Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

ALVF
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par ALVF »

Bonsoir,

Un lecteur du Forum m'a posé en MP une question sur la cadence de tir réelle des pièces d'artillerie et m'a remercié, contrairement à une habitude qui semble se développer sur ce Forum où certains "questionneurs" prennent les bonnes volontés pour des "poires" (pour rester poli) ou une quelconque annexe de Wikimachin, ne nécessitant donc pas même un simple merci!

La question est intéressante car on pourrait imaginer à la vision de certains films d'époque qu'un canon de 75 peut débiter 12 coups à la minute pendant de longues périodes.
Certes, lors d'une journée "historique" des années 1894, le lieutenant-colonel Deport a pu, en présence du général Deloye, faire tirer un canon de 75, encore prototype, à la merveilleuse cadence de 28 coups en une minute.Un exploit qui n'aurait pu durer plus longtemps sous peine de réduire à l'état de ferraille rougie et inutilisable ce prodigieux matériel.
Il y a en effet deux limites aux cadences accélérées, la résistance du matériel et, surtout pour les calibres importants, la fatigue des servants.
Ainsi, sur les manuels d'artillerie, il est bien indiqué pour le 75 une cadence du tir de 12 coups/mn mais pendant une minute seulement, ce dernier point est rarement précisé dans les manuels.
Les ordres de tir mentionnent des chiffres bien plus faibles afin de ne pas "fatiguer" le matériel.
Certes en cas d'attaque ennemie, voire de contre-préparation offensive (C.P.O), on pourra faire tirer un 75 à une cadence supérieure à celle indiquée ci-après mais tout à fait exceptionnellement et pendant peu de temps.
Je joins, pour les calibres de campagne de 75 à 155, les cadences de tir et de débit de munitions en vigueur au cours de la Grande Guerre, codifiés ici dans une page du document "Aide-Mémoire pour l'exécution des travaux d'Etudes" rédigé par le Centre d'Etudes de l'Artillerie en 1918:
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Le renvoi (1) précise que l'emploi de charges réduites permet de prolonger la durée des tirs pendant une courte période.
Cordialement,
Guy François.
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delmi83
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par delmi83 »

Bonsoir Guy, bonsoir à tous,

je me permets une aparté liée, quelque part, au débit : durant cette guerre, plusieurs pièces sont appelées TR, tel le 240 TR (sûrement en opposition au 240E, à échantignolles !), qui correspond à "Tir Rapide". Sur quel(s) critère(s) détermine-t-on qu'une pièce est à tir rapide ou non ?

Merci d'avance pour tous vos commentaires

Michel
ALVF
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par ALVF »

Bonsoir Michel,

Comme souvent, il n'y a pas de réponse unique à cette question.
Il faut distinguer plusieurs sortes de pièces dites à "tir rapide":

-tout d'abord, cette appellation fut réservée à des pièces de marine de moyen calibre dont le tir rapide était réalisé par la rapidité d'ouverture et de fermeture de la culasse conjuguée avec l'emploi de projectiles encartouchés.Il revient à l'ingénieur Canet de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée (usine du Havre) d'avoir mis au point la première culasse à ouverture rapide et l'emploi de projectiles encartouchés dans les canons de Marine des calibres 100 mm et au-dessus.Ces canons tiraient deux fois et parfois trois fois plus vite que les canons à culasse à vis et crémaillère et chargés en plusieurs temps (obus, gargousse, amorçage séparé, etc...).Ces progrès datent des années 1884-1889 dans l'artillerie de bord.

-ensuite, l'appellation de canons de campagne à tir rapide apparaît avec la mise en service de canons à frein de tir très élaboré permettant réellement le tir rapide du fait de la quasi immobilité de la pièce au tir et ne nécessitant pas de remise en batterie ni de nouvelles opérations de pointage.Cette notion apparaît au milieu des années 1890, le "75" français étant la première pièce d'artillerie de campagne méritant ce nom.

-une dernière vague d'appellations apparaît avec la mise au point, pour des pièces de gros calibres de marine ou de côte, des culasses à ouverture automatique ou semi-automatique et avec la mécanisation des opérations de chargement.
Ainsi en France, trois canons de côte emploient le même tube et les mêmes obus et possèdent des caractéristiques balistiques identiques mais:
-le canon de côte de 240 mm modèle 1884 sur affût à châssis (futur 240 "échantignolles" de la Grande Guerre) tire un coup toutes les 2 minutes.
-le canon de côte de 240 mm sur affût modèle 1901 de Saint-Chamond tire un coup par minute (pièce à tir rapide).
-le canon de côte de 240 mm modèle 1903 TR tire 3 coups en 2 minutes (ce canon tire donc trois fois plus vite que le 240 mm modèle 1884).Ces progrès ont été rendus possibles par l'adoption d'une culasse à ouverture automatique, par la mécanisation des opérations de chargement et par l'emploi d'une charge contenue dans une douille dans le canon de 240 mm modèle 1903 TR.

Il ne faut pas exclure non plus les "appellations commerciales" des grandes firmes d'armement qui n'hésitent pas à proposer à l'exportation des "canons à tir rapide" qui ne sont en fait que des canons à "tir accéléré" ne méritant pas vraiment leur appellation.Krupp et Schneider (et d'autres constructeurs) proposent de tels canons à leur clientèle internationale.
Cordialement,
Guy François.
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Jean RIOTTE
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par Jean RIOTTE »

Bonjour Guy,
Merci d'avoir rendu publiques ces explications claires et donc très facilement assimilables pour des non spécialistes.
Bien cordialement,
Jean RIOTTE
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delmi83
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par delmi83 »

Bonsoir et merci Guy pour ces explications qui, comme le souligne Jean, ont le mérite d'être claires !

Michel
Cyril Cary
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par Cyril Cary »

Bonsoir à tous, bonsoir Guy

Existaient il des abaques d'usures de canons?
De nos jours, il est calculé qu'un canon tirant contineuellement à charge maximale s'use 8 x plus vite que s'il est utilisé avec le 3/4 de cette charge.

Merci.

Cordialement
Cyril
ALVF
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par ALVF »

Bonsoir,

Il n'existe pas d'abaques d'usure pour les canons de l'artillerie dépendant de la "Guerre" durant la Grande Guerre.
L'étude des causes des éclatements, gonflements, déculassements, fentes, matages, dégradations du fait du tir ennemi et de l'usure des bouches à feu a fait l'objet de nombreuses études.
Cinq gros rapports, rédigés par le capitaine de réserve Paul Clemenceau (le frère du Président du Conseil et Ministre de la Guerre!), ont fait la synthèse de tous ces incidents et des phénomènes d'usure constatés depuis 1914 jusqu'au début de 1918.
L'Ingénieur principal de l'artillerie navale H.Rogier a fait la synthèse de ces rapports dans un article, illustré de photographies, paru dans le Mémorial de l'Artillerie française-Tome XIV-1er fascicule de 1935 pages 3 à 60 sous le titre "La mort des canons sur le champ de bataille".

Les deux principales conclusions de cette étude très importante:

-la principale cause des détériorations graves réside dans la défectuosité des projectiles, surtout en 1915 par la défectuosité de la fabrication des usines non spécialisées et du métal utilisé mais aussi pour des causes différentes ensuite.La principale cause, dans tous les cas, réside dans la combustion de l'explosif entraînant les dégradations et éclatements les plus graves.

-les principales causes de l'usure sont à chercher dans l'exécution des tirs à cadence rapide.En tout état de cause, l'usure des pièces de tous calibres s'est manifestée dans une forme différente de celle que l'on avait observée au cours des tirs lents exécutés sur les polygones.
La principale cause de l'usure réside dans le frottement de la ceinture, les érosions étant moins importantes.
Cet article contient des photographies spectaculaires de l'usure de tubes de 75 ayant tiré de 8 à 10.000 coups et d'un tube ayant tiré 11.299 coups!
Une constatation intéressante, la qualité du métal des tubes de 75 fabriqués par les Aciéries Claudinon (de Saint-Etienne) est inférieure à celle des autres fabricants (Schneider et établissements de l'Etat, notamment l'A.B.S).
Cordialement,
Guy François.
grandchamps
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par grandchamps »

Si je puis me permettre , cher Guy François, j' illustrerai vos réflexions passionnantes
par quelques photos prises par le capitaine Alexandre Mounicot , commandant la 23è batterie du 7è RAC,
1er groupe de l'AD60. Je joins , pour le plaisir de la déchiffrer par vous-même, son commentaire écrit au verso d'une des photos.
la batterie Mounicot était installée entre Suippes et Souain , cote 165.
J'aurais aimé vous proposer le lien vers le jmo de cette batterie à la date correspondante.
Malheureusement, le site MDM me refuse toute consultation.
etienne
fafouille
grandchamps
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par grandchamps »

et un autre canon au sort identique celui-ci est de la 22è batterie, même régiment, même groupe.
les photos sont prises le 5 mars 1915. l'artillerie de la 60è division, dont ce groupe fait partie,
reçoit quelques jours plus tard la mission de couvrir les attaques dramatiques du 336è regiment d'infanterie sur le Moulin de Souain.
Pour rappel , les quatre caporaux de Souain appartenaient à ce régiment.
amitiés aux artilleurs.
fafouille
grandchamps
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Re: Cadence du tir et débit d'une pièce d'artillerie

Message par grandchamps »

une dernière photo du capitaine Alexandre Mounicot avec son commentaire au verso.
Cette photo est agraphée sur la même page d'album que les photos du 4 fevrier.
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Alexandre signale ci-dessus que l'abri blindé protège le personnel des obus: des obus allemands ou des obus français de mauvaise qualité ?
Est il possible qu' il eut songé à protéger le personnel de sa batterie des explosions prématurées en lui ordonnant de tirer les salves à distance , c'est à dire à l'aide de cette corde bien visible ici sur une autre photo casematée. Lintier ne parle t'il pas de "couper des ficelles" si mes souvenirs de lecture sont bons?
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merci pour votre attention passionnée
etienne
fafouille
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