Ce que la France en guerre doit à sa Marine

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Ar Brav
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Bonsoir à tous,

Je tente de retranscrire ici (ce n'est pas gagné, merci d'avance pour votre indulgence) un article provenant de Gallica, de Georges G. Toudouze, rédacteur en chef de la Ligue Maritime, Melun, Imprimerie Administrative, M. P. 1978L. La teneur en est, bien évidemment, à remettre dans le contexte de l'époque.

Le lien a été donné par Yv' dans ce sujet :

pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _4.htm#bas

Titre : Ce que la France en guerre doit à sa marine
Conférence de M. Georges G. Toudouze,

Auteur : Toudouze, Georges Gustave (1877-1974)
Éditeur : Impr. administrative (Melun)
Date d'édition : 1918
Type : monographie imprimée
Droits : domaine public
Identifiant : http://gallica2.bnf.fr
Source : Bibliothèque nationale de France
Provenance : bnf.fr

CE QUE LA FRANCE EN GUERRE DOIT A SA MARINE

INTRODUCTION

Depuis le début des hostilités, il n'est pas un Français qui n'ait crié vingt fois l'admiration et la gratitude vouées par le pays entier à cette incomparable
armée dont les hauts faits, l'héroïsme, l'endurance et la ténacité ont dépassé en grandeur et en gloire les plus splendides pages de nos annales militaires vingt fois centenaires, l'épopée prodigieuse qui sur terre se déploie, tous la connaissent, tous la saluent, éblouis et confondus à la fois par son effroyable auréole d'éclairs et de tonnerres.

Mais l'épopée qui se vit sur mer ?
L'épopée qui, sur la surface mouvante des Océans, se déroule sans trêve depuis ces quarante mois passés ?
L'épopée des marins lancés aux périls combinés de la mer et de la guerre ?

Si l'on posait cette question: « Que fait notre Marine? », il n'est certainement pas un Français sur vingt qui pourrait répondre d'une manière nette et
précise.
Quelques noms géographiques : l'Yser, Dixmude, les Dardanelles, viendraient aux lèvres. Mais l'Yser et Dixmude, épisodes inouïs, lutte de géants menée
pendant cinq semaines par six mille hommes contre quarante mille, — c'est la marine a terre. Mais les Dardanelles, c'est une opération contre un littoral»
Quelques noms de bateaux aussi seraient prononcés : Bouvet, Danton, Provence II...
Mais ces noms-là sont ceux de bateaux perdus en cours d'actions ou de transits de guerre.
Et puis ?
Et puis, ce serait tout : — car en réalité la France ignore absolument le dévouement silencieux des cent vingt mille marins dont l'héroïque abnégation assure
depuis le premier jour de la guerre la vie et le destin de la Patrie en danger.

Or il faut que ce dévouement elle le connaisse ; qu' elle l'entoure de son admiration, de sa gratitude, il faut que cette épopée, elle la salue de toute son
émotion.
Il convient de dire que dans cette non-connaissance des faits, des actes, de la vie courante de la guerre maritime, il n'y a point de la faute directe du
public français.
Dès la première heure de la guerre, un voile a été jeté sur les opérations maritimes par le commun accord de toutes les Amirautés alliées : — voile en
effet absolument indispensable. Car le succès des opérations sur mer dépend avant tout d'une condition absolue, formelle, inéluctable : le secret.
En matière de guerre navale, moins on en dit, et mieux cela vaut : l'idéal serait de ne rien dire du tout.
Les leçons de l'Histoire prouvent la verité de celle loi maritime; par exemple la rigueur du secret gardé en ce qui concerne la traversée de l'armée d'Egypte en
1799 permit le passage tranquille d'une immense force navale que Nelson chercha fiévreusement aux quatre coins de la Méditerranée sans parvenir à la
découvrir.
Mais ce silence idéal s'accorde mal avec le besoin impérieux qui existe, de renseigner une nation moderne soumise avant tout au jeu de l'opinion publique ;
il y a du danger à ne pas satisfaire ce besoin, car une pression impérieuse de l'opinion publique mal renseignée ou documentée a faux peut entrainer une
catastrophe militaire.

Aussi, en ce qui concerne la marine française et son action pendant la guerre, a-t-il fallu tenir un équilibre entre ce qu'il importait de taire et ce qu'il
était possible de dire. Et la somme des silences a formidablement excédé le total des communiqués. Le public s'y est trompé.
Il a pris son illusion pour la réalité sans se douter de son erreur immense, et beaucoup ont pu dire : « La Marine ? mais qu' est-ce quelle fait donc ? »

(à suivre)

Cordialement,
Franck
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mellarium
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Message par mellarium »

Merci pour ce lien. Oui, il faut faire connaître le rôle important joué par la Marine française pendant la Première guerre mondiale. Nous allons bientôt commémorer le centenaire du conflit et, à une époque où l'on parle du devoir de mémoire il est très important de rendre justice à ces hommes qui ont tout donné, même si leur sacrifice fut discret... Car si la marine avait faibli, le front se serait effondré.
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Ar Brav
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Le moment est venu de le renseigner, ce public français : le moment est venu de lui raconter des faits dont on peut parler aujourd'hui sans craindre de
commettre une faute ; le moment est venu de lui dire quelle dette immense il a contractée envers son héroïque, glorieuse et muette Marine.
Notre Marine ? Qu'est-ce qu'elle fait ?

Elle monte la garde aux Océans.

Et cette petite phrase de six mots, pour qui connaît un peu la mer et la guerre sur mer, est lourde de splendeur.
Car elle signifie que sur les cuirassés, sur les croiseurs, sur les torpilleurs, les sous-marins, les patrouilleurs, les chalutiers, les dragueurs, sur les paquebots,
les transports, les cargos, les voiliers, les simples bateaux de pêche, cent vingt mille marins de France vont, viennent, naviguent, louvoient, relâchent,
repartent, veillent, transportent, tirent des bords, font des croisières, assurent des convois, pèchent les mines, pourchassent les sous-marins, ravitaillent les
armées de combattants, les foules des civils, sont à la fois sentinelles, routiers, gendarmes, convoyeurs, pêcheurs, sauveteurs, exposés à tous les périls de la
Nature, à toutes les traîtrises de l'ennemi, toujours prêts à tout, toujours à l'honneur et rarement à la gloire.

(Cliché n° 1 ; la Garde aux Océans, composition du tableau d'honneur de la Ligue Maritime)

Note : les clichés de la conférence ne sont hélas pas disponibles.

Ces hommes, ces marins, ils n'ont rien pour enivrer leur imagination, pour exalter leurs cerveaux, ni le grondement de bataille de l'immense front toujours
bouillonnant, ni l'étourdissemenl du combat sans arrêt, ni le sentiment âpre de la terre pouce à pouce reconquise, rien, pas même le contact permanent avec
l'ennemi.
Leur ennemi à eux, il est multiple et divers. C'est la mine, l'engin sournoisement perdu au sein de la mer, engin aveugle, brutale mécanique, automate qui
fait sa besogne au hasard, en machine d'horlogerie fabriquée chez le bon faiseur. C'est le sous-marin, le bandit des grands chemins de la mer qui ne sait pas
combattre en gentilhomme et qui use de sa torpille comme l'apache fait de son surin.
Le premier jour, au départ dans toutes les mémoires des noms flamboyaient dont on avait juré d'allonger la liste : Alain de Portzmoguer, Duguay-Trouin,
Tourville, Jean Bart, du Couédic, Surcouf, Bisson, Courbet, d'autres encore...
L'ennemi, du temps de ces marins-là, acceptait, recherchait, provoquait au besoin le combat.
L'ennemi d'aujourd'hui se fait représenter par des mécaniques semées au hasard, ou glisse sournoisement entre deux eaux. Plus d'ennemi flottant, naviguant sur la mer. La Marine de France, stoïque et fidèle, monte la garde aux Océans.

Sacrifice matériel.
Car des noms sont là pour dire en funèbre liste que parfois le poignard invisible a su frapper au cœur malgré veilles et guet : Léon Gambetta, Amiral Charner, Danton, Gaulois, Château-Renault...Des noms aussi pour dire que l'on a tout tenté, même la lutte contre les obstacles de la nature, aux Dardanelles, à Pola, afin d'obliger au combat un ennemi peu soucieux de la bataille : Saphir, Turquoise, Bouvet, Mariotte, Curie...
Des noms encore pour dire que le dur métier de routiers de la mer, de transporteurs d'hommes, de charroyeurs d'obus est un métier où l'on meurt à
l'ennemi : Amiral-Hamelin, Calvados, Provence II, Gallia...

Sacrifice moral.
Car le pays ignore ce dévouement silencieux de toutes les secondes, ce dévouement dont il vit sans se douter de sa dramatique existence, sans se douter que, dans la poésie, la beauté, la grâce, la splendeur, le péril ou le surnaturel des heures d'aube ou de couchant, de calme ou d'orage, de soleil, de brume, de
lune, de tempête, les Marins de France sont pris entre les dangers constants de la mer, écueils, courants, cyclones, et les mystères des pièges assassins,
des traquenards mortels. L'antique fortune de la mer, redoutable aux matelots, a doublé ses dangers du fait d'une science tortueuse et perfide. La mine aveugle renforce la tempête aveugle ; la torpille joint sa trajectoire à la mobilité des courants ; et aux dangers des rochers immobiles, le sous-marin ajoute le péril de l'écueil qui flotte, qui marche, qui raisonne et qui assassine.
Les chapitres de cette épopée sont aujourd'hui aisés à résumer en un tableau raccourci grâce aux documents officiels publiés par la Ligue Maritime Française, société reconnue d'utilité publique, 8, rue la Boétie Paris. (Mai 1918).

(à suivre)
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(2 août 1914 - mai 1918)

1° LA MOBILISATION MARITIME

Le développement du conflit mondial ouvert brutalement le 2 août 1914 a démontré d'une manière éclatante que, comme l'écrivait Richelieu il y a 280 ans, l'on ne peut, sans la mer, soutenir la guerre.
C'est grâce à l'écrasante supériorité des flottes alliées, formidable armée navale constituée par les escadres anglaises, françaises, puis italiennes, et enfin américaines, que les marines ennemies ont dû renoncer à tenir la haute mer et ont été contraintes de se réfugier dans des ports d'où elles ne sortent pour ainsi dire jamais, sauf pour organiser des raids de surprise se terminant fort mal pour elles, comme la bataille du Jutland gagnée par nos alliés anglais.
En juillet 1914, les routes de la mer s'ouvraient calmes et sûres ; la Fiance, pacifique et laborieuse, travaillait, forte de sa loyauté, uniquement soucieuse d'élargir son expansion économique et son rayonnement intellectuel.
L'opinion publique, cependant semblait devoir enfin être éclairée par une campagne féconde. Un certain nombre de bons Français s'inquiétaient depuis plusieurs années de rendre à la Marine française le rang qu'elle avait occupé jadis, et de lui donner cette force maritime sans laquelle une nation ne peut prétendre à occuper une place profitable dans le commerce international.
Mais la Ligue Maritime française n'arrivait cependant à grouper environ que 30.000 citoyens de bonne volonté, alors qu'elle en compte aujourd'hui environ 100.000. C'est en pleine organisation de cette renaissance maritime que la brutale agression des Empires centraux surprit la France au travail.
La Prusse ayant réalisé à son profit l'unité de l'Allemagne, mis l'Autriche dans sa dépendance, vaincu et mutilé la France en 1870-1871, créé en elle-même un
prodigieux organisme militaire, industriel et commercial, a voulu parachever son œuvre en réalisant brutalement ses aspirations à l'empire universel.

Depuis des années, des coups d'épingles continuels, des querelles patiemment amenées : Maroc, Algésiras, Agadir, Congo, montraient que l'Allemagne cherchait un prétexte d'agression pour attaquer avec l'espoir de nous anéantir.
Grisée par le succès, affolée par ses écrivains qui, sur tous les tons, lui répètent que le peuple Allemand est le premier de tous, choisi par Dieu pour dominer le monde, que la lin justifie les moyens, que tout scrupule doit être banni des relations internationales, l'Empire prépare une guerre nouvelle, avec un soin, une méthode qui lui donnent un admirable outillage militaire et maritime.
Et l'Allemagne déclenche cette guerre avec une joie frénétique.

Les exigences de l'Autriche vis-à-vis de la Serbie, exigences qui, si elles étaient satisfaites, ouvriraient au pangermanisme la roule de Salonique et lui permettraient de dominer la Méditerranée et l'Orient, rendent, malgré les efforts désespérés des diplomates de l'Entente, le conflit armé inévitable, suivant la volonté absolue de l'Allemagne.
La guerre éclate.
A l'appel de la Patrie en danger, la Marine répond en même temps que l'Armée. Marins de guerre et Marine de commerce unissent immédiatement leurs efforts, cependant que les populations maritimes remplissent aussitôt les cadres de la flotte. De tout temps entraînées par l'effet d'une méthode vigilante, nos forces navales sont prêtes instantanément.

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2° LES PREMIERES HEURES DE LA GUERRE MARITIME

Presque toutes les forces navales françaises sont dans la Méditerranée; nous n'avons dans l'Océan qu'une escadre de six croiseurs commandés par le contre
amiral Rouyer, qui a mis son pavillon sur le croiseur cuirassé Marseillaise.

(cliché n° 2 : croiseur cuirassé Marseillaise)

Cette escadre, comprenant uniquement des navires de type ancien et soutenue par les bâtiments des défenses mobiles locales, a contre elle la totalité de
l'armée navale allemande, ce qui la met dans une proportion de forces d'environ un contre quinze.

L'amiral Rouyer reçoit le télégramme suivant : « Marine Paris à Amiral Marseillaise, 3 août, 11 heures. Appareiller immédiatement et défendre par les armes le passage à la flotte de guerre allemande partout à exclusion des eaux territoriales anglaises. »
L'escadre des six croiseurs prend aussitôt la mer et se rend dans le Pas-de-Calais pour y affronter l'armée navale de l'Allemagne.
Marche héroïque à un sacrifice qui paraissait aussi grandiose qu'inévitable ; une faible division de 6 vieux croiseurs renforcés de quelques torpilleurs et de quelques sous-marins, allait barrer la roule à une armée navale entière, composée de plus de 30 cuirassés, soutenus par de nombreux croiseurs et par 72 contre-torpilleurs !
L'amiral Rouyer arriva dans le Pas-de-Calais, et les équipages aux postes de combat attendirent le formidable ennemi. Les Allemands étaient en route (cliché n° 3 : flotte allemande) ; ils descendaient vers le détroit, escomptant une victoire facile, puis un rapide bombardement des grands ports français de la Manche, ensuite un débarquement en masse sur la côte bretonne aux environs de Brest dont ils comptaient s'emparer du premier coup afin d'en faire une base navale à l'ouest de la France, au cœur même du pays envahi.
Mais à ce moment précis l'Angleterre, fidèle à la parole donnée garantissant la neutralité belge, jetait dans la balance le poids immense de sa formidable
flotte. La flotte allemande aussitôt refusait le combat et à toute allure se repliait dans ses ports,
Les Alliés étaient, sans combat, maîtres de la mer.

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3° PLAN GENERAL DE LA GUERRE SUR MER

Le jeu de l'alliance franco-anglaise permit aussitôt une répartition stratégique très précise des forces navales.
La Marine anglaise, renforcée de flottilles françaises, s'occupa de la Mer du Nord et du Pas de Calais. La Marine française, renforcée de divisions anglaises, se
chargea de la Méditerranée.
Contre la terre, la marine ne peut que bombarder les ouvrages de la côte, bloquer les ports, interdire tout commerce maritime, enfin mettre à terre des corps de débarquement.

Le préliminaire obligé de ces opérations, de la dernière surtout, est la destruction de la marine ennemie, ou tout au moins son annihilation par un blocus qui
puisse lui interdit la sortie de ses ports. Opérer un débarquement en Allemagne, il n'y fallait pas songer ; c'eût été courir à un désastre militaire.
Bombarder les ouvrages maritimes, bloquer de près les ports n'était guère possible, les ports allemands étant tous au fond d'estuaires défendus, comme toutes les côtes par des champs de mines el de nombreux sous-marins.
Les marines alliées se résignent à un blocus à distance, à une chasse sur les mers à tous les bâtiments allemands et s'attribuent des zones distinctes d'action.

Et aussitôt commença cette campagne qu'un grand chef de la Marine a caractérisée par cette phrase magnifique : « Abnégation totale du personnel, surenchère d'écrasant labeur ».
Campagne qui se poursuivit durant des mois sans que personne, pour ainsi dire, dans notre pays s'en doutât jusqu'au jour où, en mars 1917, le film Les Marins de France, composé par le Service Cinématographique de la Marine et édité par la Ligue Maritime française, vint révéler au public qui, jusqu'alors, n'avait pu être mis à même de l'apprécier à sa valeur, l'œuvre accomplie par notre Marine nationale.
En effet, cette œuvre, par l'effet des circonstances et par la force des choses, a été accomplie dans le silence et dans le mystère.
Silence dû à ce fait que l'armée navale ennemie en Méditerranée a toujours obstinément et strictement refusé tout combat, et est demeurée enfermée au plus
profond de ports que la nature et les fortifications ont rendus pratiquement inaccessibles à une attaque par mer, Cattaro et Pola.

Mystère dû à ce fait, que les conditions spéciales de là guerre sur mer réclament impérieusement un absolu secret sur toutes les opérations des escadres.
Car, si les bâtiments de ligne de nos ennemis ne sont jamais venus au contact des nôtres, si l'intervention de la Marine Italienne, alliée de la nôtre, a encore renforcé la prudence de là flotte de ligne autrichienne, par contre nos adversaires ont lancé au hasard de la mer les flottilles sournoises de leurs sous-marins, contre lesquels il faut agir autant de ruse pour les dépister, que de force pour les détruire lorsqu'on parvient à les repérer.

Notre Marine a donc dû se plier à un rôle aussi mal connu du public qu'épuisant pour le personnel et pour le matériel, le rôle de gardienne de la Mer.
Rôle magnifique qui exige le dévouement le plus complet, les sacrifices les plus entiers et les plus discrets, et auquel États-Majors et Équipages se donnent de tout cœur avec un enthousiasme que rien ne fait fléchir, ni rigueurs de la Mer, ni pièges de l'ennemi, et avec un patriotisme qu'exaltent les dangers bravés et vaincus.
Donc silence, faute de retentissantes batailles d'escadres, entre les escadres françaises et les navires ennemis, et mystère pour assurer le secret des opérations : voilà quel est le lot des vaillants marins de la flotte française, dont on peut dire que depuis le début du conflit ils furent toujours au labeur, toujours au péril, toujours à l'honneur, et bien rarement à la gloire.
Gloire qui leur est cependant pleinement due, gloire qu'il faut leur apporter en hommage avec toute la plénitude de notre reconnaissance.
Car ces héros silencieux vivent depuis le premier jour des hostilités une épopée magnifique, une épopée dont la règle lient tout entière dans ces deux mots : Péril et Sacrifice.

Cuirassés majestueux dont la silhouette massive se profile puissamment sur les eaux, croiseurs rapides dont l'étrave fend sans arrêt les flots, torpilleurs agiles
dont la course éperdue, ne s'arrête jamais, vedettes automobiles dont la vitesse rend pour le sous-marin ennemi l'attaque irrésistible, chalutiers et patrouilleurs dont les dragues fouillent la mer sans arrêt, tous ces navires inlassablement montent la garde en face du littoral ennemi.

Leur œuvre peut se résumer ainsi :
D'abord les divisions de ligne assurent le blocus serré du littoral ennemi en liaison avec les divisions anglaises et italiennes, blocus qui a eu pour résultat de supprimer complètement le pavillon germanique de la surface de tous les océans et de toutes les mers.
A diverses reprises ce blocus a été précisé par des attaques, par des tirs de destruction exécutés contre les organisations défensives du littoral ennemi, et par des raids dirigés contre les bases navales de l'adversaire, à travers des eaux territoriales protégées par de vastes champs de mines et balayées par les feux de batteries de côtes puissamment armées.
Attaques, tirs et raids qui ont démontré avec éclat la valeur du matériel, l'entraînement du personnel et l'esprit héroïque de nos vaillants marins. En outre, à maintes reprises, nos flottilles ont tenté d'aller chercher dans leurs repaires ces navires ennemis qui, depuis le 2 août 1914, ne sont jamais venus au
rendez-vous offert dans le grand large.
Mais d'autre part, chassées de la surface des mers, les Marines des Empires centraux ont lâché à travers les Océans des flottilles de sous-marins qui se sont mis à torpiller bâtiments de guerre et bâtiments de commerce ou de pêche, navires alliés et navires neutres. Contre ces sous-marins il a fallu créer une flottille spéciale de patrouilleurs et leur opposer un nombre considérable de chalutiers armés de canons à tir rapide et de divers autres engins de destruction ; nos croiseurs et nos torpilleurs battent la mer sans relâche, recherchant, poursuivant et combattant les sous-marins ennemis. Car, si la disparition totale des bâtiments ennemis prive de tout but nos sous-marins, les sous-marins de l'adversaire ont, au contraire, de nombreuses occasions d'attaquer : des centaines de vaisseaux de guerre, des milliers de navires de commerce parcourent les mers sous pavillons alliés ou pour le compte des Alliés. La lutte contre la piraterie sous-marine est donc, jour et nuit, l'incessante, silencieuse et périlleuse occupation de nos équipages.

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4° LES PRINCIPAUX FAITS DE GUERRE MARITIMES FRANÇAIS

1) EXTRÊME-ORIENT

Le Japon se charge de reprendre aux Allemands le territoire de Tsing-Tao. Les croiseurs allemands poursuivis par les croiseurs anglais et par le croiseur français Dupleix opèrent dans différents parages et finissent par gagner le Pacifique.

(cliché n° 4 : le croiseur français Dupleix)

Tsing-Tao pris, les Japonais font la police des mers de Chine et des Indes et convoyent jusqu'à Suez les transports de troupes australiennes, annamites, indiennes. Depuis quelques mois, nous voyons à Marseille des destroyers japonais venus pour nous aider à faire la chasse aux sous-marins.

2) PACIFIQUE

Un croiseur allemand, l'Emden, dès la première heure, bat l'estrade dans les mers d'Extrême-Orient : après avoir détruit divers bâtiments alliés, il se maquille de manière à changer sa silhouette et ainsi transformé peut approcher et couler à Poulo-Pinang le croiseur russe Zemtchoug, puis le contre-torpilleur français Mousquet malgré l'héroïque défense de ce dernier attaqué à bout portant par un ennemi beaucoup plus fort que lui.

(cliché n° 5: le Mousquet)

Mais la division navale australienne, aidée de croiseurs japonais et du croiseur français Montcalm (cliché n° 6 : le Montcalm), s'empare de toutes les colonies allemandes du Pacifique, les unes après les autres. Après quoi, la flotte des transports australiens, escortée de croiseurs anglais et d'un japonais, fait route pour l'Egypte. C'est dans cette traversée que, le 9 novembre 1914, aux îles Keelings, le croiseur anglais Sydney détruit le corsaire allemand Emden.

Le 22 septembre 1914, les croiseurs allemands Scharnhorst et Gneisenau attaquent Tahiti. Le lieutenant de vaisseau Destremeau, commandant la canonnière française la Zélée, prend la direction de la défense ; il a déjà débarqué ses canons et son équipage et installé à terre une batterie servie par ses canonniers. Devant l'énergie de la défense, les Allemands renoncent à débarquer, ils incendient par leur tir la Zélée et quelques établissements de la ville de Papeete. Nous mettons le feu au dépôt de charbon sur lequel ils comptaient pour se ravitailler ; et ils font route pour les îles Marquises où ils trouveront quelques ressources appartenant à des compagnies allemandes de Hambourg. De là, ils font route pour les îles Samoa qu'ils trouvent aux mains des Anglais : ils charbonnent, croit-on, aux Gallopagos et, ralliés par les autres croiseurs allemands, se dirigent vers le Pacifique sud où ils détruisent une division anglaise à la bataille de Coronel, puis passent dans l'Atlantique où ils sont eux-mêmes détruits par une autre force navale anglaise à la bataille des Falkand.
Les autres croiseurs allemands disparaissent tous de la surface des mers, coulés les uns après les autres, et bientôt le pavillon allemand a disparu. Seuls, quelques corsaires pourront ça et là couler encore quelques bâtiments.

3) ATLANTIQUE

Jusqu'à l'entrée en guerre des États-Unis, l'Atlantique appartient à l'Angleterre, la France n'y prend part qu'à quelques opérations secondaires.
Le 26 septembre 1914, le croiseur français Bruix (cliché n° 7 : le croiseur français Bruix) et la canonnière La Surprise appuient les troupes franco-anglaises qui conquièrent le Cameroun. La Surprise s'empare de Cocoa-Beach, à l'embouchure de la rivière Druni, dans le golfe de Corisco, territoire cédé à l'Allemagne en 1911.
Le 9 août 1914, la garnison française de Grand-Popo (Dahomey), soutenue par des croiseurs anglo-français, attaque le Togo dont les Alliés prennent possession le 20.
Privés de leurs croiseurs qui ont tous disparu, les Allemands arment en corsaires quelques-uns de leurs bâtiments de commerce, qui, tels le Moewe ou encore le Seeadler, récemment détruit, sortent à de longs intervalles. Ils causent quelques dommages, mais leur
action est peu de chose en présence de celle des sous-marins, qui ont moins à craindre des croiseurs alliés battant les mers.
Cette-action des sous-marins est la caractéristique de la guerre actuelle ; elle s'exerce, naturellement, surtout sur les côtes de France et d'Angleterre et sur les routes maritimes fréquentées par les bâtiments qui, de l'étranger, nous apportent vivres et matériel. Elle ne dédaigne pas de s'en prendre aussi aux bateaux de pêche dont un certain nombre ont péri. Nous en reparlerons plus loin (voir également notre conférence spéciale sur la guerre sous-marine).

4) MANCHE ET MER DU NORD

Dès le début de la guerre, le Pas-de-Calais, la Manche, la Mer du Nord sont divisés en secteurs de surveillance ; les sous-marins prennent un rôle prépondérant ; les destroyers, les torpilleurs ont une part active aux opérations : les engagements entre flottilles de ce genre ne se comptent plus ; les mines sont utilisées sur une vaste échelle.
Les Alliés comprenant que, en présence de l'activité des sous-marins, les gros navires ne doivent plus être employés à des patrouilles en mer, leur substituent
des destroyers, des torpilleurs, auxquels viendront par la suite s'adjoindre des chalutiers, des remorqueurs, des dragueurs de mines qui font aux sous-marins une guerre acharnée. Grâce à leurs courses incessantes, à leur vigilance constante, l'accès de la Manche est à peu près interdit aux Allemands. En tous cas, le service des transports entre l'Angleterre et la France est à peine gêné et l'accès de nos ports est toujours possible, sauf lorsqu'on vue de précautions spéciales à prendre, nous l'interdisons momentanément.

L'activité est grande dans la mer du Nord et se résume ainsi : attaque d'Héligoland le 28 août 1914, bataille du Dogger Bank, 24 janvier 1915 ; bataille du
Jutland, 31 mai 1916, mais ce domaine est plus spécialement celui de la marine anglaise.
Cependant la marine française doit enregistrer plusieurs actions dépassant l'importance des escarmouches de patrouilleurs.
Par exemple, le 28 août 1915, non loin d'Ostende, le contre-torpilleur l'Oriflamme, soutenu par le contre-torpilleur Branlebas, coule un aviso allemand d'un armement supérieur.
Ainsi encore le 20 mai 1917, sur les bancs de Flandre, un engagement d'artillerie très vif mit aux prises une flottille française avec une escadrille allemande supérieure en forces et qui dut cependant plier sous la rude attaque des Français, attaque au cours de laquelle le lieutenant de vaisseau Bijot, commandant le Bouclier, et le second Parent de Curzon furent tués ; l'enseigne Peyronnet, malgré six blessures, prit le commandement, mit l'ennemi en fuite et ramena son navire à Dunkerque.
(cliché n° 8 : le contre-torpilleur français Bouclier).

Ainsi, enfin, le 21 mars 1918, à la fin de la nuit, les trois contre-torpilleurs français Bouclier, Magon et Capitaine-Mehl, en compagnie des deux destroyers anglais Botha et Moriss, attaquèrent une flottille d'environ quinze unités allemandes, venues pour bombarder Dunkerque, et, au cours d'un combat très vif, quatre bateaux allemands furent coulés par les Alliés ; le reste prit la fuite.
(cliché n° 9 : le pont du contre-torpilleur français Magon).

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5) MEDITERRANEE

C'est surtout en Méditerranée, où se trouve concentrée l'armée navale française, que se manifeste d'une manière particulièrement active notre action en mer.
Le 3 août 1914, notre escadre de la Méditerranée, prête au combat, quittait Toulon pour une destination inconnue, sous les ordres de l'amiral Boué de Lapeyrère, et recevait en mer l'avis de la déclaration de guerre.
(cliché n° 10 : l'armée navale).

Le lendemain, elle était prévenue que les croiseurs allemands Goeben et Breslau avaient bombardé Bône et Philippeville.
Elle se porte immédiatement vers la côte d'Algérie : les deux croiseurs avaient disparu ; on les attendait à Gibraltar ; après avoir charbonné à Messine, ils s'étaient réfugiés le 10 août aux Dardanelles d'où, vendus fictivement à la Turquie, ils passaient, pour des besognes ultérieures déjà prévues par l'amirauté allemande, sous pavillon turc.
Des croiseurs anglais envoyés à leur poursuite arrivent aux Dardanelles quelques heures après eux ; ils y restent pour les bloquer.
Le transport de nos troupes d'Afrique commence aussitôt. Convoyés par notre armée navale, les bâtiments frétés dans ce but accomplissent leurs traversées en toute sécurité ; en effet les Allemands n'ont pas encore de sous-marins dans la Méditerranée. Vers le milieu du mois d'août, la plus grande partie de nos troupes a traversé la mer. Ce service devient alors beaucoup moins actif et un faible détachement naval suffira à l'assurer.

L'amiral de Lapeyrère peut exécuter l'ordre qui lui a été transmis le 10 août, d'opérer des démonstrations contre les côtes autrichiennes. A la tête de 20 cuirassés et de 10 croiseurs, dont un croiseur léger anglais, il se porte dans l'Adriatique. Le 16 août notre escadre bombarde les organisations défensives du littoral dalmate.
(cliché n° 11 armée navale bombardant le littoral dalmate)

Le petit croiseur autrichien Zenta qui mouillait des mines le long de la côte est coulé à coups de canon à l'entrée de ce port. Détruire la flotte autrichienne était le but de l'amiral ; pendant un mois, il lui offrit le combat ; elle s'était réfugiée à Pola, laissant à Cattaro des torpilleurs, des sous-marins
et quelques vieux bâtiments, et elle ne sortit pas de ses ports. L'amiral était donc maître de la mer et il avait la possibilité de bloquer les côtes, de les bombarder ou d'opérer un débarquement.
Ces bombardements ne pouvaient avoir d'intérêt majeur, ni d'efficacité sur la suite de la guerre ; ils risquaient d'offrir au péril des mines et des sous-marins
nos unités de ligne ; le débarquement, après une tentative au mont Lovcen, du 18 septembre au 18 décembre 1914, fut jugé opération secondaire exigeant des effectifs importants sans résultat pratique suffisant.

En même temps le danger des sous-marins se révélait de jour en jour plus efficace : le 18 octobre 1914 devant Cattaro le Waldeck-Rousseau (cliché n° 12 : croiseur-cuirassé Waldeck-Rousseau) subissait l'attaque d'un sous-marin et le repoussait : mais le 24 décembre 1914 le cuirassé Jean Bart (cliché n° 13 : cuirassé français Jean Bart) était touché et, sauvé par une manœuvre habile de son commandant, devait aller se réparer à Malte.
L'armée navale française, en présence de cette menace, alla se concentrer à Malte, puis plus tard à Corfou, constituant ainsi des bases navales sûres et bien défendues d'où elle continuait, par sa présence et sa vigilance, à interdire absolument la mer aux escadres autrichiennes.
Les croiseurs continuent leurs patrouilles et, le 27 avril 1915, le croiseur cuirassé Léon Gambetta est torpillé dans le canal d'Otrante.
(cliché n° 14 : croiseur-cuirassé Léon Gambetta).

Le 10 mai 1915, l'Italie déclare la guerre à l'Autriche, et à partir de cette date les trois marines française, anglaise et italienne coopèrent étroitement par le moyen de zones affectées aux différentes nations. En liaison avec les forces navales italiennes, nos navires développent leur action : le contre-torpilleur français Bisson (cliché n° 15 : le contre-torpilleur français Bisson) attaque Lagosta et le 16 août coule le sous-marin autrichien
U-12 ; le 20 septembre le sous-marin Papin torpille un destroyer autrichien (cliché n° 16: le Papin) ; le contre-torpilleur
français Casque coule le destroyer autrichien Triglaw (cliché n°17: le Casque) ; le sous-marin français Foucault torpille le croiseur autrichien Helgoland (cliché n° 18 : le Foucault).

Enfin le transport de l'armée serbe, d'abord évacuée d'Albanie à Corfou, puis conduite de Corfou à Salonique, restera dans l'histoire universelle de la Marine
une page incomparable. Sous les ordres de l'amiral de Gueydon, 150 bâtiments de flottille encadrèrent 50 transports, qui sur un parcours de 1.200 kilomètres, en 57 voyages, durant sept semaines (8 avril-30 mai 1916), transportèrent de Corfou à Salonique, à travers une mer infestée de sous-marins, 100.000 soldats serbes, 33.000 chevaux, 5.500 camions, 106.000 mètres cubes de matériel de guerre. La garde fut si bien organisée que pas un sous-marin ennemi ne put même esquisser une attaque.

En même temps la nuée de nos patrouilleurs, chalutiers, torpilleurs, dragueurs, éclaireurs battait la Méditerranée, de telle sorte que, en outre, pendant les
huit premiers mois de 1916, la Marine française transportait à travers cette Méditerranée 900.000 hommes de troupe (sans compter les blessés et les évacués) et 440.000 tonnes de matériel de guerre, en perdant seulement 5 transports torpillés et 2.907 hommes sur 900.000.
Au cours de ces croisières nous perdons d'autre part quelques navires de flottille, Dague, le Renaudin, la Fronde, la Fourche ; mais les sous-marins français interviennent, le Bernouilli coule un transport autrichien.
le 5 mai 1916, l'Archimède un second transport quelques jours plus tard et le Verrier une canonnière autrichienne.

Le barrage établi dans le canal d'Otrante gêne les Autrichiens, aussi s'acharnent-ils contre lui ; nos sous-marins et nos contre-torpilleurs les repoussent toujours.
En décembre 1916, sous la conduite du Casque, nos destroyers les forcent à rentrer dans leurs ports. Français, Anglais, Italiens patrouillent constamment sur les côtes autrichiennes.
Bien souvent, en France, par ignorance de la situation et du travail accompli, certains se sont plaints de l'inaction de notre marine de ligne dans la Méditerranée. Sans doute, depuis le coup de torpille auquel le Jean Bart a échappé avec une avarie réparée aussitôt à Malte, nos cuirassés sont demeurés immobiles à Malte, puis à Corfou. Mais comme les Anglais dans la mer du Nord, nous avons compris que c'est folie d'exposer de grands navires à périr par la torpille d'un sous-marin, ou par la rencontre d'une mine. Dans le port même, à leur puissante base navale installée à Corfou, à l'entrée de l'Adriatique (cliché n° 19: l'armée navale à sa base de Corfou), ils sont utiles, car ils bloquent, par le fait de leur seule existence, la marine autrichienne retirée à Pola, ils lui interdisent de prendre la mer. Le blocus qu'elle supporte ainsi est pour notre adversaire une gêne sérieuse ; et la preuve en est dans les nombreuses tentatives qu'elle fait contre le barrage du canal d'Otranle qui s'étend de Santa-Maria-di-Leuca au cap Ducata en Albanie et qui empêche
les sous-marins de venir inquiéter nos transports en Méditerranée. Cette situation dure toujours.

Si ces bâtiments, que certains croient inutiles, étaient désarmés dans nos ports, ce qui reste de croiseurs allemands ne tarderait pas à prendre la mer, et, allant s'établir sur les routes maritimes, ils arrêteraient les bâtiments chargés pour nous. Ils se garderaient bien de les détruire comme font leurs sous-marins actuellement, mais, mettant à bord un équipage militaire, ils les enverraient en Allemagne où ils arriveraient en toute sécurité, aucun croiseur de l'Entente ne se trouvant là pour les arrêter. L'Allemagne serait ainsi ravitaillée à nos frais, ce n'est plus elle qui souffrirait de la faim, ce serait
l'Entente !

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6) LES DARDANELLES

Une opération toute spéciale fut la tentative de forcement du détroit des Dardanelles menée par les forces navales franco-anglaises et un corps de débarquement des deux nations alliées.
Du côté français une division de cuirassés de type ancien: Bouvet, Suffren, Gaulois, Charlemagne, y prit part avec plusieurs destroyers et sous-marins, sous le commandement de l'amiral Guépratte. Elle fut marquée par les actes les plus héroïques aussi bien des équipages de la flotte que des troupes de terre. A la grande tentative de forcement du 18 mars 1915, la division française, engagée à fond contre les forts de la passe, perdit le cuirassé Bouvet coulé en quelques secondes par une mine dérivante avec son commandant le capitaine de vaisseau Rageot de la Touche, 28 officiers et 680 hommes.
(cliché n° 20 : le Bouvet).

Après une série d'efforts infructueux l'opération des Dardanelles dut être abandonnée le 10 janvier 1916.

7) SYRIE-SUEZ

Sur les côtes de Syrie, c'est un amiral français qui commande ; quelques croiseurs anglais et le croiseur russe Askold sont rangés sous son pavillon.
Celte force navale travaille au blocus étroit de la côte, au bombardement de quelques points, à la chasse aux sous-marins et à la surveillance des ports où ils peuvent se ravitailler.
Dans la mer Rouge, le croiseur le Montcalm, venant de l'Extrême-Orient, patrouille en compagnie du Desaix, du D'Entrecasteaux et de quelques anglais.

Une armée turque est campée à El-Arish à l'est de Port-Saïd. Le 3 février 1915, elle attaque le canal de Suez; le D'Entrecasteaux et le vieux cuirassé Requin, doyen de la flotte française, armé de grosses pièces de 270 m/m, écrasent l'artillerie germano-ottomane.
(cliché n° 21 : le Requin dans le canal de Suez).
En avril et en mai, ces troupes sont de nouveau canonnées par le Saint-Louis et le D'Estrées. Le 6 août, la flotte française fait une démonstration contre la côte d'Anatolie et bombarde quelques points où se faisait la contrebande ; en même temps, la flotte anglaise agit contre Alexandrette.
Le 12, Gaza, base de ravitaillement de l'armée turque de Palestine est bombardée et nos croiseurs détruisent à Jaffa des ateliers allemands qui fabriquaient des armes et des munitions pour les Turcs et construisaient des bateaux en vue d'une action contre le canal de Suez. Le 27, la côte d'Asie de l'île de Samos à la frontière d'Egypte est déclarée en état de blocus.

Le 1er septembre, nos marins occupent l'île de Rouad sur la côte, entre Lattakieh et Tripoli ; ils y sont bien reçus par la population. Trois mille Arméniens étaient réfugiés au nord d'Antioche, où les Turcs les faisaient mourir de faim ; nous les évacuons et nous créons une légion arménienne encadrée et organisée par nos soins.
Pendant ce temps, nos bâtiments continuaient leurs patrouilles sur la côte au cours de l'une de ces croisières ingrates, le croiseur-cuirassé Amiral Charner est torpillé, le 8 février 1916 ; tout l'équipage périt, sauf un homme qu'on retrouva quelques jours plus tard au milieu des cadavres de 13 camarades morts de froid et de faim !
Nous aidons nos partisans; les Syriens meurent de faim, nous assurons autant que possible leur ravitaillement, nous les organisons pour la résistance aux Turcs et, dès le printemps 1916, ce ravitaillement absorbe tous nos soins.

En janvier 1917, les Turcs bombardent notre point d'appui de Castellorizo ; nous y répondons en bombardant Gaza en avril. Enfin, l'armée du général Allenby ayant déclenché la grande offensive qui va amener la prise de Jérusalem, le vieux cuirassé français Requin prend une part active à l'attaque de Gaza ; au cours de la bataille il est touché par l'artillerie turque, mais la réduit au silence, et la place succombe.
(cliché n° 22 : le Requin bombardant Gaza).

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8) GRÈCE

Le 5 octobre 1915, avec le consentement de Venizelos, premier ministre du roi de Grèce, qui nous appelle au secours de la Serbie, des troupes anglo-françaises débarquent à Salonique, devenu un centre de contrebande pro-germanique et que nos forces navales surveillaient attentivement. Prenant la Bulgarie à revers, nos troupes sont destinées à protéger la Serbie liée à la Grèce par un traité défensif que le gouvernement royal n'a point respecté, et à empêcher contre l'Egypte une expédition allemande que tout le monde prévoit.

Le roi Constantin désapprouva Venizelos qui céda le pouvoir à M. Zaimis, et dès ce moment, notre marine assuma un rôle écrasant et délicat.
La division de Bon, si bien utilisée entre Moudros et le cap Hellès, sera désormais employée à la protection des cargos chargés du ravitaillement de l'armée de Salonique.
La besogne est dure et les torpillages sont nombreux. L'un des plus importants fut celui du croiseur auxiliaire Provence II, magnifique paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique. Son commandant, le capitaine de frégate Vesco, meurt héroïquement sur sa passerelle, il y a 1.000 victimes. (cliché n° 23 : mort du commandant Vesco, composition de la Ligue maritime française).

Un autre torpillage important est celui du Gallia qui portait, aussi des troupes et qui, le 13 octobre 1916, coule avec 700 victimes, dont le lieutenant de vaisseau Kerboul, qui le commandait. Le cuirassé français Danton (cliché n° 24 : le Danton) est torpillé au sud de la Sardaigne ; une partie de l'équipage est sauvée par le torpilleur d'escorte Massue, il y a 288 victimes.
A quelques jours de là, le 16 novembre 1916, par suite de circonstances demeurées absolument inconnues, le cuirassé Suffren disparaissait dans l'Océan, coulé, croit-on, au large des côtes de Portugal (cliché n° 25 : cuirassé Suffren).

Notre marine, pendant ce temps, réduit à l'impuissance les velléités de trahison d'une partie turbulente de l'état-major grec, débarque à Cavalla et à Thasos ;
après l'attentat du 1er décembre 1916, une politique de répression énergique amène enfin l'abdication du roi Constantin, et le remplacement des pro- germains par Venizelos représentant la politique traditionnelle de la Grèce.
Désormais, la Grèce va suivre ses destinées historiques ; les troupes grecques rentrent dans leurs garnisons, les équipages reprennent leurs bâtiments, l'Entente évacue peu à peu les provinces qu'elle avait occupées.
Pendant le cours de ces évènements, notre escadre n'a pas cessé de faire la chasse aux sous-marins, d'assurer la police des eaux grecques, ainsi que le transport des unités et des permissionnaires, et le ravitaillement de notre armée d'Orient.

9) BALTIQUE ET MER NOIRE

Il faut laisser de côté les opérations dans la Baltique et la mer Noire, la Marine française, par la force des choses géographiques, n'y ayant pris aucune part.

Rappel pour info : nous sommes en 1918...

(à suivre)
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