1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Avatar de l’utilisateur
pierret
Messages : 738
Inscription : jeu. févr. 03, 2005 1:00 am
Localisation : BOURG-EN-BRESSE

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par pierret »

Bonsoir

source : http://www.lepoint.fr/editos-du-point/j ... 081_53.php

1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Le Point.fr - Publié le 23/11/2013 à 12:59

Jean Guisnel

Le général Christian Baptiste, directeur du musée de l'Armée, se confie sur le sort des fusillés pour l'exemple de la Première Guerre mondiale.

Le Point.fr : Lors de son discours du 7 novembre ouvrant les cérémonies du centenaire de la Première Guerre mondiale, François Hollande a demandé "qu'une place soit accordée à l'histoire des fusillés au musée de l'Armée". Quelles réactions cette annonce vous inspire-t-elle ?
Général Christian Baptiste : Nous avions été informés de cette possibilité. Elle nous engage à une démarche historique et pédagogique scientifiquement rigoureuse, qui fait suite au travail de fond engagé par l'historien Antoine Prost dans son rapport Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? Un point de vue historien. Il suggérait alors quatre attitudes. Tout d'abord, ne rien faire et laisser les choses en l'état. Deuxième voie : la réhabilitation générale demandée par certaines associations, qui n'auraient pas tenu compte de certaines condamnations à mort qui ne sont pas contestées par les poilus, pour meurtre par exemple. La troisième proposition consistait à réhabiliter certains fusillés, au cas par cas, ce qui aurait exigé à chaque fois une réouverture du procès de l'époque. Le quatrième choix, qui avait la faveur des historiens, conduisait à lancer une initiative forte sous forme d'un discours présidentiel symbolique, assorti d'un acte pédagogique. C'est ce qui a été fait.

Et pourquoi le musée de l'Armée ?
Quand nous avons connu la direction que prenait la réflexion du président de la République, l'idée du musée de l'Armée s'est présentée comme, oserais-je dire, une évidence ! Ce musée, que j'ai le grand honneur de diriger, se situe aux Invalides, lieu, depuis 1670, de l'expression de l'affection de la nation pour ses soldats. Dans ce domaine, c'est l'un des plus beaux musées du monde, qui traite avec justesse des sujets difficiles : il a récemment présenté une exposition sur la période coloniale française en Algérie, qui n'a pas éludé les sujets difficiles et a été accueillie de la façon la plus élogieuse. Nous présentons actuellement une exposition sur l'Indochine, "Des territoires et des hommes", elle aussi excellemment reçue.

Mais les fusillés pour l'exemple ne demeurent-ils pas un objet de polémique, cent ans après les faits ? La mise en cause des tribunaux militaires ne risque-t-elle pas de susciter de vives réactions ?
Ne pensez pas que la communauté militaire demeure dans le non-dit. Dans l'exposition sur l'Algérie, nous avons traité la question de la torture et présenté le livre d'Henri Alleg La question ! Le drame des fusillés n'est pas à considérer, si vous me permettez l'expression, comme une patate chaude, mais comme un sujet historique ! Nous nous efforçons, en permanence, d'appliquer la formule de Paul Ricoeur, que je fais mienne : "Il revient à l'historien de comprendre. Pas d'inculper ni de disculper." Je vous garantis que l'équipe du musée de l'Armée, sous la direction éclairée du conservateur général du patrimoine David Guillet, entend appliquer les principes de rigueur scientifique, de volonté pédagogique, d'utilité sociale et de force esthétique. En revanche, pour ne pas blesser inconsidérément, nous évitons de nous appesantir inutilement.

Comment comprenez-vous l'ambition "pédagogique" de François Hollande ?
Bien des choses sont à posément expliquer, si nous voulons que le dernier sujet polémique de cette Grande Guerre s'apaise : les 2 500 condamnations à mort prononcées, les 740 exécutions effectives, dont 640 à 650 pour l'exemple. Les contextes sont différenciés : durant les six premiers mois de la guerre, fin 1914 et début 1915, on fusille lourdement. Des conseils de guerre spécifiques ont été mis en place, composés de trois officiers, dont souvent le chef de corps. Les droits de la défense sont réduits au minimum, voire à rien. Parallèlement, le recours en grâce au président de la République est supprimé. Ces dérives, causées par l'urgence, entraîneront une reprise en main du politique, puis des réformes. Après les mutineries de mai-juin 1917, qui toucheront entre 40 000 et 80 000 poilus, 30 mutins seront fusillés.

Même dans les immenses Invalides, le musée de l'Armée n'est pas vraiment extensible. Avez-vous encore de la place, pour une telle présentation ?
Nous avons tout de même 20 000 mètres carrés d'exposition, parmi lesquels 4 000 consacrés à la période 1870-1945, dont 600 pour 1914-1918. Franchement, au-delà du problème de place, il s'agit, au final, de pouvoir présenter les acquis de la recherche historique sur ce dossier et de le faire avec justesse, proportion, et toute la nécessaire rigueur scientifique. Nous allons, bien évidemment et comme à l'accoutumée, nous appuyer sur les conseils d'un comité scientifique. Nous avons d'ores et déjà réfléchi à quelques suggestions à leur proposer afin d'intégrer ce dossier au sein du parcours consacré à la Première Guerre mondiale.


Cordialement

Jean-Louis

133° RI "Les Lions du Bugey"
"Pas s'en faire, pas s'en fichtre .... Le Lion atteint toujours sa proie"
chanteloube
Messages : 1547
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par chanteloube »

Bonjour,

Voilà des choses fort bien dites! En profiter pour évoquer H. Alleg et la torture me semble un peu audacieux mais bon.....
Après le général Bach qui a ouvert la porte en grand, nous voici totalement rassuré. On va enfin parler sans polémiquer.
De la part du Président je craignais des propos moins posés.
Cordialement
CC
Avatar de l’utilisateur
Eric Mansuy
Messages : 4290
Inscription : mer. oct. 27, 2004 2:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

"On va enfin parler sans polémiquer." : pouvoir en (re)parler, et que cela intéresse un tant soit peu, sans même polémiquer (ou en polémiquant), ce serait déjà bien. De toute évidence, le sujet s'est bien dégonflé depuis le 7 novembre, et la page semble tournée (hormis dans le cadre de revendications connues depuis des lustres, c'est autre chose).

Dommage, tant il y a encore à faire, à chercher, voire à trouver, sur ce thème.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
chanteloube
Messages : 1547
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par chanteloube »

Bonjour Eric,

Je suis moins pessimiste que vous: les choses bougent doucement....au sud, je viens d'avoir deux demandes en plein dans le sujet. Animer un débat. Faut-il ou non réhabiliter et qui? et même chose au nord: à Bonneuil sur Marne... 7 nov 2014. A bientôt CC
Avatar de l’utilisateur
Eric Mansuy
Messages : 4290
Inscription : mer. oct. 27, 2004 2:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,
Bonjour Claude,

Voilà bien ce qui me navre. "Faut-il ou non réhabiliter et qui ?" Une réponse à cette question a été apportée le 7 novembre dernier à l'Elysée : pas question de juger, moins encore de rejuger (je cite de mémoire). Il y a bien d'autres questions à se poser sur la problématique des fusillés que celle d'une hypothétique réhabilitation, mais rien à faire, l'on en revient toujours à ce sujet.

Pendant ce temps, qu'en est-il de ceux dont les noms et les délits ou crimes restent inconnus du grand public ? Qu'en est-il de ceux de la "zone grise", ces déserteurs multi-récidivistes ? Qu'en est-il de ceux qui ont échappé ou non à la loterie de condamnations aléatoires, en septembre 1914 et à l'été 1917, surtout ? Sans parler d'une vision plus large du fonctionnement de la justice militaire, ce qui englobe toutes les peines, et pas uniquement les condamnations à mort.

En prenant le sujet par le petit bout de la lorgnette de la réhabilitation, je crains que l'on ne perçoive plus un potentiel de découvertes non négligeable, au-delà. Dommage.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
chanteloube
Messages : 1547
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par chanteloube »

Bonjour à tous,
Bonjour Eric,

Je comprends bien votre raisonnement. Bien que du côté du fonctionnement de la justice militaire de grandes avancées aient été faites.
A propos de la "zone grise" -j'aime bien votre expression- il y a certes à creuser mais l'insoumission n'est pas si importante et il n'y a pas tant que ça de désertions si j'en crois ce que je trouve au cours de mes petites pérégrinations dans les archives. Je n'ai trouvé qu'un document faisant clairement allusion aux désertions de sentinelles et à la manière dont on peut les limiter. Ce qui est le signe qu'elles inquiètent le commandement j'en conviens.

Qu'en est-il de ceux qui ont échappé ou non à la loterie de condamnations aléatoires, en septembre 1914 et à l'été 1917, surtout ?
Le Général BACH a donné quelques indications sur cette question. Il faut creuser le sillon.
"Le petit bout de la lorgnette" ....mais il permet à notre pays de voir en face une de nos grandes hontes collectives récentes et douloureuses...comme "la collaboration", l'épuration de 45", la spoliation des biens juifs et le parc immobilier de Paris ou de Reims, "l'engagement dans la milice" ou "la division Charlemagne", la pratique de la torture ou le sort des Harkis. Nous avons sur notre sol plusieurs Oradour, les Algériens disent en avoir aussi. Il ne me console pas d'entendre dire: en face c'était pareil!
Le potentiel de découvertes est grand, c'est tout à fait vrai...mais le travail de recherche ne cesse pas avec nous, on commence à peine à comprendre ou à commencer de comprendre le sens des peintures rupestres....on est loin d'avoir épuisé le sujet des grandes civilisations africaines disparues et souvent encore niées, on est loin d'avoir fait le point sur la naissance du féodalisme: Braudel est remis en cause....toutes les "études historiques" conduites plus ou moins dans la mouvance du "marxisme historique" sentent aujourd'hui le soufre, on n'ose plus trop s'y référer...Parler du commerce triangulaire et de l'enrichissement des grandes familles Bordelaises déclenche une émeute.... N'oubliez pas que l’on a tenté de faire sauter l'histoire des programmes des grandes classes de Lycée...Uniquement pour récupérer des postes...vous y croyez?
Le fait que le public se pose la question de la réhabilitation montre que la conscience collective est entrain de travailler...Quelle que soit les positions de nos Présidents.
.Que des militaires du rang de Bach ou de Baptiste posent les questions et tentent d'apporter des réponses est une avancée formidable. Je vous concéde qu'on est encore loin du moment où l'on démontera sereinement les mécanismes des regroupements de population en Algérie à partir des archives, en montrant leur horreur mais aussi leur bons côtés.
Le temps des "repentances molles" est révolu.....celui de la recherche vient.....Inéluctablement il vient.... il se peut que ça dérange les "biens pensants"
Bien cordialement.
CC
Avatar de l’utilisateur
Eric Mansuy
Messages : 4290
Inscription : mer. oct. 27, 2004 2:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par Eric Mansuy »

Re,

Merci, cela étant l'expression de "zone grise" n'est pas de moi, mais du général Bach (je rends donc à César...).

Pour ce qui est des désertions, ou de délits qui ont pu précéder une condamnation à mort, elles représentent - au vu de 200 dossiers environ, en ce qui me concerne - une part non négligeable. Le phénomène est brièvement évoqué dans un ouvrage sur les fusillés qui vient de paraître, et dont je me passerai de faire la publicité, tant il est parcellaire, et tant il contient d'approximations et d'erreurs. Il contient au moins cette remarque intéressante, que l'on trouve néanmoins déjà chez Nicolas Offenstadt : plus que des crimes ou des délits précis, ce sont souvent des parcours qui sont jugés.

"Il faut creuser le sillon", en effet. Je ne suis pas sûr que les laboureurs se bousculent au portillon.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
garigliano1
Messages : 844
Inscription : dim. nov. 18, 2007 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par garigliano1 »

Bonjour à tous

Bonjour Eric


Comme tu le soulignes, la problématique des multi-récidivistes est bien réelle et cela mériterait des études plus approfondies, je dis des études car la quantité des dossiers à étudier est très importante. Il est donc nécessaire d’avoir un panel d’étude assez important avant d’en tirer des conclusions.

Dans son article du figaro, André Bach évoque ces récidivistes ainsi : on y trouve en particulier des déserteurs que j’appellerai « chroniques ». En effet, déserter en temps de guerre ne conduisait pas à la mort mais à la prison ou aux Travaux Publics.

Pour avoir relevé près de 1000 dossiers de CdG, j’ai vu que la récidive est fréquente. On la trouve aussi bien dans les fusillés que dans les condamnés aux travaux publics par exemple. L’autorité militaire a bien compris le problème à tel point qu’à l’issue du premier procès, la suspension de la peine est quasiment « automatique » dans beaucoup de cas en particulier pour les désertions en présence de l’ennemi ou les abandons de poste qui forment la majorité des motifs d’inculpation.

C’est un moyen d’échapper aux combats en 1ère ligne mais la récidive s’est parfois mal terminée pour certains.

Je vais mettre sur le forum un nouveau cas pour illustrer cette problématique.

Amicalement
Bonne journée Eric
chanteloube
Messages : 1547
Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par chanteloube »

bonjour Garigliano,

Vous avez fait un travail considérable...Pouvez-vous nous dire ce que vous savez constaté sur les désertions à l'ennemi y-a-t-il jugement par contumace?
La sanction effectivement prononcée est-elle différente que pour les désertions à l'intérieur? ou désertions en présence de l'ennemi?
Merci de nous éclairer.
Cordialement CC
garigliano1
Messages : 844
Inscription : dim. nov. 18, 2007 1:00 am

Re: 1914-1918 : "La communauté militaire ne demeure pas dans le non-dit !"

Message par garigliano1 »

Bonjour

Parmi tous les jugements que j’ai relevé, je n’ai qu'un cas concernant les désertions à l’ennemi et 2 cas de désertions à l’étranger ce qui est moins grave (article 236 du CdJM) :

-cas de désertion à l’ennemi :

-le soldat a été condamné à mort par contumace le 30/06/1916 pour désertion à l'ennemi. En 1922, ce soldat marié et père d’un enfant a refusé de rentrer en France, il s’est enfui pendant son transfert. Sur sa fiche de matricule, on note qu’une demande de nationalité allemande a été formulée.

-cas de désertion à l’étranger :

-un cas daté du 02/08/1917, le soldat s’est enfui en Suisse, il a été condamné à 6 mois de prison le 22/11/1918 après s’est rendu en septembre 1918 aux autorités françaises. Le tribunal a prononcé un sursis à l’exécution de la peine.
-un cas daté du 26/04/1918, le soldat s’est enfui en Suisse après une permission de 10 jours à Villers le Lac, il a été condamné à 2 ans de prison le 22/11/1918 après s’est rendu aux autorités françaises. Le tribunal a prononcé un sursis à l’exécution de la peine.

Il faut signaler que tous ces CdG concernent majoritairement la 15e DI, 1 seul cas c’est peu mais 1000 jugements sur 140 000 archivés à Vincennes, c’est moins de 1% et donc pas vraiment représentatif.

Les désertions à l'ennemi, c'est l'application de l'article 238 du CdJM et donc la peine mort avec dégradation

Les désertions à l'intérieur, c'est l'application de l'article 231 du CdJM et donc 2 à 5 ans de travaux publics

Les désertions en présence de l'ennemi, c'est l'application de l'article 239 du CdJM et donc 5 à 20 ans de détention

Ces 2 derniers cas sont très, très fréquents dans les jugements, on trouve beaucoup de suspension de la peine, l'autorité militaire ayant trouvé ce moyen pour éviter l'engorgement des prisons et des ateliers de travaux publics.

Dans son dernier livre, André Bach note une augmentation des désertions à l'ennemi.

Cordialement
yves
Répondre

Revenir à « Presse - Radio - Télé »