De Toulon à Paris - de Paris à Dixmude
C'est ému on ne peut plus que je quittai Toulon, la manifestation faite en notre honneur par la population Toulonnaise nous avait profondément touchés et c'est plein d'enthousiasme que nous partîmes, animés des meilleurs sentiments. Nous bavardâmes un moment, chacun racontant ses impressions ; en passant à La Ciotat Roth, qui y laissait quelques parents, versa quelques larmes puis, se ressaisissant, il se remit à faire choeur avec nous. Il avait eu un moment de sensibilité bien excusable car, après tout, nous n'étions pas sûrs d'en revenir et, sans pour cela être un feignant, il était bien permis de garder dans son coeur une place pour les siens. Nous nous installâmes de notre mieux dans notre wagon, deux couchèrent par terre, Anthelme et Fabre, un dans un filet, Roth, et moi et Portanier chacun sur une banquette et Bruneau lui resta assis dans un coin, il ne partageait pas notre exubérance ; tout en étant prêt à faire son devoir comme les copains il n'aurait pas demandé mieux que de rester à Toulon. pauvre vieux, il devait avoir l'appréhension de ce qui devait lui arriver.
Nous arrivâmes à Lyon le lendemain dans le courant de la journée, je ne me rappelle plus trop l'heure qu'il était, notre train fut garé à Lyon-Vaise, nous y eûmes une distribution de café aromatisé avec un peu de rhum. Nous restâmes en gare quatre ou cinq heures, plusieurs trains de troupe, infanterie, cavalerie, ainsi que des Indous s'y trouvaient aussi. Parmi les poilus de l'Infanterie, nombreux étaient ceux qui montaient au front pour la deuxième fois ; leur train partait avant le nôtre, ; quand il partit nous échangeâmes de bruyants "au revoir" "bonne chance" etc. Pour employer un terme cher aux "communiqués", le moral des troupes était excellent.
source Musée d’Histoire Militaire de Lyon
Dans l'après-midi nous partîmes à notre tour, à partir de Lyon nous croisâmes plusieurs trains de matériels de guerre qui revenaient du front, il y en avait du français et du boche, le tout dans un état pitoyable. Nous croisâmes aussi plusieurs trains de blessés ainsi que des trains de prisonniers boches. Suivant ce que c'était nous poussions des acclamations qui nous étaient largement renvoyées ou bien des cris d'eng... ce n'était guère chevaleresque de notre part, je l'admets, mais enfin on le faisait quand même, on ne pensait guère aux sentiments à ce moment-là.
Enfin la nuit vint, nous nous disposâmes à piquer une romance le plus commodément possible ; les wagons de tête de notre train nous étaient réservés, ceux de l'arrière étaient pour les voyageurs civils et, comme ils étaient bondés, à chaque station nous étions dérangés par des personnes qui, à toute force, voulaient pénétrer dans nos compartiments. Vers les minuit, une dame et une demoiselle ouvrirent notre compartiment, partout le train était archicomble, nous n'eûmes pas le coeur de les empêcher de monter, nous nous serrâmes un peu et nous leur fîmes place. Ça alla bien jusqu'au jour, plusieurs personnes étrangères à la 9ème avaient pris place dans nos wagons, aussi le matin l'ordre vint de les faire descendre et le capitaine d'armes, le brave (au dépôt) Laurent Mathurin fit la tournée, à plusieurs reprises pour leur faire quitter les wagons qui nous étaient réservés. Dans notre compartiment, nous ne l'entendions pas de cette oreille, nous avions lié connaissance avec nos compagnes de voyage et, comme elles allaient jusqu'à Paris, nous comptions bien faire le voyage ensemble. Aussi, dès que l'on apercevait la silhouette de notre brave Mathurin nous enfermions nos passagères dans les WC et nous les en délivrions après son passage.
Elles nous rendirent plusieurs fois service car le long de la route il nous était impossible de nous ravitailler ; les buffetiers ayant reçu l'ordre de ne pas nous délivrer ni vin ni bière. Aussi, pour tourner la difficulté, y envoyons-nous une de ces dames, chose qu'elles faisaient de bon coeur.
<< On peut critiquer les parlements comme les rois, parce que tout ce qui est humain est plein de fautes.
Nous épuiserions notre vie à faire le procès des choses. >> Clemenceau