CAMBRONNE
Lancé en 1897 au chantier Laporte de Grand Quevilly, près de Rouen, pour la Société des Voiliers Nantais (futurs Chargeurs de l’Ouest). Racheté en 1907 par la compagnie Bordes.
Trois-mâts barque du type GENERAL MELLINET (huit navires dans la même série)
Caractéristiques
2800 tpl 1863 tx JB 1633 tx JN
Longueur 81,29 m Largeur 11,20 m Creux 6,60 m
Voici le GENERAL MELLINET sister-ship du CAMBRONNE, à quai à Rouen. (Ce voilier se perdit au cap Lizard sous le nom de GUNVOR.)

La perte du CAMBRONNE
Le CAMBRONNE effectuait son dixième voyage du Chili sous le commandement du capitaine Arsène MATTHIEU, né le 31/05/1881 à Plouguenast et inscrit à Paimpol. Le second était Louis ROPARS, né le 09/10/1883 à Saint Quay-Perros et inscrit à Lannion.
Il avait quitté Antofagasta avec un chargement de nitrate le 28 Décembre 1916. Ayant franchi le Horn, puis passé le tropique du Capricorne le 20 Mars, il se trouvait au matin du 21 Mars par 20°10 S et 28° W lorsqu’il aperçut un grand trois-mâts carré faisant route à contrebord.
Matthieu redoutait les corsaires allemands, sachant que le SAINT THEODORE avait été coulé par le MOEWE près de l’ile de La Trinité le 13 Février précédent. Mais zu Dohna-Schlodien entrait ce jour-là triomphalement à Kiel, et personne n’avait encore entendu parler des exploits de von Luckner.
Il mit le cap à l’ENE toute la toile dehors. Pourtant, malgré la faible brise l’autre navire infléchit sa route et commença à gagner sur lui. Il devint évident qu’il possédait un moteur et que c’était un corsaire ennemi.
A deux milles de distance, Luckner hissa ses couleurs de guerre, les appuyant d’un coup de canon sur l’avant du CAMBRONNE, et lui intima l’ordre de mettre en panne.
Une garde armée vint à bord, sous les ordres du lieutenant Priess, et celui-ci conduisit Matthieu sur le SEEADLER , car il s’agissait du trois-mâts corsaire, en lui disant :
« Monsieur, le comte Felix von Luckner, capitaine de corvette de sa Majesté Guillaume II, vous fait savoir qu’il n’a pas l’intention de couler votre navire ».
Luckner, dont les intentions premières étaient de couler le voilier, s’était ravisé. Il avait à son bord les équipages de onze bâtiments envoyés par le fond : 263 prisonniers . Il avait déjà coulé 40 000 tonnes de marchandises.
« Nous n’avions plus assez de vivres et surtout d’eau douce ; il fallait songer à stopper cet accroissement de population » a écrit plus tard von Luckner.
Le transbordement des hommes va aussitôt commencer. Parmi eux les équipages des voiliers français ANTONIN, CHARLES GOUNOD, DUPLEIX et LA ROCHEFOUCAUD.
Luckner fait aussi scier les mâts de flèche et jeter à la mer la drome et les voiles de rechange afin d’éviter que le CAMBRONNE n’atteigne trop rapidement la côte brésilienne.
Avant de se séparer de ses « hôtes », il donne une fête au cours de laquelle il fait jouer par ses musiciens la Marseillaise et les hymnes anglais et allemand.
Puis se pose le problème du commandement du CAMBRONNE. Sur le conseil de ses officiers, Lüdemann et Priess, il finit par choisir le doyen du «club des capitaines », l’Anglais John Mullen, ancien commandant de la PINMORE, dont le fair-play l’avait séduit. Luckner avait d’ailleurs effectué son premier voyage au long cours comme matelot léger sur la PINMORE.
Terriblement courroucé, le capitaine Matthieu finit par accepter la décision du corsaire et le pavillon britannique remplaça donc le pavillon français à la corne du CAMBRONNE.
Luckner n’en déclara pas moins à ses officiers :
« -Avec tous ces capitaines français, je suis plutôt heureux que ce ne soit pas moi qui eusse à commander le CAMBRONNE. Le brave Mullen aura besoin de toute son autorité pour se faire obéir ! »
Voici une vue du CAMBRONNE, mâts sciés, pris depuis le SEEADLER.

Finalement, la traversée jusqu’à Rio de Janeiro s’effectua en 9 jours au lieu des 48 heures normales et le voilier entra dans cette magnifique baie le 30 Mars. A bord, tout s’était bien passé, ces marins, bien que parfois irascibles, étant des gens responsables.
Le capitaine Matthieu reprit donc le commandement de son navire et, après réparations, quitta Rio le 14 Avril pour la France. Tous les autres commandants, rapatriés sur Brest par le paquebot MALTE, étaient arrivés bien avant lui.
Entre temps, le capitaine Le Glohaec, du LA ROCHEFOUCAUD, avait remis au consul de France à Rio un long rapport descriptif accompagné d’un plan du SEEADLER. Ce document servit à diffuser le signalement du corsaire dans les rangs alliés. L’Allemagne toute entière apprit alors l’existence de ce capitaine corsaire par la presse ennemie. Lückner bénéficia d’une extraordinaire publicité, volant presque la vedette aux corsaires du MOEWE.
Voici ce plan, sur lequel on note la présence de torpilles, en fait inexistantes.

Les capitaines qui ont collectivement rédigé le rapport ont écrit :
« Prétend avoir des torpilles automobiles. A tous les capitaines des navires capturés, le commandant dit en avoir à bord, à fond de cale, entre la machine et le grand mât. Mais lors de la capture du vapeur HORNGARTH qui fut mitraillé, on expliqua à l’équipage que c’était parce que la partie arrière, recouverte d’un taud, laissait supposer qu’il possédait un canon. Il ne fut aucunement question de l’emploi de torpilles ».
Il y avait donc un doute sérieux dans leur esprit.
2e attaque du CAMBRONNE
Tandis que le SEEADLER faisait route vers le Pacifique, le CAMBRONNE, lui, approchait des côtes françaises.
Le 8 Juillet 1917, il se trouvait au large golfe de Gascogne par 47°34 N et 07°30 W lorsqu’il fut à nouveau arraisonné, par un sous-marin cette fois.
Le capitaine Matthieu fit mettre une baleinière à la mer. L’équipage ne disposait pour se sauver que d’une seule baleinière, la seconde ayant été sérieusement avariée par un paquet de mer lors du passage du Horn et n’ayant pu être réparée par les moyens du bord.
A peine la canot à l’eau, un obus explosa au dessus de lui blessant grièvement le matelot Cauzique qui décrochait les palans des garants.
Les Allemands s’emparèrent des instruments de navigation, puis disposèrent des explosifs à bord. Le CAMBRONNE coula en moins d’une minute.
Le 10 Juillet, la baleinière arriva en vue de l’ile de Sein. A 06h45, le matelot Cauzique rendit le dernier soupir. A 11h00, les rescapés débarquaient à l’ile de Sein.
Deux mois plus tard, le 20 Septembre, le capitaine Matthieu allait rembarquer sur VICTORINE et sera à nouveau coulé, le 6 Octobre, après un violent combat avec un sous-marin. Une telle accumulation de malchance demeure toutefois l’exception.
Le sous-marin attaquant
C’était l’UC 72 de l’Oberleutnant z/s Ernst VOIGT.
Ce sous-marin devait disparaître cinq semaines plus tard, le 20 Août.
Notes sur le capitaine Matthieu
Né le 31 Mai 1881 à Plouguenast, près de Loudéac, Arsène Matthieu fut mousse dès l’âge de quinze ans sur le COQUIMBO. Il fut ensuite matelot sur l’A.D. BORDES en 1899, puis sur des voiliers de l’armement nantais Guillon et Fleury, JULES VERNE et TOURAINE.
1903-1904 service militaire au 2e dépôt de Brest.
Puis cours de lieutenant au long cours à l’école d’hydrographie de Paimpol.
Lieutenant sur A.D. BORDES et DUNKERQUE.
Brevet de capitaine au long cours en 1908. Il embarque alors comme second sur l’ANTONIN, puis sur le vapeur MAGELLAN et enfin sur le VALPARAISO. En 1914 il prend le CAMBRONNE comme commandant (arraisonné, puis coulé), puis le VICTORINE (arraisonné et coulé).
L’année 1917 ne lui fut donc guère favorable.
Il commandera ensuite à la Société des Voiliers Parisiens (MARGUERITE MOLINOS) et à la Société des voiliers Nantais (AMIRAL DE CORNULIER).
Il naviguera enfin comme second sur divers vapeur jusqu’en 1930 avant d’entrer comme officier de port à Oran où il décèdera en Mars 1944.
Homme haut en couleur, il avait été remarqué par le capitaine Louis Bégaud qui l’avait eu comme second sur le MAGELLAN (voir fiche de ce navire).
Il avait été noté ainsi : « Très énergique ; sait conduire les hommes ; excellente conduite ; un des meilleurs seconds que Morfouace (nota : capitaine d’armement de chez Bordes) ait jamais eus. »
Source : "Mémoires des marins de la Compagnie Bordes" de Brigitte et Yvonnick Le Coat.
Cdlt
Olivier