"De 1914 à 1917, 351 prisonniers internés à Sieck
L’île de Sieck fut prison au cours de la guerre 1914 – 1918
Pendant la Première Guerre mondiale, les autorités ont recherché dans les îles bretonnes des casernements susceptibles de recevoir des détenus ennemis. L’île de Sieck, d'accès facile à marée basse, va servir de lieu d'internement car disposant de bâtiments vastes et inoccupés.
Juillet 1914 : la guerre n'est pas encore déclarée mais déjà les autorités recherchent dans les îles bretonnes des casernements susceptibles de recevoir des détenus ennemis. L’île de Batz et l’île Callot sont écartées en raison des problèmes posés par le ravitaillement en eau, mais l’île de Sieck, d'accès facile à marée basse, est considérée comme lieu d'internement possible car disposant de bâtiments vastes et inoccupés.
Le samedi 1er août, le temps est superbe. La batteuse travaille le seigle au Dossen, les blés de I’île sont en meule, attendant la «mécanique».
En fin d'après-midi, la terrible nouvelle de la mobilisation générale se répand et dès le dimanche 2, les affiches sont placardées.
Le lundi 3, l’Allemagne ouvre les hostilités et les ressortissants allemands, autrichiens et hongrois résidant en France sont immédiatement arrêtés pour être dirigés vers les différents lieux de détention.
Le 19 septembre, un train spécial quitte Angers pour Brest, et une partie du convoi est dirigée sur Saint Pol.
Le 20 septembre, 351 Allemands, Autrichiens et hongrois mobilisables par l'ennemi passent au Dossen. Certains sont si faibles que leurs camarades doivent les porter sur des brancards. La population les considère comme des espions en raison de leurs vêtements civils et ne leur témoigne aucune marque de compassion car la mobilisation a vidé les foyers. A leur arrivée sur l'île, les détenus sont fouilles et leur avoir, déposé sur des comptes tenus par l’administration du camp, reste à leur disposition. Ils sont aussitôt installés dans l'usine qui abrite déjà des familles de pêcheurs. Dans un souci d'hygiène, les détenus sont conduits au port 50 par 50, sous garde renforcée, pour s'y baigner.
Ils dorment sur la paille à l’étage de la longère nord et au rez-de-chaussée du bâtiment ouest. Pour trois francs, ils peuvent acquérir une toile à paillasse. La cuisine et le réfectoire sont installés au rez-de-chaussée du bâtiment nord. Le mur de la cour intérieure est rehaussé de cinquante centimètres et sur la crête, garni de verre cassé.
Pain mal cuit
Dans cette cour intérieure, des privés et des urinoirs sont édifiés. Des demi-barriques servant de baquets sont enlevées chaque jour, vidées à la mer et arrosées ensuite d'une solution de crésyl. En janvier 1915, un petit hangar pour lavabos et buanderie est construit dans la cour. Son toit, arraché le 17 décembre 1915 par un coup de tempête, est aussitôt remis en état par les détenus eux-mêmes.
L’administration du camp s'est installée face au port au rez-de-chaussée du bâtiment sud. La troupe prend ses quartiers dans plusieurs maisons réquisitionnées à cet effet. Les sous-officiers logent dans une maison plus cossue appelée le pavillon.
70 militaires d'infanterie territoriale, sous les ordres d'un adjudant assisté d'un sous-officier interprète, assurent la garde des détenus et un médecin militaire veille au bon état sanitaire des prisonniers. 16 hommes logent en permanence au poste de police installé dans la bâtisse ayant servi de réserve de charbon (an ty glaou), effectuent des rondes nocturnes fréquentes et assurent la surveillance du cantonnement.
En septembre 1915, un détachement du 72ème régiment d'infanterie relève les soldats de l'infanterie territoriale jusqu'à l'évacuation du dépôt en 1912
Comment y vit-on, dans ce camp dépôt ? Par une convention passée avec la préfecture, la maison L’Hermitte de Brest, entrepreneur des services des prisons, assure le ravitaillement du camp à raison de 60 centimes par jour et par détenu. Dès octobre 1914, les détenus se plaignent de l’insuffisance des rations et de la mauvaise qualité du pain, qui, mal cuit, moisit très vite et provoque de sérieux maux de ventre.
Alimentation en eau
Pour faciliter la vie au camp, une cantine s'installe dans un ancien poulailler. On peut y acheter de la bière, du cidre, du vin ordinaire, des produits frais, des conserves, des objets à usage personnel pour la toilette, la couture, l'éclairage. Les détenus peuvent aussi s'y approvisionner en utilisant leur argent personnel, mais il semble que le gérant ait eu tendance à abuser des prisonniers en vendant trop cher ses marchandises. Dès 1915, la préfecture préfère passer des marchés de gré à gré avec les commerçants de Saint Pol et de Roscoff et le ravitaillement du camp s'améliore.
Prévu en principe pour 400 personnes, le camp de file de Sieck se révèle être surpeuplé avec ses 351 internés. Des transferts permettent d'abaisser les effectifs à 296 hommes en mars 1915. A l'évacuation, en 1917, les détenus seront 236.
Le premier problème qu'il faut résoudre est celui de l'alimentation en eau, car les citernes sont pratiquement à sec après les chaleurs de l'été 1914. II faut savoir qu'il n'existe pas de sources d'eau douce sur l'île. Deux fois par jour, dès que la marée le permet, la contée d'eau se rend à la fontaine du bourg ou à celle du bois. Les vieux Santécois se rappellent encore du convoi formé de la charrette portant les tonneaux, des prisonniers chargés de les remplir à l'aide de seaux, et de leurs gardiens.
Dès la fin du mois d'octobre 1914, certains détenus dépourvus de linge de corps n'ont plus que des guenilles pour se vêtir. Depuis plus de deux mois, ces malheureux ont dû conserver, faute d'effets de rechange, la chemise, le caleçon qu'ils portaient au moment de leur arrestation en août. Une quinzaine d'entre eux, couverts de crasse et de vermine, sont isolés, soignés puis habillés décemment.
Double évasion
Le 18 août 1915 se produit une double évasion. Le sous-préfet de Morlaix adresse aux maires de l'arrondissement un télégramme: « Les nés Poppelz et Ruetert, austro-allemands internés à Sieck, se sont évadés cette nuit. Veuillez faire effectuer recherches immédiatement et arrêter tout individu suspect. Poppelz est très robuste, et parle anglais. Ruetert parle italien et français ». Nos évadés sont repris près de Morlaix, dirigés sur Crozon puis Otto Poppelz, âgé de 27 ans, est interné à l'île de Groix.
En décembre 1916, la décision de fermer le camp d'internement de Sieck est prise par le ministre de (intérieur en raison des dépenses élevées qu'il faudrait envisager pour réparer les bâtiments vétustes.
En janvier 1917, 70 détenus seront dirigés sur le dépôt de Kerbeneat en Plounéventer, 156 sur le camp de l'île Longue. Seuls 10 hommes de corvée restent quelques jours à Sieck pour nettoyer et remettre les locaux en état avant le constat des lieux, effectué le 25 janvier à la demande de la comtesse de Kergariou, en présence du sous-préfet de Morlaix.
Propriétaires et administration ne s'accordent pas sur les indemnités de réquisition. En 1920, le litige n'est toujours pas réglé...".

Laurent
