Pierre LOTI et Norton CRU

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chanteloube
Messages : 1547
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: Pierre LOTI et Norton CRU

Message par chanteloube »

Bonjour à toutes et à tous,

Une "perle" découverte dans L'Illustration:
La « prose ? » de Pierre Loti

[...] Dans une direction différente, une autre percée des plaques de fer nous montre, sur l'autre rive (la rive droite) et tout au bord de la petite rivière dont nous tenons, la rive gauche, à vingt mètres, de nous à peine, des terrassements tout neufs, recouverts d'aimables branchages, et qui sont muets, eux aussi, comme le mail, mais de ce même mutisme trop voulu, suspect et effarant. Alors, on nous glisse à l'oreille: « C'est eux qui sont là » .
Oh ! nous les avions devinés, ayant déjà connu en tant d'autres lieux ces atroces voisinages au silence trompeur-, qui sont une des caractéristiques de la guerre ultra- moderne. Oui, eux qui sont là, encore là, enfouis bien à l'abri dans notre terre française, laquelle ne s'éboule même pas pour les étouffer! Fils de la race abominable qui a le mensonge dans le sang, ils ont enseigné à toutes les armées du monde à faire mentir même les choses, même les aspects des choses; leurs tranchées prennent des airs d'innocents sillons sous de la verdure, les maisons où s'abritent leurs états-majors prennent des airs de ruines abandonnées. Eux, on ne les voit jamais, ils avancent et envahissent à la façon des termites ou des vers rongeurs. Et puis, à la minute la plus imprévue, de jour ou de nuit, précédés de toutes les variétés de choses infernales imaginées par eux, liquides qui brûlent, gaz qui aveuglent ou gaz qui asphyxient, ils jaillissent du sol, comme des bêtes de ménagerie à qui l'on aurait ouvert les cages. Quelle dérision! après de prodigieux efforts de mécanique et de chimie, en être ramené à des mœurs de l'époque des Cavernes, après s'être battu plus d'un an avec des appareils si diaboliquement perfectionnés pour tuerie à grande distance, se retrouver ainsi, presque les uns sur les autres, pendant des jours, pendant des mois, les nerfs tendus, l'organisme aux aguets, mais, tous, bien cachés et ne bougeant pas! ...
Horreur! ... Je crois vraiment qu'on a chuchoté dans ces trous d'en, face!... Comme nous, ils parlent bas, mais on reconnaît tout de même leurs intonations allemandes. Ils causent, invisibles- dans l'infini silence des entours, leurs chuchotements assourdis nous viennent comme d'en dessous, des entrailles de la terre. Ensuite une interjection brève de quelque chef sans doute, les rappelle à l'ordre, et brusquement ils se taisent., Mais on les a entendus, entendus de tout près, et cette espèce de murmure d'animaux fouisseurs a été plus lugubre à nos oreilles que n'importe quel fracas de bataille.
Non pas que leurs voix fussent cruelles, non, au contraire, presque harmonieuses, tellement que, si on n'avait pas qui parlait,, on n'aurait pas senti ce frisson de révolte vous passer dans la chair; plutôt aurait-on incliné presque à leur dire « Voyons, trêve à ce jeu de mort. Ne sommes- nous pas des hommes frères? Sortez donc de vos trous et donnons-nous la main. »
Mais, on ne le sait que trop, si leurs voix sont humaines, et peut-être aussi, leurs visages, leurs âmes ne le sont pas; il y manque les sentiments essentiels, celui de la loyauté, de l'honneur, celui du remords, et surtout celui qui est le plus noble peut-être en même temps que le plus élémentaire, et que même les animaux possèdent parfois, le sentiment de la pitié. Je me souviens d'une phrase de Victor Hugo, qui jadis m'avait paru outrée et obscure- il avait dit- « la nuit qu'une bête fauve a pour âme ». Cette image, les âmes allemandes aujourd'hui me la font comprendre. Qu'est-ce que cela pourrait bien être, sinon de la nuit lourde et sans rayons, l'âme de leur sinistre empereur, l'âme de leur prince héritier, dont la figure chafouine s'enfonce dans un trop grand bonnet en poil de bête noire, agrémenté d'une tête de mort?
Durant toute une vie, n'avoir eu d'autres soins que de faire construire des machines pour tuer, d'inventer des explosifs et des poisons pour tuer, d'exercer des soldats à tuer, avoir organisé, au profit d'un monstrueux orgueil personnel, tout ce qui sommeillait de barbarie au fond de la race allemande.....

Un autre texte un peu plus connu:

Si l’histoire, la Grande histoire, s’occupe des réalités et non des imaginations, elle doit tenir compte des peines, des angoisses, des colères, des haines, des désirs, des jugements, de la philosophie de guerre du poilu, du rôle psychologique et matériel joué dans la bataille par la machine humaine et les outils de combat, non d'après les chefs mais d'après celui qui fut cette machine et mania ces outils -outils connus des techniciens uniquement par leurs effets sur le terrain factice du polygone, du stand, du gymnase muni de mannequins pour l'escrime à la baïonnette, d'où sont exclus les seuls éléments qui comptent : le danger, la peur, l'horreur de la mort. Pour cela il faut que l’histoire, la grande histoire, se désintéressé un peu de certains faits tactiques purement conventionnels, de certains succès destinés surtout au communiqué. Qu'on n'aille donc pas reprocher aux souvenirs de guerre d'être pauvres en faits militaires, parce que c’est justement ce qui recommande leur sincérité, et la fidélité de l’image qu'ils peignent de la guerre. […]
Pauvres en stratégie, les souvenirs personnels sont en revanche riches de faits dont l'histoire n'a ras tenu compte jusqu’ici parce qu'il n'y avait personne pour en témoigner : les faits psychologiques. « La guerre nous a mués en psychologues dit Jubert, par la présence des mêmes pensées ». Les fait psychologiques sont l’essence même de la guerre, et l’on ne peut comprendre le phénomène guerre ni le moindre détail d'une opération si l'on ignore ces témoignages individuels sur les sentiments du narrateur et sur ceux qu’il a constatés dans son entourage. Les diverses façon dont on a a interprété la crise morale de 1917 prouvent à que point on ignorait, on ignore encore, que le soldat est un homme. qui voit, qui pense, qui juge, et qui souffre dans son esprit plus encore que dans son corps. Qu'on lise les témoignages de combattants et l'on verra que le mécontentement datait d'avant 1917, qu'en décembre -1916, quatre mois avant l'affaire du Chemin des Dames, les critiques du commandement étaient arrivées à un état aigu dans la troupe, hommes et officiers. Les faits psychologiques corrigent encore bien des erreurs : ils démentent l'épopée, la gloire, l'enivrement de la victoire que les histoires d'aujourd’hui veulent encore nous peindre.[…]
Le combattant qui gagnait du terrain dans la Somme avait une humeur aussi noire que celui qui reculait à Verdun. C'était bien la même guerre ici et là, guerre sans issue, sauf pour celui qui osait regarder l'issue de sa mort. Mentionnons les haines du poilu qui sont aussi instructives que ses angoisses, haine de l'état-major, des embusqués, de la presse, de tout l'arrière,[…] toutes avaient la même cause générale : le poilu haïssait ceux qui n’étant pas dans la tranchée, étaient plus belliqueux que lui, qui ne connaissant pas la guerre ou refusant d’en accepter les leçons voulaient la continuer à ses dépens et par des méthodes condamnées.

Norton Cru Témoins

Deux textes qui m'aident à comprendre ce que dit Tardi et son "trait" si noir.
Comprendre... ne signifie pas approuver.
Cordialement
CC




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