Bonjour à tous,
Je suis en possession d'un abondant échange de courrier entre 4 frères mobilisés et leur mère. Les 4 frères ont eu des parcours très différents au cours de cette guerre: l'aîné, Maurice, est mobilisé comme sergent territorial au Maroc; le second, Abel, initialement exempté de service militaire, est "récupéré" en janvier 1915 et devient conducteur automobile. En 1917, il passera le concours pour être nommé lieutenant et sera alors envoyé sur le front d'Orient. Ses lettres sont souvent très descriptives et captivantes. Les 2 derniers, Emile et Edouard, sont des militaires dans l'âme: ils ont été formés à l'école des enfants de troupes des Andelys; Emile a ensuite suivi les cours de Saint-Maixent et a participé à la campagne du Maroc dès 1912 lorsqu'il a été nommé lieutenant. Il était encore au Maroc lorsque la mobilisation générale a été déclarée et il a été rapatrié courant août 14 avec la division marocaine. Edouard, quant à lui était sergent mitrailleur au 26e BCP à la déclaration de guerre. Il a rapidement été nommé lieutenant au feu.
Je relis souvent avec un grand plaisir ces échanges épistolaires et je souhaiterais vous en faire partager quelques-uns au gré de l'actualité générale ou de celle du forum. Je n'aurai pas la régularité et la ponctualité d'Alain Malinovski mais j'essayerai cependant d'intervenir assez régulièrement.
Pour cette date anniversaire, voici donc un courrier d'Abel dont la section automobile a été l'une des premières à assurer les transports sur Verdun. On peut relier cette lettre à la lecture des pages contemporaines de ses carnets que j'avais mises en lignes l'an passé:
pages1418/forum-pages-histoire/route-ve ... 3503_1.htm
Bonne lecture et à bientôt,
Frédéric Avenel
Le 27 février 1916
Ma Chère Maman,
Je viens de passer 2 jours qui resteront longtemps dans ma mémoire.
Le 24, à minuit, je pars avec mon groupe. Nous faisons un transport de troupes dans la nuit. Nous chargeons en route et le lendemain dans la matinée, le 25, nous débarquons à Verdun. Il y a là un spectacle inoubliable. Je passe vite. Je ne puis te décrire l’animation extraordinaire qui y règne. Une chose lamentable à voir, c’est ce défilé incessant des évacués. Femmes jeunes et vieilles, poussant ou tirant des voitures d’enfants lourdement chargées, toutes presque entraînant des mioches accrochés à leurs jupes. Cela est triste au dernier point et les larmes m’en viennent aux yeux. Mais comme on se fait à tout, je cesse bientôt de ne plus penser à toutes ces misères qui fuient où ?...
Au moment où nous débarquons nos troupes, l’évêque de Verdun passe accompagnant un groupe de femmes. Il a le sourire en saluant les soldats qui vont au feu avec un entrain endiablé et à ce moment, un général passe dans une auto. La foule s’écarte et l’évêque se découvrant crie « salut mon général ». La scène s’est passée si vite que j’ai à peine eu le temps de voir le sourire qui déride la figure du général. J’ai su depuis que c’était Castelnau.
Nous voilà repartis où ? nous n’en savons rien. Il fait un vent froid avec bientôt la neige. Toute la journée nous aurons ce mauvais temps. Je suis transi et une envie de dormir me gagne à laquelle je ne résiste qu’avec peine. A 2 heures, nous nous trouvons près de Révigny, là où le zeppelin fut abattu il y a quelques jours. Un de mes camarades trouve en ce lieu un morceau de poutre en aluminium. Nous restons là sur la route. On nous sert un repas composé de riz et de singe à peine chaud. C’est immangeable et je le jette. Je m’assois sur mon siège et je somnole jusqu’à 5 heures succombant de fatigue, de faim et de froid. Pourtant j’ai souvent passé des nuits sans dormir et j’avais parfaitement supporté cette fatigue. Aujourd’hui, je ne tiens plus debout et tous sont comme moi. Pour la plupart, c’est la deuxième et bientôt la troisième nuit qui commence. A 7 heures nous démarrons. A 11 heures, nous chargeons ayant marché avec une lenteur désespérante.
Des centaines de camions se suivent dans la nuit. La route est terriblement accidentée et toujours ce sommeil qui nous accable. Des heures entières, je vais essayer de lutter. Je n’y parviendrai qu’en courant le long de la voiture à chaque arrêt. Le radiateur fuit et maintes fois, je puise de l’eau au ruisseau quand j’en trouve pour éviter la panne.
Enfin le petit jour arrive. Nous sommes gelés. Je ne sens plus mes pieds. J’ai des troubles de la vue, voyant sur la route devant moi des barrières, des maisons, des murs. Mon camarade dont c’est la troisième nuit au volant n’a plus figure humaine. Ses yeux brillent de fièvre et sa tête tombe à chaque pause.
Nous tombons au petit jour dans une forêt. Le chemin est mauvais au point que nous mettons plus de 3 heures pour faire 5 kilomètres. Un verglas dangereux rejette à chaque instant les camions vers le fossé. Quelles souffrances nous avons eu à subir cette nuit ! J’aurais voulu que tous ceux qui si délibérément nous traitent d’embusqués, partagent un peu notre fatigue.
Enfin, après maints arrêts, nous voici revenus sur la route de Verdun qui est à 24 kilomètres. Partout débouchent des convois et pas d’embarras. Tout se passe avec ordre et des milliers de camions défilent avec rapidité et presque pas d’accident. C’est simplement merveilleux. Tout cela nous réconforte.
Dans un village nous croisons Castelnau qui nous regarde passer au bras d’un officier d’Etat-Major. A 2 heures, nous sommes revenus à Verdun. Il fait un temps clair et un beau et chaud soleil nous réchauffe. Le défilé des émigrés a fait place au cortège des employés de la place qui s’en vont clopin clopant, ne songeant qu’à se protéger contre les éclaboussures de boue que nous leur envoyons copieusement au passage.
Au moment où nous débarquons, un aéroplane boche est au-dessus de nous et nous regardons curieusement les flocons de fumée des obus que sans économies lui envoient des batteries voisines. Nous attendons la bombe qui ne vient pas. C’eût été un beau coup, mais les allemands n’ont pas le flair. Sur une colline à 2 kilomètres de nous, les obus tombent sans cesse, dégageant une épaisse fumée noire. Il arrive des troupes et des convois de toutes parts. D’autres troupes venant des tranchées passent sales et boueuses. Un soldat et un sergent me demandent quelque chose à boire et je leur vide mon bidon où se trouvait encore un peu de vin. Ils sont fatigués mais nullement découragés. Ils racontent qu’on leur a demandé de tenir 48 heures. Ils ont tenu…
Après une bonne heure d’attente pendant laquelle le taube aurait pu tout à loisir nous canarder, nous démarrons. Je prends le volant et mon camarade dort dans son coin.
Le 26, à 8 heures du soir, nous étions au cantonnement. On nous dit de nous tenir prêts à repartir vers minuit. Je me lave, je mange et je vais me coucher. Heureusement, j’ai pu dormir tout mon content. A 7 heures, j’étais debout. Pas d’ordre de départ. Je suis bien reposé et prêt à recommencer.
Tu ne te plaindras pas trop ma Chère Maman, de la longueur de ma lettre. Si j’avais été plus prévoyant, je n’aurais pas tant souffert et pour l’avenir, je prépare ma musette qui ne me quittera plus.
Mes respects à tous nos voisins.
Je t’embrasse affectueusement,
Abel
Correspondances #1#
- Frederic Avenel
- Messages : 152
- Inscription : dim. oct. 17, 2004 2:00 am
Re: Correspondances #1#
Bonjour Frédéric,
Merci de nous faire partager ces lettres ! J'avais d'ailleurs mis à l'honneur Abel, l'année dernière, lors de mon expo sur les combattants de Verdun et je t'en remercie une fois de plus.
J'aimerais faire de même pour les 8e et 73e RI mais je n'ai rien à proposer pour l'instant. Dernièrement, deux petits carnets de 6 mois de campagne ont été vendus aux enchères à un prix défiant les passionnés dont je suis. Vraiment dommage, il n'y a pas de limite à la folie !
Bien amicalement, Hervé.
Merci de nous faire partager ces lettres ! J'avais d'ailleurs mis à l'honneur Abel, l'année dernière, lors de mon expo sur les combattants de Verdun et je t'en remercie une fois de plus.
J'aimerais faire de même pour les 8e et 73e RI mais je n'ai rien à proposer pour l'instant. Dernièrement, deux petits carnets de 6 mois de campagne ont été vendus aux enchères à un prix défiant les passionnés dont je suis. Vraiment dommage, il n'y a pas de limite à la folie !
Bien amicalement, Hervé.
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Correspondances #1#
bonjour à tous
bonjour Frédéric
c'est tout simplement passionnant, en plus d'être un très bel hommage au souvenir de la bataille de Verdun;
j'attendrais la suite avec impatience !
merci de nous faire partager ces écrits-témoignages d'une telle qualité
amicalement,
Mireille
bonjour Frédéric
c'est tout simplement passionnant, en plus d'être un très bel hommage au souvenir de la bataille de Verdun;
j'attendrais la suite avec impatience !
merci de nous faire partager ces écrits-témoignages d'une telle qualité

amicalement,
Mireille
Re: Correspondances #1#
Bonjour,
Comme dit ci-dessus, passionnant !!
Par contre, je suis très intéressé par ce que son frère peut écrire sur la campagne du maroc. Mon AGP y était aussi. Savez-vous ou il était basé ?
Comme dit ci-dessus, passionnant !!
Par contre, je suis très intéressé par ce que son frère peut écrire sur la campagne du maroc. Mon AGP y était aussi. Savez-vous ou il était basé ?
- alain chaupin
- Messages : 996
- Inscription : lun. oct. 18, 2004 2:00 am
Re: Correspondances #1#
Bonjour à tous,
Merci Frédéric de nous faire partager ce passionnant témoignage, et c'est avec impatience que j'attends le prochain !
Bien cordialement
Alain
Merci Frédéric de nous faire partager ce passionnant témoignage, et c'est avec impatience que j'attends le prochain !
Bien cordialement
Alain
Ceux qui reviendront de cette guerre et qui auront comme moi passés par toutes les misères qu'un homme peut endurer avant de mourir, devra s'en souvenir, car chaque jour qu'il vivra sera pour lui un bonheur."
Gaston Olivier - mon Grand-Père
http://www.
Gaston Olivier - mon Grand-Père
http://www.
- Jean RIOTTE
- Messages : 5774
- Inscription : sam. nov. 05, 2005 1:00 am
Re: Correspondances #1#
Bonjour Frédéric,
Bonjour à toutes et à tous,
Merci beaucoup pour ce témoignage simple, vrai, passionnant qui nous fait toucher du doigt les multiples facettes de l'avant, du front.
Car si les tranchées ont été le lot des plus nombreux et ce que les français ont essentiellement retenu de cette guerre, n'oublions pas tous les fronts invisibles de cette guerre tenus par "ceux de la logistique". Sans leur travail obscur, humble, ingrat, trop souvent raillé... ils ont eux aussi contribué au succés final.
Nourrir, fournir, soigner, construire, maintenir l'ordre... que de fronts invisibles et indispensables à toute armée en campagne...
Cordialement.
Jean RIOTTE.
Bonjour à toutes et à tous,
Merci beaucoup pour ce témoignage simple, vrai, passionnant qui nous fait toucher du doigt les multiples facettes de l'avant, du front.
Car si les tranchées ont été le lot des plus nombreux et ce que les français ont essentiellement retenu de cette guerre, n'oublions pas tous les fronts invisibles de cette guerre tenus par "ceux de la logistique". Sans leur travail obscur, humble, ingrat, trop souvent raillé... ils ont eux aussi contribué au succés final.
Nourrir, fournir, soigner, construire, maintenir l'ordre... que de fronts invisibles et indispensables à toute armée en campagne...
Cordialement.
Jean RIOTTE.