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Bonjour à tous,
• Commandant Émile VEDEL : « Quatre années de guerre sous-marine », éd. Plon-Nourrit, Paris, 1919, p. 287 à 289.
« [...] Un récit de victoire, cette fois. Il s'agit de celle que le chalutier Ailly a remportée sur l'UC-35. Je laisse la parole au premier maître Le Roux, son commandant :
" Appareillé de Carloforte (côte S.-O. de Sardaigne) le 15 mai 1918, à 4 heures du soir, avec les voiliers Gloria et Roi-René à la remorque. Calme plat. Le lendemain 16, à 6 heures du matin, le premier maître Caron, de quart sur la passerelle, aperçoit par tribord devant, à l'horizon, un point qui grossit à vue d'oeil. Ca ressemble à un grand voilier, mais il se méfie, croyant voir un peu de fumée. Il me fait prévenir. Au moment où je monte, j'entends rappeler aux postes de combat, et, en même temps, un coup de canon. L'obus tombe à bâbord de nous, assez près. C'était un sous-marin maquillé. Coupé la remorque, et ouvert le feu à 8.000 mètres, en manoeuvrant de façon à préserver l'avant. Le premier coup me paraît long. Je dis : - 7.000 mètres ! - Le but est couvert. Très bon feu continu. Le sous-marin ne cesse pas de nous présenter son travers. Belle cible, car il est grand.
Aux trois premiers coups du sous-marin, nous sommes encadrés. Venu brusquement de trois quarts sur la gauche pour dérouter son tir ; il envoie encore trois coups, puis vire de bord et me représente son travers de l'autre bord. A ce moment, j'aperçois une grosse fumée sortant de son travers. Il ne tire plus, il pique de l'avant. A peine trente seconde après, il se redresse verticalement, les hélices en l'air, et disparaît. Sa position était : latitude 39° 50 N., longitude 7° 42 E. Il est 6 h. 25, le feu a été ouvert à 6 h. 17. Nous avons tiré trente-deux coups, le dernier à 5.000 mètres, la pièce de 47 arrière n'a jamais été dans le champ de tir.
Nous continuons la route sur l'endroit où l'ennemi a disparu, prêts à lancer des grenades, quand la vigie me signale des hommes sur l'eau. L'un d'eux passe le long du bord, et est ramassé au moyen d'une couronne de sauvetage sur laquelle est frappé un bout. Il nous dit qu'il est marin espagnol, et que le sous-marin est coulé. Près du remous se trouvent une quinzaine d'hommes ; je ne lance plus de grenades, sachant que le sous-marin a sombré. Armé le youyou, qui ramasse deux hommes. Je manoeuvre pour les autres, et nous en ramassons cinq, les autres ayant coulé.
Aussitôt à bord, ils sont mis à nu et fouillés par le premier maître Caron. Un est grièvement blessé par des éclats d'obus, le deuxième mécanicien le panse. Je reste sur les lieux encore une demi-heure, et ne trouvant plus rien, je fais route sur les voiliers. J'accoste Gloria et j'y dépose le blessé et le marin espagnol, faute de place à mon bord. Les prisonniers questionnés me disent que le sous-marin est l'UC-35. J'ai envoyé un S.O.S. au début du combat, n'étant qu'à 45 milles de Carloforte, et croyant que les deux vedettes rapides qui s'y trouvent seraient venues à notre rencontre. Commandant, en cette belle circonstance, j'ai l'honneur de vous signaler la brillante conduite de mon merveilleux équipage, qui, presque tous, sont sous mes ordres depuis deux ans et demi. Cet équipage a toujours été un modèle de conduite et d'entrain. Quel plaisir que de commander de tels hommes ! Ils sont titulaires de cinq témoignages de satisfaction depuis que je suis à bord."
Inutile, je crois, de faire ressortir la belle allure de ce combat, où la maîtrise du commandant de l' Ailly a été si bien secondée par la promptitude et l'excellent entraînement de son équipage. [...] »