Lancé en 1892 au chantier Barclay Curle pour le compte de l’armateur Shankland Burne & Co.
Destiné aux voyages de jute, il fut en fait utilisé pour le transport des blés d’Oregon.
Il fut longtemps commandé par le capitaine Howard Raë, un spécialiste des passages du cap Horn qui n’hésitait pas à descendre très loin au sud, parfois jusqu’à 70° S, pour enlever le terrible cap d’un seul bord.
Ce capitaine, surnommé "Springburn", était alors célèbre dans le monde maritime. Ses hommes avaient un jour enlevé un certain Brown, redoutable marchand d’hommes, shangaïeur de San Francisco. Cousu dans un sac et transporté à bord, il ne revit le jour qu’en pleine mer et dut faire un voyage entier Californie-Capetown comme matelot, en plein hiver. Il eût donc tout loisir de comprendre ce qu’était le métier !
Quatre-mâts barque en acier, à Jubilee Rig.
4230 tpl 2500 tx JB 2421 tx JN
Racheté en 1907 par la compagnie Bordes et renommé ALEXANDRE (3e du nom).
Il remplaçait l’ALEXANDRE II, lancé en 1902 aux chantiers de Dunkerque et qui s’était perdu corps et biens le 21 Novembre 1903 à 30 milles dans l’Est de Whitby. Sur lest, en remorque de l’ATLAS, il se rendait de Dunkerque à la Tyne lorsqu’une furieuse bourrasque l’assaillit. Le remorqueur dut le larguer et ne le retrouva pas une fois le grain passé. Le lest avait dû riper et le voilier chavirer en quelques minutes.
La perte de l’ALEXANDRE
Le capitaine était Eugène LEBRETON né le 9 Février 1880 à Saint Lunaire et inscrit à Saint Malo.
Le second était Edmond RAULT également inscrit à Saint Malo. L’équipage se composait de 32 hommes en tout.
Cette période de début 1917 est celle où, devant l’ampleur des pertes de navires, décision a été prise d’armer les navires de commerce, et notamment les grands voiliers. Ceci va contribuer à changer radicalement les conditions de navigation et la façon d’agir de l’adversaire qui devient extrêmement méfiant.
Mais le capitaine Lebreton fait partie des capitaines convaincus qu’en utilisant la ruse il parviendra à détruire le sous-marin ennemi. Très vite, on se rendra compte que si cela est possible sur les vapeurs, c’est une autre affaire sur ces grands voiliers, peu manoeuvrants lorsqu’ils sont chargés aux marques et que la brise est faible.
Le 6 Juillet 1917, l’ALEXANDRE quitte La Pallice en compagnie du REINE BLANCHE. En route il croise les voiliers Bordes MARTHE, capitaine Yves Leff (que nous retrouverons plus tard) MADELEINE, capitaine Alexandre Lévèque et les voiliers de la Société Générale d’Armement de Nantes VERSAILLES, capitaine Charles Populaire et VILLE DE MULHOUSE, capitaine Rozé.
Le 1er Août, l’ALEXANDRE passe entre les Açores et Madère.
Rapport du capitaine Lebreton
« Vers 04h45 j’ai été prévenu par l’officier de quart qu’on apercevait par bâbord un sous-marin de grandes dimensions, naviguant en surface à une distance que j’ai estimée être de cinq à six milles. La vitesse du navire était à ce moment presque nulle suite au fléchissement de la brise. N’ayant plus aucun doute sur la nature de ce bâtiment, j’ai fait prendre immédiatement toutes les précautions nécessaires en pareil cas : mis tout le monde aux postes de combat, disposé les embarcations de sauvetage, fait capeler les ceintures. J’ai attendu jusqu’à 05h30 le premier coup de semonce qui est tombé à environ 50 mètres sur bâbord avant. Le laps de temps écoulé entre lueur du coup et perception du son m’a permis de conclure que l’ennemi était à une distance d’environ 11000 mètres.
Or les deux pièces de 90 mm composant l’armement du navire ont une portée maximum de 9000 m. Je me trouvai donc dans l’impossibilité d’engager le combat dans de telles conditions étant donné, par surcroît, le peu de force du vent régnant.J’ai pensé avoir quelques chances d’inciter le sous-marin à s’approcher à portée en m’abstenant de hisser le pavillon national, afin de le laisser dans le doute sur la nationalité de mon navire. Mais ce stratagème n’a eu aucun résultat et à 05h45 un deuxième obus tiré à peu près à la même distance est passé juste au dessus du milieu du navire et est allé exploser à quelques centaines de mètres plus loin, par tribord. Le but était donc encadré, sans aucune possibilité de tirer puisque le sous-marin était hors de portée, ou de manoeuvrer par suite du peu de vent. L’ennemi pouvait se placer à sa convenance sans courir le moindre risque pour son compte.
Entre les deux coups de canon, il m’avait signalé, par pavillons, d’envoyer à son bord les papiers du navire, puis est allé se placer dans le soleil levant où il devenait pour ainsi dire invisible.
Etant donné ces conditions, j’ai estimé de mon devoir de ne pas tenter une résistance impossible et de tâcher de sauver mon équipage. Les embarcations ont été amenées à l’eau et j’ai envoyé le second capitaine Edmond Rault avec l’une d’elle et six hommes, porteur de l’acte de francisation, congé, patente et rôle d’équipage. J’ai hissé en même temps le signal « Une embarcation se dirige vers vous ».
Notre seul espoir était qu’à bord du sous-marin on ignorât peut-être que nous avions des canons et que le bâtiment viendrait à s’approcher à portée de nos pièces. Nos deux canons avaient été camouflés depuis le début du voyage et nous les tenions dissimulés sous des bâches. Mais le sous-marin ne fit pas le plus petit mouvement pour s’approcher . Il se mit seulement sur l’avant de l’ALEXANDRE toujours immobilisé. De ce fait, à moins d’un renversement improbable de situation, il apparaissait que mon pauvre stratagème avait fait long feu. »
Voici une photo de l’ALEXANDRE prise le 1er Août 1917 depuis le sous-marin, peu avant qu’il ne coule le voilier. L’équipage l’a sans doute déjà abandonné, car de toute évidence le sous-marin a fini par s’approcher tout près, et sur bâbord arrière, dans une position qui le mettrait à portée des canons.

Le commandant du sous-marin laissa partir les naufragés dans les baleinières. Ils durent parcourir 400 milles en cinq jours, à l’aviron et à la voile, avant d’atteindre Santa Cruz de La Palma, aux Canaries. Le rapport du capitaine n’indique pas de quelle façon fut coulé le voilier (sans doute pose d’explosifs sur la coque vu la position du sous-marin)
Le sous-marin attaquant
C’était le grand sous-marin U 155 du Kapitänleutnant Karl MEUSEL
La position indiquée est 33°33 N et 23°15 W
Cdlt
Olivier