L'accord du nom des navires.

Rutilius
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L'accord du nom des navires.

Message par Rutilius »

Bonjour à tous,

La question de l'accord du nom des navires ― question récemment soulevée par ailleurs ― m'a intrigué. Je m'en suis donc remis à un éminent spécialiste de la grammaire française, le belge Maurice Grevisse, qui ne saurait, par conséquent, être taxé de partialité cocardière... Pour compléter son propos, il serait intéressant de retrouver, non seulement les circulaires ministérielles qu'il évoque, mais encore, et dans la mesure du possible, les documents le cas échéant rédigés à ce propos par les grandes compagnies, et notamment la Compagnie générale transatlantique.

Maurice GREVISSE : « Le bon usage. Grammaire française avec les remarques sur la langue française d’aujourd’hui », Éditions Duculot, Paris-Gembloux, 11e éd., 1980, n° 479, p. 268, §. 1.

« Dans la marine de guerre, en France, une circulaire du ministre François Pietri (13 août 1934) a prescrit de faire accorder l'article avec le nom du navire, en gardant à ce nom le genre qu'il a dans l'usage ordinaire. L'Académie française, sur la proposition de l'amiral Lacaze, a félicité le ministre (22 mars 1935) ; de même l'Académie de Marine. ― Dans la marine marchande, le ministre Raymond Schmittlein, par sa circulaire du 25 février 1955, a rappelé que " la correction grammaticale et la véri-table tradition veulent que l'article défini soit du genre qu'appelle le nom du navire et qu'il est particu-lièrement choquant de voir ou d'entendre une administration parler DU Marseillaise, DU France ou DU Jamaïque ". ― La question reste controversée : les uns plaident pour l'accord grammatical et veulent qu'on dise : LA " Liberté " ; d'autres sont pour l'accord logique, qui sous-entend navire, ou bateau, ou paquebot, ou cuirassé ; il faut dire, selon eux, LE " Liberté ". ― En fait, l'usage reste indécis (sauf dans la presse, où le masculin l'emporte nettement). »

Les citations ensuite données par Maurice Grevisse montrent qu'en littérature, l'accord grammatical a toujours été préféré à l'accord logique par une large majorité d'écrivains.

Dans une note (note 82), ce grammairien ajoute, à propos de la tendance à supprimer radicalement l'ar-ticle défini pour contourner la difficulté grammaticale, tendance à laquelle n'était pas totalement étrangère la Compagnie générale transatlantique : « L'Office de la Langue française hésitait à recom-mander l'emploi de l'article masculin. Mais il condamnait formellement, comme contraire aux usages actuels de la langue, la suppression de l'article devant le nom du bateau. »
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Bien amicalement à vous,
Daniel.
Memgam
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par Memgam »

Selon le CLC Armand Hayet (1883-1968) "Et maintenant, savez-vous comment ce "Le" détestable (et qui parfois, peut devenir indécent) a soudainement surgi dans notre langage et sur le papier ? Je pense que vous l'ignorez, ainsi que d'ailleurs la presque totalité, pour ne pas dire la totalité, de ceux qui le défendent ou en discutent.
Nous devons cette déplorable innovation, non pas au grammairien qualifié, au puriste faisant loi, mais tout simplement à un ...typo !...à un brave typo d'un des grands quotidiens de l'époque qui, vers 1910, peut-être un peu plus tôt, a, une néfaste nuit ! composé "Le" au lieu de "La" Liberté ou "La" Justice (je n'ai pas le nom présent à la mémoire, si je l'ai avec les dates précises dans mes paperasses).
Cette malencontreuse coquille ne fut pas, hélas ! relevée par le correcteur et, contrairement aux habitudes...correctes de l'époque, aucune rectification, très probablement par honte !...ne parut ultérieurement.
Alors..., le rédacteur maritime (?) d'un autre grand quotidien a pensé que ce "Le" non renié, était voulu ! et en quête de nouveauté et pour ne pas rester en retrait, l'approuva avec enthousiasme.
Naturellement, d'autres l'imitèrent. En certaines périodes, toutes les occasions de papier sont bonnes à saisir.
Voilà pourquoi des grammairiens, des académiciens - ces derniers malgré la sentence de leur Compagnie (qu'ils ignorent assurément) - sont, hélas ! partisans de ce charabia. Charabia qui, à mon sentiment, n'est devenu vraiment encombrant qu'à partir de 1925, époque à laquelle il a commencé à êtreutilisépar des ...marins, des dernières promotions, il est vrai... Pour conclure, ne pensez-vous pas que les tenants de ce "Le" améneraient immédiatement pavillon sans autre combat, si seulement ils en connaissaient la lamentable, je dirais même l'humiliante origine ?..."
Cet extrait provient de "Nos lecteurs nous écrivent, à propos du genre des noms de navires", parus dans l'hebdomadaire "Cols bleus", de la Marine nationale, n° 916, 917, 918 des 6, 13 et 20 novembre 1965. l'affaire avait été introduite par le CV Sizaire, grand spécialiste des termes de marine, à l'issue d'une coquille de l'hebdomadaire. Quant à Armand Hayet, le chantre de la voile, il est l'auteur de "chansons de bord" (1927), "Dictons et tirades des anciens de la voile" (1934), "Us et coutumes à bord des long-courriers" (1953). Dans "Cols bleus", il écrit que ce "Le" vraiment monstrueux doit être pourchassé impitoyablement et jeté par dessus-bord.
1) par respect de la grammaire française, l'article s'accorde toujours en genre et en nombre avec le mot qu'il détermine.
2) par respect de la logique.
3) par respect de la tradition.
Memgam
dbu55
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par dbu55 »

Bonsoir à toutes et à tous,
Bonsoir Daniel,

A l’époque ou j’étais dans la marine nationale (et je pense que c’est encore le cas aujourd’hui), l’usage était le suivant : Les navires portaient le genre de leurs noms quand on n’utilisait que ce dernier, par exemple : LE Georges Leygues, LA Galissonnière, LE Clémenceau, LA Jeanne d’Arc etc…

Mais quand le nom du navire était précédé du son type , c'était le genre du type qui prévalait, par exemple : LA frégate Georges Leygues, L’Escorteur d'Escadre Galissonnière, LE porte avion Clémenceau, LE porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, et dans ce cas, aucun article ne devait précéder le nom.

Il me semble, (mais sans en être sur), que cette dénomination respectait la circulaire de 1934 citée par Daniel.

Cordialement
Dominique
Avec les Allemands, nous nous sommes tellement battus que nos sangs ne font plus qu'un [ Ferdinand Gilson, France, Figaro Magazine n°19053 du 05 nov. 2005 ]
Memgam
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par Memgam »

Dans le cas de l'escorteur d'escadre, le nom inscrit sur la coque était "La Galissonnière", on disait donc de lui, l'escorteur d'escadre La Galissonnière ainsi que l'escorteur d'escadre La Bourdonnais. On trouve d'ailleurs ces navires, dans le dictionnaire de la flotte française du LV Jean-Michel Roche, classés à partir du "La" A l'époque, et c'est peut-être une des origines de la disparition de l'appellation, la radio, la télévision et certains journaux, avaient gratifié ce type de bâtiment du nom "d'escorteur de cadres", c'était à partir du 12 janvier 1978, quand ce navire a talonné dans le raz de Sein. Cette classe de navires avait été désignée comme "escorteurs rapides" (décision ministérielle du 11 août 1953, Flottes de combat 1954). L'appellation a été ensuite réservée à des navires plus petits, le type Le Corse, dont les dix-huit noms incorporaient "Le" ou L'. On ne compte pas, non plus, le nombre de fois ou "cuirassé" est remplacé par "cuirassier", et de nos jours, on trouve encore des appellations usitées avant la seconde guerre mondiale, telles que "contre-torpilleurs".
Memgam
NIALA
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par NIALA »

Bonjour,

Il ne faut pas confondre le La de" La Galissonnière" ou "La Bourdonnais" qui font partie intégrante du nom propre, et ne peuvent donc en aucun cas en etre séparé; d'ailleurs plusieurs La Galissonnière ont précédé l'escorteur d'escadre ne serais ce que le croiseur sabordé à Toulon, le nom s'est écrit de la même façon tout au long de l'histoire maritime; avec l'article précédant le nom; et dans ce cas il y a encore deux situation à distinguer; celui ou l'article fait partie intégrante du nom du navire: exemple les contre torpilleurs du type "Le Fantasque" portaient tous un nom commençant par l'article " Le Terrible " etc certains torpilleurs étaient dans ce cas aussi "L'Adroit" ou "L'Alcyon" ou "Le Fortuné",il en était de même pour les escorteurs rapides "Le Corse"; "Le Savoyard" etc; l'article na pas le même sens que "le" Forbin par exemple dont le nom inscrit sur la coque est "Forbin".

Cordialement

Alain
Cordialement

Alain
dbu55
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par dbu55 »

Bonjour à toutes et à tous,

Exact, milles excuses pour La Galissonnière, c'était un mauvais exemple, (j'ai tendance à avoir les doigts plus rapide que le cerveau en ce moment ; que voulez-vous, avec l'âge, on perd des neurones et on écrit n'importe quoi)

Cordialement
Dominique
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NIALA
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par NIALA »

Bonjour,
Ce n'est vraiment pas grave;il existe d'autres noms propres dans ce cas il me vient à l'esprit, l'aviso colonial: La Grandière.

Cordialement

Alain
Cordialement

Alain
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DahliaBleue
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par DahliaBleue »

[…]Il ne faut pas confondre le La de "La Galissonnière" ou "La Bourdonnais" qui font partie intégrante du nom propre, et ne peuvent donc en aucun cas en etre séparé […]écrit de la même façon tout au long de l'histoire maritime; avec l'article précédant le nom […]
Ce qui est désigné ici sous le vocable "article" est plutôt une particule, pas nécessairement nobiliaire, mais éventuellement un résidu de titre…

Entre autre parce que les personnages historiques ainsi honorés n'étaient pas des femmes. Ainsi en va-t-il pour La Bruyère, La Boétie, La Rochefoucauld, La Fontaine….

Ce que l'on ne saurait confondre avec les appellations familières de : "la" Maintenon, "la" Montespan, "la" Pompadour, "la" Callas…
Cordialement,
V*DB
Rutilius
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L'accord du nom des navires.

Message par Rutilius »

Bonsoir à tous,

L’article « La » de « La Galissonnière » ou de « La Bourdonnais » s’appliquait initialement à un nom de fief, sur lequel le chef de ces lignées familiales exerçait la basse, voire la haute justice, ainsi que les autres droits seigneuriaux attachés à sa personne, la « particule » proprement dite étant constituée par le « de » qui, bien souvent, était précédé du nom patronymique originel, d’où « X. de LA ... » et par-fois, en présence de deux fiefs, « X. de LA ... de LA ... ».

Ainsi, les deux « La » de Marie-Madeleine Pioche de La Vergne de La Fayette, l’auteur de « La Prin-cesse de Clèves » — œuvre qui, semble-t-il, aurait des effets somnifères sur d’aucun des Grands de notre monde contemporain —, n’ont rien de péjoratif !
Dernière modification par Rutilius le jeu. oct. 06, 2022 1:58 pm, modifié 2 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
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DahliaBleue
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Re: L'accord du nom des navires.

Message par DahliaBleue »

[…] Dans une note (note 82), ce grammairien ajoute, à propos de la tendance à supprimer radicalement l'article défini pour contourner la difficulté grammaticale, tendance à laquelle n'était pas totalement étrangère la Compagnie générale transatlantique : « L'Office de la Langue française hésitait à recommander l'emploi de l'article masculin. Mais il condamnait formellement, comme contraire aux usages actuels de la langue, la suppression de l'article devant le nom du bateau. »[…]
Ainsi que recommandé par l’Académie, on accordera en effet sans difficulté le genre au patronyme :

«Le porte-hélicoptères La Résolue a remplacé l’ancienne Jeanne d’Arc… ».
Et, l’on évitera absolument, en évoquant l’activité commune d’une frégate (Jean Bart) et d’un porte-hélicoptères (Jeanne d’Arc) la phrase, typique d’un journaliste complètement étranger à la culture marine :
«La Jean Bart et le Jeanne d’Arc font route de conserve» !

Mais si l’article dérange, sa suppression n’est qu’une habile et malicieuse façon de contourner l’obstacle. Car elle ne résout pas la question du genre.

À moins (ce qui peut être assez lourd) de toujours ajouter le type de navire [ex. : «Le paquebot Normandie a été construit à Saint-Nazaire…», ou : «Le paquebot Normandie est accosté au Pier 88 de New York… »], on sera bien obligé à un moment ou a un autre, de choisir entre : «Normandie a été construit à Saint-Nazaire… » et «Normandie a été construite à Saint-Nazaire…» ; ainsi qu’entre : «Normandie est accosté au Pier 88 de New York…» et : «Normandie est accostée au Pier 88 de New York… »

Si l’on envisage de construire un futur paquebot portant le nom de la France, on devra bien choisir entre : «On prévoit de construire un nouveau France» et : «On prévoit de construire une nouvelle France».

On comprend alors bien pourquoi l'Office de la Langue française […] condamnait aussi formellement […] la suppression de l'article devant le nom du bateau.
Cordialement,
V*DB
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