Bonjour à tous, pour illustrer un texte, je cherche un témoignage de Poilu sur l'effet psychologique - ou réel - produit par les mitrailleuses allemandes. A défaut un témoignage de soldat allemand ferait l'affaire. Celà inspire-t-il quelqu'un ?
Merci par avance.
Bonjour,
Quelques témoignages, au hasard. J'ignore si cela fera l'affaire. Je peux regarder ce que j'ai d'autre sous la main, au cas où…
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Charles Magnien, 21e R.I. : Mercredi 26 août
Il est 15 h. Les blessés commencent à affluer. Le général de division passe près de nous et nous dit que nous aurons bientôt de l’ouvrage. Un instant après, nous recevons l’ordre de nous porter à l’avant, le bataillon se forme en colonnes de compagnies pour charger à la baïonnette. Nous sonnons la charge, les compagnies se précipitent en avant, c’est la fameuse charge du col de la Chipotte. Une fusillade épouvantable nous accueille, les hommes tombent par paquets les uns sur les autres, des files entières sont fauchées par les mitrailleuses, mais fantassins, chasseurs, génie, avancent toujours malgré des pertes sanglantes. Les Allemands n’attendent pas le choc et se replient en tiraillant. Nous recevons l’ordre de cesser de sonner la charge, qui a duré environ un quart d’heure. A ce moment, j’aperçois un de mes camarades qui revient ; il a la poitrine trouée et un bras traversé, il me supplie de ne pas le laisser, je le ramène à travers les sapins. Les balles sifflent toujours.
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Ludovic Preyssat, 86e R.I. : Jeudi 20 [août 1914], terrible journée.
Voilà que tout à coup il fallut passer un pont et se porter en avant. L’ennemi occupait une crête, au devant, c’était une immense plaine. Il y avait des mitrailleuses de braquées sur le pont, c’était très difficile pour le traverser. En dernier, les cadavres auraient presque obstrués le passage. L’artillerie ennemie y tirait aussi pour faire sauter le pont. Dans cette plaine, nous étions criblés par les balles et les obus rien pour nous abriter même d’une balle. Un de mes camarades avait presque perdu la tête et faisait des maniements d’arme au milieu des rafales de balles et d’obus. A mesure que nous avancions, nous étions fauchés par le tir des mitrailleuses. Heureusement, la nuit arriva, leur tir n’était pas aussi précis.
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Maurice Aussedat, 86e R.I. : 25 août 1914 :
En tête du bataillon, sabre au clair, le Commandant Fenêtre, au cri de « en avant ! en avant ! » entraîne son bataillon derrière lui, en colonne serrée sur le côté gauche du pont. A ce moment se dévoilent des mitrailleuses allemandes qui enfilent le pont : c’est un véritable massacre. Les premières rangées sont fauchées, les hommes tombent par groupes, leurs corps empêchent ceux qui suivent d’avancer. Malgré cela, obéissant aux commandements de leurs sous-officiers et officiers, les hommes cherchent à passer au-delà de ces barrages de cadavres, mais ils sont eux-mêmes atteints et tombent tués ou blessés. Le Commandant Fenêtre, le Capitaine Guichard, le Lieutenant Cousseran, ont réussi à atteindre l’extrémité du pont et ont trouvé abri dans une maison en construction en contrebas et à gauche de la sortie du pont. De là, ils appellent à eux les hommes ; trois ou quatre seuls réussissent à y parvenir. De mon côté, au signal d’assaut du chef de bataillon, je fais cesser le feu, mets sabre au clair et enlève en avant ma petite troupe déjà bien décimée ; sept ou huit hommes restent en arrière tués ou blessés. Profitant de ce que la colonne d’attaque a progressé sur le côté gauche du pont, j’utilise l’espace laissé libre à droite pour devancer au pas de course la colonne de gauche plus ou moins ralentie par ses pertes. Cette circonstance me permet de marcher plus vite et d’arriver ainsi avec presque tout mon monde à l’extrémité du pont. Mais, à notre tour, nous sommes pris par le feu des mitrailleuses et mes hommes tombent par paquets. Néanmoins, à la tête d’un groupe de 5 ou 6 hommes, je puis arriver jusqu’à la route transversale de St-Dié à Lunéville, à une vingtaine de mètres des positions allemandes et à une trentaine de mètres en avant des premiers éléments de la colonne d’assaut de gauche. Là, mes hommes sont fusillés à bout portant par des fractions ennemies postées juste au carrefour et abritées par les maisons. A ce moment, je suis atteint d’une balle au bras droit qui traverse l’articulation du coude et perds connaissance. Les éléments qui suivent ne serrent plus, l’assaut a échoué.
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Voici un extrait du témoignage de Roger ACCARIES, 67è RI. J'ai laissé plus que le témoignage sur les mitrailleuses, car tout le passage me semble émouvant.
C'est le 27 septembre 1915 (peut-être le 26 car il semble que Roger ACCARIES aient du attendre la fin de cette offensive de plusisurs jours pour consigner ses écrits et il s'est peut-être trompé d'une journée). Ils sont près de la ferme des Wacques ou à la Tranchée de Lubeck.
Codialement,
Arnaud
Nous sommes couchés la face contre terre. Le casque s’enfonce dans la mousse et blesse le front. Des insectes escaladent des mottes de terre qui sont pour eux des montagnes, des mousses qui sont des arbres. La vie continue là, paisible, comme si les shrapnels n’éclataient pas, brisant les branches, comme si les détonations des canons ne se succédaient pas sans interruption.
Le Lieutenant FATTACCIOLI est tué, déchiqueté par des shrapnels. Nous cheminons en silence et nous couchons dans un bois. On reforme les sections. Les détonations se succèdent plus nombreuses où se mêlent les claquements rageurs du 75, les déchirements du 105, le bruit sourd des grosses pièces. Les éclatements sont là, tout près. De grosses marmites arrivent avec un bruit d’enfer. On les voit plonger dans la tranchée boche et elles éclatent avec un bruit effroyable. Il semble que d’énormes cordes d’acier vibrent sous un choc fantastique. Le grondement des canons s’accentue. Ce n’est plus qu’un roulement continu, un océan de bruit.
Nous traversons la route et nous couchons dans le bois de sapins. Alors, dominant le bruit de la canonnade, éclate une fusillade d’une violence inouïe. Il semble que les Allemands soient à 50 mètres. Les mitrailleuses crépitent, moulins à café au tic-tac énervant, exaspérant. Les balles fracassent les branches des sapins avec un bruit assourdissant. Dix, vingt balles frappent la même branche, la hache petit à petit. Des milliers de guêpes affairées circulent près de ma tête. Je suis la face contre terre, les yeux fermés sans pensée.
Si ! Une pensée : je demande qu’une balle vienne bientôt mettre fin à ce cauchemar. La canonnade a cessé. On crie « en avant ! », je me relève sur les genoux. Je suis parfaitement décidé, plein d’une rage froide. J’irai là-bas sans crainte. Désormais, je ne me contiens plus. J’encourage chacun à avancer à genoux. Les uns se terrent, ne veulent plus avancer. Un dernier encouragement, un dernier effort, et nous sommes dans un trou de marmite. Personne ne bouge plus. Le reste de la section doit être parti en avant. Pas d’ordres ! Contre moi est MAQUIN. Il me paraît décidé.
« L’un de nous va aller en avant aux ordres, l’autre attendra et fera avancer les hommes. – J’y vais. – Non, moi ! »
Il part. Quelques secondes et il crie « ACCARIÈS, en avant ! » Je crie « En avant, debout ! » Quelques-uns uns se lèvent et se traînent à genoux. Je marche debout, défiant les balles qui bourdonnent.
MAQUIN se précipite sur nous, criant, les yeux fous, les mains crispées sur la poitrine « Ah ... Ah ! » Il doit être bien touché. Je continue mon chemin. J’arrive à une clairière.
Le reste de la compagnie est là. « Où est le Lieutenant CABOT ? » On ne sait pas. « Planque-toi, couche-toi ! – Où est OLIVIER ? – Là ! » Je reçois un choc. Je porte la main à ma capote. « Je suis touché » dis-je. Je vais me coucher près d’OLIVIER et me tâte. Je ne suis pas blessé. Les balles passent très près de la figure. Les Allemands tirent plus bas. Entre OLIVIER et moi, il y a un petit sapin qui reçoit plusieurs balles par seconde : une mitrailleuse est braquée, là. Je prends mon couteau et, sans lever la tête, arrache la mousse. Je creuse un trou à hauteur de la tête. Ce travail m’essouffle. Je mets ma tête dans le trou et me repose. Comment ne sommes-nous pas tous morts, déjà ?
(Ce sera malheureusement son tour un an après, jour pour jour)
Rebonjour,
Deux autres extraits, pour « boucler la boucle » (un de 1914, et un du 11 novembre 1918, quand les mitrailleuses allemandes tuaient encore).
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Maurice Paul Ravel, 213e R.I. 29 décembre 1914 :
« La bataille se poursuit toujours sans résultat. La tranchée allemande de la cote 425 tient encore et Steinbach n’est pas encore pris. Je crois qu’il faut renoncer à enlever la tranchée aussi longtemps que le village ne sera pas à nous. Jusqu’à présent, toutes les troupes qui se sont avancées vers la tranchée ont été prises de flanc et décimées par des mitrailleuses ennemies installées dans les maisons du village. Il faut donc soit s’emparer du village soit le détruire. Les troupes du 152e d’Infanterie, chargées de l’attaque, sont arrêtées depuis quatre jours à 300 mètres de la lisière et ne peuvent avancer pour l’instant. »
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Charles François, 356e R.I. 11 novembre 1918 :
« 11 novembre – Au matin, alerte.
Même ordre que la veille. Mais cette fois, les Allemands rebiffent : leur artillerie ne cesse d’ailleurs de tirer.
Nous nous heurtons à nouveau à l’épais réseau de barbelés : il faudrait de forts explosifs pour y créer une brèche. Nous avançons un peu, mais à grand peine. A notre droite, deux hommes du 367e, qui tentent de percer, sont tués à coups de mitrailleuse.
9 h. 25 : nous apprenons la signature de l’armistice par un agent de liaison qui court au-dessus de la tranchée, et précise que le feu doit cesser à 11 heures. Allégresse générale. »
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Bonjour Arnaud et rebonjour Eric
Magnifique témoignage que celui du sous-lieutenant Accariès. Je pense que je vais m'en servir, sans pouvoir malheureusement le reproduire "in extenso". Je reste néanmoins à la recherche de témoignage de cette veine. J'aimerai bien aussi mettre la main sur un rapport évoquant l'effet des tirs de MG ...
Eric, quelle misère d'être tué un 11 novembre...
Rebonjour,
Un détail sordide, peut-être (mais je crois que nous avons déjà évoqué ce sujet sur le forum) : les fiches des deux tués du 11 novembre portent apparemment la date du 10...
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Bonjour,
Les témoignages présentés sont très interessants notemment celui reproduit par Arnaud Memorial.
Merci à vous de nous avoir retranscrits ces derniers. Si vous en avez du même style sur les Grenades, je suis éventuellement prenant.
Encore merci et bonne journée.
J'arrive un peu après la bataille (c'est le cas de le dire) mais voici comment le député et capitaine Ybernegaray décrivit l'heure de l'assaut au Chemin des Dames, je pense que c'est très significatif :
"A sept heures, la bataille était perdue. Car, sur cet immense plateau de l'Aisne, un quart d'heure après le départ des vagues d'assaut, c'était le crépitement de milliers de mitrailleuses, et de toutes nos poitrines angoissées, le même cri est parti : 'Les mitrailleuses ne sont pas détruites !'"
In P.Miquel "Le Chemin des Dames".
"Sur un banc étaient rangés quinze ou vingt bonshommes qui avaient bien une douzaine de jambes à eux tous." (Duhamel)