Bonjour à tous,
Torpillage du 28 Juin 1917. Rapport du second maître pilote JOURDREN
Appareillé de La Pallice le 27 Juin 1917 avec le vapeur belge MAZOUT, capitaine Laurence, allant de Lisbonne à Falmouth avec un chargement de noix de palme. Pris la tête du convoi de 5 bâtiments escorté par SAUTERELLE et CAROLINE 5. Mouillé le 28 Juin sur rade de Quiberon sans incident.
Le 28 Juin, embarqué sur vapeur français MARNE 1, capitaine Chateauvieux, allant de Sunderland à Bordeaux avec un chargement 6379 t de charbon. Traversée sans incident jusqu’à 3 milles au Sud de La Banche. Deux vapeurs venant de la Loire se joignent au convoi qui comporte alors 7 navires escortés par les mêmes convoyeurs que la veille.
Liste des navires
Organisation du convoi
A 22h25, MARNE 1, qui était en tête du convoi, fait route au Sud vrai, cap sur la droite de la bouée lumineuse de la Chaussée des Bœufs que l’on distingue très bien quand une forte explosion se produit, ébranlant le navire de bout en bout. MARNE a été torpillé en son milieu, par le travers de la chaufferie. Le bâtiment prend une forte bande sur tribord, mais continue à avancer, la machine n’étant pas stoppée.
Au moment de l’explosion j’étais sur la passerelle avec l’officier de quart et le timonier. L’homme de bossoir était à son poste à l’avant. Temps couvert et lune masquée par les nuages. Le capitaine a aussitôt pris la direction du sauvetage et ordonné, du haut de la passerelle, la mise à l’eau des embarcations. Devant embarquer dans la baleinière de bâbord, je me suis dirigé vers cette embarcation autour de laquelle s’empressaient plusieurs hommes. Pour une cause que j’ignore, le palan arrière a été largué et l’embarcation est restée suspendue par l’avant le long du bord. Tous les hommes qui la montaient ont été précipités à la mer. J’ai voulu amener le youyou pour porter secours à ces hommes dont certains n’avaient pas mis leurs ceintures de sauvetage. J’ai appelé un matelot et nous avons coupé la saisine du youyou et l’avons amené au ras de l’eau. Mais nous nous sommes aperçu que l’explosion avait crevé le flanc bâbord de MARNE et que les tôles, refoulées de 50 cm vers l’extérieur, rendaient très difficile la mise à l’eau du youyou. J’ai proposé au capitaine de descendre par les palans pour déborder le youyou et il a accepté.
Nous avons pu le mettre à la mer, mais la vitesse du navire ne permettait pas de décrocher les palans. Il fallut couper la bosse pour empêcher le youyou de se démolir sur les tôles déchiquetées et le faire culer. C’est alors que l’embarcation pendue par son garant avant fut brusquement amenée et vint frapper violemment l’arrière du youyou, le défonçant et le coulant. Le matelot qui était avec moi faillit être tué, mais réussit à parer le coup. Nous nous accrochâmes alors à la baleinière et réussîmes à y embarquer. D’autres hommes y embarquèrent par les palans, malgré l’inclination et la vitesse du navire qui était bien grande alors qu’il s’enfonçait dans la mer. Il ne restait à bord que le capitaine qui dirigeait la manœuvre avec le plus grand calme et ne voulait quitter son bord qu’au dernier moment. Il restait encore un homme ou deux quand la bosse de la baleinière cassa et celle-ci s’éloigna du navire. Les avirons furent armés et nous tentâmes de rattraper le navire, mais nous le vîmes disparaître par l’avant.
Nous aperçûmes alors une masse noire, assez basse sur l’eau, qui avançait dans notre direction. Craignant que ce ne fut le sous-marin allemand en surface, nous nous en éloignâmes le plus possible. Mais dans un éclat de feu du Pilier, je reconnus le convoyeur et fit mettre le cap dessus tout en attirant son attention par des cris. Nous ayant aperçus, il s’approcha suffisamment pour nous lancer une amarre malgré le mauvais état de la mer. Une fois embarqué sur SAUTERELLE, je prévins le commandant que le capitaine de MARNE avait du sauter à la mer quelques centaines de mètres plus loin. Le cap fut mis dans cette direction et quelques minutes plus tard, nous entendîmes des appels. Nous recueillîmes le capitaine et un matelot accrochés à des épaves provenant du bâtiment. Nous restâmes à explorer les lieux jusqu’à minuit quinze et n’entendant plus aucun appel le commandant de SAUTERELLE fit remettre en route pour rattraper le convoi que nous rejoignîmes en rade de La Pallice le 29 Juin à 10h45.
Je tiens à signaler la façon dont nous avons été reçu sur SAUTERELLE par le commandant et l’équipage et la bonne volonté et le zèle que tous ont déployé dans le sauvetage.
Rapport d’enquête
MARNE 2459 tx JN
Affrété par le Gouvernement français.
Traversée Sunderland-Bordeaux (1er voyage du navire sortant des chantiers)
Armé de 2 canons de 90 mm modèle 1877 sur affût 1916. N’ont pas tiré faute de cible
Capitaine CHATEAUVIEUX Jérôme. CLC. LV auxiliaire. La Rochelle n° 51
7 navires en ligne de file espacés de 400 à 800 m.
Coulé par torpille. Le chef mécanicien a fait aussitôt stopper les machines mais le navire a continué un bon moment sur son erre.
Un officier de MARNE croit avoir aperçu des signaux Morse après l’abandon
Pas d’appel TSF matériel et antenne ayant été brisés.
Instructions de routes dans une boite plombée ont coulé avec le navire.
Déchirures symétriques de 3 à 4 m sur Bd et Td dans la cale 4 pleine aux 2/3.
Tous les feux étaient masqués.
Equipage français sauf TSF anglais et un passager arabe d’Aden gagnant son passage en travaillant.
1 chauffeur a été tué par l’explosion et 10 Français ont disparu.
Le capitaine a fait une ronde dans toutes les parties accessibles avant le naufrage et a trouvé le chauffeur arabe dans le poste arrière. Il lui a donné sa ceinture de sauvetage et l’a mis à l’eau sur un panneau de cale. Puis il s’est lancé lui-même à l’eau quand elle a atteint le pont.
Le navire a d’abord coulé droit, puis s’est couché sur bâbord et a finalement coulé verticalement par l’avant. L’arrière est complètement sori de l’eau et est resté un bon moment dans cette position, l’avant touchant probablement le fond qui n’est qu’à 15 ou 20m.
Conclusion de la commission
La commission estime que le capitaine a fait son devoir et a donné les ordres nécessaires pour l’évacuation. Il a quitté le navire le dernier après avoir fait une ronde au cours de laquelle il a sauvé un chauffeur. Il a été recueilli le dernier et nous le proposons pour une citation.
Récompense
Citation à l’Ordre de la Brigade
CHATEAUVIEUX Jérôme Lieutenant de Vaisseau auxiliaire La Rochelle n° 51
Pour l’exemple de courage qu’il a donné et l’énergie dont il a fait preuve lors de l’évacuation de son navire torpillé. Signé Lacaze
Note du 2 Juillet 1917 du CF PETIT, Commandant les torpilleurs de Brest à l’Amiral commandant le Front de Mer
Le second maître pilote JOURDREN se trouvait le 28 Juin dernier sur le vapeur MARNE 1 bâtiment tête d’un convoi qui allait de Quiberon à La Pallice et qui a été torpillé au Sud de La Banche à 22h25.
Je me permets d’attirer votre attention, Amiral, sur la conduite de ce second maître qui se trouve à nouveau mêlé à une action militaire pour laquelle il ne mérite que des éloges.
Par le calme dont il a fait preuve et l’autorité qu’il a su prendre il a contribué à sauver le capitaine et une partie de l’équipage de MARNE.
En raison des faits antérieurs qui lui ont déjà valu un TOS, je vous demande pour lui une proposition extraordinaire pour le grade de Maître pilote.
Cdlt