Lettre de membre de peloton d’exécution.

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vefrederic
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Re: Lettre de membre de peloton d’exécution.

Message par vefrederic »

Je suis à la recherche de lettre de poilu qui ont participé aux pelotons d’exécution des fusillé pour l’exemple. Ce moment tragique de l’histoire de cette guerre et comment ont-ils vécu cet instant dans leurs écris à leurs proche.
Merci de votre aide.
Frédéric
Frédéric VEAU
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Eric Mansuy
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Re: Lettre de membre de peloton d’exécution.

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir,

Quelques exemples parmi de nombreux témoignages publiés.

Bien cordialement,
Eric Mansuy

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"22 septembre [1914]. 5 heures. Je viens d’assister à une « exécution » ! Un bruit de pas cadencé nous avait attirés tout à coup vers les fenêtres. Qu’était-ce donc ? Où allait ce bataillon d’infanterie, astiqué comme pour une parade ?
Nous l’avons suivi : il allait présenter les armes à un condamné à mort.
Une exécution ! Mot sinistre, vision plus sinistre encore, car le condamné était un Français. Mauvais sujet, certes, puisque son casier portait déjà deux désertions en temps de paix. Or, ces jours-ci, il fit pire, vola des habits civils, les passa sous son uniforme ; puis, une nuit qu’il était en sentinelle, il quitta l’uniforme et s’enfuit, laissant toute sa section à la merci d’une surprise de l’ennemi.
Tout de même, il est mort « proprement », selon l’avis général. D’abord, il refusait le bandeau sur les yeux ; mais l’aumônier l’a apaisé : alors il a embrassé le prêtre, s’est mis à genoux, en priant. Et puis, confusément – car je ne pouvais contenir des larmes – je me rappelle avoir vu s’abaisser une ligne de fusils. Un « cra » sec, qui vous glace les veines. Et ce fut tout, car je n’ai pas voulu entendre le « coup de grâce ».
Comme je retournais vers l’ambulance, encore sous l’impression de la scène tragique, derrière moi retentit bientôt le pas rythmé du bataillon qui regagnait son cantonnement. Quand il parvint à ma hauteur, j’entendis – d’abord révolté – les hommes qui fredonnaient ! Pourtant, un peu plus tard, ayant bavardé avec eux et connu leur sentiment sur la « solidarité » des combattants, je comprends qu’après tout, ces camarades du condamné, et qui risquèrent la mort par sa faute, sont bien plus qualifiés que moi pour estimer que justice est faite."

LELEUX (Charles), Feuilles de Route d’un ambulancier (Paris – Nancy, Berger-Levrault, 1915, 109 pages)

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"Un moment après, nous défilons, en silence dans les rues nocturnes du village.
- « On dirait un enterrement, » murmure Teyssère.
Il ne saurait mieux dire ! Parvenus à la sortie du patelin, des préparatifs s’effectuent. Qu’est-ce que c’est ? Nul ne le sait, les ordres sont jetés à voix basse, des brancardiers sont là. Les troupes forment le carré...
- « Ah bon, me souffle mon voisin, j’ai compris. Sans doute quelques dégradations militaires ! »
- « Hum ! je crains le pire ! »

En effet, les symptomes sont significatifs et ne trompent personne. Des piquets de bois fixés en terre à égale distance, les uns des autres. Il y en a cinq, il y aura autant de fusillés !
« C’est une exécution capitale qui se prépare, me dit Esther »
Ça ne fait aucun doute, en effet. Un fourgon militaire s’arrête tout proche. Trois hommes en descendent, placés au centre du carré.
Le colonel, la tête haute, prononce quelques paroles avant de lire la sentence d’une voix qu’il voudrait ferme, mais où l’on distingue un tremblement. Les mots « Honneur », « Patrie », « Drapeau » sont jetés à la face des condamnés, puis « Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés… ces hommes-là sont condamnés à la DEGRADATION MILITAIRE.
« Fermez le ban ! » Suivent la disparition des boutons et autres accessoires aux capotes, puis la disparition… des condamnés…
Un moment après, un deuxième fourgon apparaît, laissant descendre cinq hommes de troupe, tous jeunes. Je passe sous silence les préparatifs funèbres, les paroles du colonel et voilà ma section formant le « peloton ».
Livides sont les condamnés. Livides sont aussi ceux qui forment le « Peloton d’Exécution ».
« Présentez armes ! » L’heure est grave, les troupes formant le carré sont au garde à vous. On distingue des tremblements pendant le garde à vous.
L’officier commandant le peloton, d’une voix qu’il voudrait ferme, naturelle, donne l’ordre : « En joue ! »
Il abaisse son sabre, une détonation retentit, cinq corps sont affaissés, c’est une partie terminée !
Seul, reste à donner le « coup de grâce ». Notre camarade sous-of¬ficier dont je tairai le nom, est désigné pour cette triste corvée. Ce sera en détournant la tête qu’il exécutera la pénible mission.
Il était temps. Sa pâleur faisait craindre le pire, la syncope. Pen¬dant toute la journée du lendemain, ses traits demeurèrent tels que la veille.
« Ben, je préférerais encore être au danger que d’assister à pareille fête ! » lance Lulu.
- « Ça devrait pas être permis, ces choses-là, ajoute un second. »
- « C’est pour l’exemple, gronde Robert. Et dire que si l’on appliquait le règlement à la lettre, j’en connais qui… Chut… »
Un moment de cafard devrait être pardonné à des hommes vivant comme des bêtes fauves. Non ?"

MALAVIALLE (Marius), Un du Cent-six-trois (163e d’infanterie) pendant la guerre 1914-1918 (Montpellier, Imprimerie Coopérative L’Abeille, s.d., 199 pages)

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"24 octobre [1916]. – Il pleut, le matin, et nous allons à l’exercice.
Le soir, nous allons à l’exercice sur le terrain de tir puis nous faisons une petite manœuvre pour le retour. Nous ne rentrons pas pourtant au cantonnement, et on nous rassemble, tout le bataillon, sur le terrain d’exécution, pendant que les autres régiments de la division arrivent. Nous devons assister à une nouvelle exécution, celle-ci est révoltante. Je ne comprends pas que des hommes se prêtent à être bourreaux contre leur conscience. Je le dis à l’adjudant Taret qui me répond que je serais bien forcé de faire comme les autres si on me désignait. « Non, car je pourrais toujours tirer à côté ».
Du fourgon descend le condamné assisté de l’aumônier. Quel courage pendant qu’on lit la sentence et que l’on procède à la dégradation ! Courage sans cynisme. Il fume une cigarette, la poitrine découverte. Au poteau d’exécution, on ne lui bande pas les yeux et il continue de fumer avec un air de dédain et un mouvement de pardon. Sur le geste du chef de peloton, les fusils des coloniaux crépitent et comme un sac dégonflé, leur camarade s’affaisse. Suivant le mode rituel, le sous-officier tire le coup de grâce avec son revolver. Je ne saurais pas faire ce geste. Mort en lâche ? Cet homme condamné pour abandon de poste ! Non, engagé volontaire pour la durée de la guerre dans la coloniale, son esprit fort a souvent dû être utilisé mieux que celui de Messieurs de la Prévôté.
L’exécution terminée, les régiments défilent devant le corps du supplicié. D’autres manifestations comme celle-ci feraient vite tomber le moral des poilus, et nous ne pouvons que retenir le pardon de la victime qui semblait dire : « Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »"

LEROY (Georges), Pacifiques Combattants au 414e (Marseille, chez l’auteur, 1935, 507 pages)
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
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