Vous trouverez ci-dessous une synthèse sur les chasseurs forestiers, provenant du centre de documentation de l'ENGREF de Nancy (Ecole Nationale du Génie Rural et des Eaux et Forêts).
Tout complément d'informations sera le bienvenu !

Bien cordialement,
Eric Mansuy
Les chasseurs forestiers (1875) :
Les leçons de la guerre de 1870 ne tardèrent pas à porter leurs fruits. Il semble d’ailleurs que ce soit les forestiers eux-mêmes qui aient poussé à leur incorporation dans l’armée.
En effet, ayant fait la guerre de 1870 dans les compagnies de guides-forestiers pour une partie d’entre eux, et souffert de l’inorganisation, voire de la pagaille qui les avaient profondément marqués, ils souhaitaient éviter le renouvellement de pareilles situations et garantir l’utilité des sacrifices dont ils n’étaient pas avares mais qu’ils répugnaient à consentir à nouveau en pure perte. Ils firent donc pression pour obtenir un véritable « statut militaire ».
Le décret du 2 avril 1875 incorpora le personnel forestier dans la composition des forces militaires du pays en créant les « compagnies, sections et détachements de chasseurs forestiers ». L’instruction militaire fit ainsi son entrée à l’école forestière de Nancy d’où les élèves sortaient avec le grade de sous-lieutenant, directement affectés dans une unité de chasseurs forestiers.
Mais de ce fait, mis à part les « agents » qui avaient combattu en 1870, aucun officier de ces unités n’avait l’expérience d’un commandement réel dans l’armée !
On imagine facilement l’efficacité réduite des unités ainsi encadrées. Très rapidement les insuffisances du nouveau système apparurent aux yeux des forestiers « réalistes ». C’est ainsi qu’une excellente analyse en fut faite en 1878 par le vosgien Félix Grandidier (24ème promotion de 1848) alors qu’il était inspecteur à Poligny. Elle parut dans le numéro de juin de la Revue des Eaux et Forêts.
Il y dénonce notamment l’absence totale de « doctrine d’emploi » des chasseurs forestiers : « Il ne suffit pas de décider de la formation d’une troupe... il faut encore nettement définir son rôle, il faut que tous se préparent en temps de paix à le remplir en temps de guerre. »
Il fit des propositions judicieuses pour optimiser l’emploi des forestiers dans la défense nationale. Avec hélas peu de succès !...
Le décret de 1875 fut modifié et complété en 1882, en 1883 et surtout par celui du 18 novembre 1890.
Celui-ci est très bien analysé dans l’article de L. Breton (63ème promotion de 1889) alors garde général à St-Marcellin (Isère). Cet article est paru dans la Revue des Eaux et Forêts d’octobre 1894 sous le titre « organisation militaire des chasseurs forestiers ».
Lui aussi souligne le manque de doctrine d’emploi du corps qui conduit à « risquer de ne pas demander aux chasseurs forestiers tout ce qu’ils sont capables de donner, ou bien, au contraire de trop présumer de leurs forces et de leur demander plus qu’ils ne peuvent donner ».
Il souligne aussi l’insuffisance de l’instruction militaire des préposés forestiers qui constituent la troupe, faute de séances d’instruction assez fréquentes et de participation active aux manœuvres de l’armée. Problèmes de crédits, déjà !...
En application du décret de 1890 le corps des chasseurs forestiers comprenait 6500 hommes (6000 en métropole et 500 en Algérie) et 280 officiers (260 en métropole et 20 en Algérie).
L’armement était identique à celui de l’Infanterie. Il était fourni par l’armée ainsi que les équipements (sacs, cartouchières, guêtres, chaussures) et les matériels de campement. L’uniforme était celui de l’Administration Forestière. Les chasseurs forestiers étant classés parmi les « troupes d’élite » en portaient les signes distinctifs.
Ils se répartissaient en France en 48 compagnies (dont 2 de forteresse), 36 sections (dont 18 de forteresse) et 15 détachements. En Algérie étaient organisés trois escadrons d’infanterie montée à raison d’un par conservation.
Mais cette organisation présentait, elle aussi, bien des défauts que le commandement réalisa tardivement.
Le ministre de la guerre la modifia par lettre du 23 mai 1914 qui précisait qu’à la mobilisation seuls sont appelés à former les unités de chasseurs forestiers actives les préposés de moins de 48 ans. Ces unités sont alors affectées à de grandes unités de 1ère ligne de l’armée. »
Les autres préposés sont maintenus à leur poste du temps de paix pour permettre la continuité du service forestier, éviter le pillage des forêts et remplir les missions d’information et de guide que l’autorité militaire leur confierait localement.
Un projet de doctrine d’emploi des chasseurs forestiers cohérent est enfin défini. Il est exposé dans le cours d’instruction militaire de l’Ecole forestière paru en juin 1914. C’était bien tard et la tourmente d’août 1914 empêcha sa mise en application. D’autre part, à partir de 1890, les élèves de l’Ecole forestière durent signer un engagement de trois ans en entrant à l’Ecole : deux ans d’école durant lesquels leur était donnée une instruction militaire de base et une troisième année comme sous-lieutenant dans une unité d’infanterie.
Cette mesure permettait d’augmenter la capacité opérationnelle des futurs cadres des unités de chasseurs forestiers et de préparer des officiers de réserve pour l’infanterie où étaient affectés, pour la mobilisation, ceux qui ne trouvaient pas place dans les chasseurs forestiers (50 % environ).
Seuls les gardes généraux et les inspecteurs adjoints encadraient les chasseurs forestiers. Les inspecteurs et conservateurs étaient affectés dans les états-majors. Ceci explique bien les pertes très importantes que subirent les officiers forestiers subalternes pendant la Grande guerre durant laquelle ils combattirent en première ligne dans l’infanterie.
On relève en effet sur le monument aux morts de l’Ecole les noms de 96 anciens élèves de l’Ecole forestière de Nancy qui furent tués de 1914 à 1918.
Il faut aussi ne pas oublier les nombreux blessés et invalides dont l’efficacité ultérieure pour le service forestier fut plus ou moins réduite, voire nulle pour certains grands invalides.
Le corps forestier mettra longtemps à se remettre de cette « saignée » qui concerna essentiellement les jeunes classes d’âge qui reçurent en première ligne le choc des combats très meurtriers du début de la guerre.
Les responsables réalisèrent les effets immédiats et futurs de cette hécatombe et en 1916 retirèrent des premières lignes les forestiers (ainsi que beaucoup d’ingénieurs et spécialistes indispensables à la poursuite de l’effort de guerre industriel).
Cela évita « l’éradication totale » de la classe d’âge 25/40 ans, mais les vides creusés ne purent être comblés après la guerre que vers 1930.
La gestion forestière souffrit pendant 15 ans (et même au-delà) de cette pénurie, accentuée par les besoins accrus en ingénieurs que réclamait la reprise en main de la gestion en Alsace-Lorraine et son intensification en Algérie et dans les colonies ainsi que la reconstitution des forêts dévastées par la guerre sur la ligne de front.
Retirés des tranchées (où restèrent leurs camarades, affectés à des unités d’infanterie ordinaires), les chasseurs forestiers furent affectés à l’approvisionnement en bois des armées dans les zones de front (service forestier des armées) ou à la garde d’états-majors comme celui du général Joffre. Ceci permit de mettre fin aux coupes anarchiques effectuées pendant les deux premières années par les militaires dans les zones de front et de sauver la vie de bien des forestiers.
Si au cours de cette guerre un grand nombre de forestiers furent tués ou blessés, un nombre aussi très important fut décoré (ce fut d’ailleurs très souvent les mêmes). L’Ecole forestière de Nancy qui les avait formés reçut la Légion d’honneur et la Croix de guerre.
Un drapeau avait été remis aux chasseurs forestiers le 14 juillet 1880. Il défila sur les Champs-Elysées le 14 juillet 1919 pour le défilé de la victoire et fut remis à la garde de l’Ecole forestière de Nancy le 3 juin 1939 (les chasseurs forestiers ayant cessé d’exister).
Le privilège est remarquable car ce drapeau aurait dû être déposé aux Invalides avec tous ceux des unités dissoutes.