BR 132 le 14 Septembre 1918

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gerault
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par gerault »

Petite virée sur la Meuse, hier, pour y rencontrer le maire de Gincrey.
L’objet de la rencontre était les derniers instants de combattant d’André Dubois de Gennes fait prisonnier à quelques kilomètres du village le 1° Juillet 1916 après avoir incendié un Drachen, puis son propre avion avant d’être interrogé à la Kommandantur qui se trouvait alors dans le village.
J’ai la chance d’avoir le casque de vol d’André Dubois de Gennes et monsieur le maire de Gincrey a lui des photos du pilote attrapé et photographié avec ce casque encore sur la tête… merveilleux instant passé, mais ce n’est pas l’objet de ce post …

J’ai pris l’habitude, depuis que je suis dans la région, de m’arrêter dès que je trouve un cimetière militaire pour y rechercher les tombes des hommes de l’aéronautique tombés en service dans la région. Ils sont nombreux à avoir laissé leur vie, mais nombreuse également sont les familles qui ont rapatrié les corps dans leurs régions d’origine.
J’ai donc fait une halte au cimetière militaire de Buzy et surprise, j’y ai trouvé la sépulture d’un mitrailleur-bombardier de la 132… surprise car j’avais lu, il y a déjà quelques temps, le récit d’un combat particulièrement féroce au retour d’un bombardement sur Jarny rapportée par René Chambe dans “l’enfer du ciel”. Ce bombardement avait eu lieu le 14 septembre 1918 lors de la réduction du saillant de St Mihiel et 8 avions étaient tombés. 4 équipages français … 3 Breguet et un Caudron R 11 de protection et 4 pilotes allemands dans 4 Fokker.. les allemands s’acharnant sans relâche sur l’avion qui prenait la position en queue à l’aile droite , et les français vendant chèrement leur peau.
Ce récit est très émouvant car il rapporte les conditions particulièrement difficiles des missions de bombardement en cette année 1918. En surnombre leurs mitrailleuses équipées de balles incendiaires les pilotes allemands n’ont laissé que peu de chance aux équipages français.
René Chambe, rapportant ce moment d’histoire, avait laissé disparaître l’âme, mais aussi et surtout le corps de ce mitrailleur qui avait, l’avion en feu, démonté tourelle et mitrailleuses pour les jeter par-dessus bord et à la suite , s’était jeté lui-même de l’avion. Sans aucune chance de salut, il avait fait ce saut ,comme beaucoup, pour ne pas périr brûlé.
Cet instant,rapporté par René Chambe, est une des lectures qui m’a réellement bouleversée … le sacrifice était dans l’esprit de chacun d’entre eux ..mais ce chapitre du livre rapporte concrètement cet instant ou à 2000 mètre de hauteur dans cet assemblage de toile et de duralumin, l’issue du combat étant fatale, l’homme livre ce qui lui reste d’énergie à défendre les siens.
Cet homme qui au-delà de l’idée de sa propre mort s’était acharné jusqu’à la dernière seconde à protéger ses copains s’appelait Georges Valat, il est mort le 14 septembre 1918.

Image

Soudain un cri étouffé dans les bouches glacées sous les passe montagnes une lueur éblouissante illumine le ciel!
Est ce un des nôtres? Oui, c'est encore un des nôtres! C'est le N° 2, équipage lieutenant le Villèle caporal Valat. II est en feu!
L'incendie s'est déclaré dans le réservoir supérieur. Il n'y a rien à faire, ce réservoir n'est pas largable. Il communique par un tube de verre serti de deux durites avec le réservoir inférieur, mais il est fixe! Défaut auquel on s'avisera plus tard de remédier. Le lieutenant de Villèle et le caporal Valat sont vivants et sans une blessure! Mais, d'un coup d'oeil, ils ont compris. De même qu'il y a cinq minutes le lieutenant Calbet et le sergent Destieux, ils sont à leur tour des morts vivants. Sans révolte, sans horreur, avec un calme splendide, sans même daigner un geste de salut, le lieutenant de Villèle, ayant juge la situation, refuse d'abandonner son poste de combat. Son appareil brûlant comme une torche, mais le moteur continuant de tourner, il demeure à sa place dans l'escadrille, en ligne de vol. Tous les témoins le voient chercher des yeux ses camarades les plus proches, les regarder intensément, puis abaisser doucement le menton sur sa poitrine. Et il continue ainsi de piloter, de manoeuvrer, de tenir sa distance, bord à bord avec ses compagnons d'armes. Il continuera jusqu'au bout, jusqu'à la fin, tant que le moteur donnera quelques tours.
L'incendie est si violent, si total, que le fuselage n'est plus qu'une énorme flamme horizontale, drossée par le vent, longue deux fois comme l'avion. Seules, les ailes sont encore intactes.Et, béants d'admiration, amis et ennemis peuvent voir, debout dans le brasier, le brigadier Valat, continuer, lui aussi, de manoeuvrer, de faire virer sa mitrailleuse d'un bord à l'autre de la tourelle et, tenant toujours tête à ceux qui l'ont tué, s'acharner à tirer par rafales accélérées.
La guerre est finie pour lui, il est mort, il le sait, mais qu'importe, il se battra jusque dans l'au delà! L'âme de ces hommes est d'une telle trempe, d'un tel acier, ils ont vécu depuis tant et tant de jours, avec sous leur front, derrière leurs yeux, l'image de la Camarde toujours présente, de la Camarde qui vit en permanence avec eux, à leur bord et fait, à chaque vol, partie de l'équipage, que lorsque, pour eux, sonne l'instant, ils n'ont pas un cri, pas un geste de révolte, pas une défaillance. Rien!
« Mektoub! » avait coutume de dire souvent Villèle. Nul doute qu'à cette minute il l'ait murmuré pour lui même.

L'escadrille vole ainsi quelques secondes, traînant avec elle l'infernale vision. Les mitrailleuses, un instant muettes, crépitent de nouveau à plein débit. Soudain, sous les rafales françaises, un avion allemand se mâte, d'un seul coup, tout debout dans le ciel, montrant à nu son ventre de squale d'un blanc d'argent, illuminé de soleil, puis il bascule sur une aile et s'abouche en avant, le nez en bas, le fuselage dressé droit vers le ciel. Et il coule ainsi, vertical, dans une chute terrifiante, à plein moteur, le pilote tué raide, n'ayant même pas eu le temps de couper l'allumage.

C'est un biplan Fokker, d'un vert turquoise. En passant, il a frôlé l'avion du lieutenant Péchiné et du sergent Bridelance. A bord de la 132, tous le suivent des yeux et le voient, à trois cents mètres plus bas, perdre d'un seul coup ses deux ailes et éclater en morceaux, comme un jouet d'enfant, sous l'effet des pressions de l'insoutenable vitesse. De Villèle et Valat auront ils, dans leurs yeux brûlés, emporté l'image de cette suprême victoire? Comme s'il n'avait attendu que cet instant, leur avion commence alors de s'enfoncer doucement. Le moteur ne tourne presque plus, les pales de l'hélice, an ralenti, deviennent visibles. Le brigadier Valat, toujours debout dans la fournaise, le buste dépassant, seul, l'écran des flammes, terrible à voir, à moitié consumé, mais refusant d'encore mourir, arrache de son affût la mitrailleuse tirant sous le fuselage et la jette par dessus bord. Ainsi l'ennemi, lorsqu'il inspectera la carcasse incendiée de l'avion, ne pourra découvrir le dispositif secret de cette arme. Puis,d'un dernier effort, il bascule, hors de la tourelle, le lourd jumelage de la mitrailleuse Lewis.
Villèle, lui, n'est plus visible derrière le brasier. Par miracle les ailes tiennent toujours et le Breguet demeure en ligne de vol. Il est déjà beaucoup plus bas que l'escadrille. Tout en se battant, les derniers témoins de la 132, qui peuvent le suivre du regard, aperçoivent le brigadier Valat, dont la mission maintenant est bien finie, finie jusqu'au bout, se hisser hors de la fournaise incandescente et se précipiter dans le vide.

Il est 9 h. 40. L'escadrille Jannekeyn a perdu déjà trois de ses équipages, deux de l'escadrille et le triplace de protection. Les Allemands en ont perdu deux. En d'autres jours, les chasseurs allemands eussent sans doute cessé d'attaquer et le combat se fût arrêté là. Mais aujourd'hui la bataille va continuer, acharnée, sans trêve, sans arrêt, avec une rage inouïe de destruction, l'ennemi restant indifférent à ses propres pertes et semblant obéir à quelque ordre de mort mystérieux et terrible, lourd comme un châtiment. Dans cet acharnement, poussé au paroxysme, il y a comme du mysticisme, un aveuglement de fanatiques dans le désir de mourir ou de vaincre.


3 équipages subiront le même sort

Pourquoi?... On le saura bientôt.
A la suite de l'avance de nos troupes marchant sur Metz, les survivants de la 132 s'étant, en effet, rendus aux environs de Conflans, afin d'y rechercher et recueillir les restes de leurs glorieux compagnons d'armes tombés dans ce combat, apprendront que le premier bombardement celui du 12 septembre avait produit un tel effet sur le commandement allemand, au moment du recul de Saint Mihiel, qu'ordre avait été donné à l'escadre von Richthofen de détruire coûte que coûte, à chaque occasion, les escadrilles de bombardiers français qui tenteraient de jeter, de nouveau, le trouble et la panique dans les mouvements de repli. Ordre qui se doublait, le 14 septembre, d'un autre plus impératif encore le Kaiser, en personne, devait précisément venir, ce même jour, dans la région de Conflans, en vue de visiter un secteur qui donnait des inquiétudes de plus en plus vives au grand Etat Major allemand. Il s'agissait d'assurer, à tout prix, la protection de l'auguste personne contre un danger particulièrement redouté : les bombardements aériens. Tout le cil que Richthofen avait donc été alerté, avec ordre aux pilotes de se faire tous tuer jusqu'au dernier, plutôt que laisser des avions français porter atteinte au seigneur de la guerre. Renseignements puisés aux meilleures sources, auprès du maire de Jarny et de nombreux habitants de Giraumont, petit village au bord duquel était installé le terrain de l'escadre von Richthofen.
Au cours de ces recherches, les survivants de la 132 apprendront par de nombreux témoins le sort de leurs camarades. Les tombes du lieutenant Calbet et du sergent Destieux seront retrouvées au cimetière de Friauville, ainsi que celles des sergents Godin et Afligros, descendus, eux, au cours du bombardement de l'avant veille, le 12 septembre.
Quant au lieutenant de Villèle, les Allemands auront été dans une telle exaspération d'avoir éprouvé autant de pertes, qu'ils auront laissé son corps auprès des débris de son avion, comme un chien, avec interdiction aux habitants de l'enterrer. Néanmoins, quelques paysans courageux seront revenus, la même nuit, et auront enseveli provisoirement le lieutenant de Villèle sur place, à fleur de terre, enveloppé dans un drap.
De nombreux témoins, ayant assisté au dramatique combat, confirmeront la fin de l'héroïque brigadier Valat jetant ses mitrailleuses et se précipitant ensuite, lui même, par dessus bord. Son corps, soi disant tombé quelque part dans les forêts au nord d'Olley, ne sera jamais retrouvé. A ce pur visage, plus grand et plus haut que tous ceux qui s'échappent des feuillets d'un Plutarque, le destin a voulu épargner les limites étroites du cercueil, l'infâme boîte inventée par les hommes. Pour lui, non! aucun tombeau, mais l'immensité surnaturelle du vide sans limites et sans fin!
Brigadier Valat disparu en plein ciel !


Gérault
le rampant
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par le rampant »

Félicitation Gérault pour avoir retrouvé la tombe de Valat et pour avoir fait le lien avec le texte de René Chambe et évidemment un grand Merci de nous faire partager ce moment d'émotion.
Sam
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bruno10
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par bruno10 »

Bonjour

Ici un autre lien sur le forum concernant Georges Valat

pages1418/aviation-1914-1918/aviateurs- ... 1351_1.htm

Cordialement
Bruno
gemesis54
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par gemesis54 »

Mille mercis Gérault pour cette histoire que je ne connaissais pas.

Je m'intéresse à tous ces épisodes imbriqués dans l'offensive de St Mihiel mais je n'avais encore jamais eu de récit semblable sur l'aviation française.

Bien à vous,
Samuel.
jeanba
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par jeanba »

Bonjour

Merci Gerault.
A propos de St Mihiel, on parle beaucoup de l'aviation US, à cause du rôle du général Mitchell, mais on oublie l'importante contribution de l'aviation française à cette bataille, ce type de récit contribue à réparer cet oubli ...

Cordialement
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bruno17
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Re: BR 132 le 14 Septembre 1918

Message par bruno17 »

Bonjour,Bonjour,
Suite à la lecture de cet incroyable et émouvant texte témoignage, après en avoir extrait quelques phrases, il semblerait acquis que le lieutenant Simon Péchiné cité dans ces lignes serait bien celui découvert dans le Tableau d’honneur de la Grande guerre. Son dossier de la base Leonore corrobore bien cette hypothèse.
En effet, la citation reçue le 10 octobre 1918 évoque bien l'opération de bombardement et les 4 appareils ennemis descendus ce jour-là :

« ...Ce bombardement avait eu lieu le 14 septembre 1918 lors de la réduction du saillant de St Mihiel et 8 avions étaient tombés. 4 équipages français… « 3 Breguet et un Caudron R 11 de protection » et 4 pilotes allemands dans 4 Fokker. C'est un biplan Fokker, d'un vert turquoise. En passant, il a frôlé l'avion du « lieutenant Péchiné » et du sergent Bridelance.
Cdlt
BB
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Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)
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