Entre les lignes...

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drachenhohle
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Re: Entre les lignes...

Message par drachenhohle »

Ve armée
38e corps d’armée
52e division d’infanterie
État Major
SP N°99
Q.G. le 2 novembre 1915
Le Général de Division Piarron de Mondesir, commandant la 52ème Division d’infanterie à Monsieur le Général commandant le 38ème C.A.

Reçu à Jonchery le 4 novembre.

J’ai l’honneur d’attirer à nouveau votre attention sur les dangers tout particuliers que courrait la population de Reims en cas de bombardement par obus asphyxiants.
La ville est au milieu des lignes, puisque le canal constitue ma 4ème ligne de défense. Elle ne peut échapper à aucune des pièces ennemies en batterie sur mon front.
A la date du 29 novembre 1914, le Général Rouquerol, mon prédécesseur, désireux d’éviter à la population les pertes par bombardement et de diminuer les possibilités d’espionnage, avait demandé de ne conserver à Reims que les éléments capables d’un travail utile.
Le Général de Pelacot, commandant le secteur de Reims, transmit le rapport du général Rouquerol au général commandant l’armée qui décida qu’il ne serait pas procédé à une évacuation systématique, de manière à ne pas produire un effet moral pénible.
De ce fait, une population de 21 800 âmes vit encore à Reims, ma majeure partie ( 17 000) au nord-est du canal.
Cette population comprend un très grand nombre de femmes et d’enfants; elle dispose en général de caves solides et accepte avec courage le bombardement ordinaire, en dépit de pertes fréquentes et cruelles. La municipalité donne l’exemple d’un moral très élevé, en continuant l’instruction des enfants, l’entretien des jardins publics, etc...
Mais si les effets d’un bombardement ordinaire peuvent être plus ou moins palliés, si même une nappe de gaz envoyée par l’ennemi a chance d’être arrêtée par les maisons des lisières, il n’en serait pas de même au cas où l’adversaire ferait emploi de projectiles asphyxiants. La population serait alors sans défense, faute de sachets, pulvérisateurs, etc... tous moyens de protection qu’il ne peut être question de lui donner et surtout de lui faire appliquer efficacement.
En outre du nombre énorme de victimes que causerait sûrement un tel bombardement, il est à craindre que le Haut Commandement soit rendu responsable d’une situation contre laquelle une population, qui compte sur notre protection ( puisque nous ne l’avons pas évacuée) n’aura pas été protégée, ni même mise en garde.
Aussi je demande :
1°) - S’il ne faut pas faire avertir les habitants de Reims des nouveaux et graves dangers qu’ils courent?
2°) - Qu’au premier avis d’un bombardement de Reims, les batteries lourdes du corps d’armée prennent à partie, par des tirs nourris, et non par des ripostes anémiques, les batteries signalées en action, ou, même si aucune observation n’est possible, celles qui sont signalées comme tirant habituellement sur la ville.
Il n’y a pas lieu d’attendre qu’on détermine la nature des obus tombant sur la ville, car on ne saura pas tout de suite s’ils sont asphyxiants et pourtant il faut, dans ce cas, agir dans le moindre délai.
J’ajouterai qu’actuellement, ainsi qu’on peut s’en convaincre par l’examen du tableau graphique ci-joint, les Allemands emploient plus d’obus incendiaires qu’autrefois.
Ils allument des incendies, les derniers furent très importants, et tirent ensuite sur les foyers pour en empêcher l’extinction.
Pour cette seule raison déjà, l’intervention que je demande de l’A.L. du C.A. est justifiée, car si l’effet d’un obus ordinaire est localisé, l’effet d’un obus incendiaire, au contraire s’étend dans des proportions considérables, et la population n’a aucun moyen de s’y soustraire par elle-même.
Le détachement de Sapeurs-pompiers de Paris et les sapeurs-pompiers de Reims ne suffisent pas à leur tache. Les incendies des 19 et 20 octobre l’ont prouvé.
Signé : P. de Mondésir.


Avis du Général commandant le Corps d’Armée.
Le général de Mondésir semble ignorer que le manque de disponibilités en munitions a toujours, et seul, limité l’emploi de l’artillerie lourde.
Contrairement à son avis, j’estime que l’offre à la Municipalité de mettre à sa disposition le matériel de lunettes et tampons éventuellement nécessaire à la population, pourrait permettre à l’autorité militaire de faire quelque chose pour Reims. Mais, pour cela il faut l’assentiment du Chef de l’Armée.
Il y aurait bien l’évacuation, mais c’est un remède héroïque qui, pour des motifs intéressant l’opinion publique, a toujours été écarté.
Signé : général Mazel.
N° 2009/ 3 3 novembre
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Cuchlainn
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Re: Entre les lignes...

Message par Cuchlainn »

Bonjour,

Bien instructif en effet.
On constate que le manque de munitions est toujours une réalité en novembre 1915. Je pensais naïvement que cette crise avait été résorbée dans le courant de cette même année.
Au point que le général Mazel estime qu'il est encore plus réalisable d'équiper en protections contre les gaz la bagatelle de quelque 22 000 personnes...

Enfin, ce général de Mondésir n'a pas sa langue dans sa poche, osant carrément qualifier l'activité de l'artillerie française de "ripostes anémiques".

Cdlt
Cyrille
"Sur un banc étaient rangés quinze ou vingt bonshommes qui avaient bien une douzaine de jambes à eux tous." (Duhamel)
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Achache
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Re: Entre les lignes...

Message par Achache »

Bonjour,

Merci, Drachenhohle, pour ce document, aussi intéressant que les précédents, concernant la Ve Armée...
La population civile de Reims a été une préoccupation permanente des autorités militaires, et civiles, du lieu. Mais le général Mazel rappelle bien ici l'enjeu "d'opinion publique" qui empêche d'ordonner son évacuation complète... c'est seulement en 1918 que le cardinal Luçon soi-même sera instamment prié de vider les lieux, et y consentira...

Bien à vous,

[:achache:1]
Achache
Émouvante forêt, qu'avons-nous fait de toi ?
Un funèbre charnier, hanté par des fantômes.
M. BOIGEY/LAMBERT, La Forêt d'Argonne, 1915
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