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source : http://www.lepoint.fr/societe/l-inconnu ... 688_23.php
L'inconnu qui a inventé le Soldat inconnu
Mémoire. Il y a cent ans, Francis Simon lançait une idée reprise depuis dans le monde entier : honorer un anonyme tombé pour la patrie.
Par François-Guillaume Lorrain
Publié le 25/11/2016 à 11:33 | Le Point.fr
Le 26 novembre, au cimetière rennais de l'Est, Jean-Yves Le Drian viendra saluer la mémoire d'un illustre inconnu. On aura mis exactement un siècle pour rendre à Francis Simon ce qui appartient à Francis Simon : l'invention du soldat inconnu. Ce jour-là, le ministre de la Défense aura pour défi de renouer avec les accents lyriques que ce vice-président du Comité du souvenir français de Rennes eut au même endroit le 26 novembre 1916 : « Pourquoi la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l'un de ces combattants ignorés morts bravement pour la patrie, avec, pour inscription sur la pierre, deux mots : UN SOLDAT – deux dates : 1914-1917 ? » Car le riche imprimeur espérait alors, comme ses compatriotes, qu'on en aurait fini avec la boucherie l'année suivante.
Le 26 novembre 1916, Francis Simon assume son rôle de dirigeant local d'une association, Le Souvenir français, créée en 1887 à Neuilly-sur-Seine par un Alsacien pour entretenir les tombes des soldats tombés pendant la guerre de 1870. C'est Serge Barcellini, actuel président de ¬l'association, forte encore de 200 000 membres, qui a attiré l'attention du gouvernement sur le cas Francis Simon. À l'époque, celui-ci avait de bonnes raisons de proposer cet hommage nouveau. Jusqu'à la mise en place des plaques militaires en 1915, le nombre de soldats tués non identifiés fut faramineux. Les cimetières en zone de guerre étaient encore inaccessibles, les familles protestaient. Après la Grande Guerre, sur 1,45 million de soldats morts, 725 000 seront enterrés dans les cimetières militaires et 300 000 restitués aux familles. Le calcul est simple : à la fin de la guerre, il y avait 400 000 soldats français inconnus dont certains finirent dans les ossuaires.
Un modèle de mémoire mondialisé
Comme souvent, l'inspirateur va être oublié. Le 19 novembre 1918, le député Maurice Maunoury dépose une proposition de résolution qui reprend l'idée de Simon. A-t-il eu vent de ce discours imprimé et largement diffusé ? Possible. « Rien ne permet de l'affirmer, admet Serge Barcellini, mais le texte de Simon est le premier qui fasse mention du soldat inconnu. » L'affaire traîne jusqu'en 1920, car le gouvernement pousse un autre projet pour célébrer les deux ans de l'armistice : transférer Gambetta au Panthéon et refermer ainsi la boucle des deux guerres, 1870 et 14-18. Le Parlement, représentant des soldats et de leurs familles, fait pression pour qu'une cérémonie rende l'hommage attendu aux combattants. Le gouvernement cède le 2 novembre, le projet de loi est adopté dans la précipitation le 8. Le lendemain, à Verdun, huit soldats inconnus issus des principaux champs de bataille, dont on a vérifié qu'ils étaient français – leur uniforme bien conservé le permet encore –, sont soumis au choix d'un jeune volontaire qui a remplacé au pied levé un Martiniquais tombé malade. Un seul soldat manque, celui du front d'Orient, que l'on n'a pas eu le temps d'acheminer ; après guerre, les anciens d'Orient obtiendront leur « inconnu », installé à Marseille.
En 1920, le monde combattant fait pression pour que la translation ait lieu non au Panthéon, réservé aux figures politiques, mais à l'Arc de triomphe, que l'on ferme en urgence aux voitures le 11 novembre. Francis Simon n'est même pas invité à la cérémonie. Mais son idée va essaimer. Dans les années qui suivent la Première Guerre, le Commonwealth, le Portugal, l'Italie (sur les flancs du Capitole), les États-Unis (à Arlington), la Belgique ou la Roumanie suivent le mouvement. L'Inde fait de même en 1972, l'Algérie inaugure son soldat tombé pendant la guerre d'indépendance en 1982 à Alger, cinq ans après que Valéry Giscard d'Estaing a consacré la tombe du soldat inconnu français mort pendant la guerre d'Algérie. Le lieu choisi ? La nécropole de Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais), qui abrite aussi depuis 1950 le soldat inconnu de la Seconde Guerre mondiale. Une bizarrerie, puisqu'on ne s'y est pas battu durant ce conflit.
Preuve que ce soldat inconnu incarne l'indépendance nationale ? Les cas de l'Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande. Depuis vingt ans et leur éloignement du Commonwealth, ces pays ont choisi leur héros anonyme pour cette première guerre qui fut aussi à l'origine de leur nation. Un modèle de mémoire mondialisé mais made in France.
Bien cordialement
Jean-Louis
