressemblent à des crapauds." C'est ce qu'écrit Pierre Waline dans son Avec les crapouillots, souvenirs d'un officier d'artillerie de tranchée, 1914-1919 (page 62).
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Au passage, la réponse au Temps du Vendredi 2 avril 1915 n'était pas de n'importe qui : il s'agit de Willy, écrivain, mari de Colette (Elle même fille d'un capitaine de Zouaves).
Bonne journée.
Jacques
Un Homme n'est jamais tout à fait mort tant qu'il y a quelqu'un pour prononcer son nom.
Effectivement, ce nom désigne le mortier lisse en bronze Mle 1838 qui après avoir été en service dans nos forts, fut relegué comme artillerie de tranchée.
Ce nom de "crapouillot" fut ensuite systématiquement attribué au mortier de 58, ce qui est une erreur.
Cordialement
Florian
S'ensevelir sous les ruines du fort, plutôt que de se rendre.
La munition n'a ni amis, ni ennemis, elle ne connait que des victimes.
Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi.
Le mot « Crapouillot » est dérivé de celui de « Crapaud », qui désignait autrefois un affût de mortier, constitué de bois ou de métal, voire ce canon lui-même. Le « Dictionnaire de l’artillerie », publié en 1822 par colonel au Corps royal d’artillerie, directeur général des Manufactures royales d’armes, Gaspard Herman Cotty — et cité par Alain —, donne en effet de « Crapaud » la définition suivante : « Ancien nom de l’affût du mortier » (p. 73). De même, on trouve dans le « Dictionnaire de la marine à voile et à vapeur », publié en 1856 par Pierre de Bonnefoux (Réédité en fac simile par René Baudouin, Difunat, Paris, 1980), cette autre définition : « Crapaud, s. m. Goose-neck. Mâchoire en fer chevillée sur l’extrémité avant de la barre de gouvernail, et à l’aide de laquelle la barre s’appuie sur la tamisaille. [...] C’est, encore, le nom donné à une sorte d’affût en métal ou en bois, sur lequel repose un mortier, et que l’on nomme, aussi, Massif. » (p. 345).
Cette origine sémantique se trouve expressément confirmée par le « Dictionnaire culturel en langue française », publié sous la direction d’Alain Rey (Dictionnaires Le Robert, Paris, 2005, T. I., p. 1.968), où l’on peut lire ce qui suit :
« CRAPOUILLOT, n. m. (1880, dérivé de crapaud « canon trapu ». On a employé crapaudeau, XVe s.).
Petit mortier de tranchée utilisé pendant la guerre de 1914-1918. — Par méton. Le projectile de ce mortier. — Le mot a servi de titre à une célèbre revue satirique. »
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Le mot canon vient du latin canna qui veut dire Roseau.
Au commencement du 14ème siècle on fait la distinction entre :
- Les bombardes et mortiers qui lancent des boulets de pierre,
- les canons pierriers qui lancent des petits boulets de pierre et qui sont également appelés canons vulgaires ou veuglaires,
- les petits canons qui lancent des balles de plomb. Ceux-ci étaient appelés selon leur forme allongée ou la forme de leur bouche couleuvres, couleuvrines, serpentines ou crapauds d'eau.
Je ne pense pas qu'il y ait un rapport direct avec cette arme ancienne qui n'était pas un mortier.
Je ne vois pas de filiation pour cette appellation du mortier de 15 cm mle 38 hors son analogie de forme avec l'animal cité.
Cordialement
Patrick
Je me suis plongé dans les livres anciens d'artillerie pour rechercher l'origine du mot "crapouillot", je n'ai pas terminé mais je vous livre ce que j'ai trouvé et qui conforte aussi bien les définitions de Daniel "Rutilius", Alain et Florian.
Tout d'abord, le brave colonel Cotty, dans son "Dictionnaire de l'Artillerie", édité chez Mme veuve Agasse en 1822 n'a fait que copier in-extenso la définition du mot "CRAPAUD" appliqué à l'artillerie qui figure MOT A MOT dans un livre plus ancien "L'Aide-Mémoire à l'usage des officiers d'artillerie de France" publié sans nom d'auteur en deux volumes par Magimel, Ancelin et Pochard en 1819.Cet ouvrage anonyme est en fait l'oeuvre du général Gassendi qui a donc été copié par Cotty pour cette définition.D'autant plus que l'édition de 1819 est la 5ème édition de l'ouvrage de Gassendi, il existe une édition de 1789 qui doit être la 1ère ou la 2ème édition et qui comprend certainement la même définition (à vérifier toutefois).
Pour l'artillerie ancienne, il faut avoir recours à un ouvrage célèbre en 6 volumes parus chez Dumaine entre 1849 et 1871 et difficiles à trouver.Les deux premiers tomes ont été rédigés par un artilleur aussi illustre que méconnu sur ce plan technique puisqu'il s'agit de Louis-Napoléon Bonaparte assisté du capitaine (et futur général) Favé, les quatre derniers tomes étant rédigés par le seul colonel Favé "ouvrage continué à l'aide des notes de l'Empereur".Dans le tome 3 de ces "Etudes sur le passé et l'avenir de l'Artillerie", il est question des "CRAPAUDEAUX" aux pages 132 et 133: "En 1438, Jehan Cambier, artilleur à Tournai, livre cinq veuglaires et cinq crapaudeaux...Ces veuglaires pouvaient peser 350 à 400 livres, et les crapaudeaux de 200 à 250 livres chacun"..."La longueur des crapaudeaux ne variait que de 4 à 5 pieds...le calibre restait compris entre 2 et 4 pouces".Ces crapaudeaux sont donc des petits canons courts mais ces petites bouches à feu sont parfois d'un calibre un peu plus fort.
Je n'ai pas trouvé encore de référence concernant les mortiers proprement dits comparés à des "crapauds" dans les siècles antérieurs à 1819 sinon qu'en Autriche, les mortiers sont depuis longtemps appelés "crapauds" et ce jusqu'à l'aube du 20ème siècle.
Un témoin plus contemporain de la Grande Guerre a donné l'explication du terme "CRAPOUILLOT", il s'agit du général d'artillerie J.Rouquerol qui écrit dans son livre "Les Crapouillots" édité chez Payot en 1935, page 7: "Le mortier de 15 centimètres, adopté en 1839 seulement, était de beaucoup le plus petit, et le dernier venu de cette famille (de mortiers) où l'on comptait déjà en France trois calibres.Presqu'à sa naissance, semble-t-il, les artilleurs qui l'employaient l'ont naturellement appelé "le crapouillot".(nota: en fait le mortier de 15 cm a été adopté en 1838, il est donc connu sous l'appellation de mortier de 15 centimètres modèle 1838).
Il faudrait maintenant trouver le témoignage irréfutable de la dénomination du "Mortier de 15 cm modèle 1838" par ses servants dans les années 1840 à 1913.Ce matériel figure en effet toujours en 1914 à l'inventaire des matériels réglementaires de l'artillerie de siège et place.Ce petit mortier, très maniable, a été utilisé surtout à Sebastopol, je pense que des témoignages d'artilleurs ayant servi en Crimée doivent y faire référence mais je n'ai pas trouvé LA REFERENCE PRECISE qui consolidera cette appellation de "crapouillot".
Il s'agit donc de trouver dans un document ou livre daté de préférence dans le créneau 1838 à 1913 cette référence au mot "Crapouillot" pour désigner le mortier de 15 cm modèle 1838 qu'on enverra sur le front à partir d'octobre 1914 pour riposter au tir des "Minenwerfer".
Cordialement,
Guy François.
Il est intéressant de lire dans le dictionnaire Littré, tome 1 de 1873, la définition de "crapaud" :
5° Terme d'artillerie. Affût de mortier plat et sans roues.
Crapoussin/crapoussine
Terme populaire. Personne grosse, courte et mal faite.
Ensuite :
L'argot des tranchées d'après lettres des poilus et journaux du front - de Boccard éditeur - 1915
Dans sa dernière lettre, notre ouvrier parisien revient souvent sur les petits mortiers des tranchées appelés crapouillots, proprement petits
crapauds, d'après leur forme aplatie.
C'est un diminutif, parallèle à crapouillard, crapoussin (dans la Marne, crapouillat désigne le gamin) ;
Au xv° siècle, crapaudeau désignait un petit canon. La vision populaire a produit des images analogues au moyen âge et de nos
jours.
M, Henry Gauthier-Villars (Willy) nous assure qu'en 1885, il se souvient d'avoir vu tirer, aux écoles à feu de Pontarlier, un petit mortier de
15 centimètres, « dont les dimensions minuscules et le peu de portée amusaient fort les artilleurs qui, habitués au 90 et 155, ne soupçonnaient guère
le rôle que devait jouer en 1916 ce joujou, ce crapouillot, comme nous l'appelions déjà.
Revue militaire française - Berger Levrault - 1925
Comment naquit l'artillerie de tranchée par le Colonel Duchêne.
Et sans que cela, il faut bien l'avouer, fût le fruit d'une profonde connaissance des lois de la balistique intérieure, la poudre sans fumée, qui aime, on le sait, les fortes pressions, ayant à pousser, dans un tube étroit, un projectile pesant et de calibre bien supérieur à celui de ce tube, y brûlait d'une façon parfaite alors que, dans le crapouillot de 15, il fallait employer des poudres extrêmement vives qui, au bout de peu de temps, mettaient à mal le pauvre crapouillot.
Il va de soit que cette appellation ne concerne que l'aspect de ce petit mortier qui, posé au sol, vu du dessus pouvait rappeler une forme de crapaud.
Amicalement
Florian
S'ensevelir sous les ruines du fort, plutôt que de se rendre.
La munition n'a ni amis, ni ennemis, elle ne connait que des victimes.
Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi.
Je fais remonter des profondeurs du Forum ce sujet relatif à l'origine du mot "Crapouillot".
Après le rappel des désignations anciennes des mortiers sous les dénominations de "crapauds" et "crapaudeaux", il importait de trouver des appellations exactes du mortier de 15 cm modèle 1838 sous la dénomination de "crapouillots" antérieures à 1914.
Il y avait bien, cité plus haut, le souvenir mentionné par Henry Gauthier-Villars dit "Willy" mais ce n'était pas encore une preuve formelle.
Je viens de trouver sur "Gallica" une preuve indiscutable de l'emploi du mot "Crapouillot" associé au petit mortier de 15 cm modèle 1838 dans un article du journal "L'abeille de Fontainebleau", en date du 28 octobre 1898, consacré aux manœuvres d'ensemble de l'artillerie à pied au Camp de Châlons.
Crapouillot 28-10-1898.PNG (104.32 Kio) Consulté 1561 fois
Crapouillot 28-10-1898- - Copie.PNG (215.4 Kio) Consulté 1561 fois
Je reste convaincu que cette appellation est beaucoup plus ancienne et pratiquement contemporaine de l'entrée en service du petit mortier de 15 cm modèle 1838. Ce mortier est étudié dans les écoles d'artillerie à partir de 1842.
Il faut donc trouver d'autres preuves de l'emploi de ce mot dans le créneau des années 1838 à 1898.
L'exercice est difficile mais pas impossible!
D'autre part, les "Crapouillots" seront à l'honneur dans quelques semaines, j'y reviendrai...
Cordialement,
Guy François.