... ou : "Faut que ça bouge quand même" ! ou encore : "On est pas là pour se tourner les pouces"...
Bonjour à tous,
Je me propose de mettre en parallèle deux textes, sans autre commentaire. Mais les éventuels vôtres seront les bien venus, of course !
Cordialement,
Stéphan.
__________________
Général G. Rouquerol, "Le 3e Corps d'armée de Charleroi à la Marne", Berger-Levrault, 1934, pages 135-136 :
La défensive agressive procédait de deux principes fort en honneur dans les états-majors dirgeants, où le second surtout était énoncé à tout propos comme une marque d'énergie supérieure :
- Il faut toujours se rapprocher de l'ennemi.
- Une tranchée perdue doit être reprise automatiquement.
Les Allemands, lorsqu'ils eurent décidé de ne pas continuer leur retraite, avaient choisi leurs positions d'arrêt; ils y avaient installé leur première ligne de défense. Notre première tranchée à nous fut la transformation de notre dernière ligne de tirailleurs de la guerre de mouvement, arrêtés devant les positions allemandes. Elle se trouva donc en général dans une situation désavantageuse vis-à-vis de celles-ci ; la pousser plus avant, c'était souvent risquer de rendre la situation encore plus mauvaise. Il aurait été parfois conforme au bon sens de se reporter en arrière sur une meilleure position. Mais parler de rétrograder aurait été plus dangereux que ne l'était le mot de défensive avant la guerre.
Il serait oiseux d'insister sur les sacrifices inutiles que nous coûta la défensive agressive, jointe au désir de nourrir le communiqué, de satisfaire l'opinion publique, et aussi de faire valoir certains chefs et certaines troupes.
___________________
J.M.O. du 74e R.I.
13 OCTOBRE 1914
La nuit du 12 au 13 a été très calme ; ni fusillade, ni canonnade.
Dès le matin, conformément à l’ordre général n° 75 ainsi qu’au message téléphonique de 2 h. 15, les patrouilles ont été envoyées dans le secteur compris entre le moulin de Courcy et les écluses au nord du même point, à raison de deux patrouilles (effectif de 12 à 15 hommes) par secteur de défense.
Ces patrouilles se sont avancées prudemment au-delà de la Route Nationale ; elles ont gagné environ 500 mètres à l’est de cette route, et ont fourni dans la journée quelques indications sur le tir de l’artillerie ; indications qui ont été téléphonées à la brigade. Ces patrouilles sont restées en observation en s’abritant dans des trous de tirailleurs qu’elles ont commencé à creuser.
Au reçu de l’ordre général n° 76, ordre a été donné à ces patrouilles de se maintenir sur leurs positions et de montrer – au moins par le feu – de l’activité sur tout le front du secteur. Il a été prescrit, étant donné l’obscurité naissante, de leur faire porter des outils pour leur permettre de creuser les trous de tirailleurs et de constituer ainsi des éléments de tranchées.
14 OCTOBRE 1914
[...] Les patrouilles françaises, envoyées hier en avant du front en exécution de l’ordre général n° 76, ont travaillé toute la nuit à exécuter des trous de tirailleurs et à les relier entre eux.
[...] Durant toute la journée, les patrouilles poussées en avant de la Route Nationale ont amélioré leurs tranchées. A l’heure actuelle (18 heures), deux tranchées – chacune pour une escouade – ont été exécutées entre le bois de Chauffour et les Carrières ; au sud des Carrières, une autre tranchée pour une escouade ; enfin, à l’est du bois Tardy et à environ 400 mètres de la Route Nationale, une autre tranchée d’escouade. Ces travaux seront améliorés dans la suite.
_______________
L'immobilisme en mouvement ...
- Stephan @gosto
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Re: L'immobilisme en mouvement ...
Bonsoir Stéphan
vous comparez deux récits décrivants les mêmes faits du 74° RI en octobre 1914:
le JO décrit exactement à la lettre les faits et gestes historiques,
en actes de bravoures et d' honneurs envers nos braves;
et celui du Gal Rouquerol, Gal de CA du 74°RI (à confirmer), qui décrit 20 ANS après les mêmes faits avec ses critiques et sa vision militaire réfléchi par le temps.
Il dénonce la "défencive agrévise", (chère à JOFFRE, l'attaque à outrance), mais qu' a-t-il fait lui à l' époque?
c'est je pense la question...
Sur le court passage affiché, on peut eventuellement en tirer la conclusion qu'il fît improviser ces premières lignes de tranchées au plus près, sans réflexion et sans avantage du terrain!
J' en conclu personnellement qu'en général tous les récits de 20 à 30 ans après les faits , ils dénoncaient, critiquaient la stratégie et la doctrine....
Ceux des années 60, firent apparaitre des chiffres et des bilans en pertes ,accompagné le tout de sèveres critiques très objectives.
aujourd'hui on accuse, en référence avec le livre "un lion qui commandait des ânes"
Mes premières réflexions,
et vous...
BM
vous comparez deux récits décrivants les mêmes faits du 74° RI en octobre 1914:
le JO décrit exactement à la lettre les faits et gestes historiques,
en actes de bravoures et d' honneurs envers nos braves;
et celui du Gal Rouquerol, Gal de CA du 74°RI (à confirmer), qui décrit 20 ANS après les mêmes faits avec ses critiques et sa vision militaire réfléchi par le temps.
Il dénonce la "défencive agrévise", (chère à JOFFRE, l'attaque à outrance), mais qu' a-t-il fait lui à l' époque?
c'est je pense la question...
Sur le court passage affiché, on peut eventuellement en tirer la conclusion qu'il fît improviser ces premières lignes de tranchées au plus près, sans réflexion et sans avantage du terrain!
J' en conclu personnellement qu'en général tous les récits de 20 à 30 ans après les faits , ils dénoncaient, critiquaient la stratégie et la doctrine....
Ceux des années 60, firent apparaitre des chiffres et des bilans en pertes ,accompagné le tout de sèveres critiques très objectives.
aujourd'hui on accuse, en référence avec le livre "un lion qui commandait des ânes"
Mes premières réflexions,
et vous...
BM
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Re: L'immobilisme en mouvement ...
Stephan,
Les deux textes illustrent assez bien la doctrine défensive en cours jusqu'en 1917, voire 1918 dans certains cas.
Une des questions possible serait : est-ce une spécificité Française ?
Les remarques de Rouqueyrol, pour aussi anachroniques et donc un peu "faciles" qu'elles soient, sont quand même, je crois, assez exactes sur la question du positionnement des lignes Françaises.
En revanche, l'attitude "agressive" dans la défense n'est pas, à ma connaissance uniquement le fait des Français.
Les Allemands utilisaient également beaucoup les patrouilles, et d'une façon générale, la contre-attaque systématique sur les positions perdues.
Si ma mémoire est bonne, cela a d'ailleurs entrainé des débats importants dans le commandement Impérial en 1916, où des contre-attaques locales mal préparées et sans motifs opérationnels réels avaient entrainé des pertes élevées, tant dans la Somme qu'à Verdun.
Il convient également de noter que les tirs de harcèlement, fort meurtriers à la longue, et éprouvant moralement, étaient facilités pour les Allemands par la présence dans leurs rangs d'une excellente artillerie de tranchées dès 1914, artillerie dont nos gouvernements successifs avaient cru devoir, au sens propre, faire l'économie, quand l'existence des matériels Allemands fut connue (Joffre).
Je reviens à la question de la "sacralisation" des zones défensives.
En 1794, l'une des pierre d'achoppement entre les positions Robespierristes ou Dantonistes, au delà de la question du "modérantisme", est le désaccord sur la nécessité d'une paix immédiate.
Danton est favorable à une paix négociée, au prix naturellement de la perte de certains territoires (une pratique d'ailleurs permanente sous l'ancien régime).
Les diplomates, qui prenaient alors le relais des militaires, savaient en général modérer leurs ambitions, et la "cession" de territoires était systématiquement compensée par des "facilités" douanières ou maritimes.
A cette "diplomatie de cabinet", la Révolution Française à substitué le concept de diplomatie nationale, dans laquelle le terroir, "consubstanciel" à la Nation, est, par définition, inaliénable.
Cette tradition se retrouve dans l'attitude de Clémenceau, que ce soit en 1906, suite à la première crise Marocaine, où bien qu'a prime abord hostile à une ingérence Française dans le royaume Chérifien, il défend ensuite bec et ongles les "acquis" précédents, et encore en 1918, où, avec Foch et contre Pétain, il soutient une défense "sans esprit de recul", c'est à dire sans céder un pouce de terrain.
Loin d'être une particularité de la société militaire, cette idéologie du "sol sacré de la Patrie" est bien une constante depuis 1792.
Elle a, de ce fait, plus avoir avec des principes politiques qu'avec des considérations tactiques et stratégiques, fussent elles par ailleurs erronées.
Quand à savoir qu'elle aurait été l'attitude des Britanniques ou des Allemands à notre place, il est difficile de l'évaluer, compte tenu qu'aucun de ces deux pays n'a vu son territoire envahi, exception faite de l'Alsace, bien sûr.
Marc
Les deux textes illustrent assez bien la doctrine défensive en cours jusqu'en 1917, voire 1918 dans certains cas.
Une des questions possible serait : est-ce une spécificité Française ?
Les remarques de Rouqueyrol, pour aussi anachroniques et donc un peu "faciles" qu'elles soient, sont quand même, je crois, assez exactes sur la question du positionnement des lignes Françaises.
En revanche, l'attitude "agressive" dans la défense n'est pas, à ma connaissance uniquement le fait des Français.
Les Allemands utilisaient également beaucoup les patrouilles, et d'une façon générale, la contre-attaque systématique sur les positions perdues.
Si ma mémoire est bonne, cela a d'ailleurs entrainé des débats importants dans le commandement Impérial en 1916, où des contre-attaques locales mal préparées et sans motifs opérationnels réels avaient entrainé des pertes élevées, tant dans la Somme qu'à Verdun.
Il convient également de noter que les tirs de harcèlement, fort meurtriers à la longue, et éprouvant moralement, étaient facilités pour les Allemands par la présence dans leurs rangs d'une excellente artillerie de tranchées dès 1914, artillerie dont nos gouvernements successifs avaient cru devoir, au sens propre, faire l'économie, quand l'existence des matériels Allemands fut connue (Joffre).
Je reviens à la question de la "sacralisation" des zones défensives.
En 1794, l'une des pierre d'achoppement entre les positions Robespierristes ou Dantonistes, au delà de la question du "modérantisme", est le désaccord sur la nécessité d'une paix immédiate.
Danton est favorable à une paix négociée, au prix naturellement de la perte de certains territoires (une pratique d'ailleurs permanente sous l'ancien régime).
Les diplomates, qui prenaient alors le relais des militaires, savaient en général modérer leurs ambitions, et la "cession" de territoires était systématiquement compensée par des "facilités" douanières ou maritimes.
A cette "diplomatie de cabinet", la Révolution Française à substitué le concept de diplomatie nationale, dans laquelle le terroir, "consubstanciel" à la Nation, est, par définition, inaliénable.
Cette tradition se retrouve dans l'attitude de Clémenceau, que ce soit en 1906, suite à la première crise Marocaine, où bien qu'a prime abord hostile à une ingérence Française dans le royaume Chérifien, il défend ensuite bec et ongles les "acquis" précédents, et encore en 1918, où, avec Foch et contre Pétain, il soutient une défense "sans esprit de recul", c'est à dire sans céder un pouce de terrain.
Loin d'être une particularité de la société militaire, cette idéologie du "sol sacré de la Patrie" est bien une constante depuis 1792.
Elle a, de ce fait, plus avoir avec des principes politiques qu'avec des considérations tactiques et stratégiques, fussent elles par ailleurs erronées.
Quand à savoir qu'elle aurait été l'attitude des Britanniques ou des Allemands à notre place, il est difficile de l'évaluer, compte tenu qu'aucun de ces deux pays n'a vu son territoire envahi, exception faite de l'Alsace, bien sûr.
Marc
Re: L'immobilisme en mouvement ...
je savais bien que R Fraenkel avait bien fait une remarque sur le sujet
Je lis page 60/61 de "l' ane qui commandait des lions:
dans chapitre "instruction pour l'organisation des massacres"
"Gal Gabriel Rouquerol: "avant la guerre , le mot défencive, s'il n'avait pas été rayé du vocabulaire militaire, avait été tout au moins virtuellement abrogé. Quiconque le prononçait était disqualifié. Aux manoeuvres et exercices, pour l'emporter les suffrages du commandement et de ses conseillers, il suffisait, quelle que fût la situation, de dire: j'attaque!"
général Rouquerol 1914
3°CA de Charleroi à la Marne.
Essai de psychologie militaire.
Les combattants et le commandement
1934
L'auteur dénonce à sa manière l'instruction de l'attaque à outrance qui à conduit souvent au suicide nos braves en août 14.
Rouquerol visiblement avec déjà dénoncé cette vision dès 1934
après la mort de Joffre!
BM
Je lis page 60/61 de "l' ane qui commandait des lions:
dans chapitre "instruction pour l'organisation des massacres"
"Gal Gabriel Rouquerol: "avant la guerre , le mot défencive, s'il n'avait pas été rayé du vocabulaire militaire, avait été tout au moins virtuellement abrogé. Quiconque le prononçait était disqualifié. Aux manoeuvres et exercices, pour l'emporter les suffrages du commandement et de ses conseillers, il suffisait, quelle que fût la situation, de dire: j'attaque!"
général Rouquerol 1914
3°CA de Charleroi à la Marne.
Essai de psychologie militaire.
Les combattants et le commandement
1934
L'auteur dénonce à sa manière l'instruction de l'attaque à outrance qui à conduit souvent au suicide nos braves en août 14.
Rouquerol visiblement avec déjà dénoncé cette vision dès 1934
après la mort de Joffre!
BM
- Stephan @gosto
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Re: L'immobilisme en mouvement ...
Bonsoir,
Je conseille à tous la lecture de ce livre de Rouquerol (Gabriel - il faut préciser le prénom car pas mal de Rouquerol ont écrit sur la guerre !).
Celui-ci commandait, au début de la guerre, l'artillerie du 3e C.A. Il a tiré deux livres très intéressants de son expérience des premiers mois de la guerre : au-delà de la relation des évènements auquels il participa à ce poste, ce qui retient l'attention se sont les réflexions que lui suggèrent les les engagements du 3e C.A. jusqu'au début de la stabilisation. C'est très instructif...
Général G. Rouquerol, La bataille de Guise, Berger-Levrault
Général G. Rouquerol, Le 3e Corps d'armée de Charleroi à la Marne, Berger-Levrault.
Cordialement,
Stéphan
Je conseille à tous la lecture de ce livre de Rouquerol (Gabriel - il faut préciser le prénom car pas mal de Rouquerol ont écrit sur la guerre !).
Celui-ci commandait, au début de la guerre, l'artillerie du 3e C.A. Il a tiré deux livres très intéressants de son expérience des premiers mois de la guerre : au-delà de la relation des évènements auquels il participa à ce poste, ce qui retient l'attention se sont les réflexions que lui suggèrent les les engagements du 3e C.A. jusqu'au début de la stabilisation. C'est très instructif...
Général G. Rouquerol, La bataille de Guise, Berger-Levrault
Général G. Rouquerol, Le 3e Corps d'armée de Charleroi à la Marne, Berger-Levrault.
Cordialement,
Stéphan
Re: L'immobilisme en mouvement ...
euh
un peu sur ma faim Stéphan
et vous, quels sont vos commentaires des deux passages affichés?
J' ai envie de les découvrir!
à bientôt
BM Thiry

un peu sur ma faim Stéphan
et vous, quels sont vos commentaires des deux passages affichés?
J' ai envie de les découvrir!
à bientôt
BM Thiry
- Stephan @gosto
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Re: L'immobilisme en mouvement ...
Bonsoir BM,
Je n'avais pas l'intention d'apporter de commentaire ; d'ailleurs, je le précisais dès le premier message.
Le sujet enfonce tellement de portes ouvertes qu'il est sans fin.
C'était simplement pour rappeler, une fois encore, que l'on préféra malheureusement bien trop souvent les "positions de principes" à des positions de combats pertinentes.
Et comme le rappelle Marc, cela dura des années...
Voici le récit d'un fantassin du 131e R.I. dans lequel quelques phrases (que j'ai soulignées) sont très représentatives de cette fracture qui existait entre la "guerre représentée" sur cartes par de petites lignes bleues et rouges et la "guerre faite" dans la boue par des hommes. Nous sommes en pleine offensive d'avril 17, trois jours après le 16, et au 131e R.I. Dans cet exemple, le combattant, cette fois-ci, aurait bien aimé avancer un peu...
"Je m'étonne, en le parcourant, que ce système de tranchées ne soit la propriété de personne ; cette position dominante est incontestablement préférable à celle que nous occupons. Pourquoi ne nous en emparons-nous pas, il n'y a qu'à avancer ?
Est-ce pour ne pas augmenter la pointe que notre ligne forme déjà ? Mais, cette fameuse « Courtine » est à moins de cent mètres de nos retranchements et, par conséquent, l'accentuation de notre position en saillant que sa prise entraînerait serait presque négligeable ! Au surplus, sa possession vaudrait bien la peine que l'on engageât au besoin une action de détail à droite et à gauche, afin de porter l'alignement général sensiblement à notre hauteur. Je dis qu'elle en vaudrait la peine, car l'ennemi, qui ne tardera pas à se ressaisir, va revenir sur ses pas pour se réinstaller dans la « Courtine » d'où il nous gênera énormément plus tard.
D'ailleurs, je suis persuadé que, dans l'ensemble de ce secteur, nous nous sommes stabilisés trop en arrière et que nous pourrions
occuper en particulier les avancés de Juvincourt et leurs abords, presque sans combat.
Les stratèges me diront que Craonne à l'ouest, la cote 108 à l'est, nous portent déjà de terribles coups d'enfilade puisque nous sommes entre
ces deux ouvrages, et qu'il vaut mieux ne pas avancer davantage dans la trouée. A cela, je répondrai qu'il faut ou bien revenir en arrière
ou bien gagner de bonnes positions. La ques-
tion est donc posée : pourquoi n'avançons-nous pas ? Serait-ce par hasard parce que notre offensive n'est pas terminée dans l'esprit du commandement et qu'il espère que nous irons bientôt très au-delà ? Non, car je ne sache pas qu'une position avantageuse ne soit pas toujours bonne à prendre, surtout lorsqu'il ne faut que peu d'effort. Serait-ce alors parce que le commandement responsable ignore le fait ou le connait mal ? Il est de fait que les chefs de bataillon et de compagnie ont, en général, été les seuls qui aient vraiment marché en première ligne avec leurs troupes ; seuls, ils ont pu se rendre compte des modifications subtiles à apporter à nos positions et encore ne furent-ils pas toujours en mesure de les faire valoir.
Pour le cas particulier qui nous occupe, mon opinion et celle des autres petits chefs d'infanterie qui m'environnaient étant négligeables eu égard à nos grades ne pouvaient avoir d'échos.
La « Courtine de l'ancien Moulin », crête et saillant, resta entre les mains allemandes. Sept, mois plus tard, le 21 novembre nous étions obligés de nous en emparer à la pointe de nos baïonnettes. Cette opération,
qui aurait dû ne rien nous coûter, nécessita alors de grands sacrifices de notre part."
Source : G. Bonnamy, "La Saignée", Editions et Librairies E. Chiron, 1920, pp. 83-85.
Cordialement,
Stéphan
Je n'avais pas l'intention d'apporter de commentaire ; d'ailleurs, je le précisais dès le premier message.
Le sujet enfonce tellement de portes ouvertes qu'il est sans fin.
C'était simplement pour rappeler, une fois encore, que l'on préféra malheureusement bien trop souvent les "positions de principes" à des positions de combats pertinentes.
Et comme le rappelle Marc, cela dura des années...
Voici le récit d'un fantassin du 131e R.I. dans lequel quelques phrases (que j'ai soulignées) sont très représentatives de cette fracture qui existait entre la "guerre représentée" sur cartes par de petites lignes bleues et rouges et la "guerre faite" dans la boue par des hommes. Nous sommes en pleine offensive d'avril 17, trois jours après le 16, et au 131e R.I. Dans cet exemple, le combattant, cette fois-ci, aurait bien aimé avancer un peu...
"Je m'étonne, en le parcourant, que ce système de tranchées ne soit la propriété de personne ; cette position dominante est incontestablement préférable à celle que nous occupons. Pourquoi ne nous en emparons-nous pas, il n'y a qu'à avancer ?
Est-ce pour ne pas augmenter la pointe que notre ligne forme déjà ? Mais, cette fameuse « Courtine » est à moins de cent mètres de nos retranchements et, par conséquent, l'accentuation de notre position en saillant que sa prise entraînerait serait presque négligeable ! Au surplus, sa possession vaudrait bien la peine que l'on engageât au besoin une action de détail à droite et à gauche, afin de porter l'alignement général sensiblement à notre hauteur. Je dis qu'elle en vaudrait la peine, car l'ennemi, qui ne tardera pas à se ressaisir, va revenir sur ses pas pour se réinstaller dans la « Courtine » d'où il nous gênera énormément plus tard.
D'ailleurs, je suis persuadé que, dans l'ensemble de ce secteur, nous nous sommes stabilisés trop en arrière et que nous pourrions
occuper en particulier les avancés de Juvincourt et leurs abords, presque sans combat.
Les stratèges me diront que Craonne à l'ouest, la cote 108 à l'est, nous portent déjà de terribles coups d'enfilade puisque nous sommes entre
ces deux ouvrages, et qu'il vaut mieux ne pas avancer davantage dans la trouée. A cela, je répondrai qu'il faut ou bien revenir en arrière
ou bien gagner de bonnes positions. La ques-
tion est donc posée : pourquoi n'avançons-nous pas ? Serait-ce par hasard parce que notre offensive n'est pas terminée dans l'esprit du commandement et qu'il espère que nous irons bientôt très au-delà ? Non, car je ne sache pas qu'une position avantageuse ne soit pas toujours bonne à prendre, surtout lorsqu'il ne faut que peu d'effort. Serait-ce alors parce que le commandement responsable ignore le fait ou le connait mal ? Il est de fait que les chefs de bataillon et de compagnie ont, en général, été les seuls qui aient vraiment marché en première ligne avec leurs troupes ; seuls, ils ont pu se rendre compte des modifications subtiles à apporter à nos positions et encore ne furent-ils pas toujours en mesure de les faire valoir.
Pour le cas particulier qui nous occupe, mon opinion et celle des autres petits chefs d'infanterie qui m'environnaient étant négligeables eu égard à nos grades ne pouvaient avoir d'échos.
La « Courtine de l'ancien Moulin », crête et saillant, resta entre les mains allemandes. Sept, mois plus tard, le 21 novembre nous étions obligés de nous en emparer à la pointe de nos baïonnettes. Cette opération,
qui aurait dû ne rien nous coûter, nécessita alors de grands sacrifices de notre part."
Source : G. Bonnamy, "La Saignée", Editions et Librairies E. Chiron, 1920, pp. 83-85.
Cordialement,
Stéphan
Re: L'immobilisme en mouvement ...
Sympathique Stéphan
de nous faire partager votre avis et ce récit plein d' émotion
bien cordialement
BM
Thiry
euh je vais encore le relire

de nous faire partager votre avis et ce récit plein d' émotion
bien cordialement
BM
Thiry
euh je vais encore le relire

- Stephan @gosto
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Re: L'immobilisme en mouvement ...
Bonsoir,
Marc, j'éprouve le même trouble que vous face à ces questions et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne tenais pas à m'exprimer plus avant là-dessus. Je ne crois pas avoir les connaissance qui me permettrai de trancher sur les différents points abordés.
Bref, de même qu'il faut de tout pour faire un monde, il faut de tout pour faire une guerre. Des décideurs, des exécutants. Là-dessus, il y a peu à dire. Le trouble résident plutôt dans le fait se sont toujours les mêmes qui font les macchabs au final ! Et que souvent, il y eut des macchabs plus que de raison...
Le choix de creuser certaines tranchées en tel ou tel lieux était absurde (souvent inutile, parfois meurtrier en même temps) . Ceux qui avaient le nez dans la boue le savaient. Le récit de Bonnamy montre bien que les hommes étaient même prêts à avancer leur position vers l'ennemi. Il en donne les raisons, qui semblent tout à fait raisonnables et justifiées. Mais voilà, plus haut, ça ne collait pas avec l'Idée. Bonnamy explique bien les conséquences que ce choix aura quelques mois plus tard.
Pour répondre plus directement à BM [?], si j'ai mis ces deux textes en parallèle (le J.M.O. et les réflexions de Rouquerol), c'est parce cela me parût un raccourci saississant de ce que l'esprit imprime à la matière. On trouvait le front du 74e un peu calme depuis quelques temps, et ce n'était pas supportable pour certains. Il fallait agiter un peu le secteur. Donc, aussitôt dit (l'Idée), aussitôt fait (l'Exécution), et hop ! on pousse les hommes (la Matière) en avant. Pas de projet d'offensive en préparation, pâs de coup de main à préparer, rien. C'était juste parce que l’ordre général n° 76, demandait "de montrer – au moins par le feu – de l’activité sur tout le front du secteur".
Bonne fin de soirée.
Cordialement,
Stéphan
Marc, j'éprouve le même trouble que vous face à ces questions et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne tenais pas à m'exprimer plus avant là-dessus. Je ne crois pas avoir les connaissance qui me permettrai de trancher sur les différents points abordés.
Cela me fait penser à un classique du genre qui s'inscrit dans le même ordre d'idées : "A la guerre, on est toujours l'embusqué de quelqu'un !". Cela va du tire-au-flanc du dépôt, en passant par le pistonné, mais pour aller jusqu'au poilu qui pionce dans son gourbi qui est lui-même l'embusqué de son camarade qui fait le quart au créneau !A partir de quel grade se transforme t'on en imbécile ?
Bref, de même qu'il faut de tout pour faire un monde, il faut de tout pour faire une guerre. Des décideurs, des exécutants. Là-dessus, il y a peu à dire. Le trouble résident plutôt dans le fait se sont toujours les mêmes qui font les macchabs au final ! Et que souvent, il y eut des macchabs plus que de raison...
Le choix de creuser certaines tranchées en tel ou tel lieux était absurde (souvent inutile, parfois meurtrier en même temps) . Ceux qui avaient le nez dans la boue le savaient. Le récit de Bonnamy montre bien que les hommes étaient même prêts à avancer leur position vers l'ennemi. Il en donne les raisons, qui semblent tout à fait raisonnables et justifiées. Mais voilà, plus haut, ça ne collait pas avec l'Idée. Bonnamy explique bien les conséquences que ce choix aura quelques mois plus tard.
Je suis parfaitement en accord avec cela. J'y ajouterai un élément primordiale qui fait d'ailleurs la matière de la première partie du livre de de Gaulle "Le fil de l'épée" que je suis en train de lire actuellement : la contingence.Et si, à chaque niveau, il n'y avait pas, d'une part des compétents et des incompétents, mais surtout des contraintes, temps, moyens humains et financiers, pesanteurs idéologiques et corporatives, qui finalement déterminent peut-être le cours et parfois l'issue des événements ?
Pour répondre plus directement à BM [?], si j'ai mis ces deux textes en parallèle (le J.M.O. et les réflexions de Rouquerol), c'est parce cela me parût un raccourci saississant de ce que l'esprit imprime à la matière. On trouvait le front du 74e un peu calme depuis quelques temps, et ce n'était pas supportable pour certains. Il fallait agiter un peu le secteur. Donc, aussitôt dit (l'Idée), aussitôt fait (l'Exécution), et hop ! on pousse les hommes (la Matière) en avant. Pas de projet d'offensive en préparation, pâs de coup de main à préparer, rien. C'était juste parce que l’ordre général n° 76, demandait "de montrer – au moins par le feu – de l’activité sur tout le front du secteur".
Bonne fin de soirée.
Cordialement,
Stéphan
- patrick corbon
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- Inscription : mar. nov. 09, 2004 1:00 am
Re: L'immobilisme en mouvement ...
Bonsoir à tous,
Je trouve que l’on est bien sévère avec Joffre. Ne fut-il pas le meilleur et peut-être le seul « Clauzewitzien » des généraux de 14. Foch lui-même devait dire plus tard qu’il avait été le plus grand des généraux de cette guerre. La victoire de la Marne était un modèle du genre.
Certes il fit des erreurs qui lui furent reprochées mais uniquement à son niveau de responsabilité, ce que l’on peut appeler la grande stratégie et la stratégie. Pour l’essentiel c’est d’avoir sous estimé l’adversaire, de n’avoir pas concentré son effort (Principe essentiel), d’avoir pris le nord de la France pour un immense champ de manœuvre, de ne pas avoir conservé nos bassins miniers de Briey et du Nord, d’avoir abouti à un enlisement.
L’action de détail, ce que l’on nomme la tactique relève de ses subordonnés, des plus grands aux plus petits. La mauvaise traduction de Clausewitz (En France les livres I, II et VIII non traduits ont été laissés de côté alors qu’ils conditionnent la compréhension de l’œuvre) a conduit à retenir pour l’essentiel que les thèmes importants : forces morales, importance du commandement, guerre tendant aux extrêmes, décision obtenues par les premières batailles, etc. Il en est né la doctrine de Grandmaison, stratégie de l’offensive à outrance. La faute en est à ces penseurs d’après 1870, qui par école de guerre interposée ont forgé une foultitude de cadres qui ne rêvaient que de charges à la baïonnette. Ils n’ont manipulés que des concepts, pas des réalités. Le règlement de manoeuvre de 1875 établit la prépondérance du facteur feu mais condamne néanmoins la défense passive (Il a été écrit par les acteurs de 1870). L’instruction sur le combat de 1887 (Règlement d’infanterie de 1884 ramène la prééminence des forces morales sur le feu. Seule l’offensive permet d’obtenir des résultats décisifs. Il suffit de nier les obstacles pour les vaincre. Le règlement de manœuvre de 1904 revient en arrière (meilleur équilibre feu-mouvement) mais le mouvement en avant reste le procédé qu’on doit le plus souvent employer pour arrêter l’ennemi. Trop général, par confusion avec le niveau stratégique il est resté interprété dans le sens de l’offensive à outrance sur le plan tactique.
Dixit le Président de la République Fallières
« L’énergie de l’exécution rachète toutes les faiblesses et répare toutes les erreurs »
« L’imprudence est la meilleure des sûretés »
« L’offensive convient au tempérament de nos soldats et doit nous assurer la victoire »
A noter que Foch en tant que professeur à l’école de guerre a largement enseigné cette doctrine. Seul Pétain proclamait le feu tue.
Je trouve que l’on est bien sévère avec Joffre. Ne fut-il pas le meilleur et peut-être le seul « Clauzewitzien » des généraux de 14. Foch lui-même devait dire plus tard qu’il avait été le plus grand des généraux de cette guerre. La victoire de la Marne était un modèle du genre.
Certes il fit des erreurs qui lui furent reprochées mais uniquement à son niveau de responsabilité, ce que l’on peut appeler la grande stratégie et la stratégie. Pour l’essentiel c’est d’avoir sous estimé l’adversaire, de n’avoir pas concentré son effort (Principe essentiel), d’avoir pris le nord de la France pour un immense champ de manœuvre, de ne pas avoir conservé nos bassins miniers de Briey et du Nord, d’avoir abouti à un enlisement.
L’action de détail, ce que l’on nomme la tactique relève de ses subordonnés, des plus grands aux plus petits. La mauvaise traduction de Clausewitz (En France les livres I, II et VIII non traduits ont été laissés de côté alors qu’ils conditionnent la compréhension de l’œuvre) a conduit à retenir pour l’essentiel que les thèmes importants : forces morales, importance du commandement, guerre tendant aux extrêmes, décision obtenues par les premières batailles, etc. Il en est né la doctrine de Grandmaison, stratégie de l’offensive à outrance. La faute en est à ces penseurs d’après 1870, qui par école de guerre interposée ont forgé une foultitude de cadres qui ne rêvaient que de charges à la baïonnette. Ils n’ont manipulés que des concepts, pas des réalités. Le règlement de manoeuvre de 1875 établit la prépondérance du facteur feu mais condamne néanmoins la défense passive (Il a été écrit par les acteurs de 1870). L’instruction sur le combat de 1887 (Règlement d’infanterie de 1884 ramène la prééminence des forces morales sur le feu. Seule l’offensive permet d’obtenir des résultats décisifs. Il suffit de nier les obstacles pour les vaincre. Le règlement de manœuvre de 1904 revient en arrière (meilleur équilibre feu-mouvement) mais le mouvement en avant reste le procédé qu’on doit le plus souvent employer pour arrêter l’ennemi. Trop général, par confusion avec le niveau stratégique il est resté interprété dans le sens de l’offensive à outrance sur le plan tactique.
Dixit le Président de la République Fallières
« L’énergie de l’exécution rachète toutes les faiblesses et répare toutes les erreurs »
« L’imprudence est la meilleure des sûretés »
« L’offensive convient au tempérament de nos soldats et doit nous assurer la victoire »
A noter que Foch en tant que professeur à l’école de guerre a largement enseigné cette doctrine. Seul Pétain proclamait le feu tue.