Bonjour à tous,
Voici quelques indications supplémentaires sur la capture du MARONI, qui éclairent un peu les posts précédents.
Début Mars 1916
La Cie Gle Transatlantique reçoit une lettre assez laconique du capitaine Flanneau dont voici le texte :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte de la perte du MARONI qui a été coulé par le MOEWE. Ce bateau nous a recueilli, ainsi qu’une partie de nos affaires, et nous a menés en Allemagne.
Veuillez agréer……. »
Signé FLANNEAU
Je certifie la signature du capitaine Flanneau
Signé : J. DAL PIAZ
Les services de la Marine notent :
On lit sur l’enveloppe : Monsieur le Directeur Cie Gle Transatlantique 6 rue Auber PARIS
et deux mentions et un cachet ainsi interprétés par la Transat :
« krieg » : envoi d’un prisonnier de guerre
« geprüpt » : passé à la censure
cachet : n° illisible Royale Marine Commandant de section d’artillerie de Marine
Fin Mars 1916
La Commission des Risques Maritimes de Guerre écrit au Ministre
« Le MARONI de la Cie Gle Transatlantique avait commencé un voyage Bordeaux New York le 18 Février 1916. Il n’est pas arrivé à destination. Se fondant sur une lettre du capitaine venant d’Allemagne où il serait interné, ce vapeur aurait été coulé par le corsaire MOEWE. La compagnie réclame la valeur du montant assuré.
La Commission n’a pas d’objection à régler ce montant mais ne peut engager les deniers publics sur une simple lettre dont elle n’a pas qualité pour apprécier la valeur.
Elle vous demande si, à défaut d’un rapport de mer, vous considérez cette lettre comme authentique et équivalente à un rapport de mer justifiant la perte du navire ».
22 Avril 1916
Le capitaine Flanneau reçoit en Allemagne une lettre de la Transat qui lui demande un rapport plus précis.
Les Allemands l’autorisent alors a envoyer un rapport de mer succinct dont voici le texte :
« J’ai l’honneur de vous envoyer le rapport demandé par votre lettre reçue le 22 Avril. Une partie de l’équipage étant détachée hors du camp, je la fais signer par ceux qui restent dans cette pièce. Je la déclare conforme à la vérité.
Le 24 février 1916 à midi, par 45°51 N et 25°24 W, un vapeur faisant route au nord nous croisa alors que nous faisions route à l’ouest. Alors que je me tenais paré à manœuvrer car il ne semblait pas vouloir changer de route, il vint en grand sur tribord et passa à 400 m sur bâbord. Il démasqua ses pièces, hissa le pavillon de guerre allemand et nous signala de stopper immédiatement en tirant un coup de sa pièce sur la dunette. Nous marchions 6 à 7 nœuds, ayant mis bas les feux de la chaudière Bd à 09h00 du matin. Je fis stopper.
Il hissa le signal : "Préparez-vous à quitter le bord le plus tôt possible". Je fis disposer les embarcations, mais avant qu’on les eut amenées, un canot du vapeur nous accosta avec des marins et officiers armés. Ils nous crièrent d’attendre pour la mise à l’eau. Les Allemands se répandirent de tous côtés et deux officiers montèrent me trouver. Ils me dirent qu’ils allaient couler le navire, mais que les hommes avaient le temps de préparer leurs affaires. Ils firent les perquisitions habituelles.
Les mines disposées et allumées, nous quittâmes le bord et fûmes recueillis par le MOEWE.
A peine 5 minutes après avoir poussé du bord, vers 14h55, on entendit une forte détonation suivie de deux autres. Vers 15h20, le MARONI, qui se tenait très droit avec tout l’avant, jusqu’au château, sous l’eau piqua brusquement du nez et coula avec une grande rapidité.
Nous avons été, tout l’équipage, internés en Allemagne. Fait à Hameln le 1er Mai 1916. »
Signé Flanneau.
Suivent 23 signatures des hommes de l’équipage.
27 Mai 1916
Le Ministère des Affaires Etrangères Suisse, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, écrit à la Transat :
« L’Ambassadeur de la République à Berne m’a fait parvenir la liste officielle des marins composant l’équipage du vapeur MARONI coulé par le MOEWE.
Je vous confirme que ces prisonniers sont internés au camp de Hameln.
Je vous fais part de ces indications en me référant à votre dépêche du 16 Mars dernier. »
10 Juillet 1916
Mr. DAL PIAZ écrit à la Commission des Risques de Guerre
« J’ai l’honneur de vous faire remettre un avis du Tribunal des prises de Hambourg portant à la connaissance des intéressés (Cie Transatlantique) que le vapeur français MARONI a été capturé par un navire de guerre allemand. Le Tribunal prie ces derniers de présenter leurs réclamations dans un délai de trois mois.
Veuillez agréer… »
Signé Dal Piaz.
Voici le texte original de cet avis
Juillet 1916
Le Procureur Général de la Cour des Comptes écrit à la Commission des Risques de guerre :
« J’ai l’honneur de vous informer que la pièce officielle émanant du Ministère des Affaires étrangères me paraît suffisante.
Ce document, d’une authenticité indiscutable, joint aux renseignements fournis par Londres et aux lettres du capitaine du MARONI qu’aurait reçues la Cie Gle Transatlantique constitue un ensemble de preuves qui semblent probantes. Le MARONI a été coulé par événement de guerre. »
3 Juin 1918
Un marin, qualifié d’informateur, va être interrogé à Evian.
Cet « informateur » est en fait un mécanicien du MARONI, Louis BLANCHARVIN, domicilié rue de Brest à Dinan, et qui venait d’être rapatrié.
Son témoignage est fort intéressant. Il avait été longtemps embarqué sur le MARONI qui transportait du divers vers les USA et rapportait munitions et barbelés pour les gouvernements belges et français dans l’autre sens.
Sur MARONI
Départ de Bordeaux le 18 Février 1916
Mouillage de 48 heures au Verdon.
Fait route sur New York le 20.
Dans la nuit du 23 au 24, fuites de tubes sur la chaudière Bd obligeant le MARONI à mettre bas les feux et à marcher à demi vitesse pour procéder à la réparation nécessaire.
Vers 20h00, aperçu un navire sur bâbord, faisant même route que le MARONI et qui le dépasse. Au matin, vu un bateau qu’il croit être un transport de passagers, sans pavillon, mais avec sur ses flancs un pavillon qu’il croit être danois (mais la description qu’il donne ne correspond pas au pavillon danois ?)
Le bateau suit une route bizarre, puis tourne autour du MARONI. Il tire un coup de canon et au moment où le timonier du MARONI s’apprêtait à le saluer, il hisse le pavillon de guerre allemand, donne l’ordre de stopper et d’abandonner le navire. Quatre officiers et des hommes armés de revolvers et de sabres montent à bord.
L’une des embarcations du MARONI se brise au cours de la mise à l’eau. L’autre et les deux canots du MOEWE servent à transborder l’équipage sur le corsaire.
Pendant le transfert, les officiers du MOEWE visitent le MARONI et y placent cinq bombes, une dans chaque cale, une dans la machine et une dans la chaufferie. Les Allemands n’emportent rien de la cargaison du MARONI qui se composait de liqueurs, de liège et d’osier. Ils ne prennent pas non plus de charbon. Le dernier canot emporte les officiers du MARONI et ceux du MOEWE. Il est à 400 m du cargo quand celui-ci explose, s’ouvre par le milieu et coule en deux ou trois minutes.
L’équipage du MARONI, 33 hommes, est logé dans le faux-pont du MOEWE, sous les affuts de canon.
Sur MOEWE
Le 25 Février, le MOEWE intercepte le SAXON PRINCE. Il avait déjà à son bord le commandant de l’APPAM et quelques soldats et marins anglais et indiens.
Le MOEWE fait ensuite route sur le nord de l’Angleterre et de l’Ecosse. L’estimation de cette route est faite par les officiers prisonniers grâce au climat et à la température (sic).
(Nota : on peut penser que les officiers utilisaient aussi quelques autres moyens d’estime.)
Le 3 Mars, un officier allemand demande aux prisonniers de signer deux feuilles, en français et en allemand, par lesquelles ils s’engagent à ne pas prendre les armes contre l’Allemagne et ses alliés. Ils seront alors rapatriés par le premier bateau neutre rencontré. Les officiers français engagent les marins à signer cette déclaration.
Le 4 Mars, un système de voies ferrées est installé sur l’arrière du MOEWE. Dans la nuit, on entend beaucoup de mouvements sur le pont et l’informateur est persuadé que l’on a procédé à un mouillage de mines, probablement près des côtes allemandes. Les marins allemands leur disent qu’ils contournent le Danemark.
Le 5 Mars vers 08h00, aperçu des chalutiers patrouilleurs allemands. Vers midi, on laisse les prisonniers monter sur le pont pour assister à la parade d’entrée dans le port de Wilhelmshaven. Toute l’escadre défile de chaque bord du MOEWE en l’acclamant.
A bord du MOEWE, les Français ont été bien traités. Ils recevaient 200 g de pain par jour et par homme. Les marins allemands leur ont dit que les provisions touchaient à leur fin et que c’était la raison du retour en Allemagne. Mais ceci est contredit par le fait que sur le MARONI ils n’ont pris aucune provision, exception faite de deux moutons vivants. Les liqueurs de la gamelle ont même été payées au cuisinier et il en fut distribué aux prisonniers.
Dès l’arrivée du navire, le commandant du MOEWE est parti pour Berlin.
Les Français ont débarqués du MOEWE et ont été logés dans une caserne de la Marine, face à l’arsenal des torpilleurs (entre la Doonstrasse et la Koenigstrasse). Ils y sont restés jusqu’au 15 Mars ayant le droit de faire deux heures d’exercice par jour. Le lendemain de leur arrivée, les officiers ont pu acheter les journaux « Le Matin », « Le Journal » et « Le Petit Parisien » du 1er Mars. C’est dans ces journaux qu’ils ont pu lire le récit de la croisière du MOEWE et apprendre qu’ils avaient été le seul navire français capturé sur 14 prises dont les noms sont donnés. Mais les officiers, qui connaissent bien ces navires, ont dit à l’équipage que les articles avaient du être maquillés par la censure.
Ils ont été ensuite conduits par train au camp de Hameln (Hanovre) où ils sont restés 15 jours en quarantaine. Ils étaient escortés par des marins allemands armés de fusils. (Les baïonnettes de ces fusils étaient de marque Lebel).
Tous les prisonniers ont été photographiés.
Quelques jours après l’arrivée au camp de Hameln, le commandant Flanneau a été autorisé par les Allemands à envoyer à sa compagnie un rapport du voyage du MARONI. Il l’a donc rédigé, l’a lu à l’équipage et fait signer pour approbation et l’a donné pour transmission aux autorités allemandes dans les premiers jours d’Avril.
Dès Juillet 1916, Monsieur LE GOFF, 2e lieutenant du MARONI, a été interné en Suisse.
Séjour de l’informateur en Allemagne
5 Avril 1916 Envoyé à Bemerohn (5km de Hanovre) pour culture et cueillette des asperges.
Salaire : 30 pfg par jour.
1er au 10 Juillet : camp de Hameln
10 Juillet – 15 Novembre : chez un fermier à Mark. (Ce fermier lui a dit qu’il devait verser une taxe au gouvernement pour que ses deux fils ne soient pas envoyés au front)
Fin Novembre 16 – 13 Avril 17 : camp de Mecklingen pour tirer du sable des marais.
Mai 17 : envoyé à Aulnoye pour raccorder une voie ferrée à une usine de verrerie.
Jusqu’à fin Juin 17 : hôpital de Valenciennes
Juillet – Août : à Landrecy . Coupage de bois au bois de Mormald.
Septembre 17 : retour à l’hôpital de Valenciennes. Inscrit en Décembre pour rapatriement.
Février à Mai 18 : resté à Esneult chez l’habitant. Rapatrié par la Suisse début Juin.
Renseignements donnés sur le MOEWE
Bateau neuf. Faux- ponts en bois avec installations frigorifiques non terminées. Quatre cales où se trouve probablement le charbon pour la campagne. Une machine centrale. Une seule hélice. Vitesse 15 à 16 nœuds, mais très variable.
Quatre canots à bâbord et quatre à tribord.
Une seule cheminée qui a changé trois fois de couleur pendant le court séjour à bord.
Deux projecteurs : un dans la hune de misaine et l’autre à la passerelle.
Quatre panneaux de cale avec deux treuils à chaque cale.
Deux canons sous le gaillard (probablement de 120 mm vu le diamètre des obus).
Pièces masquées par des panneaux s’ouvrant comme des portes à double battant avec charnières horizontales.
Munitions montées à la main. Toujours six obus près des pièces. Pas de gargousses.
Deux autres canons par le travers du panneau avec monte-charge électrique pour les obus. Pièces montées sur affuts boulonnés de 2,5 m de large.
Un canon sur la dunette arrière.
Deux tubes lance-torpilles en arrière des canons de pont avec trois torpilles pour chaque tube..
Dispositif pour mouillage de mines sur l’arrière
Quatre hommes en veille constante : 2 sur l’avant et 2 sur l'arrière.
Navigue tous feux éteints la nuit.
Les marins allemands ont dit aux Français être en mer depuis 45 jours.
Equipage :
Environ 150 hommes et 8 ou 10 officiers. Très peu de nom « MOEWE » sur les bonnets. Le plus souvent inscription « Matrosen Division »
Voici un dessin du MOEWE
Le commandant du MOEWE
On ne peut terminer ce rapport sur le MOEWE sans dire quelques mots de son commandant, le Capitaine de Corvette comte Nicolas ZU DOHNA-SCHLODIEN.
Voici sa photo
Lors de son premier retour en Allemagne, en Mars 1916, le commandant Zu Dohna se rendit donc à Berlin où il fut reçut par les plus hautes autorités. Toute l’Allemagne, qui considérait alors la Kriegsmarine comme le fer de lance de l’Empire, le regardait comme un héros et l’admirait. Puis, à sa demande, il se rendit sur le champ de bataille de Verdun. Ce qu’il y vit de ses yeux le bouleversa profondément. Cette banalisation de la terreur l’avait glacé d’effroi.
A son retour, il rencontra l’un des ses amis, le Capitaine de Corvette de réserve Felix Von Lückner, qui regrettait de n’avoir pu embarquer avec lui sur MOEWE.
Ce qu’il lui dit alors mérite d’être rapporté :
« - La victoire ne passera jamais par des manquements aux lois de l’Honneur. Méfie-toi, la Marine n’est pas à l’abri des erreurs de jugement, ni du crime contre le droit des gens. J’ai capturé le vapeur français MARONI. Les récits de la guerre des tranchées dont parlent les journaux français trouvés sur ce navire m’ont beaucoup troublé. Les photographies dont j’ai pris connaissance sont horribles. L’institut des recherches militaires de Berlin expérimente maintenant des armes chimiques dont les ravages sont indescriptibles. Tout cela n’a plus aucune commune mesure avec le but poursuivi. La doctrine de Clausewitz selon laquelle « à mener la guerre sans égard, on fait le bien de l’humanité » me reste en travers de la conscience ».
Convoqué à Berlin avec Lückner, il fut reçu par l’amiral von Sheer lui-même, qui avait commandé l’escadre allemande à la bataille du Jutland. Il accepta de repartir avec le MOEWE car ce type de guerre, en fait une guerre de course, lui parut le seul moyen de soulager les misères de son pays sans se livrer aux massacres aveugles des champs de bataille terrestres. Luckner, lui, prit le commandement du SEEADLER.
Zu Dohna fut certainement l’un des officiers de marine les plus intelligent, clairvoyant et important de sa génération et il eût une forte influence sur Luckner.
Sources : Archives de Vincennes
"Luckner" par Gérard Jaeger Ed. Glénat
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