Il y aura bientôt cent ans, une des plus grandes tragédies de la guerre provoque la mort de plus de 700 soldats allemands dans les tunnels du Mont Cornillet.
Ce drame est causé avant tout par la détonation, à l'intérieur d'une des galeries du tunnel, d'un obus de 400 de l'ALVF.
Des articles récents ayant encore relaté des détails en partie inexacts, je vais résumer le rôle des batteries concernées de l'Artillerie Lourde à Grande Puissance et des officiers engagés dans les opérations d'avril et mai 1917 au Mont Cornillet.
En effet, les JMO des unités concernées sont un peu confus et très peu détaillés, ce qui confirme, une fois de plus, que les "historiens de bureaux" ne peuvent bâtir une étude à la simple lecture des JMO en ligne!
Les lignes qui suivent sont une très courte synthèse des rapports du Commandant Batsale, commandant du 30e Groupe de 400 du 3e R.A.P et des capitaines Aymone et Farjon, respectivement commandants des 75e et 76e batteries de 400 du 3e R.A.P qui ont tous trois rédigé des rapports détaillés sur les événements du Cornillet et dont un général a eu la bonne idée de garder les copies. En effet, je n'ai pas lu les originaux de ces rapports au SHD, peut-être y sont-ils, en tout cas je ne les ai pas trouvés. Bénissons donc les officiers qui ont eu la bonne idée de garder des copies des rapports importants concernant des événements qu'ils ont vécus!
Tout d'abord, la composition du 30e Groupe de 400 du 3e R.A.P (C.E Batsale) en avril et mai 1917:
-75e batterie (Cne Aymone):
Obusier de 400 AT n° 5018 - R 1890 n° 2 Té R 1916 n° 3 "M'Brouka".
Obusier de 400 AT n° 5019 - R 1892 n° 1 Té R 1916 n° 1 "K'Bira".
-76e batterie (Cne Farjon):
Obusier de 400 AT n° 5015 - R 1892 n° 2 Té R 1915 n° 4 "L'Oiseau Mouche".
Obusier de 400 AT n° 5016 - R 1893 n° 3 Té R 1915 n° 5 "Le Colibri".
En mars 1917, le 30e Groupe quitte la IIIe Armée où il devait être engagé dans l'Oise, offensive annulée du fait du repli "Alberich" de l'ennemi, il a dû envoyer l'obusier "K'Bira" aux Ateliers de la Compagnie de l'Est pour réparations car ses essieux chauffaient et devaient être réparés. Les trois autres obusiers sont envoyés à la IVe Armée dont l'emploi est prévu principalement face aux Monts de Champagne.
Pour engager ces obusiers de 400, une position est construite rapidement aux lisières du Camp de Châlons près de la Pyramide au nord du camp.
Cette position dite de la Pyramide comprend trois épis droits, construits au nord-ouest d'un grand épi à quatre branches en tenaille pour pièces ALVF à glissement et employant le même embranchement:

Les trois épis droits des obusiers de 400, on distingue en bas à droite l'extrémité des deux branches gauches de l'épi en tenaille pour pièces à glissement.
Les premiers tirs sont dirigés par le capitaine Farjon:
-14 avril 1917: tir sur le Mont sans Nom de l'obusier "M'Brouka": 4 obus de réglage sans retard suivis de 12 coups avec fusée retardée.
-15 avril 1917: tir sur le Mont Cornillet de "L'Oiseau Mouche": 12 coups.
-16 avril 1917: tir sur le Mont sans Nom de "M'Brouka": 14 coups.
Le 19 avril, le capitaine Farjon effectue une reconnaissance sur le Mont sans Nom occupé par le 8e Zouaves, il suit la piste Ham et la pente sud au nord du Bois 155, il voit d'abord un entonnoir de 10 mètres de largeur et de 5 mètres de profondeur correspondant au coup n° 2 du 16 avril 1917 et, derrière le sommet du Mont un grand centre téléphonique souterrain à deux étages, complétement effondré sur 8 mètres de profondeur correspondant au coup n° 5 du 14 avril observé par le ballon 85, observateur sous-lieutenant Louis puis un nouvel effondrement de souterrain à 8 mètres de profondeur.
-le 29 avril 1917: tir de 24 coups sur le Mont Cornillet par "L'Oiseau Mouche", tir arrêté au 13e coup les conditions d'observation devenant incertaines.
-le 30 avril 1917: tir de 24 coups sur le Mont Cornillet par "Le Colibri" mais le mauvais temps ne permet l'observation que de 2 coups de réglage, vus néanmoins encadrants.
-le 1er mai 1917: tir de 24 coups sur le Mont-Cornillet par "Le Colibri", le matin 2 coups de réglage sur 4 sont jugés bons, suivis de 8 coups retardés. L'après-midi, 12 coups retardés sont tirés dans de bonnes conditions, un coup aveugle l'entrée gauche (vérifié sur photographies). L'attaque d'infanterie ayant échoué, il n'y pas d'autres données sur l'effet produit.
Des compte-rendus d'interrogatoires de prisonniers révèlent néanmoins que lors du tir du 29 avril, le coup de 400 tiré 13h00 a défoncé un abri de la pente nord du Cornillet tuant un capitaine, 2 lieutenants et quelques hommes.
Les opérations sont suspendues et le capitaine Farjon part en permission. Le capitaine Aymone, commandant de la 75e batterie de 400, prend alors le commandement des pièces de 400 en action.
Le 18 mai, le capitaine Aymone reçoit l'ordre de préparer un tir de 36 coups sur le Mont Cornillet, à répartir sur les trois galeries à raison de 12 coups chacune "à un moment aussi voisin que possible de l'attaque".
-le 20 mai 1917, le tir prescrit commence à 6h00, effectué par l'obusier "M'Brouka" de la 75e batterie et observé par le lieutenant Ledy de l'escadrille MF 32 qui restera en tout trois heures sur l'objectif à basse altitude. Les conditions météorologiques sont parfaites et l'observateur distingue même à peu près tous les coups retardés, un exploit sans précédent car ceux-ci sont moins visibles qu'un éclatement de 75! Les trois tirs distincts ont été absolument réglés. Les entrées sont obstruées (mais le tir de 700 obus de 270 y a aussi contribué).
C'est au cours de ce tir qu'un obus de 400 à fusée retardée détone dans une galerie du Cornillet amenant des scènes d'horreur absolue tant du fait de la détonation que par l'envahissement du tunnel par le monoxyde de carbone provenant de l'éclatement de la charge du projectile.
L'estimation des pertes est de l'ordre de 700 soldats allemands tués dans le tunnel qui abritait alors, outre des isolés, deux chefs de bataillons du 476e I.R de la 242e I.D allemande avec 6 compagnies d'infanterie, 2 compagnies de mitrailleuses, 4 pelotons de pionniers, des postes de secours et une station radio.
Les photographies suivantes ( au moins une vingtaine ont été prises à cette époque) ont été prises sur les épis droits de la Pyramide à l'époque du drame, les pièces visibles ne peuvent pas toutes être identifiées avec certitude:

"Le Colibri" en action sur un épi droit de la Pyramide.

Un obus de 400 à fusée retardée est hissé en dehors d'un wagon à munitions.

L'obus va être présenté à la position de chargement.

Le chef d'équipe arme le marteau et amorce, le sort de centaines de soldats allemands est entre les mains de Dieu.

Tir d'un obusier de 400 à la position de la Pyramide.
A noter, que ce sont les tirs de l'obusier de 400 "M'Brouka" qui ont obtenu les résultats les plus décisifs (14 avril et 20 mai 1917).
Ce canon, à l'origine un 340 modèle 1887 (R 1890 n° 2) a équipé le cuirassé "Brennus" jusqu'à son désarmement, a été transformé par raccourcissement et alésage en 400 modèle 1915 (R 1916 n° 3) à la Fonderie de Ruelle puis monté sur l'affût-truck AT 5018 aux Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt à Saint-Chamond (Loire).
Cordialement,
Guy François.