Dardanelles - Opérations de la division de l'amiral Guépratte

gildelan
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Re: Dardanelles - Opérations de la division de l'amiral Guépratte

Message par gildelan »

Bonjour,
Cette opération concerne quantité de bâtiments ayant fait l'objet de discussions dans ce forum (désolé s'il peut y avoir parfois redondance).
Cet extrait du "livre d'or de la marine - guerre 14/18" relate précisément l'ensemble des faits de guerre de cette division aux Dardanelles entre février et mars 1915.
Citation et résumé des rapports officiels, suivis du rapport de l'amiral Guépratte.

DIVISION DE L’AMIRAL GUEPRATTE
(1 citation à l’Ordre de l’Armée)
Le Contre-amiral GUEPRATTE a dirigé les opérations de la division de complément détachée aux Dardanelles du 26 septembre 1914 au 21 mai 1915.

Texte de la citation à l’ordre de l’Armée de la Division de l’Amiral GUEPRATTE
(J.O. du 3 décembre 1919, complété au J.O. du 20 décembre 1919)

Est citée à l’Ordre de l’Armée :

La division de l’Amiral GUEPRATTE composée des :

Cuirassés : SUFFREN – BOUVET – CHARLEMAGNE – GAULOIS

Croiseur : FOUDRE

Torpilleurs d’Escadre : POIGNARD – FANFARE – SABRETACHE – COGNEE – COUTELAS

Sous-marins : LE VERRIER – COULOMB

Dragueurs : PIOCHE – HERSE – RATEAU – CHARRUE – MARIUS CHAMBON – PROVENCE IV – CAMARGUE – JULES COUETTE – MARSEILLAIS XVIII – ROVE – ISHKEUL et HENRIETTE.

« A pris part avec une magnifique bravoure à l’attaque des Dardanelles en mars 1915 donnant, malgré de lourdes pertes, un splendide exemple d’entrain, de ténacité et de discipline ».

Outre cette citation collective, certains navires de la division GUEPRATTE ont obtenu des citations individuelles.


Citations individuelles à l’ordre de l’Armée obtenues par certains bâtiments de la division GUEPRATTE


1.- Dragueur PIOCHE :
1 citation à l’ordre de l’Armée –
Fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de Guerre
(Journal officiel du 16 décembre 1919)

Le dragueur PIOCHE :
« Dragueur de mines devant un port important, a contribué avec une grande énergie et un grand succès à neutraliser les efforts de l’ennemi contre le mouvement de ce port (Journal officiel du 2 août 1918) »

NOTA : Après les opérations des Dardanelles, le PIOCHE a fait partie du front de mer de Marseille. Il a exécuté de nombreux dragages devant Marseille, et il opérait avec le KERBIHAN lorsqu’il a sauté sur une mine le 23 janvier 1918.


2.- Cuirassé BOUVET

1 citation à l’Ordre de l’Armée –
Fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de Guerre
(Journal officiel du 16 décembre 1919)


Les officiers et marins, survivants du BOUVET, présents à bord du 1er au 18 mars 1915, qui ont pris part aux actions visées dans la citation suivante, ont droit, à titre individuel, au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre :
« Le cuirassé BOUVET, après avoir soutenu un combat énergique contre les forts des Dardanelles, le 18 mars 1915, a heurté une mine et a trouvé une fin glorieuse, sombrant avec son Commandant et presque tout son équipage (journal officiel du 6 août 1915). »


3.- Cuirassé GAULOIS

1 citation à l’ordre de l’Armée –
Fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de Guerre
(Journal officiel du 16 décembre 1919)

Les officiers et Marins, survivants du cuirassé GAULOIS présents à bord en mars 1915 et le 27 décembre 1916 qui ont pris part aux actions visées dans la citation suivante ont droit, à titre individuel, au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre.

« Le cuirassé GAULOIS, après avoir vaillamment pris part à l’attaque des Dardanelles, a été coulé, le 27 décembre 1916, par un sous-marin ennemi. Tous ont donné à bord les plus belles preuves de sang-froid et d’énergie. (Journal officiel du 15 octobre 1919). »


4.- Dragueur MARIUS CHAMBON

1 citation à l’ordre de l’Armée
(Journal officiel du 30 juillet 1916)

« Le dragueur de mines MARIUS CHAMBON : bien que son tirant d’eau fût supérieur à l’immersion des mines, a constamment pris la tête des dragueurs en concourant à la destruction du champ de mines. S’est fait remarquer par son activité et sa vigilance sans égales. »


5.- Cuirassé SUFFREN

1 citation à l’ordre de l’Armée
(Journal officiel du 15 octobre 1919)

« Le cuirassé SUFFREN : après une dure et brillante campagne aux Dardanelles, a été coulé par un sous-marin ennemi à l’ouest des Berlingues, le 26 novembre 1916, engloutissant 648 officiers, officiers-mariniers et matelots. »


Opérations de la division GUEPRATTE aux Dardanelles
Extraits et résumés des rapports officiels


Le 3 novembre 1914, l’escadre franco-anglaise des Dardanelles exécute une action offensive contre les forts de l’entrée des Dardanelles.

La division française prenant part à cette opération était composée des deux cuirassés SUFFREN (Capitaine de vaisseau de MARGUERIE, commandant) portant le pavillon du Contre-amiral GUEPRATTE et VERITE (Capitaine de vaisseau FATOU, commandant). Elle fit subir de graves dommages au fort de Koum-Kalessi qu’elle avait pris pour objectif et reçut les remerciements du Vice-amiral anglais CARDEN, commandant l’escadre alliée.

Le 19 février 1915 au matin commencèrent les opérations du forcement des Dardanelles, sous la direction successive des Vice-amiraux anglais GARDEN et ROBECK.

Les bâtiments français commandés par le Contre-amiral GUEPRATTE y prirent une part active et glorieuse.

Nous parlerons seulement ici des opérations qui se sont déroulées du 19 février au 18 mars 1915 et auxquelles se rapportent les citations rappelées ci-dessus.

Ces opérations comprennent :
- l’attaque et la réduction des forts de l’entrée,
- l’attaque des ouvrages secondaires des Dardanelles et celle des grands forts de Chanack et de la rive opposée,
- le dragage des mines,
- des actions secondaires aux lignes de Boulair, aux golfes d’Adramyti et Smyrne qui seront laissées de côté dans le présent compte-rendu.
- l’attaque des forts de l’entrée (fort d’Helles, de Seddul Bahr, de Koum Kalleh et d’Orhanie) a été effectuée les 19, 25 et 26 février et a abouti à la complète destruction des ouvrages.

19 février – L’attaque devait comprendre 2 phases :
1ère phase : tir à grande distance, direct sur Seddul Barh et Orhanie, indirect sur Helles et Koum Kalleh.
2ème phase : tir à des distances de plus en plus réduites.

Six cuirassés et deux croiseurs franco-anglais prenaient part à cette opération de début :
- INFLEXIBLE, battant pavillon du Vice-amiral CARDEN,
- VENGEANCE, portant le pavillon du Vice-amiral de ROBECK,
- TRIUMPH,
- CORNWALLIS,
- SUFFREN, portant le pavillon du Contre-amiral GUEPRATTE,
- BOUVET,
- GAULOIS,
- AMETHYST.

Le SUFFREN était chargé de réduire Koum Kale, d’abord à grande distance (10500 m) et par tir indirect, ensuite de plein fouet et à des distances de plus en plus réduites. Pour le tir indirect, il s’embossa, ce qui lui permis de pratiquer un vrai tir de polygone, et de causer à l’ouvrage ennemi de graves dommages, succès qui lui valut un témoignage de la satisfaction du Commandant de l’Escadre alliée.

Pendant le tir de plein fouet, le succès s’accentua car il démantela successivement toutes les embrasures lui faisant face, dont les trois pièces de gros calibre s’effondrèrent ou furent ensevelies sous les débris.

L’œuvre entreprise sur Kom Kale semblait bien près d’être achevée, aussi n’était-ce que plus tentant de prendre comme objectif la mordante batterie d’Orhanie, que le SUFFREN pouvait atteindre presque à bout portant, tout en demeurant dans son angle mort, mais l’Amiral ordonna de cesser le feu.

Le SUFFREN, commandé par le Capitaine de vaisseau de MARGUERIE, eut un des rôles les plus brillants de la journée et fut très cordialement applaudi par les Etats Majors anglais.

Le GAULOIS commandé par le Capitaine de vaisseau BIARD avait simplement mission de soutenir le SUFFREN et d’ouvrir le feu sur les batteries de campagne qui se démasqueraient et essaieraient de gêner le bâtiment-amiral.

Le BOUVET commandé par le Capitaine de vaisseau RAGEOT de la TOUCHE était chargé d’apprécier le tir du SUFFREN. Pendant la 2ème phase de la journée, le BOUVET canonna l’ouvrage de Seddul Bahr.

En fin de journée, la VENGEANCE portant la marque du Vice-amiral de ROBECK, se fiant au silence des forts, fit une pointe audacieuse en avant.

Helles, Seddul Bahr et Orhanie ouvrirent sur ce cuirassé une feu nourri qui l’encadra plusieurs minutes, sans lui causer d’autres dommages qu’une vergue brisée, des pavillons déchirés et l’Amiral trempé par l’eau d’une des gerbes.

Les divers bâtiments qui avaient ces batteries sous leur feu (INFLEXIBLE, BOUVET, CORNWALLIS, IRRESISTIBLE au nord, SUFFREN et GAULOIS au sud) attaquèrent ces divers forts pour secourir la VENGEANCE qui vira de bord en ripostant elle-même très vivement.

Quelques instants après, les bâtiments français recevaient l’ordre de cesser le tir et de rallier l’Amiral.

25 février – Le mauvais temps ayant interrompu les opérations depuis le 19, celles-ci furent reprises le 25.



Rapport du Contre-amiral GUEPRATTE

« Ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire par télégramme – excellente journée !

Le mémorandum du Vice-amiral commandant l’Escadre alliée était conçu en ces termes :
Plan d’ensemble : la VENGEANCE et le CORNWALLIS d’une part, le SUFFREN (Capitaine de vaisseau de MARGUERYE, commandant – pavillon du Contre-amiral GUEPRATTE) et le CHARLEMAGNE (Capitaine de vaisseau LAGRESILLE, commandant) d’autre part, marchant par couples, fonceront sur les forts qu’ils attaqueront de près. Ils s’en prendront particulièrement aux ouvrages Helles et Orhanie, et s’efforceront de détruire chaque canon par des coups de plein fouet.
Ils seront appuyés et soutenus par l’AGAMEMNON, la QUEEN ELISABETH, l’IRRESISTIBLE et le GAULOIS (Capitaine de vaisseau BIARD, commandant) tirant à bonne distance et à coups comptés sur les ouvrages d’Helles, Seddul Bahr, Orhanie et Koum Kale, avec la consigne d’empêcher les servants d’armer leurs pièces.

Cuirassés chargeurs
La distance séparant les deux cuirassés amatelotés dans chaque raid devra être telle que le serre-file se trouve en mesure de protéger son matelot d’avant lorsque ce dernier tournera.
Chaque raid ne commencera que sur l’ordre du Vice-amiral commandant l’Escadre alliée.
Le bâtiment serre-file ne devra point tourner dans les eaux de son matelot d’avant afin de s’efforcer de dérouter le pointage des batteries ennemies.

Cuirassés de soutien
Ils devront mouiller et même s’embosser si possible ; ils n’ouvriront leur feu lent, précis et méthodique que lorsqu’ils seront bien parés, et sur l’ordre de l’Amiral ».

Tout advint ainsi qu’il avait été prévu, au début, la riposte des batteries était très vive ; Helles et Orhanie se montraient particulièrement mordantes, si bien que l’AGAMEMNON et le GAULOIS se trouvèrent encadrés par un tir admirablement réglé partant d’Helles.

A 11 heures du matin, l’AGAMEMNON ayant perdu 8 hommes, dont 3 tués et 5 grièvement blessés, dut s’écarter quelque peu de cette batterie ; il fut fort efficacement assisté dans sa manœuvre d’appareillage par le GAULOIS et, en effet, ce cuirassé, voyant la situation quelque peu critique de son voisin, changea spontanément d’objectif avec autant d’à-propos que d’initiative et quitta Koum Kale, qui lui était ordonné, pour battre Helles et dégager ainsi l’AGAMEMNON.

Cette généreuse attitude fut très appréciée par toute la flotte anglaise, et valut au GAULOIS un témoignage de satisfaction bien mérité du Vice-amiral Garden, témoignage visant non seulement son intelligent dévouement, mais aussi la valeur toute particulière de son tir sur Koum Kale.

Quoiqu’il en soit, le GAULOIS, demeuré seul sous la volée des canons d’Helles, devint immédiatement l’unique point de mire de cette mordante batterie. Il lui répondait, sans toutefois parvenir à la faire taire ; plusieurs coups tombèrent à son bord, si bien que l’Amiral lui ordonna, à lui aussi, de reculer quelque peu.

Il lui fallut lui répéter le signal à deux reprises pour le décider à obéir, on peut donc dire que ce fut lui qui s’arrogea le rôle le plus brillant de la journée.

Il convient d’ajouter que la QUEEN ELISABETH pratiqua sur Seddul Bahr, et aussi au moment critique, sur Helles, un tir remarquable, et pourtant ce beau cuirassé arrivait d’Angleterre n’ayant même pas pris le temps de faire ses essais de machines et d’artillerie.

Le bombardement de position des cuirassés de soutien se poursuivit de plus belle, pratiqué, ainsi que nous l’avons dit plus haut, par l’AGAMEMNON, la QUEEN ELISABETH, l’IRRESISTIBLE et le GAULOIS.

A midi 40, l’Amiral Carden, arbitre de la situation sur son croiseur de bataille INFLEXIBLE, jugea le moment venu de faire lancer contre les forts les bâtiments chargeurs, le terrain lui semblant suffisamment préparé.

Et il donna l’ordre à l’Amiral de Robeck de foncer avec la VENGEANCE et le CORNWALLIS.

Mais avant de poursuivre ce compte-rendu, il ne nous semble pas hors de saison de rappeler un petit incident, tout à l’honneur du Contre-amiral de Robeck :
Peu de jours avant l’action, l’Amiral Carden avait appelé les deux officiers généraux en sous-ordre à bord de l’INFLEXIBLE.
Là, l’Amiral m’avait invité à désigner deux de mes cuirassés pour pratiquer contre les forts le raid auquel je viens de faire allusion.
Je désignai naturellement comme chef de file le bâtiment portant ma marque : le SUFFREN.
A ce moment, l’Amiral de Robeck, demeuré jusque là silencieux, s’écria : « Ah ! Pardon…étant plus ancien (senior) que l’Amiral GUEPRATTE, j’ai le pas sur lui ! C’est donc à moi qu’il appartient de charger le premier ! »
Je dus m’incliner et céder le pas à mon ancien.

Revenons maintenant au raid VENGEANCE – CORNWALLIS. Ces deux cuirassés partirent en vitesse, avec l’allant et le chic qu’a leur galant chef en toutes circonstances, et fournirent un raid ou plutôt un « run » (pour employer l’expression du mémorandum), un « run » disons-nous, fort réussi, si bien qu’à leur retour, ils laissaient, en somme peu de choses à faire à la section française – SUFFREN, CHARLEMAGNE.

A 2 heures p.m. cette dernière reçut enfin l’ordre de charger à son tour, avec mission de porter particulièrement ses coups sur les ouvrages d’Orhanie, Koum-Kale et Seddul Bahr.

Le SUFFREN eut des salves en rafale très réussies et très remarquées et qui, sans nul doute, eurent une sérieuse influence sur le démantèlement complet des forts de l’entrée.

Le Lieutenant de vaisseau de DAVID-BEAUREGARD, officier canonnier, s’y montra d’un grand mérite.

Toutefois, comme la section française avait encore essuyé quelques décharges d’artillerie ennemie, l’Amiral Carden décida de faire foncer une 3ème section, et il choisit l’ALBION et le TRIUMPH.

Au retour de ces derniers bâtiments, la ruine des ouvrages était consommée. La 1ère phase des opérations se trouvait ainsi heureusement et rapidement terminée.

Tirant admirablement parti de ce premier succès, l’Amiral Carden, sans perdre une seconde, mettait à profit la stupeur de l’ennemi pour appeler les dragueurs et commencer immédiatement la recherche et la destruction des mines de l’entrée.

Chose étrange ! Les investigations des dragueurs furent infructueuses, si bien que, dès le lendemain, vendredi 26, la VENGEANCE, battant toujours la marque du galant Amiral de Robeck, pénétrait toute première dans ces Dardanelles que nous avions tant rêvées.

Et elle ne se bornait pas à la réalisation de ce joli rêve : jetant des hommes à terre à Seddul Bahr, elle faisait sauter cet ouvrage.

Le dragage des mines, l’attaque des forts secondaires et particulièrement de la batterie de Dardanus, le bombardement à grande distance par tir direct et indirect des grands forts sont ensuite entrepris et menés de front avec l’aide des avions utilisés pour reconnaître les batteries, les lignes de mines et apprécier le tir des bâtiments.

L’attaque par tir indirect des forts d’Yéni-Medjidieh, Roumeli, Hamidieh, Namazieh commence le 5 mars, effectués par la QUEEN ELISATETH embossée devant Guba Tepe. L’appréciation faite par les cuirassés à l’intérieur des Dardanelles est contrariée par le tir très nourri des batteries de faible calibre dissimulées sur la côte et qui obligent les bâtiments à rester en marche. Les deux avions appréciateurs ont chacun un accident ; l’un capote, l’autre reçoit une balle et doit amerrir. Le 6 mars, la QUEEN ELISATETH continue le tir, mais des obusiers postés sur la presqu’île dans les environs de Guba Tepe ouvrent immédiatement le feu et obligent le cuirassé à changer de position et à marcher, ce qui enlève toute précision à son tir.

A l’intérieur des Dardanelles, les cuirassés commencent également à tirer directement sur le fort Yéni-Medjidieh.

Le 7 mars, la division française entre dans les Dardanelles ayant pour mission d’éteindre les ouvrages de Dardanus et de Souan-Déré, de protéger les dragueurs contre les batteries de canons de campagne qui les prendraient comme objectif et enfin d’empêcher les forts secondaires d’inquièter AGAMEMNON et LORD NELSON pendant leur tir sur les ouvrages de Chanak.

Au cours de l’opération, plusieurs batteries de canons de campagne et d’obusiers se révèlent. Aucun résultat décisif n’est atteint. Le CHARLEMAGNE et le BOUVET aperçoivent des flotteurs pouvant appartenir à des mines.
Du 8 au 18 mars, pas d’action générale. Chaque jour 2 cuirassés croisent en permanence dans les détroits pour détruire toute batterie de campagne qui pourrait être aperçue.

Le 11, CHARLEMAGNE et BOUVET (Capitaine de vaisseau RAGEOT de la TOUCHE, commandant), sont chargés de ce service. CHARLEMAGNE fait sauter 2 tentes remplies de munitions.

Chaque nuit, les dragueurs opèrent dans des conditions toujours difficiles et parfois très dangereuses.

Dans la nuit du 11 au 12, un dragueur anglais touche une mine et coule.

Dans la nuit du 12 au 13, 3 dragueurs français, sous la direction du Lieutenant de vaisseau BLANC, entrent dans les détroits dans le but de draguer un chenal le long de la côte nord en remontant le plus haut possible.

Voici des extraits du rapport du Lieutenant de vaisseau BLANC au sujet de cette opération :
« Je résolus de n’employer que 3 dragueurs. Les dispositions que j’ai ordonnées étaient les suivantes :
- PIOCHE (Lieutenant de vaisseau ROUZAUD)
- RATEAU (Lieutenant de vaisseau FAURIE)
- HENRIETTE (Lieutenant de vaisseau AUVERNY)
dragueront.
- JULES CORETTE (Premier-maître patron pilote CAGNIER)
suivra les dragueurs, prêt à secourir un bâtiment avarié.
- FANFARE et SABRETACHE
se tiendront sur l’arrière des dragueurs, en dehors de leurs eaux, prêts à tirer sur les batteries qui ouvriraient le feu sur les dragueurs.
- ISKEUL (Maître principal OLLIVIER)
devra se trouver au point du jour à l’entrée du détroit pour rechercher et couler les mines draguées.

Le dragage se fera de la façon suivante :
- Mettre les dragues à l’eau sur un signal transmis à la voix, à 2 milles de la batterie de Souan-Déré.
- La PIOCHE draguera à quatre cents mètres de terre ; le RATEAU et l’HENRIETTE déboiteront vers l’est et resteront en arrière de la PIOCHE.

La division appareille de Tenedos à 10 heures du soir et entre dans le détroit vers minuit. Elle remonte en passant plus près de la côte nord.

A deux heures 10 minutes, mouillé les dragues. A ce moment, 3 projecteurs sont allumés : un à Kephez, un à la batterie de Souan-Déré, un très faible à Aren Keui.

A partir de 2 heures 30, le projecteur de Kephez nous éclaire avec persistance pendant un quart d’heure, puis nous abandonne par intervalles, mais en revenant toujours sur nous toutes les deux ou trois minutes. A deux reprises on aperçoit près du cap Kephez un signal lumineux constitué par deux feux verticaux.

A 3 heures, la PIOCHE (à bord de laquelle se trouve le Lieutenant de vaisseau BLANC) est éclairée à la fois par Kephez et le projecteur de la batterie de Souan-Déré.

A 3 heures 15, de la crête de la rive nord située par notre travers, part un coup de canon à blanc. Aussitôt tous les projecteurs s’éteignent. J’ai eu la conviction à ce moment que cette extinction était un piège. Mais, étant donnée l’importance de notre mission, je continuai ma route.

A 3 heures 25, nouveau coup de canon à blanc. Aussitôt six projecteurs s’allument et éclairent la PIOCHE.

Une batterie située sur la crête côte nord ouvre le feu ; les coups sont longs. Nous continuons notre route.

A 3 heures 30, le feu est ouvert par de nombreuses batteries, tant de la côte nord que de la côte sud.

Nous sommes par le travers de la batterie de Souan-Déré, à quatre cents mètres à peine des canons qui nous arrosent avec une violence extrême avec des shrapnels et des obus à explosif.

Le bâtiment est véritablement sous une pluie de projectiles qui tombent autour de nous. La situation est intenable. Il ne nous est pas possible de rester sous ce feu avec une vitesse sur le fond de deux nœuds à peine. J’ordonne de mettre la barre à droite toute pour nous écarter. Au moment où nous étions venus de huit quarts (l’arrière à terre), une torpille automobile nous élonge de l’arrière à l’avant passant à deux mètres du bord.

Dans l’évolution, la drague a dû s’engager ou plutôt raguer le fond ; le bâtiment est presque arrêté. Considérant que rester une minute de plus dans cette situation serait courir à la perte certaine du bâtiment, j’ordonne de couper la drague, ce qui nous permet de nous éloigner rapidement et de nous mettre à l’abri sous les falaises de la côte nord en descendant le courant. Bientôt nous sommes hors de portée et le feu cesse. Le bâtiment a été couvert d’éclats sans que le personnel chargé de la drague, couché à plat pont, ait eu à souffrir. Je considère comme une chance vraiment extraordinaire que le bâtiment n’ait subi aucune avarie.

Dans la nuit du 13 au 14, les dragueurs anglais tentent la même opération appuyés par l’AMETHYST et des destroyers. Leur faible vitesse leur interdisant le dragage à contre-courant, ils s’efforcent de franchir d’abord la zone à draguer, pour revenir ensuite avec le courant pour eux. Le franchissement peut être effectué, mais en arrivant au-delà de la ligne de mines, 2 dragueurs seulement peuvent mettre leurs dragues à l’eau à cause de nombreuses avaries aux treuils, apparaux, etc. Tout le personnel chargé de la manœuvre des dragues est tué ou blessé.

L’AMETYST, en attirant le feu des batteries sur lui sauve la situation mais reçoit un projectile de 15 dans le lavabo des chauffeurs (au moment du changement de quart) qui tue 20 hommes.

Le 14 mars, le sous-marin COULOMB (Lieutenant de vaisseau DELEGUE) remonte dans le détroit jusqu’à hauteur de la batterie de Souan-Déré avec l’ordre de naviguer périscope bien haut pour attirer le feu des batteries et permettre ainsi de fixer leur position.

Arrivé à la hauteur de Souan-Déré, il entend à l’avant du bâtiment un choc brutal suivi d’autres répétés sur le ballast. « A croire que tout est démoli » disent les hommes du poste. En même temps, la barre de plongée avant se trouve bloquée.

Le sous-marin est poursuivi dans sa route de retour par un aéroplane ennemi et par une chaloupe qui court dessus dès qu’il montre son périscope. Extrêmement alourdi, obligé de mettre en avant à toute vitesse et barres toutes à monter pour prendre la vue quand le sous-marin fait surface par le travers de Seddul Bahr s’étant débarrassé de tout lest liquide, à bloc de ses batteries d’accumulateurs, il aperçoit une mine qui se dégage de son étrave et court le long de la coque, mine qu’il a donc remorquée depuis Souan-Déré, et qu’un cuirassé anglais fait exploser.

Dans la nuit du 14 au 15, les dragueurs français (MARIUS CHAMBON, RATEAU, PIOCHE, HENRIETTE) sous la direction du Lieutenant de vaisseau BLANC entrent dans les détroits pour draguer le champ de mines qui s’étend dans le S.S.E. de Souan-Déré. Des torpilleurs français les soutiennent. Le feu ennemi est moins violent et les 4 dragueurs réussissent à dépasser de 500 mètres la zone à draguer. L’opération confirme la présence, en avant des mines, d’un barrage résistant déjà découvert précédemment et qui est en partie détruit par les cisailles.

Les dragueurs français opèrent à nouveau dans la nuit du 17 au 18 sous la direction du Capitaine de frégate de COURTOIS. Ce sont : la CHARRUE (Officier des équipages SERGENT), la HERSE (Lieutenant de vaisseau BOISSARIE) et la CAMARGUE (Lieutenant de vaisseau BERGEON).

Ils suivent cette fois la côte d’Asie jusqu’aux Falaises Blanches.

Le Capitaine de frégate de COURTOIS est à bord de la CHARRUE.

Ils sont fortement canonnés. « Toutes les batteries de gros calibre des deux rives ouvrent le feu sur notre groupe : obus et marmites qui éclatent au-dessus de nos têtes avec un bruit impressionnant pleuvent autour de nous de 2h10 à 2h55, personne n’est touché. A 3 heures, nous sommes hors de portée ».
L’examen des cisailles après l’opération montre que 18 d’entre elles ont fonctionné et ont coupé, soit des orins, soit des chaînes.


Journée du 18 mars

L’attaque générale décidée pour le 18 mars avait le but suivant :
Eteindre au moins momentanément le feu de tous les forts secondaires et celui des grands forts de façon à permettre aux dragueurs d’opérer de jour et de draguer efficacement un chenal le long de la côte d’Asie permettant aux bâtiments d’entrer dans la baie de Sari Siglar et de détruire à petite distance les forts Yeni-Medjidieh, Roumeli-Hamidieh, Namazieh, Hamidieh et Chemanlick.

Conformément aux prescriptions de mémorandum de l’Amiral de Robeck, la force navale qui a opéré dans les Dardanelles le 18 comprenait deux divisions de cuirassés, la première composée de bâtiments modernes : QUEEN ELISABETH, AGAMEMNON, LORD NELSON, INFLEXIBLE, avec deux cuirassés de flanc garde : SWIFTSURE, PRINCE GEORGES ; la deuxième formée par SUFFREN, BOUVET, GAULOIS, CHARLEMAGNE.

La première division devait se tenir en ligne de front en travers du détroit et bombarder les forts ci-dessus désignés à une distance variant de 14000 à 12000 yards. La première section de la deuxième division (SUFFREN, BOUVET) devait, le long de la côte d’Asie, s’approcher de 16000 yards jusqu’à 10000 environ du fort Yeni Medjidieh et, sans gêner la première division, tirer d’abord sur la côte d’Europe puis, chaque bateau l’un après l’autre, sur les forts Yeni-Medjidieh, Roumeli-Hamidieh et Namazieh.

Entre 11h30 et 11h40, les 4 grands cuirassés anglais ouvrent le feu sur leurs objectifs respectifs. Leur tir parait excellent, particulièrement celui de la QUEEN ELISABETH.

A midi 15, la division française reçoit ordre de prendre les postes prévus en avant de la ligne anglaise. La section GAULOIS – CHARLEMAGNE longe la rive d’Europe, la section SUFFREN – BOUVET file à 12 nœuds le long de la côte d’Asie.

Dès que le SUFFREN entre dans la portée des grands forts à midi 30, ceux-ci ouvrent le feu sur lui et il reçoit en même temps les projectiles de la batterie Dardanus, bientôt réduite au silence par le GAULOIS et le CHARLEMAGNE de Souan-Déré et d’une autre batterie à terre près de la Quarantaine turque.

Laissant aux autres bâtiments, suivant les ordres prescrits, le soin de riposter à ces dernières, le SUFFREN gagne son poste de tir, stoppe et, à midi 40, à 9400 mètres du fort Yeni-Medjidieh, il envoie sa première salve sur les ouvrages de Kilid-Bahr.

Pendant cette période, le BOUVET en potence dans le sud du SUFFREN, bat la batterie de la Quarantaine et la réduit au silence.

A midi 53, la distance ayant augmenté en raison du courant, conformément aux conventions prescrites, le SUFFREN permute de poste avec le BOUVET.

Evoluant alors sur la gauche, il attaque aussitôt la batterie de Souan-Déré et tire sur elle de midi 57 à 13h07.

Simultanément, de 12h55 à 13h07, le BOUVET tire avec précision sur les ouvrages Yeni-Medjidieh et Namazieh, mais il est lui-même très encadré par eux, reçoit plusieurs coups et a un commencement d’incendie à l’arrière.
Aussi permute-il de poste avec le SUFFREN.

Celui-ci cesse immédiatement le feu sur Souan-Déré et reprend le poste de bombardement des grands forts.

A partir de ce moment, le SUFFREN est encadré de tous côtés et reçoit à bord un certain nombre de projectiles, environ une dizaine en 14 minutes.

Néanmoins, le tir de toutes ses pièces de bâbord continue jusqu’à 13h24, heure à laquelle un projectile de gros calibre heurte la tourelle de 16 milieu, la remplit de flammes, pénètre ensuite dans la casemate 10, en tue tout l’armement (12 hommes) et enflamme les munitions des parcs et du monte-charge qui communiquent le feu aux soutes à poudre correspondantes. Les monte-charges des 3 pièces de 16 centrales sont hors d’usage, les transmissions d’ordres ne fonctionnent plus. L’incendie gagne le poste des maîtres et l’entrepont principal.

Le SUFFREN permute de poste avec le BOUVET afin d’éteindre son incendie et prendre du champ pour revenir ensuite au poste de bombardement des grands forts en présentant le côté tribord.

Une minute après environ, un coup de gros calibre tombe à bâbord à toucher le SUFFREN par le travers de la passerelle. On ressent une forte commotion et une gerbe d’eau inonde tous les hauts. C’est certainement ce projectile qui a causé une voie d’eau déclarée peu après par le travers de soute de 30 AV.

Le BOUVET qui venait de bombarder avec succès la batterie de Souan-Déré ouvre un feu très efficace sur les grands forts à 13h27, et paraît avoir éteint le tir de Namazieh.

A 13h37, au moment où le SUFFREN se préparait à reprendre le poste de bombardement des grands forts, l’ordre de se retirer est signalé par le QUEEN ELISABETH. Le SUFFREN manœuvre pour reprendre le BOUVET et faire route vers la sortie du détroit en passant dans l’est de la ligne des cuirassés anglais.

A 13h58, le BOUVET qui est à environ 600 mètres derrière le SUFFREN s’incline brusquement sur tribord, puis chavire et disparaît, le tout en un intervalle d’une minute environ.

Du SUFFREN, on n’a vu aucune gerbe, ni entendu aucune explosion. Un peu de fumée noire et jaune est sortie du travers tribord du bâtiment. Il avait certainement touché une mine.

Des vedettes et destroyers anglais accourent à toute vapeur et le SUFFREN met à la mer sa baleinière, seule embarcation restant disponible après les avaries de combat.

Pendant les opérations de sauvetage, les diverses batteries turques ne cessent de tirer sur les bâtiments qui entourent l’épave. A 14h40, sa baleinière rehissée, le SUFFREN fait route pour sortir.

Sur la rive d’Europe, le GAULOIS aidé du CHARLEMAGNE avait, comme nous l’avons dit, réduit au silence la batterie de Dardanus par deux coups de 30 explosant en plein dans la batterie sur la ligne des pièces. Il avait alors ordonné le feu sur Hamidieh mais, ayant dérivé, il permute de poste à 13h16 avec le CHARLEMAGNE qui ouvre le feu sur Hamidieh.

De nombreux projectiles tombent près du GAULOIS et du CHARLEMAGNE.

Au moment où la QUEEN ELISABETH signalait aux cuirassés français de se retirer, un projectile de gros calibre tombe à bâbord avant du GAULOIS, à 3 mètres du bord. Le choc de l’explosion produit une voie d’eau dont l’importance n’apparaît pas immédiatement. Un autre obus tombe par tribord à 20 mètres ; un troisième sur la plage arrière, faisant une brèche d’un mètre carré.

Le GAULOIS et le CHARLEMAGNE mettent à toute vitesse pour se porter au secours du BOUVET lorsqu’ils voient ce bâtiment couler. Mais bientôt la voie d’eau du GAULOIS augmente dans des proportions inquiétantes et oblige ce bâtiment à songer à sa propre sécurité.


La fin glorieuse du BOUVET

Le BOUVET rencontre une mine et coule en moins de 2 minutes.

Le bâtiment est comme poussé sur bâbord, s’incline légèrement de ce côté, puis revient sur tribord, tombe presque brusquement à 40° environ et s’incline ensuite rapidement et d’une façon continue tout en s’enfonçant, jusqu’à venir la quille en l’air horizontale, hélices tournant, pour s’enfoncer définitivement par l’arrière. La mine a frappé juste par le travers de la tourelle de 27 tribord et sans doute très bas, donnant une gerbe insignifiante. Les tourelles du groupe symétrique 27 bâbord, 8° et 10° pièces, ont été soulagées sans secousses et sont retombées brutalement sur leurs assises d’une hauteur estimée à 50 cm.

Le bâtiment marchait 12 nœuds quand l’accident s’est produit.

Le commandant RAGEOT de la TOUCHE commande aux machines de stopper et au poste central : « Remplissez les compartiments bâbord ».

Le commandant en second, Capitaine de frégate AUTRIC, qui était au poste des blessés avant (cambuse), venant de la tourelle 1 (où il s’était rendu après l’asphyxie du personnel) dit au Capitaine de frégate COSMAO-DUMANOIR : « C’est une mine, je vais voir », et se dirige sur l’arrière de l’entrepont cuirassé.

Le commandant COSMAO reste au pied de l’échelle de l’avant du poste central et encourage au calme les gens qui commencent à monter et qu’il pousse devant lui. Il n’y a pas le moindre cri, pas la moindre bousculade. Une grande partie du personnel des fonds arrive dans la batterie supérieure, mais le bâtiment est déjà tellement incliné que les hommes restent incapables de gagner les ouvertures de bâbord et retombent à tribord sur la muraille.

Les tourelles de bâbord sont évacuées par les trous des toitures, les portes ne pouvant être ouvertes, alors que les tourelles ont déjà glissé de leurs alvéoles et sont venues buter contre les ponts supérieurs en attendant de tomber définitivement vers le fond.

Aucune explosion au moins sensible à l’extérieur.

Les Turcs tirent sur les débris flottants.

L’arment de la tourelle 1 du BOUVET mérite une mention toute spéciale.

Dès le premier coup de canon, le « marbec » ne fonctionne plus, la fumée pénètre peu à peu dans la chambre de tir. Le tir n’en est pas moins continué. A chaque coup, les hommes tombent successivement, inanimés. Le Lieutenant de vaisseau BOUTROUX encourage le personnel encore valide. Le premier-maître LABOUS, le second-maître armurier SIBOIS et le canonnier POULIQUEN assurent le service de la pièce. Bientôt LABOUS reste seul. Il a encore la force de charger le 11ème coup, mais tombe sans pouvoir fermer la culasse. Presque au même instant, BOUTROUX tombe de son capot.

Le commandant AUTRIC, le docteur CAHUZAC et l’infirmier montent dans la tourelle. L’armement reprend ses sens, sauf BOUTROUX qui meurt à son poste ainsi que le docteur CAHUZAC qui, jusqu’au dernier moment, tente de le ranimer. Ils sont tous deux entraînés dans le chavirement. L’évacuation des tourelles bâbord s’est effectuée sans le moindre affolement. Dans toutes, les gradés sont sortis les derniers ou sont restés dans la tourelle avant d’avoir pu se sauver, tel le second-maître GOURMELON de la tourelle 12 qui, après avoir fait sortir tout l’armement, s’adresse au quartier-maître surveillant : « A ton tour maintenant » et reste seul, entraîné avec sa tourelle.

Le maître LE FUR de la tourelle 4 se fait remarquer par un calme extraordinaire qui apparaît d’ailleurs dans sa déposition : « … je suis monté à la quille de roulis, et me suis assis un peu pour me déshabiller, mais à peine avais-je mon soulier enlevé que j’ai glissé sur la vase de la coque et que je suis tombé à l’eau… ». Grâce à lui, 6 hommes de la tourelle 4 ont pu se sauver.

Les survivants du BOUVET comprennent seulement 5 officiers, 9 sous-officiers, 33 quartiers-maîtres et marins.


La voie d’eau du GAULOIS

C’est peu après le chavirement du BOUVET que la voie d’eau du GAULOIS devint inquiétante. Peu à peu, les compartiments de l’avant se remplirent, l’avant du bâtiment s’enfonçant lentement. En vingt minutes, l’eau arrive au ras des écubiers.

Le commandant BIARD se rendant compte de la gravité de la situation prit les mesures les plus judicieuses pour sauver son bâtiment ou au moins le personnel. Ne voulant à aucun prix échouer son navire sur la côte ennemie, il résolut de la diriger sur l’île Drepano (île aux Lapins) où il pourrait l’échouer sans danger et le réparer provisoirement pour sa remise à flot. Il fit route à 4 nœuds vers ce point. Les contre-torpilleurs anglais l’entourent, l’accostent en marche et prennent à bord le plus de monde possible.

Le SUFFREN, le CHARLEMAGNE, le DUBLN, le TRIUMPH, le CORNWALLIS et de nombreuses embarcations anglaises escortent le GAULOIS.


A 18 heures, le GAULOIS atteint l’île de Drepano où il peut heureusement s’échouer par l’avant sur une partie sablonneuse. La cloison des tubes sous-marins commençait à laisser passer l’eau. Quelques minutes de plus, et le bâtiment sombrait.


Vers la fin de la journée, deux cuirassés anglais, l’OCEAN et l’IRRESISTIBLE, coulèrent à peu près au même endroit que le BOUVET. L’INFLEXIBLE toucha également une mine, mais put rallier Ténédos. On réussit à sauver la presque totalité des équipages de l’OCEAN et de l’IRRESISTIBLE.

Les dommages causés aux forts sont difficiles à apprécier.

A midi, une forte explosion avec feu et fumée se produisit au fort Chemanlick. A 15 heures, une énorme colonne de fumée noire jaillit dans la direction de Kilid Bahr.

Le fort de Dardanus qui s’est montré particulièrement actif et qui a été battu par la section GAULOIS – CHARLEMAGNE a été éprouvé.

L’Amiral de Robeck, commandant de l’Escadre d’opérations, a télégraphié à l’amirauté comme suit : « Je désire appeler l’attention de Vs Seigneuries sur la conduite magnifique de l’Escadre française. Les pertes sévères qu’elle a subies la laissent tout à fait inébranlée. Le Contre-amiral GUEPRATTE l’a conduite à l’action, effectuée à courte distance, avec la bravoure la plus grande ».


Perte du SUFFREN

Le cuirassé SUFFREN commandé par le Capitaine de vaisseau GUEPIN et se rendant de Gibraltar à Lorient a été coulé le 26 novembre 1916, vers 8 ou 9 heures du matin, à 90 milles à l’ouest des Berlingues, par un sous-marin ennemi qui réussit à s’approcher de lui en plongée sans être aperçu. Une explosion formidable se produisit qui laisse croire que la torpille a touché une soute à munitions. Vers 10 heures du matin, un cargo anglais passant sur les lieux du sinistre n’a rencontré que de nombreuses épaves. Aucun des membres de l’équipage du SUFFREN n’a survécu à cette catastrophe.


Perte du GAULOIS

Le 27 décembre 1916, le cuirassé GAULOIS, commandé par le Capitaine de vaisseau MORACHE, faisait route de Corfou à Salonique. En exécution des ordres reçus, il avait passé par le canal de Cérigotto et s’était trouvé à 6 heures à un point de rendez-vous à 8 milles à l’est de cet îlot où il avait rencontré le torpilleur DARD chargé de l’escorter.

Après la jonction des deux navires, le DARD s’était placé à bâbord devant le GAULOIS.

Le temps était beau, l’atmosphère calme, la visibilité parfaite.

« Le GAULOIS, écrit le commandant MORACHE, faisait route moyenne au nord 25 E., vitesse 14 nœuds. Suivant les ordres que j’avais donnés, les crochets de 20° étaient faits de part et d’autre de la route, soit embardées de 40° à raison de 4 à l’heure et à des intervalles irréguliers, afin que la cadence de ces changements de route ne puisse être repérée.
Une bordée était aux postes de veille, veille attentive, même plus, excitée par des observations de ma part le matin même, veilleurs dans les tonneaux aux mâts avant et arrière ; pièces de 47 du quatrième pont et 3 casemates de chaque bord armées.
Deux officiers de quart : M. de LIMAIRAC, Lieutenant de vaisseau et M. VETILLARD, Enseigne de vaisseau de 1ère classe, le 1er maître-canonnier LABOUS, chef de secteur arrière.
Partout les hublots étaient fermés. Au premier entrepont, les parties hautes des sabords étaient relevées à un sabord sur deux ; les grandes coupées fermées, les cloisons étanches fermées d’un bord. Les cloisons EF/KL complètement fermées partageaient le bâtiment en 3 tranches, permettant la circulation nécessaire au service et à l’évacuation.
Deux chalutiers patrouilleurs ROCHEBONNE, commandant ROBIN, Enseigne de vaisseau, et MARIE ROSE, commandant AUGE, Enseigne de vaisseau, avaient été aperçus à un mille du GAULOIS et avaient viré de bord pour le précéder dans sa route ; ceux-ci marchant 10 nœuds et le GAULOIS 14 ; ils étaient à 1200 mètres environ sur l’avant vers 9h35.
A cette heure-là, j’avais moi-même quitté la passerelle, le commandant en second, Capitaine de frégate RONDELEUX était venu me relever à 8 heures, mais je n’étais descendu que vers 9 heures, après la prise de l’escorte par le DARD et les chalutiers.
A 9h35, le bâtiment était à 40 milles au S.10.O. de Falconera : L : 36°15’ et G : 21°17 E ».

Le commandant RONDELEUX était sur le quatrième pont avec le Lieutenant de vaisseau RAVEL. Soudain, ces deux officiers aperçoivent à 300 mètres par le travers un bouillonnement, puis une torpille affleurer, son sillage, l’explosion, le tout en 20 seconds environ. Le Capitaine de frégate pense mettre la barre à gauche pour présenter l’arrière et en donne l’ordre, mais sa voix est couverte par celle du Lieutenant de vaisseau RAVEL qui commande à droite toute. L’officier de quart, Lieutenant de vaisseau de LIMAIRAC, descendant l’échelle de la chambre des cartes à la passerelle, n’avait pas vu la torpille. Il attendait encore deux minutes pour faire un crochet (changement de route de 40° sur bâbord). L’explosion se produisit à tribord arrière, compartiment du servo-moteur.

Sur la plage arrière, le mécanicien en chef MASSON et Monsieur SILVY, mécanicien principal, accusent le coup ; l’un est exempt de service et reste au milieu des hommes qui imitent son calme, l’autre se précipite vers l’intérieur du bâtiment. Il n’a pas encore eu le temps d’y arriver qu’une violente explosion se produit en dessous de la bouée de sauvetage, projetant en l’air une gerbe d’eau et de fumée.

Le mécanicien principal VALO, chef des machines par intérim, entend simultanément le cri « une torpille » et l’explosion ; il a senti le choc sur l’arrière aussi se précipite-t-il vers les portes de la cloison KL. Elles sont fermées ; c’était la consigne.

Le Commandant qui étudie la carte sur la table de son salon est renversé ; il se relève et voit une trombe d’eau s’écrouler devant la première porte par laquelle il veut sortir. Il se rend en grande hâte sur la passerelle, distribuant au passage des paroles d’encouragement et de bon conseil : « Gonflez les collets ». Il sème sur son chemin le calme et le sang-froid.

Il n’est pas encore sur le pont qu’il entend ouvrir le feu des 47 et des 14 que le commandant en second a déclenché sur un périscope aperçu à tribord.
L’explosion a été ressentie dans tout le bâtiment ; en beaucoup d’endroits on a eu l’impression d’un soulèvement de la coque et des ponts.

Deux marins : le quartier-maître mécanicien ELOUET et le quartier-maître électricien ARZEL, de service au servo-moteur, ont été tués par l’explosion.
Dans l’office du carré, le matelot maître d’hôtel PASTORE a le talon droit fracassé par le choc du pont ; son camarade FERRARI a la jambe cassée. Ils sont dans l’obscurité parce que les opercules des hublots sont fermés et que la lampe électrique s’est brisée. L’eau arrive abondamment en abord au bas du cofferdan par le pont cuirassé disjoint. En un instant, ces deux matelots ont de l’eau à mi-jambe ; ils réussissent à se relever, à sortir non sans peine de l’office et à monter sur le pont.

Le quartier-maître GOURIOU se trouve encore plus bas que PASTORE et FERRARI ; il est dans la soute de réserve de 30 arrière. A peine a-t-il entendu l’explosion que dans l’obscurité il sent un violent courant d’eau venir de l’arrière et entend comme une cascade dans la chambre de manœuvre au-dessus de lui. A tâtons, il monte ; il veut sortir par la porte de tribord comme d’habitude ; l’excès d’eau l’en empêche, et il doit traverser la chambre des moteurs et l’atelier de la machine.

Dès l’explosion, le GAULOIS donne de la bande sur tribord et s’enfonce si brusquement de l’arrière qu’on peut craindre un instant un naufrage immédiat, aussi le commandant en second ordonne-t-il immédiatement l’évacuation. Il en arrête la sonnerie dès les premières notes parce que l’apiquage s’arrête aussi vite qu’il a commencé. Tout espoir de sauver le bâtiment n’est pas perdu.

Le Commandant MORACHE arrive sur la passerelle : le GAULOIS a toujours de la vitesse, les chaudières et les machines n’ont pas été éprouvées par l’ébranlement général ; il vient sur tribord sous l’influence de la barre qui a été bloquée à 10° quand on a voulu la mettre « toute à droite », et qu’on ne peut plus redresser.

Le DARD qui était à bâbord devant, passe à tribord, fonce et tire sur le sous-marin dont le périscope disparaît ; il entre dans le champ de tir du GAULOIS qui cesse le feu.

Le signal S.O.S. est lancé du poste principal et du poste de secours.

L’inclinaison s’accentue, aussi le Commandant fait-il stopper les machines pour mettre à la mer radeaux, canots et chaloupe. Hanté, comme son Second, par la crainte d’une deuxième torpille, il fait donner quelques touts en avant à la machine tribord pour arrêter le mouvement de giration favorable au sous-marin.

L’ordre d’évacuation est donné pour la bordée non de veille ; il s’exécute dans un ordre parfait. Les radeaux, légers et maniables, glissent facilement sur les glissières tendues ; la chaloupe et la baleinière de bâbord descendent à la mer et reçoivent les malades et les deux matelots blessés ; l’un d’eux, PASTORE, est porté par le médecin de 3ème classe BARDOUL.

L’équipe de sécurité fait acte d’initiative : les charpentiers ferment les sabords de l’arrière, le commandant en second vient les encourager par sa présence et même les aider. En dessous du pont cuirassé, les maîtres LARRIVEE et TRANCARD mettent en marche les pompes d’épuisement et manœuvrent les vannes des drains pour essayer d’étaler la voie d’eau. L’Enseigne de vaisseau VETEL, le mécanicien principal SILVY vérifient rapidement la fermeture des portes étanches, le bon fonctionnement des thirions ; l’un d’eux, celui de tribord arrière, ne tarde pas à barboter dans l’eau car la porte qui donne accès au pied de la tourelle baille par suite de la pression qui s’exerce sur elle, et l’eau envahit peu à peu le compartiment K 120. D’ailleurs, en-dessous, la porte du tunnel de l’arbre laisse gicler de l’eau dans le compartiment de la machine centrale.

L’ordre d’évacuation général est donné. Chacun arrive sur le pont et embarque dans son embarcation ou se jette à la mer comme le prescrit le Commandant, pour rejoindre son radeau, et les groupes se forment comme il avait été prévu.

Mais les deux chalutiers ont vu l’explosion, ils virent de bord et rallient. Vingt minutes de marche et ils accostent, la MARIE ROSE à tribord, le ROCHEBONNE à bâbord.

Tous ceux qui sont encore à bord du GAULOIS embarquent rapidement dans les deux chalutiers.

Le mécanicien principal VALO, chargé momentanément des compartiments des chaufferies et des machines, veut avant de partir les inspecter et s’assurer qu’il n’y reste plus personne.

Au cours de sa ronde, il rencontre le mécanicien principal SILVY et lui demande de l’accompagner. L’un ouvre les portes étanches, l’autre les referme ; ce n’est souvent pas sans peine à cause de la bande sans cesse grandissante. N’ayant laissé personne derrière eux, ils remontent sur le pont parmi le bruit du matériel qui tombe de toute part.

Successivement, les officiers rendent compte au Commandant de l’évacuation complète des parties du bâtiment dont ils sont chargés.

La bande augmente rapidement ; le Commandant se transporte avec quelques officiers et matelots qui l’entourent sur la tourelle avant, puis à l’extrême avant, son dernier poste de commandement. Il fait pousser la MARIE ROSE accostée à tribord, qui file ses amarres de peur d’être capelée par le cuirassé. Il fait embarquer sur le ROCHEBONNE à bâbord tous ceux qui l’entourent et ceux-ci, commandant en second, officiers et matelots cherchent à l’entraîner, lui assurant qu’il n’y a plus personnel à bord.

Le GAULOIS est en partie immergé, le chavirement est imminent. Le Commandant, craignant que tout le monde ne soit pas encore parti, refuse de céder aux présentes invites de se joindre à ses officiers et à ses hommes sur le ROCHEBONNE, pris à bras le corps par le matelot PONTE, et arraché de force à son bateau.

« Larguez et poussez », est-il commandé à l’Enseigne de vaisseau ROBIN du ROCHEBONNE.

L’exécution de cet ordre est à peine commencée que paraissent sur le pont les deux mécaniciens principaux VALO et SILVY, leur ronde terminée. On les recueille.

Le Commandant veut remonter à bord, on l’en empêche. Le chalutier largue ses amarres, fait en arrière à toute vitesse. A peine a-t-il débordé, que le GAULOIS se renverse, dresse son avant vers le ciel et disparaît aux cris de « Vive la France » poussés par tous les hommes des embarcations, des radeaux et des épaves, et le clairon BOUTAYRE sonne « Aux champs ».

Les chalutiers et le DARD ramassent les hommes à la mer et sur les radeaux. L’appel est fait : 4 absents, 2 blessés. Tout le monde est transporté à Milo.

Chacun a fait son devoir. L’état-major et l’équipage du GAULOIS ont montré, dans ces tragiques circonstances, les mêmes qualités qu’aux combats des Dardanelles.

Signé : Amiral GUEPRATTE

(source : livre d'or de la Marine française - guerre 14/18)

Cordialement
Gilbert
Excès de peur enhardit.
thelmajumele
Messages : 1
Inscription : jeu. oct. 13, 2011 2:00 am

Re: Dardanelles - Opérations de la division de l'amiral Guépratte

Message par thelmajumele »

J'ai cherché le livre de bord du Coulomb aux archives de la marine afin d'avoir la description de la journée du 14 mars dans les Dardanelles, par le Cdt Delègue. Livre de bord qui ne fut pas trouvé.
J'ajouterai que le Cdt Delègue a été décoré par le tsar, décoration dont je ne trouve pas de trace écrite.
laure
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