Bonjour,
Dans les premiers jours du mois d’août 1914, une ambulance auxiliaire de l’A.D.F. était créée à Vailly-sur-Aisne, dépendant du Comité de Soissons.
Mesdemoiselles Anna Heinrich et Adèle Olympe Crochard (sœur Sainte-Geneviève en religion), institutrices libres, y étaient attachées comme infirmières bénévoles. L’installation n’était pas encore achevée qu’elle recevait déjà de nombreux blessés et éclopés, laissés derrière elle par l’armée en retraite sur Paris et les habitants du pays envahis par les troupes allemandes.
Le 28 août, on annonçait que les ponts sur le Canal et sur l’Aisne allaient être détruits. La panique s’empara de tous, on évacua à grand peine les blessés, le médecin-chef et l’infirmière-major quittaient l’ambulance. Les deux infirmières ne se sentant plus utiles allaient partir lorsque l’on vint leur dire qu’un blessé, oublié dans une maison, demandait secours. Sans se préoccuper de savoir si elles trouveraient une autre occasion de transport, Anna Heinrich et Adèle Crochard renoncèrent à profiter de l’offre pressante d’un fermier de les prendre en voiture et se rendirent auprès du blessé qui avait un genou fracassé. Là, elles le transportèrent à l’ambulance avec l’aide de deux femmes courageuses.
Elles se disposaient à mettre leur malade dans un lit lorsqu’on entendit le bruit de cavaliers traversant le village. Le blessé, prêtant l’oreille, comprit que c’était l’ennemi qui arrivait et refusant tout soin, réclamait son fusil pour se défendre. Il ne voulait pas être fait prisonnier, s’agitait, demanda même un revolver pour se tuer lui-même s'il devait être capturé !
La scène devint tragique : les deux cavaliers s’étaient arrêtés et frappaient à la porte. Les infirmières, sentant le danger encouru du fait qu’elles aient caché un soldat, enfermèrent celui-ci dans un grand placard et allèrent ouvrir la porte. Un officier se présenta, demandant s’il y avait des soldats français dans la maison. Adèle Crochard répondit résolument non. Une partie des locaux furent visités mais pas le placard, puis l’ambulance commença à être occupée militairement.
Dans la nuit qui suivit l’occupation, un habitant vint avec mille précautions dire aux infirmières qu’il avait encore un blessé chez lui ! Il venait de lire une proclamation allemande menaçant de mort toute personne cachent un soldat français et demanda aux infirmières si elles pouvaient héberger le soldat à l’ambulance.
« Amenez-le, dit Adèle Crochard, que nous en cachions un ou deux, on ne pourra nous fusiller qu’une fois ! »
L’affaire dura quinze jours où les deux jeunes infirmières restèrent sous la menace de la découverte de leurs deux protégés qu’elle avaient fini par installer dans leur chambre pour les soigner, au milieu du va et vient des soldats allemands qui utilisaient l’ambulance pour leurs malades. Les deux soldats blessés ne furent finalement pas pris puis le 13 septembre, les effets de la victoire de la Marne se faisant sentir, Vailly fut évacuée subitement par l’ennemi, les troupes anglaises arrivaient.
Mais les Allemands s’étaient installés sur les hauteurs du Chemin des Dames et un violent bombardement commença. Les blessés remplirent bientôt l’ambulance, des habitants venaient également demander des soins.
A un moment une femme affolée arriva : un obus avait blessé grièvement son mari, elle demandait du secours et dans son trouble avait oublié son enfant resté sur le terrain labouré par les obus. Anna Heinrich, qui connaissait la maison y courut. A la sortie du village elle se trouva sur la ligne des tirailleurs anglais qui échangeaient des coups de fusil avec l’ennemi, couchés et abrités derrière leurs havresacs. Ils voulurent l’arrêter, lui firent signe de se coucher, mais l’infirmière n’écoutait rien, continuant à courir au milieu des sifflements de balles. Elle arriva enfin à la maison où elle trouva le mari mort. Sans s’attarder elle récupéra l’enfant dans son berceau et reprit sa course vers les lignes anglaises poursuivie par les balles ricochant sur le chemin. Elle arriva enfin à l’ambulance et remit l’enfant à sa mère désormais veuve.
Les jours suivants le bombardement redoubla, les infirmières n’avaient plus un instant de repos, jour et nuit, restant auprès des malades et des mourants. Les médecins anglais ne savaient comment les remercier, puis le général Gough, commandant le secteur, informé, vint lui-même féliciter Anna et Adèle qui furent citées à l’ordre de la Division le 12 octobre 1914.
Le 14 octobre à 11 heures, deux obus de gros calibres tombèrent sur l’ambulance tuant des blessés dans leur lit. Anna Heinrich reçut en plein visage un éclat d’obus qui lui creva l’œil droit et fut évacuée sur Braine, l’ambulance étant incendiée. Le soir même elle subissait l’énucléation de l’œil puis Braine étant bombardée à son tour, elle fut évacuée sur l’arrière.
Après la guerre, le 8 avril 1921, Anna Heinrich était décorée de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre et reçut également la British Red Cross anglaise. Adèle Olympe Crochard, sœur Geneviève, reçut la Croix de guerre et la Médaille spéciale du dévouement, également la British Red Cross anglaise.
(D’après le récit du lieutenant-colonel Luthard)
Deux infirmières de la Grande Guerre, Anna Heinrich et Geneviève Crochard
Deux infirmières de la Grande Guerre, Anna Heinrich et Geneviève Crochard
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)