Journal de Joseph Saint Pierre (médecin au 23° RI de Bourg en Bresse) en date du 27 janvier 1915 (extrait de "La Grande Guerre entre les Lignes" par Dominique Saint Pierre - pages 247 et suivantes)
Départ de bonne heure . . . En arrivant à La Fontenelle, nous sommes déjà bombardés. Les boches seraient-ils prévenus de notre attaque ? Nos hommes sont calmes et silencieux. . . Ce silence est imposant : personne ne dit mot.
Ordre du Docteur Epaulard de m'installer à la Vercoste. Notre artillerie commence à tirer : 65 – 75 – 120 – 155 obusiers qui tirent de différents points (route de Pertuis) . . .
Bel orchestre. . . Hélas ! Notre artillerie n'a oublié qu'une chose : faire le vielle des tirs de repérage. . . Elle tire tout à coté ! Beaucoup trop loin. . . Où sont donc les observateurs de l'artillerie pour vérifier les coups ? Dans la tranchée ? Non : au sommet de l'Ormont ! Seul un canon de 65 est dans la trranchée à 80 m des boches (lieutenant Solier). . . Mais que peut faire une 65 ? Il faudrait des 150. . . Après une heure de préparation de l'artillerie, prise d'assaut. On a préparé des escaliers en bois. . . Les hommes bondissent comme des lions sur les tranchées boches qui ne sont qu'à 30 m. . . Les tranchées sont intactes ! Intactes !!!!! Pas un obus n'y a fait le moindre mal. Elles sont couvertes de rails, blindées terriblement. Impossible de sauter dedans. Les hommes essaient de soulever ces rails . . . les bouches tirent par les intervalles. Puis les mitrailleuses boches se mettent de la partie et fauchent le terrain. Nos hommes tombent comme des mouches. Les 2° lignes boches tirent à leur tour. La 1° vague est ainsi fauchée. La position est intenable. . . L'attaque a échoué. . . L'échec est confirmé. . . Le commandant Roullet, devant cet insuccès, juge inutile et inhumain d'envoyer une seconde vague à la morte certaine. Il ordonne donc au capitaine Blanchet d rester dans la tranchée. Le colonel Dayet veut avancer seul. . . Le commandant Roullet et le capitaine Blanchet le retiennent par son manteau. . . C'est inutile. . . Il donne au Cdt Roullet ses souvenirs de famille et ses effets personnels. . . Puis il franchit la parapet et sort. Il marche tout droit, et d'un pas très lent. . . très calme. . . regardant à droite et à gauche. . . Il arrive jusqu'à 5 ou 6 m. de la tranchée ennemie. . . Là on le voit tout à coup s'effondrer sur lui-même. . . Il est tué. . . Quel brave. . . Nos hommes voyant la partie perdue se replient. . . L'un deux refuse littéralement de se replier ou de se rendre. . . Il se fait tuer en continuant à démolir le toit de la tranchée ennemie. Quel brave lui aussi.
Ce retour est meurtrier : beaucoup de nos hommes sont tués, notamment par une mitrailleuse qui tire de droite. Wassbauer est tué alors qu'il revient tranquillement au pas : le sergent major Petit est tué au moment où il saute dans notre tranchée. . . Il tombe sur le capitaine Péron. . . 240 hommes manquent à l'appel. Ils sont tombes en quelques minutes, 10 minutes, 10 minutes environ ! Raymond, sergent (avenue de Challes à Bourg), est plus malin. Il fait le mort jusqu'à la nuit, croyant que ses camarades en faisaient autant ! Ils étaient morts . . . sauf un ou deux. A la nuit tombée il revient en rampant et risque de se faire tuer par une de nos sentinelles.
La 6° Cie (capitaine Blanchet) en a, à elle seule plus de 100 disparus. . .
Ai vu passer au poste de secours : le lieutenant Camersini, Fontaine, mon camarde de collège et danseur dans les soirées de Lons-le-Saunier, la tête toute rouge . . . je ne le reconnais pas . . . il n'avait que des égratignures, mais de tous les cotés, et riait quand même !
Je monte avec le Dr Epaulard à la cote 627 ; le bombardement boche continue . . . tous calibres . . . bruit curieux d'un éclat d'obus, bruit sourd des grenades. Voilà donc le bilan de la journée, grâce à une mauvaise préparation d'artillerie. . . Le général Bullot dit : "mais je n'avais pas dit de faire tuer tant de monde"
Je devais coucher chez "le seigneur" au rez-de-chaussée et les propriétaires au dessus de moi. En raison des événements, je préfère coucher au poste de secours même, à La Vercoste. Les propriétaires couchent alors dans ma chambre au rez-de-chaussée. Quel heureux hasard : un obus de 105 mm tombe dans la chambre du haut sur le lit où ils devaient coucher. La pauvre femme, dont la mari avait été tué à la Marne me dit qu'elle aurait aimé cette solution.
Ephéméride 27 janvier
Re: Ephéméride 27 janvier
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"Pas s'en faire, pas s'en fichtre .... Le Lion atteint toujours sa proie"
"Pas s'en faire, pas s'en fichtre .... Le Lion atteint toujours sa proie"
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Re: Ephéméride 27 janvier
Journal de Joseph Saint Pierre (médecin au 23° RI de Bourg en Bresse) en date du 27 janvier 1915 (extrait de "La Grande Guerre entre les Lignes" par Dominique Saint Pierre - pages 247 et suivantes)
Départ de bonne heure . . . En arrivant à La Fontenelle, nous sommes déjà bombardés. Les boches seraient-ils prévenus de notre attaque ? Nos hommes sont calmes et silencieux. . . Ce silence est imposant : personne ne dit mot.
Ordre du Docteur Epaulard de m'installer à la Vercoste. Notre artillerie commence à tirer : 65 – 75 – 120 – 155 obusiers qui tirent de différents points (route de Pertuis) . . .
Bel orchestre. . . Hélas ! Notre artillerie n'a oublié qu'une chose : faire le vielle des tirs de repérage. . . Elle tire tout à coté ! Beaucoup trop loin. . . Où sont donc les observateurs de l'artillerie pour vérifier les coups ? Dans la tranchée ? Non : au sommet de l'Ormont ! Seul un canon de 65 est dans la trranchée à 80 m des boches (lieutenant Solier). . . Mais que peut faire une 65 ? Il faudrait des 150. . . Après une heure de préparation de l'artillerie, prise d'assaut. On a préparé des escaliers en bois. . . Les hommes bondissent comme des lions sur les tranchées boches qui ne sont qu'à 30 m. . . Les tranchées sont intactes ! Intactes !!!!! Pas un obus n'y a fait le moindre mal. Elles sont couvertes de rails, blindées terriblement. Impossible de sauter dedans. Les hommes essaient de soulever ces rails . . . les bouches tirent par les intervalles. Puis les mitrailleuses boches se mettent de la partie et fauchent le terrain. Nos hommes tombent comme des mouches. Les 2° lignes boches tirent à leur tour. La 1° vague est ainsi fauchée. La position est intenable. . . L'attaque a échoué. . . L'échec est confirmé. . . Le commandant Roullet, devant cet insuccès, juge inutile et inhumain d'envoyer une seconde vague à la morte certaine. Il ordonne donc au capitaine Blanchet d rester dans la tranchée. Le colonel Dayet veut avancer seul. . . Le commandant Roullet et le capitaine Blanchet le retiennent par son manteau. . . C'est inutile. . . Il donne au Cdt Roullet ses souvenirs de famille et ses effets personnels. . . Puis il franchit la parapet et sort. Il marche tout droit, et d'un pas très lent. . . très calme. . . regardant à droite et à gauche. . . Il arrive jusqu'à 5 ou 6 m. de la tranchée ennemie. . . Là on le voit tout à coup s'effondrer sur lui-même. . . Il est tué. . . Quel brave. . . Nos hommes voyant la partie perdue se replient. . . L'un deux refuse littéralement de se replier ou de se rendre. . . Il se fait tuer en continuant à démolir le toit de la tranchée ennemie. Quel brave lui aussi.
Ce retour est meurtrier : beaucoup de nos hommes sont tués, notamment par une mitrailleuse qui tire de droite. Wassbauer est tué alors qu'il revient tranquillement au pas : le sergent major Petit est tué au moment où il saute dans notre tranchée. . . Il tombe sur le capitaine Péron. . . 240 hommes manquent à l'appel. Ils sont tombes en quelques minutes, 10 minutes, 10 minutes environ ! Raymond, sergent (avenue de Challes à Bourg), est plus malin. Il fait le mort jusqu'à la nuit, croyant que ses camarades en faisaient autant ! Ils étaient morts . . . sauf un ou deux. A la nuit tombée il revient en rampant et risque de se faire tuer par une de nos sentinelles.
La 6° Cie (capitaine Blanchet) en a, à elle seule plus de 100 disparus. . .
Ai vu passer au poste de secours : le lieutenant Camersini, Fontaine, mon camarde de collège et danseur dans les soirées de Lons-le-Saunier, la tête toute rouge . . . je ne le reconnais pas . . . il n'avait que des égratignures, mais de tous les cotés, et riait quand même !
Je monte avec le Dr Epaulard à la cote 627 ; le bombardement boche continue . . . tous calibres . . . bruit curieux d'un éclat d'obus, bruit sourd des grenades. Voilà donc le bilan de la journée, grâce à une mauvaise préparation d'artillerie. . . Le général Bullot dit : "mais je n'avais pas dit de faire tuer tant de monde"
Je devais coucher chez "le seigneur" au rez-de-chaussée et les propriétaires au dessus de moi. En raison des événements, je préfère coucher au poste de secours même, à La Vercoste. Les propriétaires couchent alors dans ma chambre au rez-de-chaussée. Quel heureux hasard : un obus de 105 mm tombe dans la chambre du haut sur le lit où ils devaient coucher. La pauvre femme, dont la mari avait été tué à la Marne me dit qu'elle aurait aimé cette solution.
Super extrait du secteur Ban-de-Sapt, merci pour le partage.
Pierre-Victor