Bonjour à tous,
C'est les yeux encore collés par le sommeil que je tape ces premières lignes. Je n'ai pas eu la force de le faire hier soir tant les journées ont été intenses et la fatigue était grande. Par avance, désolé : je vais être long. Il est pour moi important de montrer l'aboutissement d'un tel projet au forum, car sans ce forum il n'aurait pu être aussi riche. Et puis c'est une manière pour moi de montrer que la transmission du souvenir n'est pas vaine, qu'elle ne se limite pas à une poignée de passionnés qui ont tout compris face à un océan d'ignorants comme on peut le lire parfois (je caricature volontairement).
MARDI 28 AVRIL 2009 :
Les 40 élèves étaient présents dès 5h45 et nous avons pris la route à
6h00 comme prévu. Même chauffeur que l'an passé, ce qui a facilité la prise de contact.
Arrivés à
11h30 à Beaumont-Hamel, nous avons d'abord mangé pour mieux profiter de l'heure quarante-cinq de visite. Nous avons simplement suivi le sentier balisé, mais en prenant notre temps afin de donner toutes les explications nécessaires : sortie de la 1ère ligne britannique, no man's land, 1ère ligne allemande. Les élèves ont pu comprendre de visu ce qu'était un champ de bataille de 14-18. Les trois cimetières ont fait l'objet d'un arrêt et d'explications (lecture de stèle, organisation)... sous une légère grêle pour le premier !
Cimetière du Ravin Y : les élèves observent l'organisation d'une nécropole britannique.
Les élèves ont pu ensuite se promener librement sur le site, sous un beau soleil, afin de revoir les lieux, apprécier la qualité de la vue depuis la tranchée allemande, comprendre le massacre qui se déroula ici et enfin prendre des photos. Ils quittèrent le mémorial après une visite à l'exposition permanente où certains ressortirent fièrement avec un pin's commémoratif (une feuille d'érable au milieu de deux coquelicots). Avant de partir, ce fut l'occasion d'une dernière explication sur ces symboles.
La journée s'est poursuivie par la fin de notre long trajet jusqu'à notre hébergement. "Fin du trajet" ne voulait pas dire pour autant "fin du travail" ! A
20h30, nous prîmes la direction d'une salle pour travailler : reprise du travail sur le livret sur la visite à Beaumont-Hamel puis préparation active de la visite du lendemain à Vauquois. Il était en effet indispensable, pour qu'ils comprennent un minimum ce qu'ils allaient voir et les commentaires qu'ils allaient entendre sur place, de travailler sur ce qu'est une mine (les étapes des travaux, les effets).
Précision importante : à aucun moment le site en lui-même n'a été présenté, de manière à ménager l'effet de surprise, le spectaculaire du site. Les images montrées ont été volontairement trompeuses afin de les faire réagir quand ils seront sur place (exemple : images de l'église en 1914 et aujourd'hui en parallèle... sans préciser que l'un n'est plus à l'emplacement de l'autre).
Ce fut l'occasion aussi de travailler sur un poème de Louis Régnaut "la Mine". La confrontation d'un témoignage sous la forme d'un poème avec l'explication de l'histoire a été très intéressante : l'étude des champs lexicaux de la mort et de la peur permettant de donner plus de profondeur à l'étude historique. C'est de tout manière clairement l'objectif de ce voyage. Au-delà de ce que j'appelle le "factuel" ou l'événementiel, il s'agit d'apporter de l'humain, de l'émotion. Dire simplement le nombre de morts, parler de la violence ne suffit pas. Cela reste de simples statistiques, de simples mots. Comment pourraient-ils avoir du sens pour des jeunes qui n'ont pas connu la guerre, qui n'ont pas entendu l'émotion étreindre la voix d'un parents, d'une connaissance, qui a vécu ces situations ou qui en a souffert ? Aller sur place est un plus.
Apporter une touche d'humain change tout. Quelle que soit la forme de cet apport, il faut aller au-delà du "Imaginez" qui nécessite une culture du lieux des combats. Par ce que cette culture, nous ne l'avons pas quand nous abordons un nouveau site, les jeunes ne peuvent l'avoir tant les images qu'ils ont de ce conflit sont rares, imprécises voir inexactes (aucune amertume ici, juste un constat, qui pause d'ailleurs la question de ce qu'ils doivent savoir tant l'histoire du pays est complexe et dense, à intégrer à une histoire mondiale). Cet apport d'humanité doit pouvoir se faire sous n'importe quelle forme : poèmes (deux dans le livret), témoignages in-situ (5 cette année) mais aussi le film "Les fragments d'Antonin".
Lecture du poème "La Mine" par Benoît.
Après une heure de reprises et de préparations, nous avons visionné le film. Quand le film fut achevé, hélas, nous n'avons pu en discuter (nous le fîmes le lendemain soir) car il était
23h00 et les élèves étaient pour beaucoup assommés. De la fatigue (lever 5h00, 10h00 de car, 1h30 de marche...) mais aussi l'impact du film. Il montre de manière tellement forte des éléments si difficiles à comprendre pour nous, plus encore pour des adolescents. Ils s'attendaient à un film de guerre. Et ils se retrouvent finalement à voir un film sur la guerre vue d'une manière nouvelle pour eux. Le fond est remarquable, riche, permettant un travail sur de nombreux thèmes. La forme également, bien loin de la narration linéaire la plus classique, ainsi que le rythme. Ils ont été surpris certains l'ont trouvé long (1h23 seulement, en réalité c'est le rythme qui les a surpris). Mais quelle densité. Trop peut-être pour certains, mais qui les amis dans un état de grande réceptivité au travail du lendemain. Une parenthèse s'est ouverte pour eux, dans un hébergement isolé dans la campagne meusienne, sans magasins ni télévision, qui ne se refermera que le lendemain soir.
VENDREDI 29 AVRIL 2009 :
"The longest Day". 10 mois de préparations pour cette seule journée. Timing ? Visites ? Accueil des élèves à ce qu'ils verront ?... Autant le dire, nos espérances ont été comblées au-delà de tout ce qu'on s'attendait.
6h30, lever, 7h45 départ. Arrivée à Vauquois vers
9h00. Nous partons de la stèle du 46e RI pour rejoindre la butte par le Chemin de L'Est. Glissante, la montée a été ponctuée par la première lecture de Benoît.
Lecture du premier texte dans le Chemin de l'Est par Benoît.
Arrivés à la butte, après avoir montré des reproductions grand format de carte postale de Vauquois avant 1914, confrontation avec le site. Réaction : de l'incrédulité principalement. Aucune exclamation. Le site est tellement ravagé qu'il est difficile pour eux de le comprendre au premier abord, bien que le principe de la guerre des mines ait été intégrée. Difficile d'imaginer ce qu'était la butte avant. Une maquette 3D avant/après serait fort utile ici, bien plus que les images, rarement prises sous le même angle. Deuxième lecture au bord de l'entonnoir du 3 mars 1916.
Vauquois : un site impressionnant mais pas si facile à comprendre.
Je tiens à saluer ici Daneck qui a eu la gentillesse de venir nous faire un petit coucou. Je suis désolé, Daneck, de ne pas avoir pu discuter plus avec toi et de ne pas t'avoir donné un exemplaire papier du livret. J'espère que les autres visites de la journée se sont bien passées.
9h45 : dernière lecture au bord de l'entonnoir de l'ouest. Nous avons peu apercevoir le village de Boureuille car les arbres n'ont pas encore fait toutes leurs feuilles.
10h00 étant là, nous avons rejoint nos guides des Amis de Vauquois et sa Région. Equipés, nous sommes remontés écouter les explications sur le site, sa topographie et son histoire avant de descendre dans trois galeries.
Présentation du site par un guide passionné :
Mêlant l'histoire et le ludique cette visite a beaucoup plu aux élèves. Que le mot "ludique" ne gène personne : je ne dis pas que les élèves ont "joué" mais que la visite de galeries, être ainsi sous terre, l'attention que nécessite les déplacements pour ne pas glisser, se cogner la tête (4 fois pour moi !)... rend la visite encore plus attractive pour touts, en plus de tout ce qu'il y a à découvrir.
Un groupe dans la galerie S' écoute les explications de la guide :
Les aspects historiques et ludiques disais-je ont beaucoup intéressé les élèves ; leurs sérieux et leurs commentaires après l'ont montré.
12h30 : fin des visites. Repas rapide sur le parking (sans la pluie fine qui s'est évertuée à rendre le terrain un peu plus glissant par averse). 13h00, retour sur la butte pour écouter une dernière lecture et laisser 30 minutes aux élèves pour retourner sur les lieux qu'ils souhaitent, nous poser des questions et enfin prendre des photographies.
Retour au car et direction la Nécropole nationale de la Maize. Nous avons commencé par la lecture d'un dernier texte d'André Pézard sur ses amis perdus, face à la tombe n°342 de l'un d'entre eux : René Fairise. Puis nous avons organisé notre cérémonie à la mémoire de Lucien Lefeuvre, habitant de Sablé disparu sur la butte.
Antonin et Chloé :
Antonin a déposé la gerbe sur une tombe de soldat inconnu à proximité de l'ossuaire après la lecture de la biographie temporaire de la personne par Chloé (temporaire car nous attendons toujours le registre matricule pour la compléter). La cérémonie se conclue par une minute de silence.
Les élèves purent ensuite étudier les types de stèles présentes dans cette nécropole et ressentir le lieu.
15h15 : Direction l'ossuaire de Douaumont. Merci au chauffeur d'être passé par de petites routes : elles permirent de rester dans notre parenthèse un peu hors du temps en évitant la confrontation avec le monde actuel (pas de grandes surfaces sur notre route, peu de véhicules, les magnifiques paysages meusiens). Passage devant la tranchée des baïonnettes ans s'arrêter mais non sans expliquer la légende et ce qui dû être la réalité.
Après la nécropole de Vauquois, la visite de l'ossuaire permis de comprendre l'échelle démesurée des pertes subies ici. Après la visite intérieure et extérieure et la discussion sur le rôle de ce monument (dont la fonction n'est pas sans poser questionnement aux élèves : pourquoi conserver
ainsi les restes humains ?). Le groupe se scinda en deux : une partie s'en alla voir le mémorial pour les soldats musulman et un autre le monument israélite. Le temps manqua pour voir les deux car nous étions attendus.
16h30 : la journée s'acheva par la visite de l'ouvrage de Froideterre, guidée par Florian "Turpinite" Garnier. Uniforme, en attente sur un des blocs, la première vision ne manqua pas d'impressionner. Après une rapide présentation, Florian prit en main le groupe et commença la visite des superstructures.
Florian en cours d'explication sur la tourelle de 75 à éclipse.
Autant le dire, la passion qui anime Florian et qui est visible dans ses réponses n'est pas feinte. J'ai rarement autant appris en aussi peu de temps au cours d'une visite. Incollable, Florian a su, tout en gardant un discours pointu (et ce n'est pas une critique), intéresser les élèves qui n'avaient absolument aucune connaissance sur le sujet et très peu sur le théâtre d'opération. Certains imaginaient une sorte de fort carré... Car rien n'est plus difficile que de parler à des adolescents de sa passion : on risque d'utiliser un vocabulaire trop précis, parfois courant mais qui n'appartient pas encore au leur. De donner trop de détails dont il ne reste finalement strictement rien (des études ont montré qu'on retient 10% de ce qu'on entend ; mais augmenter la masse d'informations ne règle pas le problème, bien au contraire). Faire peu, simple (je n'ai pas écrit simpliste) et efficace, voilà les bases pour que les élèves en retiennent plus car il ne faut pas oublier non plus la masse d'informations reçue.
Grâce aux explications, ils savent lire les bâtiments, leurs stigmates (sur une tourelle, les marques des obus), leur couleur ("Les tourelles étaient aussi bleues avant ?"), le fonctionnement des bâtiments, l'effet de souffle, l'effet hopkinson et sa manifestation dans un ouvrage... Et nous n'avons pas tout vu. nous n'avons pas eu le temps de visiter les casernements, notre heure de retour à l'hébergement étant impérative. La fatigue des élèves devenaient aussi visible après une journée aussi dense.
Entre visiter l'ouvrage de Froideterre avec un guide tel que Florian et un fort de la place de Verdun sans guide, il n'y a pas photo sur le choix à opérer ! Merci Florian pour ta disponibilité, pour avoir fait tant de route pour transmettre une partie de la mémoire de ce lieu.
De gauche à droite : Arnaud, Florian et Benoît.
19h20 : retour à l'hébergement après 9h00 de visites (plus que l'an passé en deux jours !). Mais la journée n'est pas terminée : après un bon repas et une bonne douche, retour en salle de travail à 21h00 pour un bilan de la journée en complétant certaines pages du livret et en discutant de ce qui a été vu puis le travail sur le film qui nous a servi de conclusion. A
22h30, repli général vers les casernements, la fatigue étant désormais trop grande pour poursuivre la discussion finale sur la phrase du film "Combien de temps faut-il pour construire un Homme ? Combien de temps faut-il pour le détruire ?"
Ainsi s'est clôt notre parenthèse 14-18, le lendemain étant consacré à la visite du Fort de Fermont (Ligne Maginot 1940).
JEUDI 30 AVRIL 2009 :
Départ à 8h00 pour la visite du fort du Fermont, visite que les élèves ont beaucoup apprécié aussi car au-delà de l'aspect ludique, ils ont pu retrouver un bon nombre d'éléments vus avec Florian la veille, du goudron d'étanchéité aux grilles des portes en passant par la marque si caractéristique des obus sur les tourelles.
Le retour fut un peu plus long que prévu en raison des inévitables embouteillages à Paris à 16h00 mais si le bilan dressé est si long c'est bien parce que l'expérience fut extraordinaire 'au sens strict du mot) pour tout le monde. Accompagnateurs comblés, élèves heureux d'avoir fait ce voyage. Je pense que les intervenants ont pu apprécier le sérieux de nos élèves, mêmes s'ils restent des adolescents...
Remerciements particuliers à :
- Guillaume Jacquinet qui a été un intermédiaire indispensable pour la réalisation de la visite à Vauquois
- Florian "Turpinite" Garnier pour son aide à la préparation de la visite de Froideterre, la réalisation d'une petite brochure qui a été distribuée aux élèves et évidemment sa passion lors de la visite.
- Et bien sût à tous ceux (mais la liste est trop longue) qui, sur ce forum, ont permis la réalisation de ce projet ou qui n'ont cessé de nous encourager et de nous aider.
La fin n'est toutefois pas la fin (je ne parle pas de ce compte-rendu bien long !) : bien que le voyage soir terminé, il reste à évaluer si nos objectifs ont été atteints. Travail de français sur leur ressenti, travail d'histoire sur comment on garder le souvenir de ce conflit et pourquoi et réponse à la dernière question sur le film. Il y aura donc une suite... avant le projet de l'an prochain !
Bon long week-end et à bientôt,
Arnaud Carobbi
NB : piètre photographe, cette année, j'ai confié mon appareil à mes collègues qui ont bien plus de talent ! Merci Sarah et Sophie.