6ème Légion
Cie de l’Oise
Arr. de Senlis
Brigade de Creil
N° de brigade 341
du 21 juin 1917
Procès-verbal constatant des renseignements sur un incident provoqué par le nommé Lombard Louis, S.D.F. sur la place Carnot à Creil.
Gendarmerie nationale
Cejourd’hui 21 juin 1917 à 14 heures 30
Nous, soussignés, Brasseur Gaston, gendarme à cheval et Jaubertie Henri, gendarme à pied, à la résidence de Creil, département de l’Oise, revêtus de nos uniformes et conformément aux ordres de nos chefs, certifions ce qui suit :
Agissant en vertu d’une note en date du 20 juin courant, de Monsieur le Capitaine Prévôt d’Etapes de la G.R. de Creil, prescrivant une enquête sur l’arrestation du nommé Lombard Louis pour excitation de militaires à l’indiscipline, actuellement détenu à la chambre de sûreté de notre caserne, en vertu d’un ordre d’écrou délivré par cet officier, nous nous sommes livrés à une enquête au cours de laquelle nous avons reçu les déclarations suivantes :
1°) Masson Paul, âgé de 49 ans, préparateur en pharmacie, demeurant à Nogent-sur-Oise, rue Gambetta, n°23, déclare :
Lundi 18 juin, entre 7 heures et 8 heures, un soldat vint frapper à la porte de la pharmacie, laquelle était fermée. Je lui fis réponse : “c’est l’heure de la fermeture.” Furieux, ce militaire qui était ivre, me menaça de me casser la figure, puis s’en alla s’asseoir sur un banc de la place Carnot en face de la pharmacie. M’ayant vu sortir de la pharmacie, il revint et m’insulta grossièrement, me traitant de fumier, plus bas que terre, etc... et autres mots analogues. Voyant la surexcitation de cet énergumène, je le fis entrer dans la pharmacie pour essayer de le calmer. Au même instant, un civil que je ne connais pas et dont j’ignorais même la présence, se précipita dans le magasin puis, m’intima l’ordre de laisser sortir ce soldat. Monsieur Berger, mon patron, pharmacien aide-major, pria ce civil de sortir immédiatement, ce qu’il fit avec le militaire, mais sur le trottoir, s’adressant à Monsieur Berger, il le traita d’embusqué, bon à rien, etc. ... mêlant dans ses insultes tous les officiers de l’armée. Le soldat qui était avec lui cria aussi : “A bas la guerre, vive la paix, vive la révolution” ameutant par ses cris la foule qui s’était amassée, prête à prendre fait et cause pour ces derniers. En voyant cela, j’ai été prévenir la Place. Je reconnais l’individu que vous me présentez comme celui ayant insulté Monsieur Berger et moi et qui avec le militaire, auraient pu provoquer des troubles plus graves.”
Lecture faite à Monsieur Masson de sa déclaration, l’a reconnue exacte a déclaré y persister et a signé avec nous. Masson.
2°) Argnon Jules, âgé de 50 ans, bourrelier, demeurant à Creil, 13 rue Gambetta, déclare :
Lundi 18 juin vers 8 heures du soir, j’ai vu un attroupement formé par un groupe de militaires et des civils discutant bruyamment dans la rue. A un moment donné, j’ai entendu un homme qui se trouvait à quelques pas de moi, tenir ce langage, tout en désignant la pharmacie Berger : Il y a ici en face un officier embusqué, j’en suis sûr, je le connais. Je me suis approché de cet homme et je lui ai dit : Vous ne devriez pas avancer ces paroles, car vous vous trompez. Monsieur Berger est sur le front et il a comme tant d’autres une permission. Il m’a répondu qu’il ignorait cela, puis je ne sais plus ce qui s’est passé, car le groupe s’est dispersé et je suis rentré chez moi. J’ai bien vu de loin des militaires que les hommes de garde voulaient conduire à la Place, mais je ne sais plus non plus comment et pourquoi a commencé cette affaire.
Je reconnais formellement l’individu que vous me présentez comme celui ayant tenu les propos dont il est parlé ci-dessus.”
Lecture faite à Monsieur Argnon de sa déclaration, l’a reconnue exacte a déclaré y persister et a signé avec nous.
Argnon.
3°) Cazier Louise, femme Moinard, âgée de 54 ans, négociante, demeurant à Creil rue Gambetta, n°8, déclare :
“Lundi 18 juin vers 7 heures 30 environ, j’ai remarqué un attroupement formé par des militaires et des civils sur le trottoir face à ma maison. J’ai vu aussi un individu paraissant pris de boisson discutant avec les personnes présentes, mais je n’ai pas entendu les propos que tenait cet homme. Des gens disaient que c’était un Grec, mais sans plus être affirmatifs. C’est pour cela que je suis venue prévenir la Place pour que cet homme qui paraissait vouloir provoquer du désordre soit arrêté. Je le reconnais formellement.”
Lecture faite à la nommée Cazier de sa déclaration, l’a reconnue exacte a déclaré y persister et a signé avec nous : L. Moinard.
4°) Berger, Gaston, âgé de 44 ans, pharmacien aide-major de 1ère classe aux armées en permission de 7 jours à Creil, rue Gambetta n°8 déclare :
“Lundi 18 juin vers 8 heures du soir, je me trouvais dans ma pharmacie lorsque tout à coup un militaire pris de boisson y pénétra sans savoir ce qu’il voulait. Voyant que j’avais affaire à un homme ivre, j’ai essayé de la prendre par la persuasion; comme je lui causais, un civil y pénétra à son tour et me dit : Vous allez laisser sortir ce soldat. Tous les deux alors sortirent sur la rue, puis s’éloignant, le civil me traita “d’embusqué” et autres mots que je n’ai pas compris.
J’ajoute que pendant cette scène, une foule considérable ameutée par ces deux hommes, s’était amassée sur le trottoir et dans la rue et vu les circonstances actuelles, pouvait faire dégénérer cette petite affaire en une manifestation plus importante, car des cris séditieux ont été poussés de la foule qui semblait sans raison aucune vouloir prendre partie pour ces gens.
Je reconnais cet homme comme celui m’ayant traité d’embusqué”.
Lecture faite à Monsieur Berger de sa déclaration, l’a reconnue exacte, a déclaré y persister et a signé avec nous: Berger.
Interrogé sur les faits qui lui sont reprochés, le nommé Lombard Louis, Édouard, âgé de 49 ans, sans domicile fixe, nous a déclaré :
“ Lundi 18 juin courant, dans la soirée, j’étais ivre et je ne sais pas ce que j’ai fait et ne me rappelle nullement être entré dans la pharmacie de Monsieur Berger. J’étais en compagnie de militaires de passage, que je ne connais pas. Je nie les avoir excités à l’indiscipline. Au contraire, je me rappelle vaguement avoir dit à un soldat qui criait, de se taire. Quant aux propos que l’on me reproche, je me rappelle plus les termes que j’ai employés et ne sais si je me suis servi de l’expression “embusqué” pour désigner Monsieur Berger. J’ai agi sous l’emprise de la boisson, n’ayant aucune idée anarchiste ou révolutionnaire.”
Lecture faite à Lombard de sa déclaration, l’a reconnue exacte, a déclaré y persister et a signé avec nous : Lombard.
Des renseignements recueillis à Creil près de différentes personnes qui ont employés Lombard, notamment Monsieur Parmentier, entrepreneur de transports, il résulte que cet individu est un ivrogne invétéré et que sous l’emprise de la boisson, il serait capable de tous faits qui font l’objet des déclarations qui précèdent et que de l’ensemble de ces dernières, il aurait excité les militaires de passage à l’indiscipline, le lundi 18 juin courant dans la soirée.
En foi de quoi nous avons rédigé le présent en deux expéditions destinées, la première à Monsieur le Commandant d’Etapes de la G.R. de Creil sous le couvert de Monsieur le Prévôt d’Etapes, la deuxième aux archives de brigade, conformément à l‘article 298 du Décret du 20 mai 1903.
Fait et clos à Creil, le jour, mois et an que d’autre part.
Signé : G. Brasseur et H. Jaubertie.
État civil : né le 17 janvier 1868 à Orchies (Nord) fils de feux Édouard et de Marie Delzume, réfugié, S.D.F. , célibataire, déjà condamné, sait lire et écrire, élevé par ses parents jusqu’à l’âge de 18 ans. Degré d’alcoolisme inconnu.
Situation militaire : classe 1888. Renvoyé dans ses foyers par décision ministérielle du 27 décembre 1914.
Signalement : taille 1 mètre 67, cheveux et sourcils chat grisonnant, front étroit, nez rectiligne sinueux, yeux gris clairs, menton rond, visage allongé et teint coloré.
Tatoué sur l’avant bras droit.
N°632/3 Vu et transmis à Monsieur le Commandant d’Etapes.
Lombard a été arrêté par mes soins le 18 juin 1917 vers 20 heures 30, Place Carnot à Creil au milieu d’une foule mise en effervescence par l’arrestation d’un militaire et d’un civil. J’estime en raison des circonstances actuelles et des faits ci-dessus que Lombard pourrait être traduit en Conseil de Guerre sous l’inculpation d’excitation de militaires à l’indiscipline et au désordre sur un territoire en état de siège.
Aux Armées le 22 juin 1917
Le Capitaine Prévôt d’Etapes, signé : ...
CCM 09/12/2006
Entre les lignes...
- Charraud Jerome
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Re: Entre les lignes...
Bonsoir
Alain, merci pour cet "exercice de style" à la Queneau concernant l'altercation de la place Carnot de Creil.
Pensez donc, un SDF, à l'époque, c'était déjà douteux.
Je note que le rapport signale que l'on ne connait pas son degré d'alcoolisme, un traine-la-rue est alcoolique obligatoirement. Même si on ne peut rien prouver, on utilise quand même la notion.
Cordialement
Jérôme Charraud qui, demain, pensera à vous, Alain, lorsqu'il passera non loin de la Tranchée de la Creute.
Alain, merci pour cet "exercice de style" à la Queneau concernant l'altercation de la place Carnot de Creil.
Pensez donc, un SDF, à l'époque, c'était déjà douteux.
Je note que le rapport signale que l'on ne connait pas son degré d'alcoolisme, un traine-la-rue est alcoolique obligatoirement. Même si on ne peut rien prouver, on utilise quand même la notion.
Cordialement
Jérôme Charraud qui, demain, pensera à vous, Alain, lorsqu'il passera non loin de la Tranchée de la Creute.
Les 68, 90, 268 et 290e RI dans la GG
Les soldats de l'Indre tombés pendant la GG
"" Avançons, gais lurons, garnements, de notre vieux régiment."

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